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L'arête des Sommêtres

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Par Arthur Visoni

Avec 1 illustration ( 136 ) Connue surtout des grimpeurs jurassiens qui en ont fait leur terrain d' entraînement et lui vouent un amour enthousiaste, l' arête des Sommêtres constitue un « jardin de varappe » idéal. Mais un jardin dominant la gorge profonde du Doubs dont les eaux dolentes - grondantes parfois - marquent la frontière franco-suisse.

Située entre Goumois et Le Noirmont, l' arête, imposante, s' élance en plein ciel. Cependant elle est admirablement cachée aux yeux du profane par les forêts bordant le plateau des Franches Montagnes. Orientée ouest—est, longue de près de 2 km ., la chaîne prend naissance au lieu dit « Chez le Bole » à 820 m. Elle s' élève, en une dizaine de ressauts, jusqu' à 1085 m. Sur le sommet, belvédère réputé qu' on atteint en une demi-heure depuis Le Noirmont, subsistent encore des vestiges du château de Spiegelberg datant du XIIIe siècle.

Par le sentier du Theusseret on descend en 20 minutes du Noirmont à la ferme « Chez le Bole ». De là, un raide pierrier conduit en quelques minutes à l' arête. La voie, évidente, se déroule en grande partie sur la crête ou sur son versant sud. C' est l' itinéraire habituel. Il est des plus élégants et ses difficultés ne dépassent pas le 3e degré. La vue captivante, la diversité des obstacles succédant à chaque brèche, rendent l' escalade intéressante d' un bout à l' autre.

Dans la face sud - ses parois hautes d' une centaine de mètres sont coupées de vires herbeuses - plusieurs itinéraires ont été traces, de nombreux obstacles baptisés. La plupart jalonnés de pitons, ils offrent des difficultés allant du 4e au 6e degré. Quelques rappels sont devenus classiques.

La flore des Sommêtres, extrêmement variée, est superbe. Chaque année, avril expose le tableau admirable d' une arête fleurie de gentianes.

Toute la nature est gorgée de soleil lorsque, laissant « Chez le Bole » à gauche, mon compagnon Pitonnet et moi prenons le raidillon conduisant au deuxième ressaut. Il y a un peu plus d' une heure que je vis Pitonnet pour la première fois. Il s' est présenté chez moi, ce samedi peu après midi, sur la recommandation d' un ami, afin que je lui indique où pouvoir aller faire de l' escalade; une demi-heure plus tard, sa voiture nous déposait au Noirmont.

Nous voici au col. Sous le dôme de feuillage, nous goûtons, un instant, repos et fraîcheur. Encordés, j' annonce à Pitonnet que nous allons suivre strictement la voie normale. Dès l' attaque - elle se fait à gauche par une fissure peu marquée, mais assez redressée -le grimpeur doit obéir à la loi de la technique propre au calcaire. N' impose pas la plus grande précision dans tous les mouvements? A nouveau baigné de lumière, j' arrive, à bout de corde, au pied de « L' Armoire à glace » d' où j' assure. Peu après, du haut de « L' Ar », j' observe mon partenaire qui escalade à son tour cette dalle verticale dont la hauteur dépasse 10 m. Rayonnant de joie, les mains tâtant la roche en connaisseur, celui qui devait partager plaisirs et peines dans quelques-unes de mes futures campagnes se montre d' emblée excellent rochassier. Une dizaine de pas nous ont amené devant « La Petite Javelle », large fissure haute de 4 m. se ramonant exactement comme sa grande sœur des Aiguilles Dorées. Nous suivons l' itinéraire plus simple surmontant la paroi de gauche. Passant à côté de « La Méduse » nous prenons pied sur « Le Pic du Theusseret ». La gorge du Doubs nous apparaît, tout à coup, 400 m. plus bas. L' ancien moulin - maintenant une auberge -est situé au bord d' un des méandres de la rivière. Le murmure de la brise du nord agitant la ramure des pins, accompagné du sourd grondement du Doubs, nous berce de sa délicieuse mélopée. Une note discordante se fait entendre. C' est le cri perçant d' une buse venant de quitter son nid et qui plane là-bas.

Depuis « Les Colonnes » laissées à notre droite, nous dévalons jusqu' à la brèche qui termine le 2e ressaut. Devant nous se dresse « La Gentiane » sillonnée de ses cinq voies très difficiles dont l' une, « La Direttissima », deviendra la préférée de Pi tonnet. En face, nous découvrons l' impressionnante « Paroi Saint Loup », déjà bleutée d' ombre, que partage une belle fissure encore vierge. A sa base - nouvelle venue dans la fameuse collection - « La Vire à Trottinette » mène aux deux morceaux de choix que sont « La Pointe Riesen » et « La Dalle Schwab ».

Le 3e ressaut, très court, s' abaisse brusquement par « La Cheminée ». Mon compagnon s' engage face au vide. Ses longues jambes s' étirent de chaque côté puis disparaissent dans la cheminée s' ouvrant plus bas. Les prises arrondies mettent en jeu, ici, toutes les ressources de l' opposition. « La Vire au Chat » est évitée et nous abordons « La Pointe du Doubs » par la gauche. Un long parcours horizontal suit, laissant entrevoir, à quelques mètres au-dessous du faîte, les trois pénibles rétablissements « Les PTT ».

Et voici « Les Oreilles d' Ane ». Le lieu aurait enchanté Francis Jammes. Les prises, superposées obliquement, obligent, en même temps que les mains se croisent, à d' amusantes enjambées. La coupure où nous arrivons permet une échappée facile de l' arête. Celle-ci, devenue plus massive, se redresse fièrement pour former le 5e ressaut. Pour se rendre à « La Vire aux Dames » et à « La Grande Cheminée » bien visibles il faut longer la base de la face sud. Nous restons sur le fil de la crête. Ayant escaladé « L' Aiguille » nous nous trouvons au bas des « Deux Arêtes » qui s' élèvent, parallèles, sur une cinquantaine de mètres. Nous prenons celle de droite. Des prises abondantes qu' il est toujours prudent d' éprouver nous permettent d' arriver, de terrasse en terrasse et enfin par une montée continue et facile, au sommet du ressaut. La vue a pris de l' ampleur. Elle s' étend à l' est sur une partie du village de Saignelégier; dans la même direction nous voyons, encore distant, le point culminant des Sommêtres marqué d' une grande croix. Au nord, derrière le riche plateau de Belfond, se cachent les maisons de Goumois dominées par le curieux Rocher du Singe. Au delà du Doubs c' est la France, dont nous entendons parfois, émus, la douce voix transmise en plein ciel par les cloches du village de Charmauvillers. Enfin, à l' occident, les plans s' éche à l' infini; épaulements couverts de forêts, semblables à de géantes encolures d' ani préhistoriques venant s' abreuver à la gorge sauvage.

Voici la « Paroi Graber ». Légèrement surplombante, sa hauteur de 15 m ., les prises sûres mais rares et éloignées, l' athlétique effort à fournir, tout concourt à faire de cette grimpée l' une des plus belles. Pitonnet y recueillera, dans quelques années, les louanges de notre groupe mixte. Montant en tête de cordée, il se montrera particulièrement sensible à l' admiration que lui témoigneront les jolies filles.

« L' Enjambée » est suivie du « Pic du Livre » où nous avons déposé un livre d' or que signent, chaque année, deux à trois cents grimpeurs. Poursuivant le long de la crête nous atteignons le col précédant le 6e ressaut. Ici s' offre la dernière sortie avant le sommet. Deux obstacles nous séparent de la selle suivante. Laissant « Le Toit » à gauche nous parvenons au « Petit Rubis ». La descente est un peu malaisée quand on ne connaît pas les prises invisibles d' en haut. Après un coup d' œil jeté à « La Fissure Gander », au nord, qui se monte à la Dülfer, nous attaquons « L' Aiguille de la Varappe ». Le regard plonge toujours plus profondément à l' ouest. Le soleil a roulé sur France. Ses rayons répandent à profusion de l' or sur le calcaire et sur les troncs vigoureux des pins luttant contre l' étau de pierre qui les enserre.

« Le Gros Rubis » surplombe de 2 m. une nouvelle dépression. A mon tour de me suspendre par les mains aux deux protubérances rocheuses qui ont valu son nom à ce passage. L' élan de l' arête semble se terminer avec le 8e ressaut. Après « L' Arête du Vertige » - un entassement de gros blocs - dangereusement penchée sur le vide, « Le Rasoir », de plus en plus effilé - mais aussi ébréché - par le temps, est franchi prudemment. Nous côtoyons ensuite la partie supérieure du « Miroir Visoni » d' où nous pouvons observer les prises minuscules de ses deux voies. Le sommet, proche, nous domine. Et l' itinéraire, montant et descendant, d' aboutir enfin à la dernière brèche.

Nous avons gravi « Le Rempart » pour déboucher au pied du « Bastion ». La tour sommitale, d' environ 15 m. de haut, coupée de petites vires, dont l' escalade exposée et soutenue représente une brillante conclusion de la traversée, est flanquée, à droite, d' un couloir. C' est par là que j' emmène Pitonnet bien fatigué, mais débordant d' enthousiasme à la merveilleuse révélation que fut sa découverte imprévue des Sommêtres.

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