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La semaine clubistique des groupes de ski romands

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

romands.

Pourquoi cette animation sur la petite place de la gare de la Lenk ce vendredi, 6 février 1925, vers onze heures? Ces guides et porteurs attirés sans doute par l' espoir d' une bonne aubaine? Ce char sur lequel s' entassent sacs et skis? Tous ces gaillards délurés et réjouis, ornés de l' insigne du club, groupés devant l' hôte ) du Wildstrubel, qui se présentent, se serrent la main en riant et en plaisantant?

Est-ce une fête des sections romandes du C.A.S.? une course? un banquet?

C' est tout cela et encore autre chose. C' est la première semaine clubistique romande d' hiver, convoquée par la Commission romande des groupes de ski et organisée avec enthousiasme par le groupe de Moléson. Voilà justement son sympathique président, M. Aeby, qui discute avec le guide-chef et le gardien du refuge-hôtel du Wildstrubel. Discussions un peu aigre-douces à en juger par l' animation des interlocuteurs. C' est que le guide-chef ne veut pas entendre parler de déroger au « tarif » trois fois saint et entend l' appliquer à la lettre, même vis-à-vis d' un cours officiel du C.A.S. Quant au gardien de la Rohrbachhaus, il est muni de directions formelles de la section de Berne: pas de clef sans gardien et aucune réduction quelconque du tarif! Devant tant d' intransigeance, la moustache bienveillante de l' excellent Aeby se hérisse, ses sourcils se froncent et, d' accord avec le président de la Commission romande, il finit par envoyer promener tout ce monde, ne gardant pour accompagner la caravane que le guide Kohly, lequel, une fois débarrassé de la surveillance de son Obmann et de ses acolytes se montrera le compagnon le plus agréable et le plus serviable que l'on puisse trouver.

Et en route pour l' Iffigenalp où sacs et skis nous attendent, voiturés d' abord en char ( en février à 1000 mètres, ô ironie !), puis en traîneaux. Le temps est beau, la montagne nous sourit, nous nous sentons heureux et pleins d' entrain, malgré le peu de neige et la mine renfrognée des naturels.

Iffigenalp, changement de décor. Volupté inconnue jusqu' ici dans un hiver que sa sécheresse permettrait de qualifier d'«américain », on enfonce presque jusqu' aux genoux dans de la neige, de la neige en poudrin, de la vraie neige à ski. Et l'on met allégrement ses lattes, un peu moins allègrement son sac passablement gonflé et bientôt une longue file de skieurs dribésou peau-de-phoqués remontent lentement le vallon, où les pierres ne sont pas encore toutes couvertes, où l' herbe jaunie pointe par places, mais qui a cependant un bon petit air hivernal. Halte au bord du lac, dont on devine le contour sous la neige, puis, vers 18 heures, la cabane est atteinte, par un dernier effort qui paraît un peu pénible à ceux — et ils sont nombreux — qui chaussent leurs skis pour la première fois cet hiver.

Et voilà inaugurée cette semaine clubistique d' hiver qui, à l' inverse de tant d' autres manifestations sportives, a pu être maintenue parce que la montagne offre des ressources supérieures aux Préalpes.

Le soir, le directeur du cours rappelle le but de la réunion, le souvenir du premier cours alpin de Britannia et fait voter un programme d' exercices et de courses. Il résume en quelques mots les principales règles à observer en montagne et met en garde les participants contre les inconvénients et le danger de la pratique du ski acrobatique dans les Alpes.

D' après lui, le ski se pratique sous trois formes bien différentes:

1° Le ski acrobatique ou ski de plaine ou de salon qui peut se contenter d' un espace restreint et dans lequel le skieur est quelquefois sur ses pieds, mais plus généralement sur son séant.

2° Le saut ou ski de cirque, réservé aux professionnels avides de gloire: il exige des pistes spéciales et les applaudissements de la foule.

3° Le ski de montagne auquel le C.A.S. s' intéresse spécialement et dans lequel on cherche avant tout à parcourir le plus de pays avec le moins de fatigue et le moins de chutes possible.

Le samedi 7, le temps est gris et maussade. Les participants, désireux de se consacrer à l' étude du dérapage, de la marche et de la conversion freinées, ainsi que de la marche encordée, vont s' exercer sur le Dungelgletscher où nous trouvons des pentes propices et une neige suffisamment profonde. Les autres, estimant qu' une semaine clubistique est non seulement un cours destiné à des élèves, mais qu' elle doit être une fidèle image de la vie clubistique dans son ensemble, préfèrent s' adonner aux exercices plus reposants du « jass » et du « blind », entrecoupés de siestes bienfaisantes et de boissons variées. Une neige fine tombe durant l' après, ce qui n' empêche pas les plus infatigables de descendre jusqu' au lac à la rencontre des collègues dont l' arrivée a été annoncée pour ce soir. Pour de plus amples renseignements sur les péripéties d' une montée nocturne et les services éminents rendus par un porteur de tout repos, s' adresser à un sympathique directeur de la Banque Nationale ou à un non moins sympathique directeur d' une brasserie fribourgeoise réputée. Cependant tout est bien qui finit bien, et notre réunion compte maintenant trente participants, auxquels le directeur s' empresse de communiquer quelques réflexions personnelles, sinon nouvelles sur l' utilité d' exercer avec zèle les mouvements techniques nécessaires en montagne et sur les avantages incontestables — quoique encore très contestés — du drib et les inconvénients des rondelles.

Dimanche 8. Le temps est au grand beau; la bise souffle; le jass et le blind perdent tout attrait, et tous les participants valides partent pour le Wildhorn vers 8 heures. Sur l' ordre du directeur, la colonne s' allonge à la montée assez raide du Kirchli: il y a environ un pied de neige fraîche et des glissements sur la vieille croûte gelée sont à craindre: de grandes distances sont prises. Cependant, tout se passe bien. Sur le glacier, l' ordre est donné de s' encorder « à titre d' exercice ». Mais le dimanche n' est, paraît-il, pas un jour de travail et l' ordre est ignoré universellement, car aucun danger ne paraît exister sur l' inoffensif glacier du Ténéhet.

12 Malgré les belles recommandations faites dans nos journaux par d' émi collègues, la conviction n' est pas encore générale que « l'on doit s' encor sur les glaciers aussi bien en hiver qu' en été ». Notre cours ne contribuera pas beaucoup à fortifier cette conviction, car, sauf sur le Lämmerngletscher, nous n' avons jamais pu nous douter que nous marchions sur des glaciers et non sur des prairies ou des névés inoffensifs.

Vers 11 heures, le sommet est atteint; la bise tombe en même temps et nous pouvons jouir en toute tranquillité d' une vue très nette et très étendue. La neige fraîche nous a permis d' utiliser les skis depuis le sommet, fait assez rare. Quelle superbe descente sur la cabane par une neige égale, un peu profonde peut-être, mais qui permet néanmoins toutes les conversions et tous les systèmes! Le norvégien Anker part comme une flèche et descend d' une traite ou à peu près jusqu' à la cabane. Ce n' est pas du ski de montagne, mais l'on admire sa virtuosité et sa sûreté. Les chutes sont d' ailleurs peu nombreuses, ce qui témoigne de la bonne qualité de la neige et des skieurs. Par déférence pour le directeur, deux cordées s' organisent sur le glacier de Ténéhet. Le skieur encordé descend d' une allure plus lente et doit faire plus attention. Mais c' est un excellent moyen d' acquérir de l' adresse et de la sûreté.

Après le dîner, grand branle-bas dans la cabane. Onze des participants, inscrits pour les trois premiers jours seulement, s' apprêtent au départ au milieu des effusions et de la confusion inséparables de tout événement de ce genre. A la fin de l' après, descente de quelques-uns jusqu' au lac dans l' espoir d' y rencontrer le président central, qui a fait espérer son arrivée. Après avoir longtemps regardé comme sœur Anne et n' avoir rien vu venir, ils remontent par une nuit obscure et une neige qui s' alourdit, conséquence du fœhn qui a recommencé à souffler. C' est à ce moment-là que deux skieurs ont été emportés par une avalanche en rentrant des courses d' Engelberg.

Le lundi, le temps tient ses promesses de la veille. Il fait chaud; la belle neige d' hier s' est transformée en un amidon collant dans lequel aucune conversion n' est praticable. Nous devrons nous contenter d' admirer nos slaloms de la veille sur la pente du Kirchli et de faire une modeste promenade sur le Dungelgletscher. Dans l' après, nous accompagnons jusque près du chalet supérieur d' Iffigen trois collègues qui redescendent, afin de nous assurer qu' ils échappent à l' avalanche que rend possible dans la vallée encaissée la mauvaise qualité de la neige. Celle-ci s' améliore sensiblement vers le soir et les jeunes skieurs profitent de l' absence du directeur pour faire des exercices de leur choix, non commandés et non recommandés en montagne, christiania sauté, descentes et arrêts en vitesse, etc. Le fœhn reprend dans la soirée et nous inspire de vives inquiétudes pour le lendemain. Pour les calmer, le directeur présente les trois modèles de skis dribés qui sont à notre disposition et énumère les avantages mis en évidence par les essais du cours. Les expériences faites ne sont pas décisives, mais elles sont suffisamment encourageantes pour qu' on puisse espérer arriver à trouver bientôt le modèle idéal du ski de montagne. La présentation des skis dribés n' ayant pas suffi à calmer le fœhn dont les rafales ébranlent la cabane, on cherche à l' oublier en se plongeant dans les délices du jass et du blind. De timides voix pré- tendent qu' il faut modifier le programme et renoncer à traverser sur le Wildstrubel, mais elles se perdent dans le bruit du vent et des annonces des joueurs.

Il souffle deux ou peut-être trois vents contraires quand nous nous levons mardi vers 6 heures. Attendons ce que montrera le jour. Le jour montre bientôt un ciel incertain, avec des traînées douteuses. Allons donc voir ce qui se passe sur le plateau, car de la cabane, la vue est trop limitée pour se faire une opinion définitive. Départ sans beaucoup d' enthousiasme, à cause du sac et de la perspective de revenir au bout de peu de temps. Mais, ô miracle! sitôt sur le Dungelgletscher, la bise nous assaille et nous montre un horizon qui s' éclaircit de minute en minute. Nous traversons le glacier de Ténéhet dans des nuages de poussière de neige et arrivons au Rawyl vers 11 heures par un temps radieux et de toute pureté. Notre occupation principale durant le reste du jour sera de chercher où est « le nuage ». La descente du Ténéhet fut sans charme, la neige étant couverte d' une croûte cassante, résultat du fœhn de la veille. Par contre, la traversée du Rawyl nous offre des compensations avec ses creux et ses bosses en montagnes russes, où l' allure est agréable et variée, sauf pour le premier qui peine pour ouvrir la trace. Nous avons heureusement avec nous des Vaiai sans et des Jurassiens fort solides qui partagent avec Kohly « l' honneur » de marquer le chemin. Kohly nous fait monter par le col de la Plaine morte et l' arête de Rohrbachstein, itinéraire moins pénible et plus varié que la montée dans le vallon de la Rohrbachhaus. Longue halte au col de la Plaine morte avec vue admirable sur les Alpes Pennines. Arrivée « en flemme » vers 15 h. ½ à la cabane du Wildstrubel, devant laquelle il fait bon rester au soleil à contempler les Préalpes, le Plateau, le Jura et les Alpes.

Viendront-ils, viendront-ils pas? Les paris sont ouverts. Gaillard, qui les connaît, affirme qu' ils ne viendront pas.

Il s' agit de nos collègues de Sierre qui doivent nous rejoindre ici pour traverser avec nous le Wildstrubel.

La nuit vient, mais eux pas. Ils furent, paraît-il, victimes du bulletin de Zurich qui annonçait force précipitations. Nous, nous sommes victimes du fœhn qui souffle de nouveau avec violence et qui, avec la complicité d' un tuyau de cheminée, remplit la cabane de ses gémissements. Nous engageons la lutte avec succès et nos joyeux refrains ont raison pour un temps des grincements du tuyau.

Nuit plutôt fraîche, comme elles le sont habituellement dans cette cabane trop exposée et trop mal fermée.

Aussi, le mercredi, avant 4 heures, tout le monde est debout et s' occupe du déjeuner. Nous partons à 6 h. ¼, pour traverser le glacier de la Plaine morte, par un clair de lune féérique. Peu à peu, les lumières de la lune et du jour se confondent, puis une boule d' or surgit à l' extrémité du glacier, nous inondant de mauve, de rose et de rouge. Ce lever de soleil restera gravé dans la rétine pour longtemps. La neige est excellente sur le glacier et jusqu' au col du Wildstrubel que nous atteignons vers 9 h. Les derniers mètres sont glacés et c' est à qui démontrera quel est le meilleur système et le meilleur antidérapant.

Il est hors de doute qu' ici — comme souvent d' ailleurs — le meilleur système consiste à aller à pied et à porter ses skis.

Au sommet, le vent souffle en tempête. Nous le regrettons, car c' est ici que la clôture de la semaine clubistique est prononcée. La descente par l' Oeschinental n' ayant pas beaucoup d' attrait à cause de la faible quantité de neige, les Valaisans et les Vaudois se sont décidés à rentrer par Montana, et deux Fribourgeois se joignent à eux. Les effusions et la confusion inséparables des adieux touchants sont emportés par le vent et les deux caravanes se quittent les yeux pleins de larmes... de froid.

Sous la direction de Kohly, huit des clubistes descendent sur Kandersteg par le Lämmerngletscher et la Gemmi. Les sept autres font une descente fort rapide sur le glacier de la Plaine morte, dans une bonne neige, une descente non moins rapide sur Montana par le couloir entre le Tubang et le Bonvin, dans une neige croûtée, un petit passage d' arête intéressant pour traverser sur le chalet de Pépinet, et arrivent à Montana vers 14 heures, juste à temps pour permettre aux deux Fribourgeois de sauter en vitesse sur le funiculaire qui les amène au direct de 15 h. ½ à Sierre.

Les autres musent quelque peu et vont échouer au local du groupe de Sierre où, en compagnie de quelques collègues du dit groupe, ils dégustent, dans le rite habituel, la raclette sans laquelle une partie en Valais serait incomplète.

Ce qui caractérisa cette semaine clubistique, ce fut, outre l' entrain et le bon esprit de rigueur dans toute manifestation du C.A.S., le fait que pendant ces six jours il n' y eut ni chute grave, ni casse, ni accident quelconque.

Aussi la Commission romande peut s' estimer heureuse de la réussite parfaite de ce cours qui a réuni une pléiade de montagnards-skieurs expérimentés et a bénéficié des circonstances de temps et de neige les plus favorables.

Ed. Correvon.

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