Le Désert de Platé, les Rochers des Fiz et le Vallon de Gers | Club Alpin Suisse CAS
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Le Désert de Platé, les Rochers des Fiz et le Vallon de Gers

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Avec 2 illustrations ( N°s 140, 141).Par Ph. Bérard.

Au seuil du quatrième hiver de guerre, tous espèrent que, comme en 1917, ce sera le dernier. Les skieurs genevois, en particulier, se réjouissent de revoir leurs régions préférées de Haute-Savoie. Pour prendre patience, nous parcourons déjà en pensée la région de Flaine.

Le Lac de Flaine.

On y accède par le Carroz sur Cluses, ou encore, lorsque l'on se sent en forme, par Magland et 1e pittoresque sentier des gorges. On peut aussi monter par Oex, les Granges de Luth et le Col de la Frette. Tous ces itinéraires se rejoignent au col du lac, véritable portique de cette belle région.

Le sentier semble vouloir s' enfoncer dans les entrailles de la montagne. Il descend entre deux parois de rochers qui s' élèvent de plus en plus haut. La gorge s' incurve vers la gauche, puis les parois s' écartent pour faire place au lac qu' elles semblent surplomber.

Un soir, comme nous glissions silencieusement sur la surface gelée et enneigée du lac, je me retourne vers notre compagnon, Hans Busch, qui en était alors à ses premières courses de montagne, pour lui demander ses impressions:

— « Oui, c' est beau, mais... c' est terrible, n' est pas? » Nous nous empressons de le rassurer en lui expliquant que les parois ne se prolongent pas, comme il le croyait, au-dessous de la surface du lac. Il se voyait suspendu par une couche de glace sur un gouffre de plusieurs centaines de mètres de profondeur. Mais il ne fut complètement tranquillisé qu' après avoir atteint la terre ferme à l' autre bout du lac.

Il est vrai que le paysage est rendu d' autant plus impressionnant que l' air le plus froid qui s' écoule sur le versant nord du Désert s' accumule à la surface du lac. Aussi sommes-nous tout heureux de remonter sur l' autre rive et d' atteindre des couches d' air plus tempérées.

Les fenêtres de 1'«Oasis » sont éclairées, et nous sommes accueillis par les propos joyeux des skieurs déjà installés autour de la table, près du feu. Le gardien leur sert une bonne soupe aux légumes dans laquelle il a fait mijoter une tête de porc.

Avant d' aller prendre un repos bien gagné, nous allons encore admirer les étoiles dans leur scintillement glacial. Puis nous allons nous allonger sur nos paillasses et nous endormons en formant des projets pour le lendemain qui s' annonce bien.

Le Désert de Plate.

A 5 heures du matin, nous glissons déjà à travers les clairières fluores-centes, entre les forêts noires, dans le clair de lune silencieux. Nous sui- vons le chemin d' Aujon, que nous quittons dès la sortie de la forêt pour suivre un promontoire parsemé de beaux aroles.

Nous pouvons bientôt apercevoir, en nous retournant, les lumières de Genève, à gauche du Môle. Puis le clair de lune s' évanouit doucement dans les premières clartés du jour. Nous entrons dans la zone des lapiaz géants aux formes sculpturales, qui laissent encore apparaître dans leur enneigement, ici des colonnades régulières comme des orgues, là des crevasses sombres, comme sur un glacier. La chaîne des Aravis apparaît entre le Colloney et la Croix de Fer, dans l' échancrure du col de Monthieu, par lequel on peut descendre, en été, sur les chalets de Véron et Sallanches.

Le ciel rosit, l' air est calme, la neige poudreuse. Encore un petit reck, et voici le Col de Plate: Toutes les Alpes de Savoie, de la chaîne du Mont Blanc, toute proche, à celle du Dauphiné, dans le lointain bleu pâle, se déroulent devant nos regards. De petits nuages rose vif annoncent le lever du soleil. Nous admirons ce paysage enchanteur tout en montant la dernière pente conduisant au sommet.

Au Signal de Plate, nous sommes accueillis par les premiers rayons dorés jaillissant derrière les Fiz et illuminant bientôt tout le Désert qui s' étend devant nous. A gauche, le Buet et les Dents du Midi, et tout près de nous, la charmante Pointe Pelouse.

En déjeunant, nous enregistrons du regard ce décor grandiose et nous y étudions les détails de notre itinéraire, examinant aux jumelles les Rochers des Fiz, dont l' un des sommets est facilement accessible à skis.

Les Rochers des Fiz.

Quelle neige! Nous filons joyeusement dans la direction du Buet, qu' à un gros rocher dressé comme un menhir et qui semble avoir été place là pour indiquer à quel moment il faut virer à droite. Nous nous dirigeons ensuite vers la Pointe de Plate, au pied de laquelle nous arrivons bientôt, contournant une immense rocaille d' énormes blocs et continuant vers la gauche sous les pentes du Col du Dérochoir, qui sont en bonnes conditions.

Il semble que nous venons de quitter le Signal et pourtant il est déjà si loin. Le décor a tourné de 180 degrés. Cela représente bien deux ou trois kilomètres de descente presque sans arrêt.

Après avoir remis les peaux, nous montons la combe de la Brèche du Dérochoir, qui miroite au soleil pur du matin. De la Brèche, dont l' autre versant tombe à pic sur une centaine de mètres de hauteur, nous découvrons toute la région du Lac Vert, Servoz, Passy. Le premier train de sport du matin promène son panache blanc dans la plaine de l' Arve. Le Mont d' Arbois ressemble à un relief de musée. Sur le Brévent on distingue à l' œil nu les traces des skieurs.

Longeant l' arête, nous passons au Marteau, d' où nous admirons la belle paroi de la Pointe d' Ayer. Enfin, une longue grimpée de flanc nous conduit tout près de l' arête, qui se dédouble en cet endroit pour former une combe permettant d' accéder facilement au sommet de la tourelle d' angle des Rochers des Fiz, au point 2769, à cinq cent mètres au-dessus du Col d' Anterne.

Tout le massif des Aiguilles Rouges, copieusement enneigé, forme un dédale de pointes et de gorges sauvages. Tout à l' horizon apparaît le Weisshorn. Sur le Mont Blanc nous pouvons suivre aux jumelles tout l' itiné de montée, de la station des Glaciers, par les Grands Mulets, Vallot et les Bosses. Un jour de Pâques nous y avons dénombré plus de cent skieurs.

Nous nous installons pour faire honneur au splendide panorama. Au Signal de Plate, les premiers skieurs forment un petit groupe à peine visible à l' œil nu. Ils s' apprêtent à redescendre sur Flaine pour faire la traversée Grands Vents, Pré de Saix, Samoëns. Du côté des Chalets de Salles, nous pouvons repérer le passage pour rejoindre le vallon de Gers. La Tête à l' Ane, toute proche, ressemble à un fortin monumental. Le Lac d' Anterne est immaculé. Toute cette région est vierge de traces de skis. Le sentier du Col est recouvert de nombreuses avalanches.

L' air est calme, aussi pouvons-nous passer une bonne heure au sommet. Nous chantons quelques-uns de nos chants préférés, pour les associer, dans notre souvenir, à ces beaux moments, car... « 0 Eternel, un jour dans tes parvis vaut mieux que mille ailleurs. » Le Vallon de Gers.

Une descente merveilleuse de près de mille mètres de différence d' alti nous amène dans la plaine des chalets de Salles. Ils sont une cinquantaine, tous d' un étage; et seuls leurs pignons émergent de l' épaisse couche de neige. La grande croix de bois, à l' entrée du village, est elle-même enfouie presque jusqu' au croisillon.

Le vallon de Salles, si beau en été avec toutes ses cascades, est impraticable en hiver. Nous remontons sur la gauche en admirant les précipices vertigineux de la Pointe de Salles, de l' autre côté du vallon. Arrivés en vue de Pointe Pelouse, nous pouvons enfin nous laisser glisser dans un ravissant petit val qui part de la base de la face nord de cette pointe et vire bientôt à gauche autour de la Pointe du Griffon. Nous quittons alors ce joli val pour en traverser encore un second qui le sépare de celui de Gers.

Une petite eminence permet d' avoir un coup d' œil d' ensemble sur la région. Le Greneiron et le Tanneverge, avec leurs à pic d' ardoise gris-noir, forment un beau groupe encadré par les Avaudruz et le Buet.

Puis, par une dernière belle descente en slalom, dans un large couloir coupé à travers la forêt par une ancienne avalanche, nous atteignons les chalets de Gers. Ils sont groupés au bord du lac tout blanc dominé par le Signal de Véret. Le dos appuyé contre le mur chaud de la Cantine, nous nous baignons des derniers rayons du soleil qui va bientôt disparaître derrière les Grands Vents.

Un sentier pittoresque à la Tœpffer nous conduit le long d' un gentil torrent cascadant à travers forêts, clairières et bois de hêtres. Par endroits, il est prudent d' ôter les skis. Puis nous apercevons la vallée du Giffre, Sixt et le clocher de l' église, et l' Abbaye, où nous serons bientôt installés autour d' un copieux goûter prépare par la plus aimable des hôtesses.

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