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L'Himalaya du Bhoutan

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

du Bhoutan

Augusto Gansser, Küsnacht

Une région de haute montagne encore presque inconnue Introduction La chaîne de l' Himalaya s' étend sur plus de 2500 kilomètres; elle forme le massif le plus haut et le plus jeune de la terre. Ses sommets ont éveillé très tôt l' intérêt et suscité la curiosité des habitants qui ont peuplé et peuplent encore ces régions. Autrefois barrière infranchissable, inspirant la crainte, patrie des esprits bons et mauvais, siège des dieux et des déesses, notamment de la déesse Chomolungma, qui a donné son nom tibétain et officiel à l' Everest. En des temps reculés, saints et ermites venaient se réfugier dans la montagne pour y méditer. Milarapa est l' un d' entre eux; sa légende et ses « cent mille chants » se sont répandus dans toute la région himalayenne et tibétaine au cours du XIe siècle. Milarapa doit sa popularité à sa victoire spirituelle sur Kai-lâs, dont le sommet se trouve dans la zone transhimalayenne, où siègent la Bonpo pré-bouddhique et des divinités hindoues. Ainsi cette montagne extraordinaire est devenue un lieu de pèlerinage pour trois grandes religions universelles.

Actuellement l' Himalaya est en passe de devenir le terrain d' exercice de prédilection pour l' élite internationale du trekking et de l' alpinisme. L' Everest a été vaincu en été comme en hiver, par une bonne demi-dou-zaine d' itinéraires différents. Le Népal est une véritable toile d' araignée: les pistes de trekking se chevauchent et se croisent, et les effets de ce transit sur la région et ses habitants ne sont pas toujours très positifs. La région occidentale de l' Himalaya, le Ladakh et le Sanskar sont en train de subir le même sort, victimes des loisirs de montagne organisés. Il n' est guère que la région orientale de l' Hima qui soit restée à l' abri du tourisme international. Ces massifs limitrophes du Tibet se trouvent dans le royaume indépendant du Bhoutan et dans l' ancienne NEFA ( North East Frontier Agency ), aujourd'hui territoire indien d' Arunachal Pradesh. Dans l' une et l' autre région, la frontière avec le Tibet n' est pas clairement définie, elle est même contestée à la suite de l' invasion chinoise de 1962 dans la région de la NEFA. C' est aussi une des raisons pour lesquelles cette région est restée fermée aux étrangers.

Au Bhoutan, le massif de haute montagne s' étend sur 250 kilomètres, des Chomolhari à Caravane de yaks sur le versant oriental du Gophu La ( 5300 m ), col qui relie Lunana Est à Bumthang ( Bhoutan oriental ).

l' ouest, au Garula Kang à l' est. Dans la région de la NEFA domine le massif du Kangto ( 7090 m ), proche de la frontière orientale du Bhoutan; au nord du fleuve Subansiri s' étend le massif de Gori Chen ( 6500 à 6800 m ). Ce dernier aurait été exploré en 1966 par des alpinistes indiens ( Hiebeler 1980 ). Tout à l' est, la chaîne de l' Himalaya se dresse une dernière fois pour former le massif du Namche-Bharwa ( 7755 m ) et celui du Gyala Peri ( 7150 m ), traversé par le Tsangpo, cours supérieur du Brahmapoutre, qui a creusé l' une des gorges les plus spectaculaires du monde.

Le Bhoutan Avec ses 47000 kilomètres carrés, soit un peu plus que la Suisse, le Bhoutan compte à peine un million d' habitants, dont le 10% sont des Népalais. C' est un pays exclusivement montagneux, dont le territoire s' échelonne de 150 mètres au-dessus du niveau de la mer, au sud, à 7500 mètres, dans le nord. Très boisé, ce pays pourrait ressembler à la Suisse d' il y a cinq cents ans, n' étaient les très grandes différences d' altitude et les contrastes climatiques.

Depuis 1907, le Bhoutan connaît un régime monarchique jouissant d' un réel soutien du peuple, contrôlé par une assemblée populaire souveraine. En dépit de traditions ancestrales, ce régime se caractérise par des traits étonnamment modernes et démocratiques. Les Bhoutanais, d' origine proto-tibétaine et d' in birmane, ont peuplé l' Himalaya depuis le sud-est du Tibet. On ne peut guère en savoir davantage sur cette période qui précède le VIIe siècle, date de la fondation des premiers monastères bouddhiques. De rares inscriptions sur bois, conservées dans les plus anciens cloîtres, pourraient donner quelque information. Le trésor culturel, fait de légendes et de sagas transmises de bouche à oreille le plus souvent, est très riche. Une des plus belles montagnes du Bhoutan, le Masang Kang porte le nom des ancêtres préhistoriques de la branche tibétaine: les Masang.

Depuis que les Chinois ont envahi le Tibet, le Bhoutan demeure le dernier pays où l'on pratique activement un authentique lamaïsme bouddhique. C' est au Ville siècle que le bouddhisme fut introduit dans cette région, par le célèbre missionnaire Padmasambhava; mais les premières influences bouddhiques remontent au VIIe siècle déjà, sous le règne du roi tibétain Songtsangampo.

Le lamaïsme originel s' est mêlé à la religion Bon pré-bouddhique, qui est toujours vivante dans la plupart des légendes transmises oralement. Les lacs et les montagnes sont les grands protagonistes de ces légendes inoubliables. Jusqu' à maintenant, les esprits bons et mauvais, les dieux et les démons, ont vécu en paix dans les lacs et sur les sommets glacés. Pourront-ils continuer ainsi?

Il y a dix ans, l' ouest du Bhoutan s' est ouvert au tourisme, quoique avec beaucoup de réticence. Les voyageurs nantis, débarquant en groupes, ont amené dans le pays des devises recherchées. Depuis 1982, des groupes de trekking organisé commencent à parcourir le nord du pays, qui avait été fermé aux étrangers jusque-là. En 1983, à titre exceptionnel, un groupe pourrait obtenir l' autori spéciale d' escalader un des sommets limitrophes très prisés au nord du Bhoutan. Le souverain Jigme Dorji Wangchuck, décédé en 1972, homme inoubliable, tout à la fois respectueux de la tradition et progressiste, n' aurait guère permis une extension pareille du tourisme. Il comprenait la recherche scientifique et s' y intéressait. C' est à lui que je dois d' avoir pu organiser cinq voyages d' exploration géologique entre 1963 et 1977 dans les montagnes du nord, le long de la frontière tibétaine. Son ami Fritz von Schulthess m' avait introduit à la cour. Mon jeune collaborateur Ruedi Hänny, La haute paroi sud-est du Masang Kang ( 7200 m ), montagne sacrée du légendaire peuple de Masang qui habitait autrefois le sud-est du Tibet.

auteur d' un premier rapport sur le Bhoutan publié en 1966 dans LES ALPES m' avait accompagné lors des deux premiers voyages. En 1965 nous avons même formé deux groupes, un de géologues, l' autre d' historiens des religions, auquel participaient Blanche C. Olschak, la tibétologue, et ma fille Ursula, en tant que photographe. Cette expédition très réussie a donné lieu à plusieurs publications: un livre de photos en couleurs paru en 1969, et A Study on Early Buddhism in the Himalayas, publié en 1979 par B. C. Olschak et édité par la Fondation suisse pour l' exploration alpine. L' entrée du Bhoutan à l' ONU en 1971 a été saluée dans LES ALPES par un article de B. C. Olschak, intitulé Un nouveau membre de /'ONU: le Bhoutan, pays des glaciers inconnus. Quant aux résultats des recherches géologiques, ils ont été publiés en avril 1983, et forment le 96e volume des Denkschriften der Schweizerischen Naturforschenden Gesellschaft. Du côté helvétique, la Fondation suisse pour l' ex alpine, le Fonds national et l' Ecole polytechnique de Zurich ont soutenu nos différentes expéditions, alors que le gouverne- ment bhoutanais nous a aidés dans le pays même. Nous avons immédiatement communiqué les résultats pratiques de nos recherches aux autorités du pays.

Parallèlement à la recherche scientifique est intervenue l' aide technique, cela dans le domaine médical et surtout en agronomie et dans le secteur forestier. La Fondation Bhoutan, œuvre de la famille von Schulthess, intégrée en partie à Helvetas, bénéficiant du soutien de la Confédération, est un cas exemplaire d' aide profitant réellement au pays qui en est bénéficiaire. Grâce à l' une des lois les plus progressistes au monde au sujet des forêts, scrupuleusement respectée par les instances locales, les étendues boisées du Bhoutan sont en effet protégées, alors que celles du Népal ont été partiellement anéanties.

Nous ne savons pas grand-chose des noms que portent les montagnes du Bhoutan. Leur orthographe et leur signification nous échappent. Contrairement aux cols, beaucoup de sommets ne portent pas de nom du tout. Les noms tibétains des sommets de la chaîne frontalière ne correspondent pas toujours à ceux qui leur ont été donnés par les Bhoutanais. Un sommet porte le nom générique de kang. Kang signifie glacier ou montagne glaciaire. Le nom ri, courant au Tibet, est très rare au Bhoutan. Blanche C. Olschak m' a aidé dans la détermination et l' orthographe de certains noms de montagne, et je l' en remercie. La signifie col, chu détermine les rivières et les fleuves; dzong désigne les monastères-forteresses typiques du Bhoutan. Les altitudes des sommets sont également très incertaines, on ne les trouve que rarement et de façon approximative sur les cartes officielles.

Géographie Au sud, des chaînes de montagnes abruptes, couvertes de forêts tropicales qui culminent à plus de 4000 mètres, constituent l' entrée du Bhoutan. Le pays a perdu ses plaines, correspondant à la zone népalaise du Terai, au cours des guerres du Bhoutan ( 18651866 ), à la suite d' incursions bhoutanaises et d' actes de brigandage sur le territoire de l' As, alors territoire britannique. Cette région est peu peuplée ( en partie de Népalais ), car les Bhoutanais n' apprécient guère la zone tropicale, torride et humide, qui s' arrête aux hauts plateaux centraux, situés entre 1500 et 3000 mètres d' altitude. C' est là que vit la majorité de la population. Le climat y est plus sec, parce que les vents de la mousson sont partiellement retenus par les chaînes de montagnes méridionales. Au nord de ces plateaux s' élève une nouvelle chaîne de montagnes dominant les étendues de forêt vierge où poussent les pins, diverses variétés de rhododendrons et les bambous. Vers 4000 mètres, sur les flancs sud, les essences des arbres changent, et l'on trouve des genévriers, alors que sur les versants nord, ce sont des buissons serrés de rhododendrons qui constituent la limite de la végétation. Puis on trouve les alpes à yaks jusqu' à la limite des neiges; celle-ci se situe à une altitude moyenne de 5000 mètres, tandis que la plupart des langues glaciaires se prolongent jusqu' à 4200 mètres. Elles sont souvent couvertes de dépôts morainiques. Outre les moraines récentes dont les extrémités ont souvent été détruites à la suite de ruptures catastrophiques de lacs glaciaires, j' ai pu déterminer quatre stades glaciaires antérieurs: les stades les plus anciens et aussi les plus bas se trouvent vers 3000 mètres. Le stade Thanza, vieux de quelque cent ans, qui doit son nom à l' agglomération la plus haute de la région de Lunana, est bien représenté et se situe à 4100 mètres. Comme dans les Alpes, ce stade correspond à la dernière grande poussée glaciaire. Il est intéressant de comparer les stades glaciaires du Bhoutan à ceux du versant sud de l' Everest, que le regretté Fritz Müller ( mort prématurément ) avait étudiés ( en 1959 et en 1980 ). La limite actuelle des glaciers dans l' Everest se situe six cents mètres plus haut; le stade antérieur de cent ans, cinq cents mètres plus haut, les autres stades respectivement quatre et trois cents mètres plus haut que dans le Bhoutan. On peut expliquer cette différence par les précipi- tations plus importantes qui s' abattent sur l' Himalaya oriental. Pourquoi les différences d' altitudes des stades plus anciens sont-elles moins grandes? Est-ce dû à l' influence de l' élévation récente de la chaîne himalayenne, si importante, un centimètre par année, et à l' influence croissante de la mousson? Dans les contreforts de l' Assam nous trouvons les précipitations les plus importantes du monde, à l' exception de la région du Choco en Colombie. Au Bhoutan, la mousson est très forte, mais ses effets se font moins sentir qu' au centre du pays où les contreforts méridionaux constituent une barrière protectrice. Les expéditions en haute montagne ne peuvent se faire qu' avant ou après la mousson, si on veut éviter de marcher dans la pluie, la neige et le brouillard, soit avant mai ou après septembre.

Les périodes de transition peuvent durer plus ou moins longtemps selon les années; il faut donc compter avec un temps plus incertain durant la période qui précède la mousson que durant les semaines qui suivent, où le temps est plus stable et froid. Les précipitations de la mousson et la fonte rapide des glaciers viennent nourrir les fleuves nombreux qui coupent le pays du nord au sud ( voir carte ). Seul l' imposant Kuru Chu, à l' est du Bhoutan, prend sa source au nord de la chaîne principale, dans la partie méridionale du Tibet, à 70 kilomètres seulement du Tsangpo, beaucoup plus grand ( cours supérieur du Brahmapoutre ), avec une ligne de partage des eaux remarquablement basse ( 5100 mètres seulement ). Ce phénomène d' un grand intérêt, on peut l' observer chez beaucoup de fleuves himalayens qui prennent leur source au nord de la chaîne. Une érosion particulièrement importante dans la région où le fleuve Arun prend sa source ( entre l' Everest et le Kangchenjunga ) pourrait très bien provoquer la jonction de l' Arun et du gigantesque Tsangpo, ce qui aurait des conséquences catastrophiques.

Géologie La silhouette de l' Himalaya du Bhoutan et sa morphologie très différenciée sont incontestablement déterminées par des phénomènes géologiques, bien que, là, la formation himalayenne classique ne saute pas tellement aux yeux ( Gansser 1964, voir aussi la carte géologique, fig. 2 ). Dans le Bhoutan méridional, on trouve les contreforts de molasse de Siwalik ( Préhimalaya ) relativement bas, mais ceux-ci peuvent faire défaut, à titre tout à fait exceptionnel, à cause de phénomènes d' éro et d' un chevauchement tardif. Cette molasse chevauche des sédiments quaternaires le long d' une zone de rupture. Elle est chevauchée par le Bas-Himalaya, formé de sédiments du précambrien tardif ( mille à six cents millions d' années ), et des sédiments métamorphiques qui constituaient à l' origine la couverture septentrionale du Bouclier indien. On observe ensuite la nappe cristalline, une couverture de plus de 15 kilomètres, à la structure complexe. Cette masse, la plus importante du Bhoutan, ressemble aux nappes tessinoises des Alpes et se poursuit jusqu' à la frontière tibétaine, où elle forme les chaînes les plus élevées ( le Haut-Himalaya ). Dans cette masse gneissique qui date du précambrien, vieille de 1800 à 1400 millions d' années, transformée une fois encore durant les phases orogénétiques les plus importantes de l' Hima, il y a vingt ou trente millions d' années, on remarque dans la région septentrionale des intrusions de vieux granites ( les granites leucocrates de 10 ou 20 millions d' années ), riches en tourmaline, qui traversent toutes les structures plus anciennes. Ce sont les éléments essentiels constitutifs des plus hautes montagnes du Bhoutan, comme des sommets les plus élevés du Népal, notamment du Manaslu, de l' Everest et du MaKalu. Sur ces montagnes septentrionales frontalières, on trouve, çà et là, des sédiments qui appartiennent déjà aux dépôts marins de la Téthys. Des sédiments semblables se retrouvent dans deux dépressions en forme de bassin, à l' ouest et au centre de l' Himalaya du Bhoutan ( les dépots du Lingshi et de Tang Chu ). Ils contiennent des fossiles, ne sont pas métamorphiques et se distinguent de façon frappante des marbres hautement métamorphiques et des schistes qui se trouvent intercalés dans le cristallin. Les couches de granite leucocrate, de marbre, Carte géologique de l' Himalaya du Bhoutan 010 20 km 1983 A. Gansser Abréviations: Ch: Chomolhari D: Darjeeling G: Gangtok KK: Künia Kangri MK: Masang Kang Pa: Paro axes des plis, y compris les lignes directrices pendage < 30°, pendage > 30° pendage et direction en généra nappe et gneiss granitique, inclus le Bouclier du socle indien nappes cristallines: méta sédiments du Pré-Cambrien chevauchements principaux:

MFT: Main frontal thrust MBT: Main boundary thrust MCT: Main central thrust Tshering Kang ( 6800 m ) dans le massif du Chomolhari ( nord-est du pays ). Vue sur la paroi sud éclairée par le soleil du matin.

de gneiss et de schistes sont, le plus souvent, à l' origine de ces stries très caractéristiques des hauts sommets du Bhoutan, particulièrement imposantes sur les parois méridionales du massif des Chomolhari.

Le massif des hautes montagnes Sept groupes principaux constituent le massif haut montagneux du Bhoutan. La plupart d' entre eux forment la frontière avec le Tibet et constituent la ligne essentielle de partage des eaux. Une seule exception: le Kuru Chu, qui prend sa source dans la pénéplaine du sud du Tibet et traverse la chaîne principale du Bhoutan oriental.

D' ouest en est on distingue:

1. le massif du Chomolhari avec deux sommets à 6000 mètres, le Chatorake et le Kang Bum, respectivement au sud et au sud-est du massif; 2. le massif de Kangcheda; 3. le massif de Masang Kang/Tsenda Kang; 4. le massif de Lunana; 5. le massif de Kankarpunzum qui s' élève à 7541 mètres et constitue le plus haut groupe montagneux du Bhoutan; 6. le massif du Chura Kang et, à l' est du passage du Kuru Chu:

La paroi sud du sommet principal du Chomolhari ( 7315 m ).

7. le massif du Garula Kang. Au nord-est du Kankarpunzum, relié à celui-ci par une chaîne glaciaire, s' étend le massif du Kunla Kangri, qui, avec ses 7554 mètres, soit 13 mètres de plus que le Kankarpunzum à ce qu' il semble, constitue le sommet le plus élevé de l' Hima oriental, à l' est du Kangchendzonga. Tout à l' est un autre sommet le surpasse, à l' extré orientale de toute la chaîne: le Namche Bharwa ( 7755 m ). Sur les cartes topographiques locales, visiblement mal faites, le Kunla Kangri fait encore partie du Bhoutan, ce qui ne saurait être exact, ne serait-ce que du point de vue morphologique. La population locale considère, elle aussi, que le Kunla Kangri est une montagne tibétaine. Là, comme tout au long de la chaîne septentrionale où les démar-cations sont totalement fausses, une mise au point serait absolument nécessaire. Même sur la carte officielle du Bhoutan, au 1:250000, publiée par le Survey indien en 1972, les fleuves qui coulent du nord au sud prennent leur source environ vingt kilomètres au nord de la ligne de partage des eaux, à l' intérieur du Tibet, pour traverser les chaînes de montagne de façon totalement artificielle. Le caractère aberrant de ces indications saute aux yeux dès qu' on se trouve aux cols de Toma La, de Waghye La ou à Lunana.

/. Massif du Chomolhari ( avec le Chatorake et le Kang Bum ). Chomolhari, la déesse des montagnes sacrées ou encore maîtresse des montagnes des dieux, est considérée comme Le Kang Bum ( 6500 m ) vu du toit de bardeaux couronné de drapeaux du Dzong de Gaza, un cloître fortifié isolé au nord-ouest du Bhoutan. Vue en direction de l' ouest.

sacrée par les Bhoutanais, comme par les Tibétains qui voient sa face nord, depuis le plateau de Phari. Cette chaîne de montagnes, longue de près de 20 kilomètres et de 6000 à 7000 mètres d' altitude, se profile de façon anormale du sud-ouest au nord-est. Au sud-ouest, elle est limitée par le Tremo La qui, avec ses 4650 mètres, forme le passage le plus bas et autrefois le plus important de l' ouest du Bhoutan ( vers Phari, au Tibet ). Ce hameau se trouve sur la grande route des caravanes qui mène à Lhassa, remplacée aujourd'hui par une route militaire. Au nord-est, la chaîne du Chomolhari se termine au Jam La ( un col de 5000 mètres à peine ) qui conduit de Lingshi au Tibet. La chaîne com- prend quatre sommets principaux et commence au sud-ouest par une pyramide de plus de 6000 mètres, aux intrusions granitiques frappantes par leur blancheur. Par analogie avec le Lamo La ( un col situé à l' ouest ), j' ai appelé cette montagne imposante ( mais sans nom, semble-t-il ) le Lamo Kang. De là, une arête glaciaire mène au sommet principal du Chomolhari, haut de 7315 mètres. Une nouvelle arête, extrêmement effilée, relie le sommet oriental, situé un peu plus bas et ne portant apparemment pas de nom, au sommet principal. Celui-ci est particulièrement saisissant à cause de ses intrusions de granite et des bandes de marbre qui traversent sa paroi sud. Le plus beau des sommets s' appelle le Tshering Kang, le glacier de la longue vie; il termine la chaîne à l' est, à 6800 mètres d' alti. Il est suivi d' une pyramide de rocher couverte de glace, le Chum Kang, haut de 6535 mètres. Ses gigantesques parois de marbre dominent les monastères de la région de Lingshi.

Des différents sommets qui constituent la chaîne du Chomolhari, seul le sommet principal a été escaladé. Le 21 mai 1937, F. Spencer La chaîne de Kangcheda ( comprenant des sommets de 6500 à 7000 m ) se profile sous les drapeaux à prières de Jhari La. Vue en direction du nord-est.

La paroi cuirassée de glace du Chum Kang ( 6535 m ), sommet qui se dresse au nord-est de la chaîne du Chomolhari.

Versant nord-est ( fortement englacé ) de la montagne sacrée de Masang Kang. Vue prise du col Toma La ( 5350 m ), situé à la frontière tibétaine.

Chapman et Pasang Dawa Lama l' ont atteint par le flanc glaciaire sud-sud-ouest. Partis de la région tibétaine de Phari, ils avaient passé l' arête frontalière nord-est du Tremo La pour rejoindre le Bhoutan. A cause du mauvais temps ( la mousson venait de commencer ), cette expédition a failli se terminer en catastrophe, et le retour s' est fait dans des conditions incroyablement difficiles ( Chapman 1951 ). La population locale, aussi bien au Tibet qu' au Bhoutan, avait vivement déconseillé cette escalade et avait averti Chapman et ses accompagnants des dangers qu' ils couraient, craignant une vengeance divine de la part de la déesse Chomolhari. C' est presque un miracle que Chapman et Pasang soient revenus vivants. En avril 1970, un groupe d' alpinistes indo-bhoutanais ont escaladé le Chomolhari en empruntant la seule voie possible, celle de Chapman. La montagne est toujours sacrée, et il est étonnant que cette expédition ait été autorisée. La statue du Bouddha, bénie par les lamas de Thimphu, offerte en cadeau à la déesse, aurait-elle influencé le gouvernement? Il faut en tous cas faire mention du comportement de l' alpiniste bhoutanais Chachu qui, en toute lucidité, à cent mètres du sommet, a refusé de poursuivre son ascension, par respect pour la déesse. Alors qu' il redescendait avec son groupe, il a croisé la seconde cordée, qui allait disparaître pour toujours dans le brouillard. Chomolhari s' était vengée. Il est peu probable qu' une nouvelle autorisation soit délivrée. Les pointes orientales Chomolhari E, Tshering Kang ( 6800 m ) et Chum Kang ( 6335 m ) sont d' un accès très difficile sur les deux côtés. Le parcours le plus praticable pour atteindre le Chomolhari passe par la vallée de Paro, Cheka et le Chung La ( 4700 m ).

Les deux sommets sud de la chaîne du Chomolhari, le Chatorake ( à peine 6000 m ) et le Kang Bum ( la grande montagne de glace ) qui culmine à environ 6500 mètres sont relativement faciles à escalader du nord ou du nord-ouest, par le flanc du glacier. Le Chatorake domine à l' est la haute vallée du Paro, tandis que le Kang Bum et son éperon oriental encadrent le superbe dzongàe Gaza. Le Kang Bum peut être atteint par Lingshi ( du nord-ouest ) ou par le Yale La en traversant une haute plaine en partie glaciaire. Son flanc oriental paraît très raide et l' accès par Gaza très difficile, parce qu' il faut traverser des vallées escarpées, couvertes d' une épaisse jungle de montagne.

81 Le Teri Kang ( 7200 m ) domine le bassin du sauvage Pho Chu, le fleuve-père. Sur la gauche, on distingue le lac glaciaire ( qui s' est rompu il y a une trentaine d' années ) ainsi que le blanc torrent de débris. Lunana nord-ouest.

2. Massif de Kangcheda. Situé au nord-ouest du Bhoutan, ce massif continue la chaîne du Chomolhari ( du sud-ouest au nord-est ). Il constitue également la frontière avec le Tibet. Les trois sommets de cette chaîne, très raide et d' à peine 20 kilomètres de longueur, culminent entre 6500 et 7000 mètres. Leurs flancs sud-sud-est sont extrêmement abrupts et couverts de glace; ils sont constitués pour l' essentiel de gneiss et d' intrusions de jeunes granites leucocrates. Il n' y a guère là de ces strates de marbre très fréquentes au Chomolhari. Bien que très découpée, cette chaîne forme un anticlinal relativement plat, qui va du Chomolhari au Masang Kang et au massif de Lunana en passant par les Kangcheda, et constitue le cintre septentrional extrême de la grande nappe cristalline du Bhoutan. Le massif de Kangcheda domine la vallée de Mo Chu, et on peut le voir au sud de Punakha déjà. Pour y accéder, il faut passer par cette vallée de Mo Chu, via Laya et le Sinchu La ( 4900 m ).

3. Massif du Masang Kang/Tsenda Kang. Ce massif est situé au sud de la frontière tibétaine et constitue une des constellations montagneuses les plus belles du Bhoutan. Les deux ensembles se détachent fortement l' un de l' autre et sont séparés par le fleuve Mo Chu ( la rivière-mère ). Celui-ci prend sa source près des deux cols limitrophes, le Toma La ( 5350 m ) et le Waghye La ( 5300 m ), qui se situent au nord-est du Masang Kang et dont les sédiments appartiennent aux anciennes couches tibétaines. En outre, le Masang Kang et le Tsenda Kang sont formés de gneiss et de granites, vieux de quatre cents millions d' an, qui se distinguent très nettement des granites leucocrates plus jeunes du Chomolhari. Masang Kang est la montagne sacrée de la souche légendaire des Masang, les habitants primitifs qui seraient venus du sud du Tibet. La montagne domine le petit village de montagne de Laya ( 3900 m ) dont les habitants, vêtus de costumes aux couleurs vives, se distinguent très nettement des Bhoutanais, en ce sens qu' ils pratiquent l' antique religion Bon et parlent leur propre langue. S' agirait des descendants des Masang? Le double sommet du Masang Kang ( env. 7200 m ) plonge de façon très abrupte vers le sud et le sud-est, alors que, au nord-nord-est, on trouve une étendue glaciaire plus plate, due à une stratification particulière des roches sédimentaires transgressives. Dans la partie supérieure de ce flanc-là, une barre de séracs pourrait constituer le passage-clé d' une éventuelle ascension ( qui ne réjouirait cependant guère les Masang !). Mieux vaut laisser en paix cette magnifique montagne sacrée!

Le Tsenda Kang, qui se trouve au sud-est du Masang Kang, domine le massif montagneux le plus sauvage du Bhoutan. Celui-ci s' étend jusqu' au Karakachu La ( 5100 m ), le col occidental de la région de Lunana. Tous ces sommets se situent entre six et sept mille mètres. Le Tsenda Kang devrait dépasser de peu les sept mille et présente un sommet double: une pointe rocheuse agressive au nord-ouest et un dôme de glace abrupt au sud-est. L' accès à ce paradis montagneux n' est pas facile. Il y a un moyen de l' atteindre par les gorges situées au sud-est du Masang Kang, mais, en 1963 et en 1967, nos pérégrinations se sont terminées au pied de séracs très raides. Peut-être le passage par le glacier du Rodophu, au nord-ouest du Karakachu La, est-il meilleur?

4. Massif de Lunana. Il s' élève du côté oriental du Waghye La, à l' est du Masang Kang, et constitue la frontière tibétaine sur plus de 50 kilomètres jusqu' au Gonto La, le col frontalier le plus haut et le plus difficile d' accès de tout le Bhoutan. Le nom du massif est emprunté à celui du district de haute montagne de Lunana, formé de deux vallées, près des sources du Pho Chu ( le fleuve-père ). Le cours inférieur du Pho Chu passe dans des gorges infranchissables; de ce fait la région de Lunana n' est accessible que par des cols qui dé- passent les 5000 mètres. Des chutes de neige inattendues peuvent rapidement priver Lunana de tout contact avec le monde extérieur. A l' ouest s' élève le Karakachu La ( 5100 m ). Plus loin, vers le sud-est, le Gonju La est coté 5150 mètres: tous deux mènent au Lunana occidental. A l' est, le Gonto La, situé à plus de 5600 mètres, permet de passer au Tibet non sans difficultés. Au sud, le Gophu La ( 5300 m ) relie Lunana à la partie orientale du Bhoutan.

A cause de son isolement au milieu des montagnes et des glaciers, la faible population de cette région a conservé vivantes de très vieilles légendes qui, bien que transmises oralement, influencent encore aujourd'hui les paysans et les éleveurs de yaks dont les conditions de vie sont souvent très précaires.

Mes deux accompagnants dans l' est de Lunana, par ailleurs très bavards, sont frappés soudain de mutisme, alors que nous approchons de la paroi sud du Zongophu Kang ( 7100 m ). Entre la moraine et la paroi de rocher s' étend un lac profond, d' un bleu-vert très sombre. Au-dessus de nous, on distingue, dans le brouillard, de sauvages glaciers suspendus. Le silence oppressant n' est rompu, ici ou là, que par quelque chute de pierres, ou par le tonnerre angoissant provoqué par une avalanche de glace. Dans le fond de l' eau parfaitement limpide, on voit disparaître la moraine abrupte. Il y a une grotte toute noire dans la paroi de rocher, derrière le lac. Le comportement craintif de mes accompagnants m' incite à renoncer à une visite. Ce lieu a effectivement quelque chose d' étrange. Dans les parois, on entend une sorte de musique fantomatique, qui rappelle le chant des vents du désert chargés de sable, lorsqu' ils sifflent en tournant autour d' un rocher. Le soir, après avoir terminé nos différents relevés géologiques de routine, notre colonne redescend vers le campement. Entre-temps le brouillard s' est quelque peu dissipé, et l'on voit apparaître les parois de glace abruptes et finement striées. Les sommets sont enveloppés d' une muraille de nuages, une sorte de bourrelet de foehn. Ce sont certainement les vents descendant du Tibet qui ont provoqué ces bruits étranges entre les gendarmes et les tours qui surplombent le lac, très haut au-dessus de nos têtes. Nous sommes assis autour du feu de camp, sous un ciel étoile comme seul il peut l' être en hiver dans l' Himalaya. Nos visages et nos mains Les trois sommets du Jejekangphu Kang ( env. 7000 m ), au-dessus du glacier de Dom-chetang ( Lunana central ) forment la chaîne-frontière inaccessible du Tibet.

sont brûlants, alors que, dans le dos, nous devons nous contenter d' une température de moins quinze degrés. Lentement nous commençons à converser, à parler de ce lac étrange. C' est là qu' habite un des sept mauvais esprits de Lunana. Il y a très longtemps, ces sept esprits traversant les glaciers sont venus du Tibet, où ils avaient été vaincus, pour s' installer dans les vallées reculées de Lunana. Les plus puissants d' entre eux s' appellent Parep et Nidupgelzen. Parep habite la caverne noire au-dessus du lac mystérieux et Nidupgelzen réside dans la forêt de genièvre, clair- semée et proche du petit dzong de Choso, l' un des plus reculés du Bhoutan. Les esprits apprécient ces forêts de très haute montagne, et malheur à celui qui voudrait y couper un arbre!

Par ailleurs, ce sont les esprits qui seraient responsables des crues catastrophiques causées par la rupture brusque de lacs glaciaires. Cette chaîne, habitée par les esprits, couverte de glaciers, présente un flanc sud très abrupt, fait de parois rocheuses, alors que la face nord, recouverte entièrement de glace est moins raide et appartient déjà au Tibet. Cette différence morphologique frappante est déterminée, là aussi, par les données géologiques. La base des parois méridionales est constituée de gneiss granitique: celles-ci sont traversées, dans leur partie supérieure, de marbre et de granites leucocrates, semblables en cela aux parois du Chomolhari. Tout en haut de quelques-uns des plus hauts sommets, on retrouve les sédiments inférieurs de la série du Tibet. Toutes ces couches sont orientées vers le nord et correspondent au flanc relativement plat du grand anticlinal.

A l' ouest, le massif de Lunana est dominé par le Teri Kang, qui s' élève à environ 7200 mètres. Là, dans le bassin versant occidental du Pho Chu, un lac glaciaire s' est rompu il y a plus de trente ans. La vague, provoquée par des chutes de glace provenant d' un glacier situé au-dessus, a détruit les barrages morainiques, et les flots ont emporté, jusque très bas dans la vallée, des ponts, ainsi qu' une partie du dzongde Punakha, le principal monastère fortifié de l' ancien Bhoutan. Je me suis d' ail rendu dans ces régions reculées pour déterminer le stade d' évolution de ces lacs glaciaires si dangereux. Le Teri Kang est très Chaîne-frontière anonyme et vierge reliant le Kangphu Kang ( 7200 m ) et les Table Mountains ( Lunana oriental ).

difficile à escalader du sud, et la face nord ( qui donne sur le Tibet ) est fort raide également, comme j' ai pu le constater du Waghye La. Dans la direction de ce dernier col, à partir du nord-ouest du Teri Kang, on distingue un sommet frontalier, haut de 7000 mètres, qui termine la grande vallée glaciaire située à l' ouest du sommet. A l' est de la montagne se profile le glacier de Domchetang, et un sommet tricéphale, particulièrement agressif, situé au nord-est: le Jeje kangphu Kang. Il s' agit d' une montagne d' un accès extrêmement difficile de quelque côté qu' on la prenne. Le flanc sud-ouest frappe particulièrement à cause de ses parois de gneiss granitique. Le versant du nord-est, quoique un peu moins raide, demeure d' une approche très difficile. Les trois pointes s' élèvent probablement à un peu plus de 7000 mètres. L' arête orientale se poursuit par des sommets qui ne portent pas de nom jusqu' au bloc gigantesque du Kangphu Kang, qui se dresse à 7212 mètres. Là aussi, on rencontre des parois vertigineuses au sud, striées de couches de marbre et de granites leucocrates dans leur partie supé- Le massif du Kankarpunzum avec le Chumhari Kang ( 6600 m ) dans le Lunana oriental et, tout à droite, le plus haut sommet du Bhoutan qui culmine à 7541 mètres.

rieure. La couverture de glace qui descend vers le nord y est moins abrupte également. Une ascension serait possible par l' arête ouest ( sommet ouest ) ou par l' arête est ( le sommet principal ); selon l' itinéraire choisi, il faudrait partir de Lilo ou du dzong de Chozo, deux petits groupes de maisons dans l' est de Lunana. Après trois autres sommets sans nom ( de 6500 à 7000 mètres ) à l' est du Kangphu Kang, la chaîne forme une montagne à plateau très frappante, dont l' arête supérieure s' élève à environ 7000 mètres, et qui tombe à pic vers le sud, alors que le flanc tibétain est formé de grands glaciers qui s' écoulent sur des pentes plus douces. Le sommet le plus élevé ( environ 7100 m ) est appelé Zongophu Kang par les autochtones. Sur les anciennes cartes que j' avais établies, j' avais appelé toute la chaîne ( longue de près de 15 km ) Table Mountains. L' arête supérieure, plate, inclinée légèrement vers le nord, est formée de couches sédimentaires partiellement fossilifères de la série du Tibet et recouvre des couches de granite leucocrate, de marbre et de gneiss granitique. Il y a souvent des avalanches de glace sur les pentes supérieures, extrêmement raides, qui viennent nourrir les glaciers situés au pied de la paroi. Ceux-ci fondent rapidement, s' écoulent en direction de la langue glaciaire et forment fréquemment des lacs glaciaires, qui peuvent provoquer, là-aussi, des inondations terribles. Seuls les sommets orientaux sont accessibles de Lunana par les grands glaciers qui descendent à l' ouest du Gonto La. Il serait néanmoins plus facile d' escalader ces sommets à partir du Tibet.

5. Massif de Kankarpunzum. Celui-ci s' étend à l' est de Lunana et commence au sud du Gonto La avec le superbe Chumhari Kang, ( env.

6600 m ), qui délimite le Lunana à l' est. L' arête frontalière passe par le Gonto La, depuis les Table Mountains, en direction du sud. A l' est, le massif de Kankarpunzum est délimité par le Monlakarchung La ( un col glaciaire de 5300 m ) passage autrefois important vers le Tibet. Le Kankarpunzum, montagne des Trois Frères spirituels, ainsi nommé parce qu' il symbolise la bonne entente entre les Tibétains, les Bhoutanais et les Monpa indigènes, est, avec ses 7541 mètres, le sommet le plus élevé du Bhoutan. Comme nous l' avons déjà dit, le Kunla Kangri, situé à environ 20 kilomètres au nord-est, le dépasse de 13 mètres, mais se trouve déjà en territoire tibétain. Cependant, comme les altitudes ne sont pas déterminées avec certitude, on ne sait pas encore vraiment laquelle des deux montagnes est la plus élevée. Le Kankarpunzum est relié au Chumhari Kang par une arête glaciaire. Cette arête conduit au sommet nord du Kankarpunzum ( à environ 7300 m ), d' où une croupe de plusieurs kilomètres de long conduit au sommet principal dans la direction sud. La magnifique paroi ouest, couverte de glace, est faite de gneiss et d' in irrégulières de granite leucocrate. A l' est du sommet principal, à moins d' un kilomètre, s' élève un autre sommet, moins haut, mais plus raide. De là, l' arête continue jusqu' au sommet le plus oriental du massif, le Melunghi Kang ( env. 7000 m ) qui redescend à l' est en direction du Monlakarchung La. Les parois ouest et sud du Kankarpunzum font partie des montagnes les plus raides de tout l' Himalaya. Le contraste avec les faces nord en est d' autant plus saisissant. On y trouve des glaciers gigantesques qui s' écoulent sur des pentes douces vers le Tibet. Seules les arêtes sommitales se profilent à l' horizon. Une ascension de ces sommets ne semble guère possible que par le nord, à partir du Tibet. Mais il est peu probable qu' un tel projet devienne réalité à cause du flou de la ligne marquant la frontière entre les deux pays. Nous avons pu observer rapidement la face nord du Kankarpunzum lors d' une mission de reconnaissance dans les Table Mountains orientales, au-dessus du Gonto La, à environ 6000 mètres.

6. Massif du Chura Kang. Ce massif, situé à l' est du Monlakarchung La, forme aussi la frontière. Il se termine brusquement à l' ouest par le profond sillon creusé par le Kuru Chu, qui vient du Tibet. Ce massif doit son nom au Chura Kang ( 6500 m ) qui se dresse à quelques kilomètres seulement à l' est du Monlakarchung La. La chaîne elle-même est formée de plusieurs pointes relativement basses ( env. 6000 m ), qui ne portent pas de nom, et s' étendent sur une longueur de près de 30 kilomètres. Ce massif pratiquement inconnu est recouvert de glaciers, mais sa formation n' est pas unilatérale comme celle de Lunana ou du Kankarpunzum. De nouveau, les raisons sont d' ordre géologique. L' ensemble du massif se compose de jeunes granites leucocrates massifs, ce qui provoque un découpage irrégulier des sommets. On peut accéder à cette chaîne par le Monlakarchung La à l' ouest, ou par la région de Bumthang au sud-est, en passant par le Zakar La, qui s' élève à 4800 mètres. L' accès de Kuru Chu par Gelephu est extrêmement difficile, parce qu' il faut passer par des gorges sauvages et traverser une jungle très dense. Les sommets de l' est de la chaîne sont un peu plus faciles à atteindre que le Chura Kang lui-même. De Gelephu, à l' est, le Bomba La conduit au Tibet; c' est l' itinéraire qu' il convient d' emprunter pour éviter les gorges infranchissables du Kuru Chu.

A l' est du sillon creusé par le Kuru Chu se dresse un sauvage massif de granite et de gneiss ( culminant à 6000 mètres ) et où se trouve le dzongde Sengge, lieu particulièrement vénéré. Ce monastère a été fondé par Padmasambhava, moine né d' un lotus et venu du Tibet. Cependant les gens du pays racontent qu' un grand phurbu ( un poignard de cérémonie ) aurait été trouvé dans les eaux d' un lac. C' est ce phurbu qui aurait présidé à la fondation du monastère au bord de ce lac très saint qui, comme d' autres étendues d' eau, joue un grand rôle dans la mythologie tibétaine et bhoutanaise. J' ai pu admirer le phurbu dans le trésor du monastère. A la place du lac, j' ai vu une plaine très curieuse, au milieu de montagnes très escarpées, où le fleuve étale ses méandres dans une forêt de drapeaux à prières. J' ai pu constater que ce bassin particulier était rempli de sédiments lacustres, ce qui confirme tout à fait la légende du lac. Au-dessus du dzong de Sengge, vers la frontière tibétaine, il y a aujourd'hui plusieurs lacs qui ont tous leur histoire. Les deux plus grands sont appelés lac-mère et lac-père. Depuis ces étendues d' eau on aperçoit, à l' est, le dernier massif du Bhoutan, le complexe glaciaire et isolé du Garula Kang.

7. Massif du Garula Kang. C' est encore un massif situé à la frontière et où le Koma Chu, un affluent du Kuru Chu et du Yangtse Chu, prend sa source; ces cours d' eau forment le L' extrémité orientale de la chaîne Chura Kang, comprenant des sommets anonymes entre six et sept mille mètres.

Le Garula Kang, le massif le plus oriental du Bhoutan. Il est pratiquement inconnu et couvert de forêts vierges qui s' élèvent au-delà de 4100 mètres d' altitude.

réseau fluvial extrême-oriental du Bhoutan. Le grandiose Garula Kang, couvert de glaciers, a une altitude d' environ 6500 mètres. Il est flanqué d' un sommet secondaire orienté vers le nord-ouest et aussi cuirassé de glace. Dans cette partie isolée du Bhoutan, le taux d' humi est un peu plus élevé qu' ailleurs, et la forêt vierge recouvre les pentes jusqu' à 4100 mètres, avant d' être relayée par une jungle de rhododendrons qui atteint presque la limite des glaciers. On peut accéder au Garula Kang par le sud en empruntant la vallée du Koma Chu ou celle du Yangtse Chu.

Conclusion Avec le massif du Garula Kang, totalement inconnu jusqu' à maintenant, nous sommes arrivés à l' extrémité orientale de cette magnifique chaîne de montagnes. Il est certain que tant de sommets encore inexplorés sont alléchants pour un alpiniste. Bon gré mal gré, le Bhoutan devra s' adapter à l' invasion inévitable des cordées modernes, même si, jusqu' à présent, les esprits des montagnes étaient seuls à régner sur ce territoire. On souhaite que l' ex de ce joyau naturel se fasse avec intelligence et discernement, ce qui épargnerait au Bhoutan la vague déferlante des touristes qui a submergé ses voisins immédiats à l' ouest. Le roi Jigme Dorje Wangchuk, mort prématurément, avait défini les lignes directrices. Espérons qu' elles seront suivies par ses successeurs. C' est ainsi seulement que les Bhoutanais pourront sauvegarder leur richesse principale, à côté de leurs montagnes, la sérénité de l' âme.

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Traduit par Ursula Gaillard

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