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Montagnes d'Australie

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

PAR ANDRÉ BAERTSCHI, GENÈVE

Les montagnes d' Australie s' étendent sur toute la côte est du continent. Dans l' ensemble, elles culminent à une altitude variant entre 300 et 600 mètres. Cependant, une chaîne appelée chaîne principale est sensiblement plus élevée: située à mi-chemin environ entre Sydney et Melbourne, elle s' étend sur une longueur de 35 kilomètres et sur une largeur de 8 kilomètres I. Son point culminant, le Mont Kosciuszko, domine avec ses 2225 mètres d' altitude le Mont Townsend ( 2205 m ) et le Mont Twynam ( 2200 m ). Un assez grand nombre d' autres sommets dépassent 2000 mètres. Cette chaîne fait géologiquement partie du Plateau Kosciuszko, et elle est presque entièrement granitique. En raison de son altitude, la région est recouverte de neige durant une grande partie de l' année, ce qui entretient une végétation unique, alors que, à plus de deux mille mètres, on ne rencontre que très rarement des arbres, d' ailleurs généralement rabougris et dépourvus de feuilles. Aussitôt que la neige a fondu et que les pluies chaudes du printemps ont cessé, des milliers de fleurs sauvages apparaissent en même temps que les beaux jours.

Première conquête La première ascension connue du Mont Kosciuszko a été effectuée en février 1840 par le comte polonais P E Strzelecki qui baptisa la montagne du nom de son célèbre compatriote2. Il est probable que le Kosciuszko a été gravi auparavant par des nomades qui avaient l' habitude d' aller faire paître leurs troupeaux dans la contrée et qui savaient y trouver un peu de fraîcheur aux jours de grande chaleur de l' été. Par la suite, un nombre impressionnant d' explorateurs et de personnalités gravirent la montagne jusqu' en 1909, année qui vit le président de la Nouvelle-Galles du Sud ouvrir officiellement la route conduisant au sommet.

En skiant Les montagnes d' Australie ont un relief qui se prête admirablement bien à la pratique du ski. Leurs pentes, régulières, sont exemptes d' avalanches; pratiquement dépourvues d' arbres, elles offrent aux « mordus » du ski un terrain idéal. Les sculptures des corniches faites par le vent, qui souffle avec puissance certains jours, donnent à la neige l' aspect d' un paysage lunaire. A basse altitude, les eucalyptus au feuillage dense et en forme de grandes boules rondes sont des taches de couleur au milieu de ce paysage.

Un peu d' histoire sur le ski Le ski est pratiqué depuis longtemps dans le pays. C' est vers 1860 qu' un mineur norvégien, parent du célèbre explorateur Amundsen, s' installe avec quelques courageux Tyroliens à Kiandra, au pied de la chaîne principale. Ils y introduisent le ski, d' abord comme moyen utilitaire, puis comme prétexte à des compétitions. Ils organisèrent des concours et fondèrent un club ( le plus vieux ski-club du monde ). C' est dans cette région que le ski devint un sport. La ville était alors habitée par 10 000 âmes environ, pour la plupart des chercheurs d' or. Il y avait un quartier réservé à de sobres et 1 II s' agit des Snowy Mountains qui portent des névés permanents.

2 Thadéo Kosciuszko ( 1746-1817 ), général, commandant des troupes polonaises dans la guerre d' indépendance contre la Russie et la Prusse en 1794. Dès 1815, il s' établit à Soleure où il s' occupa d' oeuvres philantropiques.

actifs chinois, qui cherchaient aussi fortune. Pendant la saison d' hiver, le ravitaillement de la ville ne pouvant plus être assuré par les chevaux, les Chinois chaussèrent, eux aussi, les planches et, pour 20 francs suisses environ par semaine et par personne, se chargèrent de l' approvisionnement. Ils portaient des charges variant de 30 à 70 kg, sur 25 kilomètres. Leur réputation de porteurs skieurs grandit si rapidement qu' on les appela les « chameaux de Kiandra ». Les concours annuels entre ces hommes, très entraînés par leur profession, étaient fort disputés et attirèrent rapidement de nombreux spectateurs. Les autorités des capitales ne craignaient pas de se déplacer dans la neige et le froid pour y assister. Aujourd'hui, alors que les habitants de Kiandra sont aussi rares que les pépites oubliées, la course annuelle a bien perdu de son intérêt, et cela malgré la participation active des membres du club résidant à Sydney. La région n' offre pas de pentes suffisamment longues et inclinées pour la compétition moderne.

Première conquête hivernale Une quinzaine d' hommes, poussés par l' aspect sensationnel de l' expédition, décident de gravir, en hiver, le plus haut sommet de l' Australie. Charles Kerry et quatorze cavaliers ( avec, en outre, cinq chevaux bâtés ) partent à l' assaut, mais laissent leurs montures sous la garde de deux volontaires, dès que la neige devient trop épaisse. A l' aube, treize hommes quittent le bivouac, avec la volonté de vaincre. Ils chaussent les skis ( pour la plupart pour la première fois ) et marchent lentement, en se relayant constamment en tête de la colonne, car la neige est profonde. Mais déjà le soleil darde ses rayons sur la petite troupe et la soif se fait cruellement sentir, d' autant plus qu' ils n' ont rien à boire. La neige n' étant pas propre à la réhydratation, chacun avant le départ, s' était promis de n' en pas toucher.

- Mais, s' écrie l' un d' entre eux, si la neige n' étanche pas la soif, en y additionnant du whisky à part égale, peut-être...

Un arrêt est aussitôt décidé et chacun sort sa bouteille de son sac. Enfin repartis, douze ascensionnistes atteignent le sommet le 19 août 1897, le treizième s' étant arrêté au-dessous, par superstition. L' expédition aller et retour dura une semaine.

Développement du tourisme Après un long temps mort, le ski reprit de l' essor et se développa rapidement en Australie. C' est une affaire commerciale aussi bien qu' un sport. Ces dernières années, quelques opulentes compagnies financières ont aménagé les montagnes en stations et villages d' hiver. Elles ont organisé les transports de manière à y conduire la population des grandes cités. La saison de ski commence au début de juin pour finir la mi-octobre, et les stations les plus importantes sont groupées autour de la chaîne principale. Elles ont une altitude variant entre 1500 et 2000 mètres et sont, pour la plupart, situées dans le Parc national du Mont Kosciuszko, le plus grand d' Australie ( il s' étend sur plus de 160 km ). Les régions skiables comprennent une superficie plus grande que la Suisse entière, et les pentes, assez variées, offrent de quoi satisfaire chacun, du débutant au skieur chevronné. Des instructeurs de première classe, venus d' Europe pour la saison, enseignent les méthodes modernes du ski, et les hôtels, les chalets de ski-clubs augmentent chaque année. Les télésièges et monte-pentes facilitent l' accès aux départs des pistes. Mais aux jours d' affluence, il est bon d' être débrouillard, si l'on veut éviter de faire la queue.

Un excellent service de location permet au touriste de venir sans matériel: on peut, en effet, tout louer. Le ski, bien que populaire, n' est pas à la portée de chacun et les stations sont éloignées des centres ( 500 km environ ). Quant aux transports, ils sont onéreux: le billet de chemin de fer coûte 125 fr. par couchette en deuxième classe et le train met dix heures pour atteindre les champs de neige. L' avion est plus pratique et le voyage ne coûte que 130 fr. Cependant, le poids limite des bagages est vite atteint par un skieur et les surcharges sont élevées. Toutefois, durant la saison, des compagnies de car organisent des week-ends épuisants pour 150 fr. hôtel compris. Le départ de Sydney est fixé au vendredi soir, on atteint la station le samedi matin, et le retour s' effectue le dimanche. Le lundi matin à l' aube, les skieurs, dans un état de fraîcheur relative, regagnent domicile et lieu de travail.

Les Australiens se font un point d' honneur de posséder le plus long télésiège du monde qui s' étire sur 6 kilomètres. Il sert à transporter les touristes jusqu' à un hôtel qui se dresse au-delà d' une montagne. Autre particularité: ses moteurs sont placés au sommet de la montagne. C' est ce télésiège qui détient aussi, sans conteste, le record du monde des pannes: il a fonctionné sept fois l' année où j' ai séjourné en Australie.

Thredbo est la station qui ressemble le plus à celles de Suisse. C' est là qu' on trouve les plus belles pistes d' Australie. Elles sont assez raides et relativement longues. L' une d' entre elles est d' ailleurs reconnue par la FIS pour les concours internationaux ( c' est la seule du pays !). Il y a quelques années, l' équipe de France a été invitée pour les championnats d' Australie. Autant les hommes que les femmes ont remporté toutes les places d' honneur. Une course professionnelle est organisée chaque année et les prix en espèces sont alléchants1.

Au sud de la chaîne, les montagnes du Victoria n' ont pas une grande réputation et, pratiquement, pas d' histoire. Cependant, elles offrent une belle variété de pentes de ski, et elles ont l' avantage de n' être situées qu' à une centaine de kilomètres de Melbourne. Le Mont Buffalo a été la première station ouverte aux skieurs. L' élite néanmoins préfère les pentes plus raides et plus sportives et se dirige vers Falls Creek, où chacun peut se laisser griser par les joies de la vitesse. C' est la seule station d' une vallée pourtant pleine de possibilités. C' est là qu' à été inauguré, le 21 juillet 1957, le premier télésiège d' Australie.

Les montagnes au service de l' homme L' Australie est le continent le plus sec du monde.

La plus grande quantité d' eau vient des montagnes qui sont recouvertes de neige quatre à cinq mois par an. Un ensemble de rivières y prend source. Deux d' entre elles se dirigent vers l' ouest et se rejoignent peu avant Mildura. Continuant son cours, le fleuve qu' elles forment ainsi ( le Murray ) se jette dans l' océan à 70 kilomètres environ d' Adélaïde. Après avoir quitté les montagnes, les rivières traversent des centaines de kilomètres de terres desséchées, mais par ailleurs très fertiles. Une autre rivière, the Snowy River, prend cours en direction opposée, puis bifurque pour couler vers le sud et se jeter dans la Mer de Tasmanie. C' est après une catastrophique sécheresse que, à la demande des paysans, on a eu l' idée de détourner l' inutile cours de la Snowy River, irriguant ainsi les immenses plaines de l' est. Après de longues études, auxquelles des techniciens et des ingénieurs du monde entier prirent part, les travaux purent débuter en 1949.

Le projet ( un des plus grands du monde ) comprend sur une surface de 4500 kilomètres carrés de montagnes: neuf très grands barrages et une quantité d' autres plus petits, environ 160 kilomètres de tunnels et 140 kilomètres d' aqueducs haut placés le long de la chaîne principale, des travaux d' art permettant de capter les torrents et de les diriger sur les tunnels et les réservoirs. La production 1 A Thredbo, un télésiège double débite plus de 2000 personnes à l' heure. A titre de renseignement, une semaine de vacances coûte ( souper et couche en dortoir ) 180 fr.; pour une chambre et demi-pension, il faut payer environ 400 fr.

électrique annuelle sera de plus de 5000 millions de kilowatts, qui rapporteront quelque 250 millions de francs suisses. Deux milliards et demi de mètres cubes d' eau seront dirigés, selon les besoins, vers les canaux d' irrigation des grandes plaines desséchées, augmentant leur production annuelle de 300 millions de francs suisses. Les capitaux nécessaires à la réalisation du projet sont de 4 milliards de livres australiennes. Les capitaux investis, ainsi que les intérêts, seront remboursés en soixante-dix ans, uniquement par la vente de l' électricité dont, par ailleurs, le prix de revient aura diminué de moitié environ.

L' exécution de ce projet souleva, au début, d' énormes problèmes. Le matériel et le personnel étaient insuffisants, les cartes de la région pratiquement inexistantes. Les ingénieurs ne possédaient que de maigres informations sur le débit des rivières et sur la formation géologique du sol. Les autorités firent d' abord venir plus de six cents ouvriers spécialisés, presque tous d' origine allemande, puis d' autres ouvriers, emigrants pour la plupart, sélectionnés dès leur arrivée et dirigés sur les chantiers. C' est ainsi qu' on trouve une d' œuvre très cosmopolite: plus de trente nationalités différentes. Il a fallu ouvrir des classes de langues afin de faciliter les rapports. La construction de pistes fut immédiatement entreprise, pour que les hydrologues et les géologues puissent commencer leurs études. Les pistes devinrent des chemins, où seules les voitures tout terrain pouvaient circuler. Actuellement il y a plus de 1000 kilomètres de routes servant au transport du matériel. D' immenses camion les sillonnent véhiculant des pièces atteignant quelquefois un poids de 120 tonnes. Deux cents kilomètres d' autoroute ont été aménagés pour que la d' œuvre et le ravitaillement parviennent plus vite des grands centres. L' hiver, d' énormes fraiseuses circulent jour et nuit pour enlever la neige encombrant les routes, tandis que l' aviation est également utilisée pour le ravitaillement et le déplacement rapide du personnel. Un grand nombre d' avions appartenant à la compagnie croisent dans le ciel, atterrissent sur les multiples aéroports ou larguent leurs charges dans les camps de montagne.

Depuis le début des travaux, des hydrologues très entraînés parcourent journellement les montagnes à pied ou à ski, et contrôlent quelque 120 stations de jaugeage, 50 mesures à neige, 24 stations météorologiques et les débits de 2500 torrents. Les relevés sont envoyés au centre d' étude, où des machines électroniques les mettent sur un planning toujours tenu à jour. L' inondation des plaines posa bien des problèmes et des discussions. Les villages ensevelis furent reconstruits, mais il s' avéra difficile de contenter tout le monde. De petites villes modernes, aux constructions pratiques et coquettes, remplacent les vieux murs et bidonvilles du passé. L' hôtellerie se développe sur les bords des lacs; la pêche à la truite et les bains d' eau douce commencent à être appréciés durant l' été, dans l' air frais de la montagne.

Un grimpeur perdu dans les montagnes de la chaîne principale d' Australie trouve tout de même de quoi satisfaire son esprit d' aventure. Les promenades à ski sont d' une rare beauté dans les montagnes désertes où ne fonctionne aucun moyen de remontée mécanique. En été, les balades sur les sentiers ou la pêche à la truite dans les torrents de montagne permettent de passer d' agréables moments. On peut escalader de beaux blocs de granit, mais ils sont tellement moussus et compacts qu' ils n' offrent pas d' intérêt à qui veut s' exercer à la varappe.

Si vous séjournez un jour en Australie, ne manquez pas de parcourir ses montagnes. Elles vous changeront des Alpes, et le paysage sera certainement pour vous un merveilleux enchantement.

( GAO N " 94 )

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