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Le Caucase d'aujourd'hui

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

PAR ALEX. VON WANDAU, VIENNE

De 1930 à la deuxième guerre mondiale, le Caucase fut le but préféré de nombreux alpinistes suisses qui désiraient faire de l' exploration en dehors des Alpes. Celui qui lit les récits de cette époque dans la revue du CAS et les relations, parues en 1953 dans le journal de 1' Alpen verein, des nouvelles explorations dans le Caucase par les alpinistes soviétiques pourrait penser qu' il y a encore là des expéditions exigeant une caravane de porteurs, et que les seules difficultés limitant la liberté de l' alpiniste sont celles résultant des délais et des retards. Ce n' est cependant pas le cas.

Le Caucase est de nouveau ouvert aux alpinistes occidentaux depuis 1958; aussi un bref exposé des possibilités d' activité alpine dans cette chaîne magnifique peut offrir un intérêt général.

75 Vue plongeante du nord dans la vallée du Riu Valira avec ses localités principales. Juste au-dessus des buissons du premier plan, la station thermale Las Encaldas. En arrière, au-delà du Valira ( au bord supérieur de l' image ) le chef-lieu Andorre-la-Vieille 76 Terrain mamelonné du Cire de Pessons, avec ses lacs. En arrière la chaîne granitique du Pic de Pessons 77 Canillo, groupe de maisons dans un paysage de calcaire et de schistes à la sortie du Valle de Riu 84 Vue du Pic de l' Estanyò sur la partie culminante des montagnes andorranes. Au dernier plan: Pic Alt de la Coma Pedrosa, 2946 m; chaîne médiane: Roca Enravesada, 2961 m; avant-plan: Pics de Recofret, 2875 m 8 5 Fond de la vallée du Riu près de Coniilo; cirque bordé par le massif du Pic de l' Estanyò 86 Le Port ( Col ) d' Envalira ( 2409 m ) avec la chaîne du Pic d' Envalira, et route internationale reliant Andorre au département de l' Ariège 87 Vue du Pic de Queils sur la chaîne frontière occidentale ( schistes ). Au fond, sous une légère couche de neige, la chaîne du Pic de Serrera, en avant à gauche le groupe du Pic de l' Estanyò; hauteur presque égale des sommetsGipfelflur ) \

Cristal de roche

Photos Stefan Graeser.

Institut de Minéralogie et Pétrographie de r Université de Berne A gauche: Cristal de roche du tunnel du Simplon, km 5,730-5,788 du portail nord, grandeur naturelle: hauteur 12,4 cm, largeur 7,0 cm ( sans le petit cristal attenant ) 89 En bas: Cristal de roche tordu, « Spitzensäge » avec adulaire, du glacier du Rhône, grandeur naturelle: hauteur 8,5 cm, largeur 7,8 cm 90 A droite: Cristal de roche du tunnel du Simplon, km 5,730-5,788 du portail nord, grandeur naturelle: hauteur 13 cm, largeur 6,3 cm Rappelons, en guise de préliminaires, que le Caucase ( en russe kawkas ), d' une longueur de 1215 km, est une chaîne beaucoup plus étroite et resserrée que celle des Alpes. Il est forme par un géosynclinal avancé sur la ligne du pli Himalaya—Alpes. Du côté méridional, la chaîne ressemble à une muraille. Sur le versant nord également manquent les vallées longitudinales. Les nombreuses vallées transversales assument souvent la forme de gorges, car à l' époque glaciaire les glaciers ne dépassaient pas le pied des monts, et ce n' est que dans le voisinage de la crête faîtière qu' elles s' élargissent en auge. Il s' ensuit que lors de l' établissement d' un programme de courses, étant donne l' absence de liaisons transversales, un changement de base occasionnera une grosse perte de temps, et que la glaciation très faible, comparée à celle des Alpes, diminue l' in d' une grande partie de la chaîne. Ceci s' applique - aussi au point de vue des alpinistes russes -en premier lieu à tout le Caucase oriental, c'est-à-dire à toute la partie de la chaîne à l' est de la profonde coupure du Col de la Croix, 2388 m, qui est la plus importante des routes diagonales. Mais déjà à partir de la coupole volcanique du Kasbek, 5043 m, situé un peu plus à l' ouest, les montagnes ont un aspect désertique. Elles sont formées de schistes argileux desséchés par le vent d' est qui leur apporte l' air sec et brûlant des plateaux de l' Asie centrale. En hiver, par contre, on mesure de très basses températures sur la calotte glaciaire du Kasbek, et toute la région qui s' étend au pied nord du Caucase est une steppe glaciale. Dans le Caucase central et occidental, la moyenne de température de juillet, à 1800 m, s' élève à 10 degrés. Cette région est donc notoirement plus chaude que dans les Alpes. La limite des forêts s' établit vers 2100 m. Par suite de la configuration plus favorable des vallées, les glaciers importants se trouvent surtout sur le versant nord. Sur le versant sud, bien que les précipitations y soient plus fortes, la chute rapide des montagnes ne favorise pas la formation de vastes glaciers. D' autre part, le Caucase nord-ouest, orienté vers la Mer Noire, jouit d' un climat méditerranéen, avec des hivers doux et humides et des étés chauds et secs. Ces particularités climatériques sont déterminantes dans la préférence du tourisme actuel pour certaines régions du Caucase, et entrent en considération lors de l' établissement des bases ou camps d' alpinisme ( en russe: alpinistski lager ).

L' alpinisme soviétique s' efforce de gagner les masses. Cela se passe de la manière suivante: Celui qui veut faire de l' alpinisme s' adresse à sa corporation professionnelle ou directement à la direction d' un camp alpin pour obtenir l' autorisation de suivre un cours de quatre semaines dans un camp, ce qui lui est accordé, après examen médical, contre versement d' une modique contribution. Celle-ci couvre le prêt d' un équipement de montagne complet: souliers à clous, crampons, piolet, vêtements ad hoc, sac, etc. Les gars et jeunes filles sont alors pris en charge en groupes de quatre par des alpinistes expérimentés. Ils ne doivent faire des ascensions qu' avec leur groupe et selon leur rang de capacité. Chaque course est cataloguée de la à 5b selon son degré de difficulté, et la règle veut qu' on ait fait au moins deux courses dans une catégorie avant de passer dans le degré immédiatement au-dessus. La participation à chaque course doit être annoncée à l' avance par le chef responsable, qui doit tout d' abord livrer la « bataille des papiers », c'est-à-dire remplir diverses formules à soumettre à la direction du camp. En guise d' approbation, il reçoit un carnet de route manuscrit ( il n' existe pas de guides-manuels imprimés ) où l' itinéraire, accompagné de croquis, est minutieusement décrit. Excepté pour l' Elbrouz et le Kasbek, il n' y a pas au Caucase de cabanes ou bivouacs-fixes. Il faut donc, suivant la longueur de la course, coucher sous la tente 11 Lei Alpes — 1961 -Die Alpen161 apportée avec soi à l' un des lieux de bivouacs habituels, où conduit habituellement un bon sentier. Les vivres, très abondants, sont fournis gratuitement par le camp. Si l'on songe à l' extension qu' a prise le sport - en été, il y a en moyenne 300 personnes chaque jour sur les sommets les plus difficiles - on comprendra facilement qu' il ne reste pas beaucoup de marge pour l' exploration aux alpinistes étrangers.

Un point décisif, c' est que la liberté de grimper dont nous jouissons dans les Alpes est ici hors de question. Désireuses de n' offrir aux étrangers que le meilleur, les autorités soviétiques opposent des objections irréfutables aux demandes de visiter certaines vallées. Tantôt c' est qu' on va y construire une route; ou bien la population a été évacuée lors de la guerre et n' est pas encore réinstallée. En outre, on est très soucieux quant aux accidents de montagnes possibles. Le mérite d' avoir réduit au minimum le nombre de ceux-ci - la moyenne annuelle des actions de secours est de vingt -est du à Ferdinand Kropf de Graz, le chef actuel du service de sauvetage dans le Caucase occidental. Mais c' est aux dépens de la liberté à laquelle nous sommes accoutumés. Comme dit plus haut, une course ne peut être entreprise qu' en caravane de quatre personnes au moins, et dans les districts écartés où il n' y a pas de camp, il faut même être une douzaine. Non seulement l' ascen projetée doit être annoncée à l' avance, mais encore faut-il que les grimpeurs puissent être observés de la vallée, ce dont tient compte l' itinéraire impose. Les « délégations » d' alpinistes étrangers, dont la sécurité est l' objet d' une attention toute spéciale, sont toujours accompagnées d' un « instructor » dont l' utilité peut être discutable. Il arrive parfois que 1'«instructor » est une jeune fille; alors, dans les ascensions difficiles, son activité se réduit à emporter un appareil à ondes courtes, au moyen duquel on peut rester en communication avec le camp. Les alpinistes russes se comportent en vrais camarades envers les étrangers.

Il résulte clairement de ce qui précède que les étrangers ne peuvent faire de l' alpinisme au Caucase que sous le contrôle d' un camp. Il faut donc tout d' abord être au clair sur la situation des camps et sur les possibilités d' ascensions qu' ils peuvent offrir. En premier lieu, il faut se rappeler qu' en Russie on fait une distinction stricte entre alpinistes et simples touristes. Les amis de la montagne séjournant dans une base pour touristes - et non pas pour alpinistes - n' ont droit qu' à des excursions faciles par monts et cols. La plupart des camps d' alpinisme - créés à l' origine par diverses organisations - dépendent maintenant de la TEU ( Zentralnoe turistskoekskursionnoe uprawlenie ) à Moscou, qui facilite grandement le voyage aux alpinistes étrangers. La centrale TEU choisit aussi les hommes qualifiés pour les expéditions à l' étranger, ce qui pour l' instant n' est possible que sur la base d' échange, soit lorsqu' un nombre correspondant d' étrangers a verse en monnaie lourde la contre-valeur des frais d' entretien. La TEU se charge aussi d' assurer le voyage jusqu' au Caucase et procure un logis dans les villes d' intérêt général. Par exemple, la visite de Moscou et de Kiev peut être facilement liée au voyage au Caucase dans le cadre de l' organisation de la TEU.

Les camps d' alpinisme - ce sont de simples maisons de bois, mais avec des installations très pratiques et des douches - sont généralement situés au débouché des vallées transversales du versant nord. Du côté sud, il y a un camp dans la vallée de Nakra ( massif de l' Ouchba ), région favorable à l' alpinisme, mais il est conçu comme base de tourisme seulement. Il en est de même du camp de la vallée de Klijtsch, sur le chemin du col Klouchor.

Détaché à l' extrémité orientale du Caucase central est le camp d' alpinisme de la vallée de Zej, auquel on accède par la route du col Mamisson. Les photos montrent un village de tentes non loin des séracs d' un large glacier; ce camp sert de base pour les sommets du groupe de l' Adaï Koch, dressés jusqu' à 4600 m au-dessus d' un plateau glaciaire; ils ne jouiraient d' une certaine réputation qu' auprès des spécialistes de la glace. Malheureusement, le nom Zej ( humide ) ne s' appliquerait que trop bien au climat de ce district. En revanche, cette vallée est la seule qui soit revêtue d' une végétation luxuriante dans cette région confinant au Caucase oriental stérile. L' aspect désertique de cette contrée frappe lors de l' ascension assez difficile du Gimaraï Koch, 4778 m, situé de l' autre côté de la route du col.

En continuant vers l' ouest, nous rencontrons les belles vallées du groupe du Sougan. L' absence d' un camp de touristes dans cette région serait due au mauvais état de la route ( lisez: évacuation de la population indigène ).

La prochaine vallée transversale importante est celle de la rivière Ourvan, alimentée par les grands glaciers de Besenghi et de Michirghi et qui, par sa jonction avec le fleuve Tcherek, est tributaire de la Mer Caspienne. Ici, à 2100 m, sur une ancienne moraine maintenant verdoyante, non loin de l' ancienne jonction des glaciers précités qui reculent d' année en année, se trouve le camp de Besenghi. Il est donc situé sur le chemin de l' alpe Misses Koch, célèbre dans la littérature caucasienne, mais qui n' existe plus. Il ne comprend pour l' instant que des tentes. C' est la seule base pour l' ascension des principaux « 5000 » du massif. Du camp on voit la cime brillante, en forme de tétraèdre, du Kochantau, 5145 m, et la neigeuse Gistola, 4860 m, à l' extrémité ouest du formidable rempart de glace, long de 12 km, connu sous le nom de « Besenghi Wand », de proportions déjà himalayennes. Avant la deuxième guerre mondiale, cette arête fut l' objet d' une attention particulière de la part des alpinistes occidentaux, peut-être du fait de l' altitude du camp de base au glacier de Besenghi. Actuellement, ce sont les deux « 5000 » de la chaîne méridionale parallèle, le Kochtantau et le Dychtau, 5198 m ( montagne pointue ), qui sont à la mode. On a pris prétexte des nombreuses ascensions de ces deux sommets pour ramener de 5 à A a leur cote de difficulté. Dans de bonnes conditions, l' escalade des rochers ne dépasse pas le degré 3, mais il faut tenir compte de la hauteur absolue et de la longueur de la course, qui peut exiger jusqu' à cinq jours. La voie normale du versant nord du Dychtau - ne pas confondre avec l' itinéraire plus difficile ouvert en 1888 dans la face sud par F. A. Mummery lors de la première ascension de la montagne - comporte deux bivouacs. Du premier, dit « Bivouac des Russes », 3200 m, on monte à la « Selle » pour gagner à 4800 m le « Bivouac du Coussin de neige ». Le troisième jour, au sommet et retour à la « Selle ». L' itinéraire du versant nord est exposé aux avalanches, qui ont cause des accidents mortels. Il faut quitter le bivouac de bonne heure le matin, sinon la journée est perdue.

Au Kochtantau, au contraire, on est moins dépendant du temps ( météorologique ). Le premier jour, après avoir franchi les séracs du glacier de Michirghi, on laisse à gauche la route du col Kundium-Michirghi, 4250 m, pour aller bivouaquer à droite du gendarme du faux Michirghipass, 4000 m. Le deuxième jour, on atteint le bivouac situé à droite du « Gendarme des Oiseaux », d' où le lendemain on gagne le sommet en 5 heures, si la neige est dans de bonnes conditions. Les principales difficultés de cette ascension consistent dans l' escalade de trois ressauts rocheux hauts de 20 à 30 m taillés dans un granit magnifique. L' ascension du Kochtantau par cette voie procure des impressions ineffaçables. L' itinéraire se développe dans la gigantesque paroi de glace de la crête Dychtau—Kochtantau, qui présente une admirable variété de formes. La partie centrale est moins haute, mais beaucoup plus raide que la muraille de Besenghi, dont la configuration régulière est plutôt monotone. Dans cette dernière chaîne, seule la Gistola dessine un sommet caractérisé; au nord-est toutefois, on jouit de la vue sur la Chkhara, 5201 m, deuxième sommet du Caucase en altitude, vraie reine de dimensions supra-alpines. La vue du sommet du Kochtantau bénéficie de la situation isolée de cette montagne.

La Gistola, 4860 m, déjà mentionnée, est la plus facile des hautes cimes caucasiennes. Sa fine arête neigeuse, qui descend vers le Ljalwer, 4350 m, est cataloguée sous 3 a. Mais le trajet jusqu' à ce col procure les plaisirsd' une longue pataugée dans la neige.

Tous les autres itinéraires du Mur de Besenghi sont beaucoup plus difficiles, tel celui de l' arête NE de la Chkhara, 4a, et celui de l' arête NO, 5a. D' ailleurs, tout le massif a la réputation d' être réservé aux grimpeurs éprouvés. Cependant, les alpinistes de deuxième classe peuvent y trouver des courses à leur mesure. Nommons d' abord deux faciles belvédères de premier rang: le Tiu-tiu Bachi, 4300 m ( Tête mugissante ), dans la chaîne du Korgachili, qui borde à l' ouest ( rive gauche ) le cours inférieur du glacier de Besenghi. On y monte presque directement du camp, non sans fatigue, il est vrai, par de raides pentes d' éboulis; puis le Bâcha auz Bachi, 4452 m, dans la chaîne qui relie le Dychtau à la Chkhara On remonte le long mais facile glacier de Besenghi ( 19 km ) qu' au bras ouest de son bassin supérieur; de là on gravit une large crête d' où la vue s' étend sur les parois rocheuses du versant méridional de la longue arête Dychtau—Kochtantau. Le regard plonge aussi dans le vaste cirque du Dych Sou, dominé par la pryamide imposante de l' Aïlama, 4525 m.

En traversant le glacier de Besenghi 5 km en amont de sa langue terminale, en direction du col Zanner, on pourra gravir le Salynantau, 4348 m, dans la chaîne du Korgachili, dont la première ascension remonte à 1888. Cette course est plus intéressante que celle du Tiu-tiu Bachi, mais elle présente le désagrément de se dérouler sur des schistes argileux friables. Du sommet, on aperçoit déjà la verte Suanétie.

Parmi les montagnes aux formes bizarres qui bordent à l' ouest la vallée du Michirghi, le 4000 le plus rapproché est une sorte de « montagne à vaches » ( 2a ), dont la hauteur relative n' en est pas moins de 2000 m. Dans la même chaîne se dresse le fier Oulou-auz-Bachi, 4679 m. A le voir, on ne penserait pas que son ascension via le col Kundium-Michirghi, par des pentes abruptes de roc et de glace, n' est cotée que 3 b. La vue du sommet est vaste, bien que partiellement masquée au nord par le Kochtantau, qui est à lui seul un spectacle grandiose. Le voisin oriental du Kochtantau, le Rroumkol Bach(i ), 4676 m, dont le flanc nord est une redoutable paroi de glace ( gravie en 1941 ) ne présente sur son versant sud que des passages du troisième degré et, pour finir, au-dessus d' une épaule ( 4450 m ), une arête neigeuse dans le genre de celle du Lyskamm.

Dans le programme d' un voyage au Caucase, c' est en premier lieu le camp de Besenghi qu' il faut inscrire si l'on veut voir des paysages super-alpins. Il doit être prochainement mieux équipé et sera accessible par une route carrossable. Pour l' instant, et aussi longtemps que la dite route n' est pas achevée, on rencontre encore au cours de la marche d' approche quelque chose du « romantisme » du Caucase sauvage de jadis. Avant de pénétrer dans les avant-monts, le Tcherek forme de longues et profondes gorges qui, au temps où Léon Tolstoi décrivait dans ses Nouvelles caucasiennes la lutte des Russes contre les tribus montagnardes, ne pouvaient être tournées que par de mauvais sentiers.

La section Piatigorsk de la TEU, bien organisée, avait mis une auto à disposition de notre « délégation », composée de quatre Autrichiens; mais avant même de pénétrer dans les gorges, la voiture dut faire demi-tour, les hautes eaux ayant coupé la route ( la distance de Piatigorsk au camp est d' environ 200 km ). Mettant le sac au dos, nous avons poursuivi à pied jusqu' à un petit hameau, dont les huttes rappelaient les villages bosniaques. Là, assises au bord de la route, des femmes indigènes vêtues de noir semblaient attendre une occasion de transport; nous fîmes de même. En effet, au bout de quelques heures parut une jeep LKW qui nous emporta à travers les gorges à une allure à nous couper le souffle. Un seul mètre d' écart de la LKW aurait suffi pour nous projeter dans le précipice. Au surplus, la course prit bientôt fin, le chauffeur déclarant qu' il n' avait pas assez de benzine pour aller plus loin. Il s' en retourna; les femmes continuèrent à pied, vraisemblablement vers le village de Bezenghi récemment reconstruit. Quant à nous, nous décidâmes de bivouaquer.

Ici la vallée s' élargit quelque peu, bordée de montagnes d' aspect dolomitique aux parois colossales, couronnées toutefois de terrasses verdoyantes. Il n' y a de forêts que dans les revers ombragés, en des endroits difficilement accessibles. Du côté amont, on distingue une zone de laves basaltiques qui précède les chaînes granitiques. Entre deux, les vestiges des anciennes fortifications des Bal-karci. De l' autre côté du fleuve, un village ruiné semble totalement abandonné. Le lendemain, espérant rencontrer un authentique Balkarjek, nous avons franchi un pont délabré pour gagner le village, dont une partie des habitations sont creusées dans le sol. Nous y avons trouvé en effet un vieux Balkarjek, au surplus très accueillant et qui, sans comprendre un mot de russe, voulait nous régaler.

Vers midi, sur la route jusqu' alors absolument déserte, parut une auto chargée de « propan-gas » ( gaz de propane ) sur laquelle nous grimpâmes. La cargaison de bonbonnes de « propangas », violemment secouée, pouvait faire craindre une explosion, car le véhicule roulait tour à tour à travers des marécages, sur des pentes d' éboulis, et par-dessus des torrents. Un de ceux-ci, plus méchant que les autres, mit fin définitivement à la course. D' ici, une traversée relativement facile conduit à un camp dans la vallée supérieure du Tcheghem, dont il sera bientôt question, tandis qu' on parvient directement, en trois heures de chevauchée à dos d' âne, au camp d' altitude de Besenghi.

Quelques mots encore sur les autres passages connus. Le plus facile est le Dychni Auch, 3870 m ( Auch signifie col ), entre les glaciers de Besenghi et de Dych Sou, à travers les sites les plus grandioses du Caucase. Au Sud s' ouvre le large col de Char-Evzek, peu enneigé, mais actuellement guère pratiqué pour les raisons indiquées au début de cet article. Le célèbre col Zanner, si souvent cité dans la littérature alpine, qui conduit directement du glacier de Besenghi en Suanétie, pays des légendes, est devenu infranchissable. Actuellement, du col Zanner, on traverse à l' ouest vers le col Sjemi, 3850 m, pour descendre dans la vallée de Moulchara-Ingour par le glacier très crevasse de Kilod. On parvient ainsi en une journée et demie à Chabech, vrai village suanétien avec ses habitations datant du moyen âge d' une architecture singulière. La maison-forteresse, en pierres de taille, est flanquée d' une haute tour de cinq étages sans fenêtres, avec un escalier intérieur mobile. Au moyen âge, des vendetta fréquentes et sanglantes s' exerçaient entre villages. En cas de danger, les gens se réfugiaient dans la tour et retiraient l' échelle.

Il y a à Chabech un magasin où l'on pourrait se ravitailler; mais notre « dolmetch » ( interprète ) ne réussit pas à découvrir quand on pouvait y faire des achats. De même trouver un âne de bat, à plus forte raison un véhicule, eût été impossible. Je mentionne ceci à l' adresse de ceux qui, sur la foi de la littérature alpine, voudraient entreprendre des ascensions en dehors des camps. Tenter, de la vallée de l' Ingour, d' aborder les « 5000 » du massif de Besenghi serait aller actuellement au devant de grosses difficultés. En outre, les brouillards sont plus fréquents sur le versant sud de la chaîne que sur le versant nord, où ces nuées ne se forment généralement qu' à partir du milieu du jour. Durant l' été 1959, par exemple, il n' y eut au camp de Besenghi que trois après-midi vraiment ensoleillées.

De Chabech on peut atteindre, sur l' autre versant, le camp d' alpinisme de Tcheghem par le col historique de Twiber, 3600 m, qui est aussi ouvert aux simples touristes, de même que le col de Semdji. La voie d' accès ordinaire à ce camp part des grandes stations climatériques nord-caucasiennes Piatigorsk et Naltchik, et remonte la vallée du Tcheghem, praticable aux jeeps. Le camp de Tcheghem est mieux équipé que celui de Besenghi situé à la même altitude, et les riches forêts qui l' entourent lui prêtent un aspect plus plaisant. Les sommets voisins sont intéressants. Le plus haut, le très difficile Tychtengen, 4612 m ( cf. ÖAZ 1936 ), fait penser à l' échine d' un gigantesque saurien. Les sommités de la chaîne des Korgachili déjà mentionnée sont plus agréables à gravir du camp de Tcheghem que du côté de Besenghi. La vue en est renommée. La plupart des cimes - elles dépassent les 4500 m - du groupe du Tchailik qui borde au nord-ouest la vallée de Baksan ne présentent en général pas de grosses difficultés.

Il est particulièrement intéressant d' observer les habitudes balnéaires des indigènes aux sources chaudes qui sourdent le long de la route. On prétend que leurs vertus thérapeutiques sont analogues à celles de Gastein. Il est regrettable que les alpinistes étrangers n' accordent aucune attention à cette belle contrée, et, comme ce fut le cas en 1959, n' aient de regards que pour la vallée voisine de Baksan.

Celle-ci est la grande vallée parallèle à l' ouest. Dans sa partie supérieure, elle forme un vaste cirque de 35 km de diamètre dont les parois dépassent souvent la cote 4000. Les deux premières vallées latérales conduisent en Suanétie par des cols pratiqués dès les temps les plus anciens. Dans les deux vallées secondaires suivantes, descendant de la chaîne centrale, se trouvent des camps d' alpinisme exploités en hôtels, pouvant héberger des centaines de personnes. Celle de l' Adyl Sou offre, à une bifurcation à 4 km de son débouché, une vue magnifique sur la Chkelda. L' autre vallée, parcourue par l' Adyr Sou, est plus longue. Resserrée en gorge au début, elle aboutit à un grand cirque de glaciers.

Le climat de toute cette région est très agréable, et le voisinage de l' Elbrouz, 5633 m, le plus haut sommet de l' Europe, contribue à y attirer les grimpeurs. Les plus audacieux mettent leurs forces à l' épreuve sur les faces nord des tours bizarres du Chkeldi, 4320 m, de l' Ouchba, 4710 m ( Wetterhorn ) et sur la paroi de l' Oullou, 4303 m, longue de plusieurs kilomètres. Toutefois les débutants trouvent de nombreuses courses à leur mesure, tant du camp de l' Adyl Sou que de celui de l' Adyr Sou. Le splendide belvédère du Kourmytchi, 4058 m, peut être gravi presque sans l' aide de la corde, de même que le Soulloukol Bachi, 4260 m. Pour les plus avancés, il y a le Tyoutyoun Bachi, 4420 m, le Bchedouch Tau, 4271 m, et le Dongou-Oroun, 4432 m ( montagne des cochons ).

Quant à l' Elbrouz - ce nom persan se retrouve dans le grand massif du nord de l' Iran - beaucoup d' alpinistes soviétiques refusent de le considérer comme une cime « valable ». Ce gigantesque volcan est étranger à la tectonique caucasienne. L' hôtel, 4200 m, qui peut héberger 200 personnes, pourra bientôt être atteint de la vallée de Baksan par un téléférique, le premier du Caucase. Il faut dire toutefois que la suite de l' ascension, par les interminables et pour finir très raides pentes de neige, jusqu' à l' un des deux sommets de l' Elbrouz, sur la margelle de l' ancien cratère, est extrêmement fatigante par le vent et le froid. Il faut être bien entraîné pour achever la course en un seul jour.

Le Dongous Oroun est le dernier sommet du massif central. Le Caucase abcasique qui le prolonge à l' ouest, et dont la chaîne principale est également granitique et gneissique, est d' al moindre. Un seul sommet, le Dombai Oulgen, dépasse les 4000 m. C' est probablement pour cette raison que toute la région a été jusqu' ici presque complètement négligée par les alpinistes occidentaux. D' autant plus importante est l' activité exploratrice des Russes, qui a eu pour résultat la création de nombreux camps. Le point central est le camp-hôtel de Belala Kaya, 1630 m, au débouché de la vallée de la Teberda, affluent du Kouban. On y parvient de Piatigorsk après un voyage de 220 km, tout d' abord à travers la steppe, le long du Kouban où, faute d' une époque glaciaire, on ne rencontre pas de lacs alpins. Au Sud-Ouest, par-delà les villages tcherkesses, vue sur des collines karstiques. Suit un trajet de 60 km dans la vallée de la Teberda, à travers les avant-monts boisés qui se relèvent graduellement et se rapprochent pour former la gorge de l' Amanaus. La dernière trouée ouvre la vue sur la chaîne principale avec le Belala Kaya, le Cervin du Caucase. Au premier plan, la plaine de Dombai et les camps. Nous sommes ici presque au centre d' une vallée-bassin longue de près de vingt kilomètres, due à l' érosion glaciaire, dans laquelle se déversent les deux sources de la Teberda.

Le dernier tronçon de la route n' est pas encore construit, et l'on ne peut que regretter son prochain achèvement, à cause de la pétarade des moteurs qui s' en suivra, particulièrement néfaste ici, car il s' agit d' une des plus précieuses réserves naturelles d' Europe. La protection de la nature comprend entre autres l' interdiction de laisser pâturer le bétail, d' où herbe haute d' un mètre sur les pentes fleuries, vastes et sombres forêts. Sombres non seulement à cause de la dimension des arbres, pins, hêtres et érables, mais par la présence des sous-bois formés d' arbustes et de fougères de hauteur d' homme, à travers lesquels, hors des sentiers battus, il est presque impossible d' avan. Ce n' est que dans la zone relativement plus froide, entre 2000 et 2600 m, que la végétation redevient normale, à l' échelle réduite de celle des Alpes. Les glaciers, qui descendent ici jusqu' à 2200 m, ont un aspect tout à fait alpin. Comme les Alpes du Dauphiné, cette partie du Caucase présente des sommets bien individualisés, ce qui la différencie avantageusement du massif central. Avec le massif de l' Adyl Sou, elle est très en faveur auprès des grimpeurs soviétiques, en tant qu' école de courage. On y pratique aussi les sports d' hiver.

La chaîne principale dessine ici un arc de 25 km de longueur; de ses sommets on voit la Mer Noire, distante de 50 km seulement.

La vallée est dominée à l' ouest par le Dombai Oulgen, 4040 m ( le grand aurochs ). Son large front, buriné de sombres couloirs, est visible à travers la clairière devant l' hôtel Dombai. Une journée est nécessaire pour atteindre le bivouac au pied de la montagne, puis dix heures d' esca dangereuse jusqu' au sommet ( degré 3b; nous dirions 3 supérieur ). C' est donc une entreprise sérieuse. Ceux qui ne se sentent pas à la hauteur devront se contenter du Petit Dombai Oulgen, 3800 m, un peu plus au nord. Ce dernier n' est pas à dédaigner à cause de son panorama. On le gravit en six heures par son versant sud ( 2e degré ), toujours en vue de son grand voisin. L' ascen de sa paroi nord ( 4a ) est d' un intérêt sportif. On peut en dire autant du Ptych, 3520 m, qui se dresse sur la chaîne principale à l' ouest d' un col de 3000 m où se trouve le bivouac. C' est une magnifique traversée d' arête de cinq heures ( 3 b ).

Le groupe suivant, qui porte le nom curieux de Djougoutourlyoutchat, 3921 m, est hérissé de nombreuses aiguilles. Son approche est rendue difficile par de redoutables glaciers suspendus, ce qui classe les voies d' ascension en 3e ou 4e degré. Cependant l' arête sud d' une de ses principales pointes, depuis le bivouac Kropf, est d' une facilité surprenante. Ce pic n' est qu' à 8 km du camp, ce qui le rend digne d' intérêt. Le Pic Injé, 3400 m, dont l' allure rappelle l' Aiguille Noire de Peuterey, forme un contraste frappant avec les glaciers du versant nord ( course d' un jour, 2b ). A l' ouest, en avant des Pointes Amanaus cuirassées de neiges, le glacier du même nom se tord dans sa gorge étroite. En cet endroit se détache à gauche un sentier pour touristes très fréquenté, coupé çà et là de petites varappes parmi les aulnes, conduisant aux bivouacs dominant les séracs du glacier de Sofroudchou. On part de là pour l' ascension du Sofroudchou, 3785 m ( la Belle ), dont la vue est remarquable; course de glacier relativement facile ( 1 b ). On fait aussi l' ascension très facile de la Zadniaya Belala Kaya, 3740 m, et l' escalade plus sérieuse de la Belala Kaya proprement dite, 3852 m ( la Ceinturée ) qui se fait en montant par l' arrête est pour redescendre vers le bivouac par la facile arête sud. On y rencontre souvent des bouquetins à grandes cornes. Comme dit plus haut, cette montagne est le repère caractéristique de la vallée de Dombai. Elle tire son nom des bandes rocheuses multicolores de son flanc est.

Les courses suivantes conduisent dans la région du puissant glacier d' Alibek, qui remplit le fond d' une combe: Alibek Bachi, 3600 m, Erzog, 3867 m, Tchaloftchat, 3870 m, cotes respectivement 3,2-4,1 b. La médiocre estimation du Tchaloftchat dissimule une interminable et parfois très raide montée de glacier. On peut s' épargner six kilomètres de chemin forestier en passant la nuit au camp d' alpinisme d' Alibek, dans une situation ravissante et pourvu d' une piscine. Ce camp de tentes sert également pour l' ascension de deux cimes rocheuses qui ferment au NO la vallée de Dombai: le Soulachat, 3400 m ( 2 b ), que l'on gravit en passant sur la tête, la poitrine et le ventre de la « Femme endormie », et le facile Semionof Bachi, 3630 m. De ces deux sommets, la chaîne principale se présente sous son aspect le plus favorable. Bien qu' ils soient situés au-delà de la ligne de partage des eaux du Dombai, on part aussi de là pour faire l' ascension de la Kara Kaya, 3893 m ( Montagne Noire ) qui rappelle l' Aiguille Verte, et de l' Aksaut, 3910 m, noir frère jumeau de la Fünffingerspitze des Dolomites. Ce sont des escalades du 4e et 5e degré, mais la descente peut se faire par une voie du 2e degré.

Les mêmes remarques valent aussi pour les escalades de la Tchotcha, 3638 m, du Gran Bou Oulgen, 3915 m, et de la Dottach Kaya, 3800 m. Pour ces courses, il faut d' abord redescendre la gorge d' Amanaus pour pénétrer à droite ( est ) dans la vallée de Klouchor, parcourue par une ancienne route militaire, actuellement très fréquentée pour gagner la Mer Noire ( Bains de Sou-choumi ) par le col Klouchor, 2816 m. Il y a de nombreux camps de tourisme le long de cette route. Dans cette région, il ne faut pas compter sur un beau-fixe durable. Souvent le mauvais temps arrive brusquement du sud, mais il ne dure généralement pas longtemps en juillet et août dans les vallées septentrionales. Le camp de Belala Kaya à Dombai est l' un des mieux équipés, depuis 1960 on y trouve même des itinéraires de course imprimés.

La partie de la chaîne où le Kouban prend sa source, avec la Gwandra, 3983 m, est moins riche en beaux paysages 1. A l' ouest de l' Aksaut la glaciation diminue rapidement. Des hôtels se construisent actuellement dans la région d' Archys. La chaîne centrale abcasique, formée de roches primitives, conserve son caractère alpin encore pendant 90 km à l' ouest, où elle touche déjà à la mer.

Pour le voyage au Caucase, qui exige au minimum quatre jours depuis Zurich, il est préférable d' utiliser l' avion, tout au moins pour le trajet en territoire russe. On obtient les roubles nécessaires à la station frontière, qui changera le surplus au retour. Les aérodromes russes pour le Caucase sont Mineralnyje Wody ( bonne correspondance avec le « Turbasa » Piatigorsk ), et Mestia, capitale de la Suanétie, qui toutefois ne peut être atteinte en avion que de Koutaïs.

En fait de cartes, en Russie, on ne trouve que les feuilles 1:250 000 de la Turistkaya march-rutnaya carta. L' ancienne carte Mörzbacher,l:140 000 ( Zentralkaukasus, en 3 feuilles ), éditée au début du siècle par l' E bavarois à des fins touristiques, est encore actuelle. Par contre le « Gipfelführer » du Caucase d' Afanasieff est tout à fait périmé. Un volume illustré de Lewin ( Moscou 1935 ) contient une très bonne description des grands cols caucasiens.

Je n' ai vu nulle part, aux étalages des librairies, des livres traitant du Caucase au point de vue alpin. Etant donné l' organisation des sports actuellement en vigueur, une telle littérature est probablement peu demandée.Traduit par L. S.

1 Cf. A. Kurella: Der schöne Kaukasus. 168

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