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L'alpinisme contesté?

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Par Jean-Paul Humbert

Tout est remis en question aujourd'hui. Nouveauté ou vieille habitude, tout passe sous la lame à double tranchant. Un: est-ce utile? Deux: est-ce que ça rapporte?

Si ça rapporte sans être utile, passe encore, il n' y a pas grand mal. Si c' est utile sans rapporter: aïe! Enfin si, sans être utile, ça ne rapporte pas...

L' alpinisme aura son tour, sans même l' avoir cherché. Sûr comme le jour succède à la nuit.

L' alpinisme: non pas celui des conquêtes, himalayennes ou autres, qui - grâce aux Lambert et autres sympathiques mordus, de fibre racée, jouant leur va-tout avec un sourire tout simple - permet à l' homme de se contempler dans un miroir déformant et, confondant quelque peu dans ses généralisations, de déclarer avec satisfaction: « Quand même, qu' est qui pourrait nous résister aujourd'hui, nous sommes bientôt les maîtres du monde! » Cet alpinisme-là flatte trop la vanité de ceux qui ne s' y sont pas aventurés pour risquer de périr avant que le dernier sommet, la dernière face vierges ne portent le sceau d' une victoire humaine.

Il s' agit de l' autre, du nôtre.

L' alpinisme d' amateur, l' alpinisme sans prétention, derrière un guide sûr, l' alpinisme des routes déjà faites, qui ne parviendra jamais aux journaux, sauf sous la manchette: « Victimes... » Le nôtre: celui du clubiste moyen.

Sommes-nous vieux jeu, sommes-nous ridicules quand, au lieu de paresser sous les palmiers de Monaco ou de sécher notre viande au soleil en compagnie d' une humanité peinte et huilée, nous ahanons sac au dos et langue tirée le long d' une interminable moraine?

- Mais qu' est que vous allez faire là? Eh bien vous, vous n' êtes pas pour vous simplifier la vie, soit dit sans vous offenser... ( sourire indulgent, vague crainte de nous contrarier: avec les maniaques, on ne sait jamais... ) Que pourrions-nous répondre? Rien. A blanchir la tête d' un nègre, on perd sa lessive: gardons nos forces et rendons des comptes à qui nous en jugeons digne...

Pour faire le point, pour estimer nos chances, il faut comprendre le sens de notre choix.

L' alpinisme est d' abord une fuite, une recherche d' oubli. On fait son sac avec, dans la tête, l' attente des champs de neige, des glaciers, du rocher. De l' air pur. Du silence. Avant d' être parti, on est déjà bien loin.

- Mais le cinéma est une fuite, et les bars aussi, et la danse, et la plage, et... Et beaucoup d' autres choses, d' accord.

Des fuites trompeuses: des fuites où l'on refuse le tête-à-tête avec soi-même.Voilà: c' est, au fond, soi-même qu' on fuit. On a peur de se rencontrer. On veut seulement s' assour, s' éblouir, se laisser faire: images qui défilent, musique qui vous gave de sensations semi-torpides, immobilité engourdissante, mollesse des coussins. Refus de s' éprouver, refus de se voir.

Celui qui a fait son sac et lace lentement, soigneusement ses souliers, sait ce qui l' attend: une épreuve. Et sans doute une victoire. Au lieu d' un plaisir, une joie. Une chance d' entrer en contact avec sa nature profonde d' homme: sens de l' amitié, esprit d' équipe, confiance accordée et ressentie. Plus tard, sur le sommet, il éprouvera le signe. Le signe unique qui ne trompe pas, qu' on n' explique pas. Le moment serait mal choisi de lui demander si la vie a un sens. Il l' a touché et il a été touché par lui. Comment? Mystère...

Avant qu' on nie la valeur de telles expériences, il sera permis de traiter d' ignorants -ou d' imbéciles - ceux qui oseront poser sérieusement la question: « A quoi rime l' alpinisme? »

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