Le Breitlauihorn. Ascension directe de la face nord | Club Alpin Suisse CAS
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Le Breitlauihorn. Ascension directe de la face nord

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Photo Pierre Sala, Delémont

Dans la face nord du Breitlauihorn Photo Pierre Sala, Delémont remonter jusqu' ici, où elle s' est entassée en corniches croisées sur une crête de gros blocs, longue d' une quarantaine de mètres. Je fais dans la farine impondérable une tranchée à coups de manche de piolet, d' avant et de genou. J' aime la neige, et je me faufile avec délices dans cet élément insaisissable! Je m' amuse à composer avec ses cristaux instables, et à tracer un chemin dans sa -blancheur, tantôt en la fouillant pour accrocher le rocher sous-jacent, tantôt en prenant sa fragilité pour appui. C' est un jeu de patience et d' équilibre, à la fois subtil et primitif, où on retrouve ce sens - que les singes paraissent avoir - de la résistance des faibles branches qu' ils utilisent comme ressorts à leurs galipettes.

Un coup d' ceil à la montre, un autre à la paroi plâtrée de Y Isolée, et sans un mot sous renonçons à cette cinquième aiguille pour monter au Mont Blanc du Tacul avant la chute du jour. La neige est à peine moins profonde, mais l' arête se mue en une croupe facile. La tension nerveuse tombe; pourtant, la journée est si belle que nous continuons à nager dans une euphorie de soleil, de mouvement et d' à, où il n' y a pas place pour la fatigue. Quelques écharpes de brume nous enveloppent de fraîcheur et d' irréalité, et la montée se poursuit, variée, libérée.

Au revers d' un gros bloc m' attend l' ultime dalle enneigée de la course. Au lieu de la descendre avec précautions, l' humeur du moment me pousse à en faire un toboggan que je dévale avec la masse poudreuse, pour m' en dégager d' un coup de reins pendant que la neige plonge à grands sauts vers la Combe Maudite.

Un vent de tempête nous accueille sur la coupole du Mont Blanc du Tacul. Les cristaux de glace courent sur la neige en longues vagues, comme si des doigts immenses caressaient la montagne teintée de l' ocre et du rosé que le soleil lui envoie de l' horizon. Maintenant, le mauvais temps qui nous a donné un jour de grâce peut venir avec la nuit. Notre rêve est accompli. En zigzag dans les séracs, il ne nous reste plus qu' à descendre à pas égaux, en accomplissant avec la corde les gestes routiniers qui marquent notre solidarité et notre harmonie, et en savourant les dernières lueurs d' une journée étincelante.

Le Breitlauihorn

Ascension directe de la face nord Pierre Sala, Delémont II me semble que les montagnes du Lötschental sont trop peu connues des alpinistes. Et pourtant, elles gardent une splendide vallée, souvent empruntée par des skieurs qui, pressés d' étan leur soif, la traversent sans lever le riez.

Tout le monde connaît le Bietschhorn, mais moins le Breithorn qui se trouve au sud du Breithorn de Lauterbrunnen. C' est entre ces deux sommets que se situe le Breitlauihorn, montagne presque oubliée aujourd'hui. C' est sous un soleil de plomb; les yeux rivés sur les montagnes des environs, que je me dirige vers Fafleralp. Presque toutes les divines gardiennes du Lötschental ont encore leur parure hivernale. En chemin, mon regard est souvent attiré par la face nord du Breithorn qui me fait rêver, quand soudain je suis rappelé sur terre par une voix familière: c' est mon ami Ernst Reiss, qui m' attend sous un mélèze. Il est assis là, rêvant lui aussi à notre course du lendemain. Ragaillardi par sa présence, je le rejoins rapidement, le sourire aux lèvres. Une fois délesté de mon sac, je regarde plus attentivement la face nord du Breithorn: vue sous cet angle, elle me fait un peu peur, et un frisson court le long de mon dos. De longues plaques de glace grise recouvrent sa face... Mais, sagement, Ere guide mon regard sur le Breitlauihorn. J' admire alors un long couloir conique, entrecoupé de barres rocheuses, qui s' élance presque jusqu' au sommet, puis l' éperon sommital... bref, une magnifique paroi haute de neuf cents mètres! De plus, les conditions de neige me paraissent excellentes et il n' y a aucune trace des coulées brunes caractérisant les chutes de pierres. Plus de doute, notre choix est fait.

Tout en parlant de nos dernières courses de montagne, nous avons repris le chemin de Fafleralp. Avant le coucher du soleil, nous nous livrons encore à quelques exercices d' escalade. Puis, l' estomac dans les talons, nous allons souper. Après le repas, nous tentons de tirer du patron de l' hôtel quelques renseignements sur notre but de course, mais sans succès... Tant pis, nous nous en passerons! Nous montons dans nos chambres, afin d' y préparer nos sacs. A chaque instant, Ere vient me dire de supprimer du matériel qu' il juge inutile. En fin de compte, si nos sacs pèsent six kilos, c' est bien un maximum! Ce n' est qu' une heure plus tard que je puis enfin apprécier les bienfaits du lit. Mais le sommeil ne vient pas, remplacé par une nervosité grandissante; les aiguilles de mon réveil semblent rester sur place... Pourtant, trois heures du matin finissent par arriver.

Le ciel est tout étoile et un léger vent nous lèche le visage. Il faudra faire vite! A grandes enjambées et en moins de deux heures, nous sommes au pied de cette formidable face. Mais plus les heures passent, plus le temps se gâte. Le sommet est déjà encapuchonné par le brouillard. Rapidement, nous chaussons nos crampons, nous nous encordons et croquons vite quelques radis que Ere a eu soin de prendre avec lui. Il manque le sel!

Une fois parés, nous voici dans le premier névé. Le rythme est bon, mais un peu rapide pour le début, au goût de Ere. Quelques longueurs de corde un peu monotones nous conduisent dans un chaos de neige, de glace et de roc. La nature a vraiment changé. Les longueurs de quarante mètres se succèdent sans interruption et, au-dessous de nous, le vide se creuse à une allure folle. Régulièrement, la pente s' accentue et déjà le cap des 550 est atteint. La moitié de la face est gravie et, pour nous arranger, le temps s' est remis au beau. Mon camarade en profite pour prendre quelques photos, puis il tire de son sac un objet aussi mystérieux qu' insolite:... un morceau de bambouArmé de son piolet et de ce jonc qu' il enfonce énergiquement dans la neige dure, il progresse avec une aisance stupéfiante. Tels des coureurs de relais, nous nous passons ce précieux outil qui se révèle être d' un emploi vraiment pratique.

A nouveau, le temps s' est gâté. Mais, cette fois-ci, ça a l' air sérieux. A tel point que quelques flocons de neige voltigent autour de nous. De temps en temps, des pierres folles nous frôlent en ronflant, mais le danger n' est pas trop grand.

Vers dix heures, nous prenons d' assaut un passage fort intéressant: c' est un petit entonnoir de glace vive, entouré de deux éperons rocheux. Ere s' y engage en taillant quelques marches et en plantant des pitons. Ensuite, la corde coulisse entre mes mains, lentement mais sûrement. Après une longue attente, je me lance sur les traces de mon camarade. Mais j' ai tôt fait de modérer mon allure, car ce n' est pas facile. A grands coups de marteau-piolet, je récupère broches à glace et pitons. Puis je quitte d' un bond ce terrible goulet, passablement soulagé. A mon tour, je prends la tête et progresse sur une petite crête recouverte d' une neige de bonne qualité et où il est agréable de marcher après ce passage délicat.

Nous atteignons les rochers sommitaux et nous avons la satisfaction d' apercevoir un coin de ciel bleu au-dessus de nos têtes. La plupart des rochers sont couverts de neige et de glace, ce qui rend la progression lente et pénible. En hésitant un peu, je m' efforce de trouver le meilleur chemin et je gagne de l' altitude. A intervalles réguliers, je fiche un piton dans le roc et poursuis mon ascension. Arrivé au haut des quarante mètres de corde, je jette un coup d' œil derrière moi, et ce que je vois me coupe le souffle. De ma minuscule plate-forme, Ere m' appa comme une mouche accrochée à un mur.

La corde qui nous relie effleure à peine le rocher. Mille huit cents mètres plus bas, l' hôtel Fafleralp n' est plus qu' un minuscule point clair. Après avoir repris mes esprits, je fais venir mon camarade qui, tout en montant, crie sa joie d' être ici en haut. Le sommet n' est plus très loin et, sans plus attendre, Ere reprend la progression. Enfin le voilà au sommet, tout auréolé de soleil. Je le rejoins et, après avoir escaladé les derniers blocs, nous nous serrons la main et apprécions les rayons bienfaisants de ce soleil tant attendu. Puis tout en admirant les montagnes voisines, nous dégustons, et avec quel plaisir, d' excellents ananas au kirsch. Quel délice après un tel effort!

Un instant de repos bien mérité, et nous entamons la descente. Très prudemment, nous nous enfilons dans un petit couloir on la neige est molle et profonde. Nous lançons des pierres dans l' espoir de déclencher une avalanche, mais en vain. Le caillou disparaît dans cette masse fondante. Il ne faut pas longtemps pour transformer les souliers de mon ami en véritables éponges, mais il n' y prend pas garde. Sous un soleil lourd, nous arrivons enfin au Kühberg, par on nous espérons descendre.

Malheureusement, le ciel se voile à nouveau et l' orage gronde déjà sur le Petersgrat. Cette fois-ci, il ne faut plus traîner. A corde tendue, nous gagnons le Kühhorn. L' arête est interminable et dangereuse. D' énormes sabots se forment sous nos crampons. La neige coule de partout. Une fois sur les rochers, notre premier soin est de nous délester de nos crampons et de les ranger dans nos sacs. Après la traversée du Kühhorn, nous décrochons une plaque de neige et, tels des moutons suivant docilement leur berger, nous l' accompagnons jusque sur le glacier d' Augstkummen Là, nous nous débarrassons de nos liens, et c' est en courant d' un névé à l' autre que nous regagnons Fafleralp, on nous sommes accueillis par un bel orage.

Le temps de nous changer, de boire un thé, et nous voilà sur le chemin de la maison. A Kan- dersteg, on il pleut à torrents, la famille Reiss nous attend. C' est là enfin, c' est là seulement que nous comprenons la chance que nous avons eue, et la grandeur de notre course.

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