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Les torrents de boue et de pierres en haute montagne

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Wilfried Haeberli et Félix Naef, Laboratoire de recherches hydrauliques, hydrologiques et glaciologiques ( VAW ) de l' EPF de Zurich

Les événements de 1987 à Poschiavo et dans la haute vallée de Conches Introduction On sait que les crues catastrophiques survenues dans les Alpes au cours de l' été 1987 ont toutes été causées par de fortes précipitations, tombées en haute montagne à cette même époque ( Zeller/Röthlisberger1988 ). Deux phénomènes différents ont toutefois joué un rôle important dans ces catastrophes ( Naef et a\. 1988 ):

1. Au-dessous de la limite des forêts, les cours d' eau se sont souvent fortement modifiés du fait de l' érosion, du charriage d' ébou, de ruptures de digues ou de débordements. Les régions les plus durement touchées furent la Valteline et la vallée de la Reuss, dans le canton d' Uri.

2. Bien au-dessus de la limite des forêts et des pâturages, c'est-à-dire dans les régions de montagne où l'on trouve des amas d' ébou dépourvus de végétation, des moraines, des zones proglaciaires et des névés éternels, des régions peu stables et clairement délimitées ont permis le déclenchement de torrents de boue et d' éboulis. Les catastrophes qu' elles ont causées à Poschiavo et à Münster, dans le haut de la vallée de Conches, sont encore dans toutes les mémoires.

Le présent article rend brièvement compte des travaux de reconnaissance qui furent effectués immédiatement après les événements catastrophiques survenus dans les régions de Poschiavo et de la vallée de Conches. Comme la presse quotidienne de l' époque a publié de nombreuses photographies présentant la dévastation des zones où la boue et les éboulis se sont déposés, les images que nous présentons ici illustrent donc principalement la façon dont ces torrents de boue et de pierres ont pu se former en haute montagne.

Les crues catastrophiques qui proviennent des régions les plus élevées des Alpes sont généralement causées par la rupture de lacs de barrage, créés par des glaciers ou aussi par la vidange de poches d' eau ( Haeberli, 1980, 1983 ). Lorsqu' on a affaire à de fortes précipitations estivales, les sautes brusques du débit de l' eau sont généralement atténuées dans la région des glaciers et leurs environs. En effet, les névés perméables, les langues striées de crevasses, les moraines peu stables et les pierriers peuvent momentanément absorber d' impressionnantes masses d' eau. Les fortes chutes de pluie vont souvent de pair avec une baisse soudaine de la température. En altitude, la pluie se transforme donc en neige, et la fonte des névés ou de la glace en est fortement ralentie, voire totalement supprimée.

Mais la coïncidence de plusieurs circonstances défavorables peut donner naissance à des événements catastrophiques. Sur les pentes raides on trouve, en effet, une grande quantité d' éboulis peu stables et prêts à être entraînés. Un écoulement d' eau extrêmement important peut donc donner lieu à de dévastateurs flots de boue et de pierres. Au contraire de ce qui se passe au moment de la crue ordinaire d' un torrent, la proportion de matériau solide est ici nettement plus grande. La quantité d' eau reste cependant plus importante que lors d' un éboulement ou d' un effondrement ( voir le diagramme de la p. 332 ). Les limites entre les phénomènes de la crue, du torrent de boue et de l' éboulement sont pourtant assez floues.

Les torrents de boue se forment souvent d' un seul coup, et s' écoulent à une vitesse relativement élevée, ou bien ils avancent par à-coups en effectuant plusieurs poussées successives tout en suivant un tracé d' écoule assez linéaire. Les plus gros blocs forment le front, ou la tête du torrent, tandis que le matériau plus fin ou boueux suit dans un deuxième temps ( Davies 1988 ). Arrivée sur un terrain plus plat, la masse de terre et d' éboulis se dépose finalement pour former un cône. La dénivellation de l' écoulement, la masse transportée et l' érosion sont souvent beaucoup plus importantes qu' au moment de la crue d' un torrent sauvage. Sur la plupart des pierriers de haute montagne, on trouve des traces' Sur la rive droite de la vallée de Poschiavo ( réd matériau fin Diagramme triangulaire présentant la formation de mélanges d' eau et de caillasse qui peuvent se déplacer rapidement, en fonction de l' eau, du matériau fin et des gros blocs. Les torrents de boue et d' éboulis ( en anglais: debris flow ) sont des apparitions transitoires entre les crues des torrents sauvages où la proportion d' eau est la de petits glissements de boue. De nombreux villages de montagne sont construits sur des cônes légèrement surélevés, déposés par d' anciens torrents de boue provenant de ruisseaux latéraux. Cette situation leur permet ainsi de rester à l' écart des crues qui pourraient survenir dans la vallée principale. Dans de tels cas, un danger de glissements de boue est inévitable. Durant l' été 1987, de nombreux incidents de ce genre se sont produits avec plus ou moins d' ampleur. C' est à Poschiavo et à Münster que les conséquences furent les plus graves.

Poschiavo Le 18 juillet 1987, après de violentes précipitations, un puissant torrent de boue qui avait déjà ravagé le Val Varuna *, près de Pos- cours d' eau

I matériau I grossier |

plus importante, et les éboulements de rochers ou de caillasse où le matériau solide prédomine. Le mélange d' éboulis et d' eau se comporte comme une masse liquide. Les processus qui jouent ici un rôle font actuellement l' objet d' études. Lorsque le matériau grossier fait défaut, on parle plutôt de crue de boue ( anglais « mudflow » ou, lorsqu' il s' agit de matériau d' ori volcanique, « Lahar » ) chiavo, fit irruption dans la vallée du Poschiavino et fit barrage aux eaux de cette rivière gonflée par les pluies. Ce cours d' eau ne tarda pas à franchir le cône de boue et d' éboulis ainsi formé en y arrachant beaucoup de matériau. Le fond du torrent fut ainsi surélevé, et l' eau quitta le lit du Poschiavino pour envahir les rues du village à la recherche d' un nouvel écoulement. Le dernier événement d' ampleur comparable survenu dans la région avait eu lieu en 1834. Dans les décennies qui suivirent, les torrents de boue avaient, à plusieurs reprises, causé d' importants dégâts dans la vallée. Rien d' étonnant donc dans l' appréciation du professeur Culmann qui, à l' occasion de son « Rapport pour l' éminent Conseil fédéral » ( Bericht an den hohen Bundesrath ), de 1864, écrivait déjà que la Varuna ( Varunasch ) est l' un des plus mauvais torrents sauvages de Suisse. A une époque plus récente, ce cours d' eau présentait, en revanche, un aspect fort différent. Même les intempéries les plus violentes ne semblaient pas pouvoir le faire sortir de sa quiétude. Pour la période allant de 1970 à 1983, le débit maximum du torrent, mesuré à la station de mesures hydrologiques située au-dessus de Vederscion, ne dépassait pas les 2,5 m3 par seconde. Compte tenu de la surface du bassin de ce cours d' eau, on aurait pu théoriquement s' attendre à des valeurs de cinq à dix fois plus importantes. Observée d' un hélicoptère, en date du 28 juillet 1987, la région offrait l' aspect suivant, confirmé encore par des observations effectuées au niveau du sol ( note VAW du 30 juillet 1987 ):

« Ni les restes de glacier accrochés aux flancs est du Piz Varuna ( 3453 m ), ni le ressaut rocheux et la chute d' eau que l'on trouve en dessous ne présentaient les traces d' événe extraordinaires. Au départ du pierrier, c'est-à-dire au pied de la chute d' eau ( P.2714, Bressa ) on pouvait, en revanche, voir une tache de névé constituée de restes d' ava et qui révélait d' évidentes traces d' érosion, telles qu' une voûte de neige effondrée au-dessus du torrent, des éboulis épars abandonnés sur place et des blocs de rocher isolés ( voir l' illustration 1 ). Il est très probable que les éboulis qui étaient descendus jusque-là avaient barré le torrent pendant quelques temps, au-dessous de la chute d' eau. Par la suite, des éboulis gorgés d' eau ont commencé à couler par-dessus le névé, mettant ainsi à mal le pont de neige qui franchissait le torrent. La rupture du névé a déclenché un torrent de boue qui éroda profondément le lit du torrent lui-même jusque dans la vallée du Poschiavino. Dans la partie inférieure de celle-ci, le lit du torrent avait été abaissé de dix mètres sur Pente est du Piz Varuna, 3453 m, avec les restes intacts d' une glaciation en pente ( V ). Sous la chute d' eau, dans le ressaut rocheux, on reconnaît facilement la zone d' arrachement de la coulée de boue et d' éboulis du val Varuna, grâce au névé déchiré et partiellement recouvert de débris et aussi grâce à l' érosion importante qui s' est faite en profondeur dans le pierrier situé en dessous ( flèche ). ( Photographie prise le 28 juillet 1987 ) une distance de 1600 mètres ( illustrations 2 et 3 ). De ce fait, les parois latérales, très abruptes, de cette vallée fluviale profondément creusée ont été comme sapées et fortement déstabilisées. Les abords du cours d' eau mis à part, on ne trouvait pratiquement plus de traces d' un écoulement surabondant. De même, les torrents latéraux ne semblaient pas avoir été surchargés. Dans la partie élevée du val Varuna et des vallées avoisinantes, de Station de mesure du débit du Bureau fédéral d' hydrologie et de géologie dans le val Varuna, avant les événements de 1987. ( Photographie prise en septembre 1986 ) Pont détruit et route dans la partie inférieure du val Varuna. Les pentes abruptes de la vallée encaissée ont été massivement sapées et déstabilisées. ( Prise de vue effectuée le 28 juillet 1987 ) nombreux névés présentaient les traces de glissements de boue plus ou moins importants ( illustration 5 ). Le danger de nouveaux éboulements dans le secteur inférieur du cours d' eau était évident ».

En date du 24 août, une nouvelle masse de boue descendait dans la vallée. Mais, grâce à l' engagement de toutes les forces disponibles, on put heureusement éviter une seconde inondation au village de Poschiavo.

Le même endroit ( ou peu s' en faut ) que celui de l' illustration 2, après les événements de juillet 1987. La station a été emportée, l' érosion en profondeur atteint par endroits une dizaine de mètres. ( Prise de vue effectuée le 27 juillet 1987 )

Coulée de boue dans le val Varuna ( V ) et à Poschiavo ( P ). Les glaciers ( langue du glacier du Palü PG ) ainsi que les glaciers de blocs actifs ( aB ) et fossiles ( fB ) ne montrent pas de traces manifestes. La zone des pâturages ( rouge ) et les terrains plantés de forêts ( parties sombres ) semblent en général n' avoir pas souffert. Dans la région, située entre deux, des pierriers dépourvus de végétation, on peut repérer le passage de plusieurs coulées de boue récentes ( flèches ). Prise de vue infrarouge, effectuée par le Bureau fédéral de mesures, en date du 21 septembre 1987. ( Reproduction autorisée le 5 mai 1988 ) Le val de Conches Après que ces observations menées dans le val Varuna, près de Poschiavo, eurent mis en évidence l' existence de zones propices au déclenchement de torrents de boue dans le secteur des névés et sur les bords des glaciers, on a procédé, le 27 août, à une reconnaissance aérienne des bassins des cours d' eau qui, dans la partie supérieure du val de Conches, ont causé de si graves inondations le 24 août, c'est-à-dire juste après les événements de Poschiavo. Ces reconnaissances eurent lieu dans le cadre des activités du Groupe de travail constitué pour l' étude des glaciers dangereux et créé par le Conseil fédéral en 1973. Cette opération a bénéficié du soutien des troupes d' aviation de l' armée qui ont engagé leurs hélicoptères. Il s' agissait ici d' obtenir des informations sur ce qui avait pu se passer dans les régions où ces torrents de boue ont été déclenchés. De même, il fallait porter un jugement sommaire sur la situation à ce moment-là et prendre les premières mesures en vue d' autres observations. Cette action s' est concentrée principalement sur les territoires les plus touchés du Münstigertal et du Gerental. Toutefois, on a aussi pris en considération d' autres régions dans le secteur des Vispertäler, malgré la détérioration des conditions météorologiques.

Comme cela fut constaté dans les Grisons, les glaciers de la partie supérieure de la vallée de Conches ne présentaient aucune trace évidente d' événements extraordinaires, tels que des mouvements dus à leur instabilité, des avalanches de glace ou encore la vidange de poches d' eau, voire de lacs de barrage. En revanche, les grands pierriers dépourvus de végétation qui se trouvaient dans la zone des névés ou juste au-dessous des langues glaciaires ont été déstabilisés en de nombreux endroits. Les plus importants événements de ce type ont eu lieu juste au-dessous des glaciers du Münstiger et de Saas. Partie de la gorge abrupte ( vraisemblablement libérée de glace durant les décennies précédentes et remplie d' éboulis morainiques ) qui se trouve juste sous le premier de ces deux glaciers, un torrent de boue a pu dévaler le Münstigertal probablement d' un seul trait, c'est-à-dire sans devoir déposer d' importantes quantités de matériau en cours de route, pour atteindre la vallée principale sans être freiné ( illustration 6 ). De nombreux glissements de boue, plus petits, descendus des environs immédiats des névés situés dans les abrupts cou- 6 Zone d' arrachement du torrent de boue de Münster. Le matériau morainique qui se trouvait dans la gorge située au-dessous de la langue propre et voûtée du glacier de Münstiger ( G ) a, par endroits, été emporté au point de libérer le rocher situé en dessous. Les arêtes d' éro ( X ) dans la partie inférieure de la gorge nous donnent une idée de la profondeur de l' érosion. Un écoulement a certainement déjà eu lieu avant l' événement. Il est par exemple surprenant de voir le torrent du gla- cier quitter la langue latéralement pour se précipiter ensuite dans la gorge rocheuse par une chute d' eau ( flèche ). Avant les événements, I torrent devait encore sortir à l' endroit le plus bas, c'est-à-dire au fond de la gorge. L' expérienc montre que le déplacement d' un torrent glaciaire peut suffire à déclencher une coulée de boue. ( Photographie prise le 27 août 1987 ) Torrent de boue de Münster au-dessous du glacier de Münstiger ( lieu-dit de Brichboden ). Les vallums latéraux constitués de matériau récemment amené sur place, appelés aussi levés, sont caractéristiques d' une coulée de boue. Le lit dans lequel la masse s' est écoulée est peu profond et n' est pratiquement pas pavé de blocs de rocher. A gauche de la coulée principale, on reconnaît un cône de boue et d' ébou caractéristique ( M ) avec des traces actuelles d' érosion au premier plan et de nombreux vestiges d' anciennes coulées qui sont, pour la plupart, recouverts de végétation. ( Photographie prise le 27 août 1987 ) Coulée de boue dans le Münstigertal ( lieu-dit de Brichboden ). Une petite coulée est descendue du flanc gauche de la vallée et a coupé les vallums formés par le courant principal ( flèches ). Ce second phénomène s' est probablement produit après le glissement principal et n' a pas touché le village de Münster. ( Photographie prise le 27 août 1987 ) Photo. Wilfried Haeberlj loirs rocheux des pentes latérales, ont achevé leur course dans le premier tiers du trajet de la coulée principale, soit jusqu' au « Brichboden » ( environ 1960 m ). Tout comme le courant principal, dans l' axe de la vallée, ils présentaient aussi des coupes d' érosion hexagonales et, par endroits, des petits vallums de débris, principalement à l' extérieur des courbes. Dans la partie inférieure du Münstigertal, des dépôts de matériau fin indiquaient le plus haut niveau d' écoulement de l' avalanche. La coupe relativement large de cette vallée ( une auge glaciaire classique ) avait certes permis une érosion latérale assez importante lors de l' écoulement, mais les pentes latérales n' ont pas été trop sérieusement sapées. A Münster même, le front de la coulée doit être apparu subitement, sans signes avant-coureurs, et a traversé le village « comme un mur sombre et haut de plusieurs mètres, progressant à la vitesse d' une voiture roulant normalement, dans un bruit de tonnerre accompagné d' un fort tremblement du sol » ( illustrations 10 et 11 ). A l' intérieur de la localité, cette avalanche a comblé de caillasse le lit du torrent, de sorte que l' eau abondante provenant des fortes pluies qui ont précédé ce glissement de terrain a dû s' écouler à travers plusieurs quartiers du village durant les heures qui suivirent.

Dans le Gerental, au-dessus d' Oberwald, les traces de coulées aussi dramatiques étaient bien visibles. Plusieurs torrents de boue se sont, en effet, formés sur d' abrupts terrains morainiques ainsi qu' au début de plusieurs pierriers, au pied des névés ( illustration 12 ). Le lieu-dit Schweif, situé à 1778 mètres, fut complètement recouvert par les éboulis d' une coulée de boue qui avait fait irruption du Saastal. Elle avait trouvé son origine dans la marge proglaciaire, riche en terrain morainique du glacier de Saas, et avait donné lieu à une érosion massive et profonde dans ce gravier peu stable. La plus grosse quantité de matériau est partie de la région orographiquement à gauche de la langue du glacier, au bord d' un névé situé à environ 2540 mètres, exposé à l' ouest et au nord-ouest. Dans la zone d' arrachement du torrent de boue et de pierres que les eaux en furie avaient ravagée, on a pu observer le versant.

Toutefois, dans le premier cas, une grande quantité de boue et d' éboulis a été stoppée dans le Gerental et n' a heureusement pas atteint la vallée principale. Il était difficile d' esti la stabilité du permafrost ( partie du sol gelée en permanence ) morainique, en surplomb dans la zone d' arrachement, près du glacier de Saas. Aussi ne peut-on exclure avec certitude un nouvel éboulement qui pourrait donner naissance à un nouveau torrent de boue dans le Gerental. Comme des travaux d' aménagement n' ont pratiquement pas de sens dans ce terrain peu stable et difficilement accessible, on s' est contenté, dans un premier temps, d' attendre l' évolution naturelle des événements et de déclarer zone dangereuse le fond du Gerental qui est d' ailleurs inhabité. On a recommandé le même jour à l' état de crise, qui dirigeait les opérations dans les régions touchées par la catastrophe, d' observer constamment les torrents concernés durant les travaux de déblaiement et d' interdire provisoirement le fond du Gerental aux touristes. On a entrepris aussi immédiatement un vol destiné à prendre des mesures infrarouges au-dessus du territoire de la catastrophe. Cette opération a pu être effectuée durant le week-end suivant, avec des conditions météorologiques idéales, par les soins du Bureau fédéral de mesures.

Eléments d' interprétation Du fait des travaux de reconnaissance effectués directement après les catastrophes et grâce à une première analyse assez grossière des photographies infrarouges ( prises audessus de la vallée de Conches et de Poschiavo ), 11 Coulée de boue dans le Münstigertal ( M ). Les traces claires montrent bien les dépôts de matériau dans le village de Münster et le fait que la coulée provient du glacier de Münstiger ( MG ). La zone des pâturages, pratiquement intacte, apparaît en rouge, les forêts sont sombres. Ici aussi, on peut remarquer de nombreuses traces de coulées de boue dans les pierriers dépourvus de végétation et sur les moraines. Les zones d' arra s' y trouvent d' ailleurs près des crêtes ( petit bassin hydrologique ). Dans les vallées voisines, on trouve de maigres traces d' érosion et de torrents en crue, mais pratiquement pas de témoignages « marquants » de coulées de boue. ( Prise de vue infrarouge effectuée par le Bureau fédéral de mesures, en date du 27 août 1987. Reproduction autorisée le 5 mai 1988 ) on a pu tirer quelques leçons de ces événements, leçons qui, étant donné la situation, sont assez hypothétiques. Les emplacements d' où sont parties la plupart des coulées de boue sont situés sur des pierriers, sur les moraines proches des glaciers, sur des névés ou du permafrost. Les glaciers eux-mêmes, tout comme les pâturages et les forêts, n' ont pratiquement pas souffert des catastrophes. La répartition de ces glissements récents sur une vaste région indique que l'on a affaire ici à un événement exceptionnel. Cet adjectif ne qualifie pas seulement la masse ou l' intensité des précipitations, mais s' applique aussi à une combinaison de divers facteurs impliqués dans les catastrophes:

a ) le recul des glaciers, des névés et du permafrost dans le courant du XXe siècle, a favorisé le dégagement de grandes masses de matériau instable dans les couloirs, dans les pierriers et sur les terrains situés immédiatement au-dessous des glaciers; b ) les chutes de neige fort avancées dans la saison ont retardé la fonte au début de l' été 12 Petites coulées de boue dans la vallée du Saasbach ( Gerental ). Comme ce fut le cas pour des glissements plus importants, les zones d' arra chement sont situées au bord des névés et au pied d' abrupts talus d' éboulis. ( Photographie prise le 27 août 1987 ) 1987: une grande quantité d' eau de fonte s' est donc accumulée à cette époque; c ) à la suite de la fonte intensive qui eut lieu avant des précipitations importantes, une grande quantité de matériau instable a été saturée d' eau et a donc vu sa capacité d' écoule fortement augmentée; d ) enfin, la haute altitude de l' isotherme du 0° a fait que les précipitations massives sont tombées principalement sous la forme liquide jusque dans la zone des glaciers.

En ce qui concerne les torrents de boue isolés, il semble aussi qu' une combinaison de facteurs ait joué un rôle décisif: la pente des pierriers, la présence de torrents d' eau de fonte au bord des glaciers et le long des névés persistants et enfin l' existence de bouchons proches du sol dans la nappe phréatique, bouchons causés par la présence de rochers ou de permafrost.

13 Zone d' arrachement de la grande coulée du Gerental, sur les bords du Saasgletscher. On reconnaît une moraine ( pierrier ) durcie par le gel ( permafrost P ) et qui n' a pas bougé, un névé ( Fi ), avec un écoulement d' eau superficiel ( W ) et du rocher affleurant particulièrement abrupt ( fe ). ( Photographie prise le 27 août 1987 ) La situation du terrain après les événements de l' été 1987 est tout à fait différente à Münster et à Poschiavo: dans le Münstigertal, le foyer principal où s' est créée la coulée ( gorge sous le glacier ) a été presque entièrement nettoyé et les pentes latérales sont pratiquement intactes. La répétition d' un tel événement dans un proche avenir semble donc exclue. Dans le val Varuna, près de Poschiavo, on trouve dans la zone d' arrachement le potentiel nécessaire pour le déclenchement d' autres glissements du même type, d' autant plus que les pentes latérales sont déstabilisées. La périodicité historique de tels événements est aussi différente: à Münster, la dernière catastrophe de ce type pourrait bien remonter à plusieurs siècles ( avant le Petit âge glaciaire !), comme l' indiquent les chroniques et la formation du sol sur le cône d' éboulis et de boue.

Perspectives A l' heure actuelle, les causes des crues catastrophiques de l' été 1987 font l' objet d' études menées par le Bureau fédéral d' hydrologie et de géologie et par Y Office fédéral d' économie des eaux. Dans le cadre de cette recherche, on s' attache aussi particulièrement à la problématique des coulées de boue. Il s' agit avant tout d' établir une documentation sur les événements de 1987 au moyen de l' analyse quantitative et qualitative des prises de vues aériennes, d' observations faites sur le terrain même et de sondages géophysiques particuliers, une documentation qui permettra ensuite d' analyser les facteurs qui ont joué un rôle dans ces catastrophes. Grâce au matériel ainsi rassemblé, on devrait pouvoir vérifier les règles déjà établies en la matière et, si nécessaire, les corriger. En ce qui concerne les crues provenant des glaciers des Alpes, on admet généralement la valeur basée sur l' expérience selon laquelle l' érosion par mètre de profondeur d' une crue ne touche Traduction de Nicolas Durussel qu' une surface de 500 m2 au maximum, puisque les blocs grossiers détachés des bords de la crue ont tendance à paver le lit du courant de façon naturelle et à le protéger ainsi contre une érosion supplémentaire. Au cours des catastrophes de l' été 1987, il ne semble pas que cette valeur limite ait été dépassée, et le pavage naturel ne s' est pourtant pas fait de façon très marquée. Il est donc vraisemblable que ces événements auraient pu avoir des conséquences encore beaucoup plus graves. Il s' agit de voir aussi s' il est nécessaire d' éta de nouvelles règles pour se protéger de ces crues ou pour délimiter les zones dangereuses. Au-delà de ces recherches, il convient de prévoir et de vivre ( par des exercices de sauvetage ) des situations provoquées par l' évolution à long terme de ces phénomènes. Il faut s' attendre à une augmentation de la fréquence des coulées de boue, telles que nous les avons connues pendant l' été 1987, pour autant que la température s' élève encore et que la fonte des glaciers et du permafrost s' accélère ou même continue simplement au même rythme.

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Davies, T. T. H. ( 1988 ): Debris flow surges -a laboratory investigation. Communications du Laboratoire de recherches hydrauliques, hydrologiques et glaciologiques ( VAW ) de l' EPF de Zurich, N° 96, 120 p.

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