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L'arête ouest de l'Alphubel

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Avec une illustration ( 143Par Arthur Visoni

Etablir un programme d' ascensions intéressantes autour de la Täschalp, pour une semaine clubistique, est un problème vite résolu, le nombre des sommets à gravir étant restreint mais de qualité.

Après nous avoir conduits au Leiterspitz, Xavier Kalt des Plans s/Bex, l' un de nos deux guides, accepta avec enthousiasme de prendre l' un de nos groupes à l' arête ouest de 1' Alphubel, ascension pleine d' inconnues, mais aussi de promesses. Le 22 juillet 1946 nous quittons Täschalp un peu avant 3 heures, et vers 6 heures, huit grimpeurs en trois cordées attaquaient la belle arête qui s' élève de 1000 mètres jusqu' au point 4116 de 1' Alphubel.

Dans son premier tiers, elle est relativement aisée, mais la difficulté augmente graduellement pendant le deuxième tiers où quelques gendarmes et des dalles couvertes d' une mince couche de neige nous rejettent dans le flanc sud. Nous y rencontrons des passages 1 Deuxième ascension. Le récit de la première par le Dr Ed.Wyss-Dunant a paru dans Les Alpes, n° 3, mars 1946, avec une photo aérienne de la chaîne des Mischabel.

qui exigent de la tactique et beaucoup de précautions: la meilleure voie ne doit pas trop s' éloigner du faîte pour éviter les chutes de pierres.

Nous pouvons reprendre un moment l' arête, mais des dalles Iisse3 et des surplombs, après une vaine tentative pour les surmonter, nous font dévier à nouveau dans le flanc. La varappe, magnifique, se poursuit sur un granit parfois compact, parfois délité, si délité que la plus petite faute provoque aussitôt des cris: « Attention! Attention! » Revenus sur l' arête, une petite crête neigeuse nous conduit devant une paroi qui nous barre le passage. Kalt n' hésite pas et la lutte s' engage, palpitante. Plantant quelques pitons, notre guide gravit le premier ressaut suivi d' un surplomb très exposé qui lui demande un grand effort. Pour nous, restés au pied de la paroi, en équilibre sur une petite plateforme neigeuse dans le vent froid des quatre mille, les manœuvres de cordes, d' assurage au moyen de mousquetons, représentent un travail intense et passionnant de deux heures où nos forces se dépensent sans compter1.

L' action de la corde d' assurage étant en partie diminuée par le rocher surplombant, nos bras sont mis à forte contribution pour franchir ce passage d' une réelle difficulté. L' obstacle est enfin surmonté, mais la scène reste imprimée dans nos yeux avec un relief saisissant.

De l' arête nous passons dans la face sud où une superbe varappe, difficile, demande une grande prudence à cause des chutes de pierres, nos cordées étant échelonnées l' une sur l' autre.

Tous nos sens sont en éveil. N' était l' heure avancée et le danger menaçant des pierres, cette ascension comblerait l' alpiniste que la montagne oblige à l' accord parfait de ses moyens physiques, moraux et techniques.

La cime s' est bien rapprochée, mais vague et imprécise dans le brouillard qui l' enve. Encore une fois les dalles enneigées et très redressées de l' arête nous arrêtent. Après un essai, la neige paraît offrir une suffisante sécurité et nous nous engageons sur le toit qui va nous conduire enfin au sommet, que nous atteignons à 18 heures.

Une subite bourrasque de vent et le brouillard nous assaillent comme si les mauvais génies de la montagne, furieux contre les pygmées insolents que nous sommes, voulaient nous égarer sur ce vaste sommet que nous ne connaissons ni l' un ni l' autre. Mais nous voici sur la bonne voie, l' arête nord qui descend au Mischabeljoch. Nous foulons le col à 19 h. 30. Après quelques minutes de repos, nous entreprenons la descente du fameux glacier de Weingarten: fameux, car c' est une vraie souricière! Malgré la nuit qui nous enveloppe, nous évitons le piège, c'est-à-dire le bivouac, et deux heures après, soit à 22 heures, nous enlevons la corde qui nous reliait depuis tant d' heures. Nous voici revenus au pied de notre arête ouest; mais nous ne sommes pas au bout de nos peines et nos trois lanternes ne seront pas de trop pour déjouer les dangers semés le long des moraines. Sous le ciel étoile, le petit lac que nous avons côtoyé ce matin, enchâssé entre la montagne, le Rotgrat et les moraines, nous apparaît très agrandi et beau comme un lac de rêve. Tout à coup une lumière apparaît à son bout opposé. Serait-ce une cordée partant de la nouvelle cabane de Täsch pour l' arête du Diable? Ou peut-être quelques-uns de nos camarades venus à notre rencontre? Nous appelons, pas de réponse! Soudain une deuxième lumière, puis une troisième quittent la rive et voguent sur le lac à notre rencontre. Nocturnes naufragés, nous cherchons les nacelles qui transportent si rapidement ces sauveteurs supposés. N' obtenant pas de réponse à nos appels, nous supposons que ces lumières sont des feux-follets! Le mer- 1 La paroi où sont restés nos trois pitons nous semble être la tranche ouest de la grande plaque de 30 mètres inclinée vers le nord, dont parle le récit du D1 Wyss-Dunant.

veilleux s' efface tout d' un coup quand nous découvrons enfin que ce sont les étoiles qui se reflètent dans l' eau immobile!

Revenus aux réalités et à nos moraines, nous reprenons la descente avec l' impression que, nouveaux damnés, nous dégringolons dans un abîme sans fin. Le Rotbach en est le monstre au grondement assourdissant.

Pourtant la petite lueur de la Täschalp qui brille là-bas, tout au fond du val, à l' endroit où nous attendent nos camarades inquiets, nous est un précieux réconfort. Qu' il est doux à nos pieds, le tapis de gazon et de fleurs alpines où enfin nous déposons nos sacs, à minuit, après 21 heures de course!...

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