Mattmark: les causes présumées de la chute catastrophique de 1965 | Club Alpin Suisse CAS
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Mattmark: les causes présumées de la chute catastrophique de 1965

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Andre Pont, guide, Sierre

Beaucoup d' encre coule depuis la publication du jugement. Les critiques fusent, plus ou moins sincères, plus ou moins fondees.

Quant à moi, ma conviction est faite depuis des années, et il me paraît aujourd'hui utile d' en faire part au public.

Mon propos est celui d' un profane, mais également d' un alpiniste qui a essayé de se faire une opinion simplement d' après son expérience et ses observations pratiques.

Quant aux croquis, ce sont des schémas rudimentaires, exécutés de mémoire et destinés à illustrer la théorie avancée. Ils n' ont aucune prétention sur le plan technique: échelle, pente, proportions, terminologie scientifique, etc. Si ma these a l' heur d' intéresser les techniciens, c' est à eux de nous fournir des données plus exactes, parce que mathematiques.

Le soir du 30 aoüt t 1965, je me suis pose les questions suivantes:

1. Comment se peut-il que les entreprises aient construit leurs baraquements sur un emplacement aussi dangereux?

2. Comment se peut-il que de nombreux ouvriers de la vallée de Saas, des connaisseurs de la montagne, s' y soient laisse prendre?

3. Comment se peut-il que moi-meme, guide de montagne, j' aie parcouru souvent cet endroit sans me rendre compte du danger? Car le guide, comme le conducteur d' une automobile, se fait une règle d' observer sa route le plus loin possible devant lui et autour de lui. A la fin d' une journée d' alpinisme, le client n' a aucune idée du nombre de problèmes qui se sont posés à l' esprit de son guide. Ainsi, un danger de chute de pierres ou de séracs n' échappe pas à l' attention du responsable de la caravane. Pourtant, lorsque je remontais le fond de la vallée pour gagner la région de Mattmark, j' ai toujours admiré là-haut le glacier de l' Allalin sans etre efneure par la pensée qu' une chute de séracs eüt pu nous ensevelir d' un moment ä l' autre.

Comment se peut-il?

Petit à petit, je me suis forgé une hypothèse qui pourrait bien etre la réponse à la troisième de mes questions et, du meme coup, aux deux premières; car je ne saurais reprocher à d' autres gens une imprévoyance dont je me serais moi-meme rendu coupable à plusieurs reprises.

L' avalanche de neige grossit généralement dans sa course, car de la neige supplémentaire s' a sans cesse à la masse ébranlée à l' origine. Il en va de meme pour une chute de séracs qui se déverse sur un glacier enneigé. En revanche, si les blocs de glace rebondissent sur un terrain dur, ils s' emiettent et finissent bientöt leur course, éparpillés dans les anfractuosités et sur les terrasses.

Dans le cas qui nous préoccupe, la masse de glace detachee était énorme, incomparablement plus volumineuse que celles qui s' effondrent ordinairement sur les glaciers des Alpes. Une masse d' un volume inconnu de mémoire d' homme pro- I25 bablement. C' est pourquoi la coulée est parvenue jusqu' au fond de la vallée, les aspérités du terrain n' ayant pu en contenir qu' une petite partie. Ici, il faut encore tenir compte de l' extreme vitesse due au poids de la matiere.

Pourquoi cette masse énorme s' est précipitée d' un seul coup sur les malheureux ouvriers? Pourquoi bestelle pas tombée petit à petit, selon les lois connues de la mécanique des glaciers et des chutes de seracs?

Sans me rendre sur les lieux, me basant sur mon experience d' alpiniste, j' ai pense ceci:

L' extremite inférieure du glacier devait reposer sur un appui rocheux ( lateral ou de fond ) qui la retenait, depuis fort longtemps peut-etre. Etant donne la poussée constante du glacier toujours en mouvement vers l' aval, les séracs apparus sur ce point d' appui se détachaient Tun après l' autre pour se fracasser aussitot, tout en bas, sans mettre en danger le chantier.

Mais le jour arriva où cet appui fit défaut par suite du recul de la langue glaciaire, recul excessif par rapport à la poussée normale du glacier vers l' aval. Alors s' est mise en mouvement toute la masse comprise entre l' appui mentionné ci-dessus et un autre barrage rocheux situé plus en amont.

Apres la catastrophe, diverses opinions furent emises:

On a parle des secousses provoquées par les frequents « minages » de rochers sur le chantier de Mattmark. A mon avis, ce facteur aurait tout au plus pu häter la catastrophe.

Que dire des critiques qui ont exprimé les termes de « glacier suspendu » sinon qu' ils ne connaissaient guère la région? Il suffit de consulter la carte pour constater que le glacier de l' Alla n' est pas un glacier suspendu: sa partie visible du fond de la vallée n' est rien par rapport à l' immense cirque glaciaire descendant de sommets de plus de quatre mille metres.

Certains ont prétendu que les abondantes couches de neige récemment accumulées sur les glaciers supérieurs avaient contribue à accentuer la pression vers l' aval. C' est impossible. Le pöids de la neige d' une année ne peut avoir aucune influence sur une masse teile que le glacier de l' Allalin. Pas plus, d' ailleurs, que le poids des éventuelles poches d' eau engendrées par les pluies de l' été 1965 et dont on a beaucoup parle.

II est vrai que, au cours d' un été pluvieux, la langue inférieure du glacier recule davantage que lors d' un été normalement ensoleillé. qu' il pleut, en effet, la glace fond jour et nuit, alors que par beau temps, elle fond seulement pendant les heures ensoleillées. A moins qu' il ne fasse excessivement chaud et qu' il ne gèle pas la nuit, meme aux plus hautes altitudes.

Je ne puis citer tout ce qui a été publié au sujet des causes physiques de la catastrophe de Mattmark. Les autorités, la presse, le public se perdaient en conjeetures.

Pour ma part, je suis reste fidèle à ma première supposition.

Un dimanche d' octobre 1966, afin d' en avoir le cceur net, j' ai tenu à me rendre sur les lieux, c' est au point de rupture de la langue glaciaire. Cette visite m' a définitivement con-vaineu.

A l' altitude de 2800 mètres environ, la déclivité du glacier de l' Allalin s' accentue brusquement. Dans cette dernière pente, la glace, craquelée par le changement de dénivellation ( séracs ), ne s' ecoule pas au fond d' un lit proprement dit, mais sur une paroi rocheuse coupée transversalement par quelques gradins à peu près parallèles: espèces de banquettes formées de couches superposées de roches inégalement résistantes ä l' usure.

Sans ces gradins qui freinaient la coulee, il n' y aurait probablement - et depuis assez longtemps - plus de glacier sur cette pente rocheuse. La glace tomberait par morceaux de dimensions ordinaires, au für et à mesure de la sortie du grand plateau superieur.

C' est donc Tun de ces gradins qui formait le point d' appui cite plus haut.

Quand le flux de glace n' a plus été en mesure de compenser la fonte, un espace libre est appa- ru entre la plate-forme et Pextremite de la langue glaciaire.

JV' e alors plus retenue par la plate-forme inférieure, la glace se rompit au niveau de la plate-forme supérieure. Son poids énorme lui permit d' acquérir une certaine vitesse en glissant sur l' espace vide et de franchir facilement son ancien appui.

II a suffi de quelques mètres de décalage à la base, ou meme moins!

Si paradoxal que cela puisse paraitre, il s' agit en définitive d' un effet du recul du glacier, plutöt que d' une recrudescence de la poussee.

Pourtant, les statistiques mentionnent le glacier de l' Allalin comme l' un des rares qui n' accusent pas un regulier reeul, annee apres annee. Certaines mensurations ont meme enregistre des avances de plus de dix metres. Cela se comprend fort bien si l'on pense que cet immense glacier se termine par une pente sur laquelle se produisent de regulieres chutes de seracs: lorsque le contröle intervient peu de temps avant une chute, on notera une legere avance du glacier; mais lors de la prochaine rupture, ce sera un important et subit reeul. Si l'on considere la moyenne d' un grand nombre d' annees, le reeul de ce glacier se revelera normal ( par exemple, une avance d' une dizaine de metres de 1962 ä 1963 apres quelques annees stationnaires, puis un reeul de plus de cent metres le 30 aoüt Mises ä part les Saisons exceptionnellement chaudes ou pluvieuses citees plus haut, le glacier de l' AUalin dont la limite inferieure se situe ä une altitude relativement elevee, recule par suite de la chute des seracs plus que par la fönte sur place. II est donc normal que la base du glacier s' appuie pendant plusieurs annees contre une meme barriere rocheuse, deversant le trop-plein sous forme de seracs. II est aussi normal que la glace trouvant parfois un passage ä cöte de cette barriere s' ecoule paisiblement vers l' a pendant un certain temps. D' oü les avances momentanees de la langue inferieure du glacier.

Les conditions meteorologiques qui ont precedela catastrophe ontinterrompules avances momentanées de la langue inférieure du glacier.

Les conditions météorologiques qui ont précédé la catastrophe ont interrompu ce mécanisme en intensifiant la fönte.

Ce fut donc la stupéfiante surprise.

Peut-etre la menace couvait-elle depuis quelque temps déjà, mais je pense que, à vues humaines, il était pratiquement impossible de s' en apercevoir sans etre alerte. Les chutes de séracs, périodiques et d' importante moyenne, n' étaient pas de nature à attirer l' attention sur un état de fait aussi extraordinaire.

Voilä mon opinion, hypothèse que je me permettrai de considérer comme la plus vraisemblable jusqu' à preuve du contraire.

Si, par la suite, les constatations d' experts venaient confondre mon propos, je m' inclinerais volontiers pour laisser, comme il se doit, la plume ou la parole aux hommes de science. Ce qui importe, en somme, c' est que le public soit bien renseigne '.

Seracs / Poussee du glacier Coupe schematique representant la chute de seracs qui se produit dans les conditions les plus courantes. La masse de glace, comme l' eau d' un fleuve, est constamment en mouvement vers l' aval; mouvement tres lent, imperceptible, trahi seulement par de sourds et tres rares craquements, et dont la vitesse depend surtout du volume de la matiere et de la declivite de son lit. Cette force et le relief du terrain, conjugues, provoquent des cassures ( crevasses ). Lorsque les cassures se produiscnt au-dessus des precipices, il se forme des blocs de glace ( seracs ) dont la perte de l' equilibre et la chute dans le vide dependent de la poussee du glacier et de la temperature du moment.

La langue inferieure du glacier de VAllalin pendant un certain nombre d' annees, avant 1965.

En 1965 avant la soire' e du 30 aoüt. Cette Situation au point C n' a peut-etre dure que quelques jours, ou meme quelques heures seulement.

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