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Noms de lieux alpins. Esquisse toponymique du Val d'Hérens

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Esquisse toponymique du Val d' Hérens.

Par Jules Guex.

Il n' est pas interdit de penser qu' un assez grand nombre d' alpinistes se privent inconsciemment de plusieurs des joies que la montagne pourrait leur donner. Dans leur ardeur trop exclusivement sportive, ils ne songent qu' à connaître tous les chemins possibles et impossibles qui conduisent à une cime. Récemment, tel d' entre eux n' hésitait pas à se livrer à la fantaisie que voici: par des voies commodes et confortables, il avait atteint le pied du piton final de la Pointe de X trente minutes de varappe facile le séparaient du sommet... Mais non! Il franchit l' arête où il se trouvait, descendit sur la face nord abrupte et glacée, pour l' escalader un peu plus loin, en six ou sept heures d' une taille ininterrompue, d' œuvre de son guide, bien entendu.

A ces alpinistes là, on peut préférer les aquarellistes amateurs ou les porteurs de filets à papillons, tout naïfs et tout ridicules qu' ils paraissent: leurs œuvres sont vaines, sans doute, mais on louera sans réserve leur modeste désir d' observer, de regarder, de comprendre peut-être. S' il vous est arrivé de parcourir une région alpine avec un géologue, un botaniste, un géographe ou un historien qui la connaissaient bien pour l' avoir étudiée, vous avez sûrement doublé, décuplé même les plaisirs que l' Alpe réserve à ses fidèles; aux haltes horaires, tout en devisant et en fumant une cigarette, vous avez compris mille choses: la forme de ces aiguilles ou de ces cols, la silhouette étrange de cette ancolie, l' emplacement choisi pour ces villages, l' origine d' une cérémonie bizarre. Et, l' ascension faite, la victoire remportée, le Grépon ou la Dent Blanche prisonniers dans votre âme, vous aurez, avec la joie de vous sentir intact, d' autres souvenirs indélébiles et précieux: la possession par l' intelligence de toute la montagne.

A ces objets d' observation, plantes, animaux, pierres ou vie sociale, il convient d' en ajouter un autre, quelque peu méconnu ou plutôt mal connu: les noms de lieux, donc les noms des rivières, des villages, des mayens, des pâturages et des montagnes 1 ). Aussi bien, d' instinct, l' alpiniste aime ces noms. Il lui arrive même de s' attaquer à un sommet dont le nom l' a charmé par ses sonorités âpres, sourdes ou caressantes: Buet ou Muveran, Salève ou Cervin, Ruitor ou Vélan, Dolent ou Charmoz. Et combien qui, séduits par la seule grâce d' un nom, ont choisi pour villégiature Arola, Bérisal, Evolène ou Zinal!

Essayez d' imaginer ce que serait une vallée alpestre où ni villages, ni torrents, ni sommets ne porteraient un nom. Vous oseriez à peine y pénétrer et vous vous empresseriez d' en sortir, tant les choses vous paraîtraient hostiles, sournoises, inquiétantes. Supposez encore ( ce qu' à Dieu ne plaise !) qu' à la suite d' une invasion soviétique, Hérémence vienne à s' appeler Trotzkyopol, ou enfin qu' une réforme à l' américaine remplace les noms de lieux par des numéros comme ceux des automobiles: le Monte Rosa deviendrait le CH — 1545 U 7... Tout cela nous démontre, per absurdum, combien les noms des lieux, comme ceux des personnes, sont chers aux cœurs humains, et les poètes seuls pourraient dire les images et les sentiments qu' ils font naître en nous. L' illustre Gaston Paris écrivait un jour:

« Quoi de plus précieux, de plus intéressant, je dirais volontiers de plus touchant que ces noms, qui reflètent peut-être la première impression que notre patrie, la terre où nous vivons et que nous aimons, avec ses formes sauvages ou gracieuses, ses saillies ou ses contours, ses aspects variés de couleur et de végétation, a faite sur les yeux et l' âme des hommes qui l' ont habitée, et qui s' y sont endormis avant nous, leurs descendants? » A notre manière, nous pouvons rendre un culte modeste à ces toponymes que nous aimons: il suffit de respecter scrupuleusement leur prononciation locale, en nous gardant bien de les prononcer à la française, quand il s' agit de noms valaisans, par exemple. Que Zaté devienne dans nos bouches Tsaté — Zinal, Tsenal — Zα, Tsa — Euseigne, Ogègne — Nax, Nâ, etc. N' avez pas remarqué que les guides, croyant bien f aire, se mettent à imiter leurs « voyageurs » citadins et disent, par exemple, la Forclâ, même la Forclaze, alors qu' à l' orthographe Forclaz convient une seule prononciation: Forde? Ne disent-ils pas Arolâ, alors que l' accent tonique, élément essentiel de tout mot, est sur la pénultième 1 ) et qu' il faut donc dire: Arole? Faisons tout pour arrêter la propagation de ces déformations déplorables et ridicules: c' est notre devoir d' alpinistes et de patriotes 2 ).

Il serait fort opportun aussi que l'on songeât à ces problèmes quand la nouvelle carte de la Suisse sera publiée; la question de l' échelle au 25, au 33 ou au 50 millième n' est pas la plus importante à nos yeux: celle de l' ortho des toponymes est capitale; aussi faut-il espérer que les linguistes auront leur mot à dire et pourront réparer les bévues commises dans le passé. Que les noms soient francisés, si l'on veut, mais avec discrétion, quand leur transcription phonétique sera impossible, mais c' est aller trop loin que de faire de Tsidjorenouve un Chésière neuve, car, si Chésière est peut-être vaudois, il n' est pas français, en ce sens qu' aucun Français, à moins d' être un linguiste, ne comprend la signification de ce vieux mot.

Les noms de lieux ont toujours originairement un sens précis, mais, bien souvent, le lieu a perdu les particularités primitives qui lui ont valu sa désignation. Ainsi, à Vernayaz, les vernes ( aulnes ) sont rares aujourd'hui, et, à Martigny, rien ne rappelle le Martinius qui lui donna son nom. La tâche du toponymiste consiste à retrouver cette valeur originaire, tâche aussi pleine d' at que d' embûches. En conséquence, le lecteur de ces lignes est instamment prié d' ajouter toujours: « Peut-être... Il n' est pas impossible que... » aux explications qu' il trouvera plus loin et qui ne sont, dans l' esprit de l' auteur, que des hypothèses suggérées avec mille réserves.

D' où proviennent ces difficultés? Chacun sait que les cartes du Valais, celles du Val d' Hérens en particulier, ont été établies par des Suisses alémaniques, mal préparés par la nature à transcrire logiquement des noms romands. Ce sont eux, je pense, qui ont transformé la Pierre âvoua ( pierre aiguë ) en Pierre-à-voir — les Zites aliènes en Les Italiennes — Au stand en Ostende — L' Essert en Le Cerf — Julemont en Jolimont — Bordelloz en Bord de l' eau — La Vare en L' Avare — La Lex en l' Allée — L' Ortier en Lourtier. Il est vrai que les cartographes de France ne se sont pas montrés plus clairvoyants, puisqu' ils ont fait de Les Teppes ( friches ) les Steppes — de Col de Mille aures ( mille vents ) col de Mylord — en Provence, de Baus besso ( escarpements jumeaux ) Bobèche — dans les Pyrénées enfin, d' Arête d' Estang Tort ( étang tordu ) Arête de Stentor1 ). Je conviens que les cartographes n' ont pas toujours une tâche facile. Un M. de Rochas raconte qu' en Dauphiné il demanda à plusieurs personnes le nom du petit plateau sur lequel il se trouvait. Un paysan lui répondit: Ochué. Un autre: Louchu. ( C' était Au seuil, transformé par l' habitude locale de chuinter et de supprimer les finales. ) L' instituteur du village voisin expliqua: « C' est Le Chut, ainsi nommé parce que l' endroit est solitaire... » Un capitaliste du lieu dit: Suez; le propriétaire, flairant un contrôleur de l' impôt, déclare qu' il fallait dire: Aux Suées, à cause de la peine que l'on avait à cultiver ce terrain pierreux 2 ).

Que de bévues qui rendent délicate la tâche du toponymiste! Et, par surcroît de malheur, dans notre Suisse romande, les chartes et documents d' archives antérieurs au 12e siècle sont fort rares. Or, des documents très anciens sont indispensables: les noms de lieux qui y figurent étant le trait d' union nécessaire entre les formes actuelles, très évoluées, et les formes primitives qui, seules, donnent la clé des mots à expliquer.

Avant d' étudier une région déterminée de nos Alpes, il peut être intéressant de rappeler quelques faits d' ordre général et relatifs aux noms des montagnes. Souvent, le nom actuel d' un grand massif ne fut à l' origine qu' un simple nom commun. Ainsi le mot gaulois ou ligure juris ( hauteur boisée, forêt de montagne ) est devenu le nom collectif d' une chaîne, le Jura, et d' une région, le Jorat. Un autre vocable, gaulois lui aussi, cebenna ( dos ) désignera tout un groupe orographique, les Cévennes. Le très vieux mot penn ( crête rocheuse ) donnera Alpes Pennines, l' Apennin. Enfin les Alpes, cette chaîne immense, doivent leur nom au radical ligure alp qui signifiait montagne élevée, pâturage de haute altitude, soit alpage. Remarquons que cette signification est encore en usage chez nous: l' Alpe de Lirec, l' Alpe de la Lex, etc.1 ), et on la retrouve dans ses très nombreux diminutifs et dérivés: Alpettes, Arpelle, Arpitetta, Arpille, Arpalles, Arpey, Arbaz, Arbey, Arbignon, Erpille; dans le verbe patois: enerpâ ( inalper ) et dans le nom de famille Delarpe ( de l' alpe ), devenu plus tard de l' Harpe et de la Harpe.

Signalons enfin que certaines métaphores sont d' un usage très répandu: les Serra ( scie, arête denteléeles Mail ( malleus = marteau ), exemple: le Mell de la Niva peut-être — les Som ( summus = sommet ), exemple: Sombayna — les Puy ( podiumles Sex, Six ( saxum = rocher ), etc. Ce sont là des désignations figurées toutes pareilles à nos modernes aiguilles, arêtes, becs, crêtes, dents, pics, têtes, tours, etc. Et l' allemand a fait de même avec ses horn, stock, spitze, etc.

Esquisse toponymique du Val d' Hérens.

Paradis des peintres, des alpinistes et des géologues, le Val d' Hérens n' est pas moins intéressant pour les toponymistes. A vrai dire, on n' en étudiera pas ici tous les noms, mais une centaine environ, qui figurent sur les feuilles 486 et 528 de l' Atlas Siegfried, et on ne pénétrera pas dans les vallées latérales d' Hérémence et de Vouasson. On ne parlera pas non plus de ceux dont l' étymologie paraît insoluble ou par trop facile. En cette région, comme en toute autre, les noms sont plus ou moins anciens; en eux, comme en des monuments, s' est inscrite l' histoire générale ou locale; en eux, les moins connues des populations ancestrales ont laissé leur souvenir.

Formations ligures.

Depuis quand notre pays est-il habité? Depuis 7000 ans, au dire de certains historiens. Mais, des langues parlées dans les premiers millénaires, nous ne savons rien. Quelque 1000 ans avant J.C., les vallées de nos montagnes, comme tout l' Ouest de l' Europe, étaient habitées par les Ligures: c' était l' âge du bronze. Nous ignorons tout de l' organisation sociale ou politique de ces populations, presque tout de leur langue; mais nous connaissons quelques noms de lieux ligures: en France: Narbonne, Toulouse, Tarascon, Vénose, etc.; chez nous: Alpes, Albula, Biasca, Lausanne, Genève ( apparenté à Gênes ), Léman et quelques autres. Le suffixe: — intze, entze, antze de nos noms de rivières serait d' origine ligure: Navizentze, Printze, Saleintze. Enfin, d' ingénieuses déductions ont permis à des historiens sérieux de donner les noms de certaines peuplades ou tribus ligures 2 ). Celles qui habitaient le Valais actuel se seraient appelées: Tylanges ( Haut-Valais ), Daliternes et Clahilques ( Valais central ), enfin Léméniques ( Bas-Valais ). Ce dernier nom dériverait, semble-t-il, de Léman, ligure lui aussi.

Pigno ( d' Arola ), peut-être du ligure penn, « tête, sommet »; ou du celtique penno, même sens; ou du latin pinna, « mur crénelé », d' où pignon; ou enfin, et probablement du latin pectinem, « peigne », en patois: pigno ( Bridel ).

Rhône. Sous des formes diverses, nom de plusieurs cours d' eau dans des régions habitées jadis par les Ligures ( Italie centrale, Corse, contrée de Cahors, vallée de la Moselle ). Forme primitive inconnue; latinisée en Rhodanus. Peut signifier « rivière au cours rapide ». N' a rien de commun avec le latin rodere « ronger », ni avec les Rhodiens, ni avec le celtique rhodan, « violent juge », mais vient peut-être d' une racine indo-européenne rot, « courir»1 ).

Formations celtiques.

Au VIe siècle avant notre ère, les Ligures voient arriver des peuplades belliqueuses, venues des plaines danubiennes, dit-on, qui les refoulent au sud-est de la France et au nord-ouest de l' Italie, dans la province génoise, la Ligurie moderne. Cet envahisseur puissant, ce sont les Celtes, qui s' établissent dans le nord de l' Italie, en Belgique, en Gaule, sur le Plateau suisse, où ils portent le nom d' Helvètes 2 ), dans le bassin du Léman, d' où ils remontent dans la vallée du Rhône, dans le Valais actuel. Les tribus qui en occupent la partie supérieure se nomment les Ubères; le centre, les Sédunes; le coude du Rhône, autour d' Octodure ( Martigny ), les Véragres; enfin Agaune et l' aval, les Nantuates. Intelligents, versatiles, indisciplinés, ils aimaient l' éloquence et l' esprit, les aventures et la guerre. Ont-ils pris part, avec leurs frères de la Cisalpine, à cette marche contre Rome qui devait aboutir, au IVe siècle avant J.C. à la prise de la capitale? J' imagine que de nombreux Sédunes, Véragres et Nantuates, soldats de fortune aux costumes bariolés, franchirent les cols pennins et se trouvaient dans les hordes de ces Gaesates, armés de longs javelots, qui massacrèrent les vieillards romains restés seuls dans leurs demeures.

Les toponymes celtiques sont abondants en Suisse romande: Oron, Doubs, Flendruz, Huémoz, Avenches, Vevey, Morat, Nyon, Yverdon, Brigue, Nant, dont Nantuates est un dérivé qui signifie « hommes de la vallée », tout comme le nom moderne: Valaisans ( du latin Vallenses ).

Dixence, prononcez Divintze. Pourrait représenter le celtique divo « déesse, d' où: fontaine sacrée, source, rivière » ( le Val des Dix, en 1239 Dies, = Val des « sources»inca ou entia, suffixe ligure de cours d' eau, donc « rivière des sources ». Mais, chose bizarre, Dixence est quasi inconnu des gens du pays ( ils disent: La Borgne d' Hérémence ) et pourrait être l' invention absurde et trompeuse d' un cartographe moderne, car on ne connaît aucune forme archaïque de ce nom.

Lannaz, prononcez: Lâne. Peut-être du celtique lano, « prairie, terrain plat ». Comparez Milan = Medio-lano, « milieu des plaines ». La carte de Lambien, 1682, écrit Planaz.

Lucel, prononcez: Loutzè; signifie sûrement « petit lac »; peut-être diminutif du celtique lucos « lac », ou, plus vraisemblablement, du latin lacum. Comparez les Laux, « lacs », du massif de Belledonne.

Sion, celtique Sedunum. Se est indéchiffrable. Les uns disent: « paix » ou « six » ou « siège » ou « beau »; d' autres supposent un nom d' homme inconnudunum, « colline fortifiée », comme dans Nyon = Noviodunum, « nouvelle forteresse » ou « forteresse de Novios »; dans Yverdon = Eburodunum, « forteresse d' Eburos ». Deux petites villes françaises ( Loire-inférieure et Meurthe-et-Moselle ) portent aussi le nom de Sion.

Za, prononcez Tsâ, forme régionale de chaux, celtique calmis, « haut plateau dénudé; le haut des pâturages »; dans le Haut-Valais, jusqu' au Gothard, germanisé en galm, galen, d' où Galenstock, qui aurait presque le même sens que Aiguille de la Zα.

Zalet et Zallion, diminutifs modernes de Zα.

Zannine, prononcez Tsarmène, du celtique latinisé calmina, « petit pâturage élevé où l' herbe est peu abondante ».

Formations latines et romanes.

Au milieu du Ier siècle avant l' ère chrétienne, l' Helvétie et le Valais passent sous la domination romaine, et les Celtes vont adopter peu à peu la langue des vainqueurs, le latin, dans sa forme dite populaire, tel qu' ils l' entendaient dans la bouche des soldats et des colons de Rome. Depuis cette époque, le fond de la langue parlée à Evolène n' a pas changé; c' est toujours du latin, mais combien transformé! La cause principale et toute naturelle des changements du latin devenu le patois d' Hérens, c' est sans doute l' accent et la prononciation des Celtes: on sait ce que devient le français dans la bouche d' un Bernois, ou l' anglais dans celle d' un Parisien. Ce dialecte régional conservera des mots ou des radicaux celtiques que nous retrouverons parfois dans les noms de lieux de formation latine. Le patois d' Hérens x ) est un dialecte franco-provençal, soit un intermédiaire entre les dialectes d' oïl ( France du nord ) et les dialectes d' oc ( midi de la France ). Mais la parenté de ce patois très archaïque est plus grande avec le provençal qu' avec le français; de là peut-être cette affirmation erronée que j' ai souvent entendue: « Les gens d' Evolène parlent une sorte d' italien. » Ce qu' il faut dire, c' est la grande ressemblance du patois d' Hérens et de celui de la vallée d' Aoste, de Valpelline en particulier, qui est, lui aussi, du franco-provençal et non un patois italien.

Les noms que nous examinerons ci-dessous ne remontent pas tous, cela va de soi, à l' époque de la conquête romaine, mais leurs racines sont latines, aussi nous n' en ferons qu' un seul groupe.

Biegnette. Peut-être diminutif du patois biegnyo, « glacier ». Le patois vaudois dit bougno. J' écarte l' étymologie bis annum, « neige qui a plus de deux ans ».

Bréonna. Il y a des Briona en Italiepourrait venir d' un nom de personne, ou avoir la même origine incertaine que Bryon ( Leysin ) et Montbrion ( Blonay ), le celtique brica « mont ».

Borgne, en 1239 Borny. Très important, mais très difficile à expliquer comme la plupart des noms de rivières, souvent prélatins. J' hésite cependant à y voir le celtique Borvone ou Born, nom d' un dieu des eaux, qui a donné Bourbon, en France 1 ). La racine probable born est-elle celtique, latine ou germanique? Je ne sais, mais elle se trouve dans un grand nombre de noms de lieux, avec le sens de « trou, crevasse, lit d' un cours d' eau, source ». Le nom de Pra borgne, donné autrefois à Zermatt, probablement par les gens de Valtournanche, était peut-être la traduction en leur patois d' un lieu-dit de Zermatt: Lochmatte ( d' où le nom de famille: Lochmatter ), désignant les « prairies du fond », c'est-à-dire voisines du lit de la rivière. Borgne signifierait donc « le fond de la vallée » ou la rivière qui y coule. Un affluent de la Loire s' appelle Borne.

Chandulin ( Mayens ), sur la carte Zandulin, nom fréquent sous la forme Chandoline, Chandolin, Zandulet, en 1250 Escandulins. Selon les uns, de scandula, « tavillons », en français « échandole ». Selon M. E. Muret, d' un nom propre latin, le gentilice Scandilius + suffixe inus, « le domaine de Scandilius ».

Cotter ( alpage ), de costarla, dérivé de costa, « côte », alpe de la côte, ou plus probablement, à mon avis, de coieria ( dérivé de cota, « cabane » ), qui est devenu le français coterie; ce mot signifiait à l' origine: « un certain nombre de paysans unis ensemble pour tenir les terres d' un seigneur ». ( Le cotterd vaudois, le verbe cotterger auraient la même origine. ) A Evolène, on appelle cet alpage: le Cotter.

Coûta ( alpe ), de costa, « côte », en patois coûta.

Dolin ( mont ). Le patois dolen désigne à Evolène un « petit garçon » et a peut-être la même origine que le français dolent, latin dolentem, « qui se plaint, faible, misérable ».

Evolène. En 1250 Ewelina, de aquam lenem, « eau douce », dans le sens de: adoucissante, purgative.

Euseigne ou Useigne, prononcez Ogègne, en 1200 Usogni; ne peut venir de sognie, « redevance en avoine cultivée pour le seigneur », à cause de la place de l' accent tonique, avant le gn. On a proposé aussi Oscen(ia ), « oiseaux que consultaient les augures — corbeaux ». J' ai des doutes et ne conclus pas.

Farties, prononcez Fartiesse, mayens sur les Haudères. Latin sarcitas, « défrichements », d' où Sarties et les composés Essart, Essert. L' f initial est le résultat d' une permutation souvent observée en Valais, s = f.

Ferpècle, prononcez Frepécle. En 1280 Freytpiclo. En 1806 Murith écrit: Frepey. Du latin frigidum pasculum, « le froid petit pâturage ». En effet, tout voisin du glacier. ( Ne pas confondre avec Salay, en aval. ) Forclaz, prononcez Forde, latin furcula, « petite fourche; petit col »; diminutif de Furca, allemand Furge. ( Un linguiste américain y voyait l' arabe. Feruka, « la maison du vent » !) Haudères ( les ), prononcez Odère — en 1250 Oudeires. On a voulu y voir un hypothétique viduariae, « lieux vides, dévastés par un torrent », que l'on rapprochait de Ouides, à Barberine, et de Odéi, près de Trient. Je crois que viduariae, s' il existe, eût donné Veuvères ou Vovères. On pourrait aussi proposer un latin hypothétique Allesariae, par analogie avec Vallesaria, qui est devenu « vaudaire ». Faudrait-il y voir le radical germanique hald, dans le sens de « halte », suivi du suffixe latin ariaeMieux vaut ne pas conclure.

Jetty, prononcez Djette, de jacitum « gîte »; même origine que Giète, Zite, Agette, Agittes.

Lassiores ( mayens ) en 1280 Acces, peut-être le patois asse, « ruisseau ».

Manzettes = « petit manger », lieu où les vaches de Bricolla ne trouvent qu' une herbe peu nourrissante ( patois ). Un diminutif de manzo, « manche d' un outil », serait peu logique.

Maya, latin meta, « meule de foin », vieux-français: moie; romanche: maida; italien: medone. Nom fréquent de sommets en forme de meule.

Mourti = mortarium « mortier ». Alpe pleine d' éboulis.

Mota rotta = « fromage brisé » ( patois ).

Niva = « neige »; cependant, le patois dit plutôt: nek.

Nax, prononcez Nα. En 1100, Narres, mais en 1131 Nas. Peut-être: nasus, « nez, promontoire rocheux ». Narres, pour Nares, « narines », serait-il une traduction?

Pralovin = « pré du loup », en 1323 Prato Luvyn.

Preylet,pratell-ittum, double diminutif, « petitpré»,vieux-français: praelet.

Perroc = « pierreux ». G final parasite; apparaît au XIIIe siècle en Anniviers et Hérens. Comparez: venu = venouk; pays = pahik; soif = sek; doigt = dek; petit = pitik, etc.

Roese ( d' Arolla ), patois valdôtain; roese, « glacier ».

La Sage, prononcez La Châze; en 1211 la Sagi. Peut-être: salicem, « sauge, saule ». Mais il n' y a pas de saules? Laissons la légende offrir à la science embarrassée son concours généreux: « La peste désolait la vallée. Seule, une femme en fut préservée qui dut son salut à son extrême propreté et qu' on appela depuis „ La Sage ". » Voilà ce que m' écrit mon ami, M. Pierre Follonnier, instituteur aux Haudères.

Salay et Saulesses, peut-être de salices, « les saules ».

Salariila, prononcez Chat-ârmè ( mayen près d' Arolla ). Ecoutons une autre légende: « Un pâtre surveillait dans son étable une vache qui s' apprêtait à faire le veau. Il maugréait contre sa couche qui n' était pas confortable. Une voix se fit entendre du fond de l' écurie: „ Que serait-ce si tu étais à notre place: nous sommes sept âmes dans une sonnette de chèvre !" De là le nom de „ Sept âmes ", en patois Chat-ârmè. » P. Follonnier, in litt. La légende aurait-elle raison? Ame est le latin animam; vieux français: anme et almearma en patois d' Hérens.

Sasseneire, prononcez Chachaneire; saxa-nigra, « rochers noirs ».

Sapey ou Sapec = sapin.

Serraneirescie, arête noire ».

Trogne, en 1250 Trogny. Peut-être Trioniacus, « le domaine de Trionius ».

Veisivi, le patois vaisi, féminin vaisive ( dérivés de vacca, « vache » ) signifie « jeune bétail »; d' où: « alpage pour le jeune bétail »; comme les Veisevey, Vasevay, etc.

Vex, en 1200 Vies. Le vadus « gué », des nombreux Vez de France, ne peut expliquer Vies. Il n' y a du reste pas de gué. Peut-être vicus, « village », ou Viae, « les routes » ( bifurcation pour Hérens, Hérémence et les Mayens de Sion ).

Villa = « ferme, domaine, village ».

Vernamiège: vern, celtique hérité par le latin, et medio, « au milieu des vernes ».

Za de l' Ano. Les cartes anciennes portent Tsatalana, « châtelaine » en patois. L' explication: « Chaux de l' âne » me semble fausse.

Zatè, prononcez Tsatè, donc alpe du « château », propriété du châtelain ou même de l' évêque.

Zigiorenouve, prononcez Tsejyour de caseorium, dérivé de caseus, « fromage », et novum, « fromagerie neuve ».

Zinareffien, prononcez Tsena « chenal, c'est-à-dire couloirs, ravines »; et adjectif patois, reffien « tordu ».

Formations germaniques.

Une quatrième série de noms est due aux invasions des Barbares ou Germains ( commencement du Ve siècle après J.G. ). De ces peuples germaniques qui sont venus en masse du Nord et de l' Est, ce sont les Burgondes qui ont laissé le plus de noms chez nous. On sait que le royaume burgonde comprenait la Bourgogne, la Franche-Comté, le Lyonnais, le nord du Dauphiné, la Savoie et la Suisse romande, appelée longtemps Bourgogne transjurane. Les Germains se mêlèrent aux populations gallo-romaines déjà assez compactes, adoptèrent leur langue et ne la modifièrent pas dans son fond. Chaque chef burgonde reçut son lot dans le partage des terres, s' y établit avec sa famille et ses gens, et le nouvel établissement reçut un nom dérivé de celui du propriétaire. Ainsi naquirent de nombreux noms de villages et de hameaux, qui remplacèrent parfois, cela est vraisemblable, des noms celtiques ou latins. En Valais, les établissements de ce genre sont assez rares. Si le Haut-Valais est aujourd'hui germanisé, qu' on ne se figure pas qu' il l' ait été dès le VI " siècle: la germanisation n' y fut établie définitivement qu' après le XVIe siècle seulement.

Bricolla. Whymper écrit: Abricolla, par suite d' une confusion avec la forme ancienne: La Bricolla, qui pourrait dériver du verbe germanique brikan, d' où notre mot provincial: briquer = briser, et signifierait « éboulis, pâturage couvert de pierres brisées ». Le français bricolle signifie « piège à gibier » et plus tard « harnais, lanière, bretelle ». En somme, rien de satisfaisant, ni de certain.

Hérémence. En 1195 Aremeins. Peut-être d' un nom d' homme germanique Harmo + le suffixe ingis, « chez les descendants de Harmo ». En tout cas, rien de commun avec Hermès, ni avec l' adjectif grec eremos, « solitaire ».

Hérens, prononcez: Erin. On a proposé, sans autre raison que la forme allemande moderne Eringertal: Haro-ingis, « chez les descendants de Haro », ou de Aro, nom commun germanique, « aigle », employé comme nom propre d' homme. Il y faut voir plutôt un gentilice latin, Aeronius, et un suffixe enus, soit « le domaine d' Aeronius ». En 1100 Eroens.

Mage, mieux Mase. En 1100 Villa Magis, « ferme de Mago », nom d' homme germanique.

Suen, prononcez Suin. En 1052 Suanis; peut avoir la même origine que le nom du village vaudois Syens = Sigo-ingis, « chez les descendants de Sigo » ou peut-être « Cido ».

Formations religieuses.

Au début de la période féodale, ce qu' on peut appeler, en une formule commode, le facteur religieux, prit, on le sait, une importance considérable, et les toponymes monastiques ou chrétiens devaient apparaître. Le fait le plus fréquent c' est l' attribution à une localité du nom du saint, patron de l' église. Dans la plupart des cas, à un nom plus ancien se substitue la désignation nouvelle. En France, par exemple, Saint-Prix fait disparaître Turnus ( Seine-et-Oise ), et Liziniac ( Puy-de-Dôme ) s' efface devant Saint-Germain.

Saint-Barthélemy ( chapelles sur la route d' Arola et près d' Hérémence ). Apôtre choisi pour patron de nombreuses chapelles alpestres, parce que c' est le seul apôtre dont la fête tombe dans la saison d' alpage, 24 août. ( Jaccard. ) Saint-Christophe ( chapelle à la Sage ). St-Christoforus, « qui porte le Christ », évêque d' Antioche, mort vers 250. Fête le 25 juillet. Les belles fresques du peintre vaudois René Martin illustrent ingénieusement la légende bien connue de Saint-Christophe.

Saint-Martin ( village ). Evêque de Tours, un des patrons de la Gaule, mort en 396 ou 400; fête le 11 novembre. Le village de Saint-Martin a eu probablement un nom plus ancien, mais inconnu, peut-être Hérens, auquel se sera substitué le nom chrétien.

Saint-Sylve ( ancienne église de Vex ). Evêque de Toulouse, mort vers 400; fête le 31 mai.

Formations modernes.

A partir du XVIe siècle, les créations de toponymes sont peu fréquentes, cependant, les noms des sommets appartiennent en grand nombre à ce dernier groupe. Aiguilles Dorées, Aiguilles Rouges, Dent du Midi n' intéressent guère le toponymiste. Fort souvent, les noms d' un village ou d' un alpage voisin sont « montés » sur le sommet resté longtemps anonyme: Aiguille d' Argen, Dents de Mordes. Parfois aussi, les alpinistes ont procédé à des baptêmes où la vanité du vainqueur l' a emporté sur la logique et le bon goût. Pour ma part, j' ai toujours trouvé assez ridicules les Requin, les Caïman, les Crocodiles, les Aiguille de la République et les Pic Wilson, dont on a cru devoir embellir la chaîne du Mont Blanc. Seule, l' Aiguille du Fou me paraît une trouvaille heureuse, dans son laconisme symbolique.

Voici quelques échantillons du Val d' Hérens, sans intérêt étymologique, et qui s' expliquent d' eux:

La Tour, Rocs Rouges, Roc Noir, Mont de l' Etoile, L' Evêque, La Mitre de l' Evêque, Dents des Bouquetins, Tête Blanche, Pointe des Genevois, Mont Rouge, etc.

Dent Blanche. En 1682, dans la carte de Lambien, Wys Zänehorn. Le nom de Dent Blanche se trouve pour la première fois dans le « Journal de Lausanne » du 19 février 1791. ( Voir Dübi, Guide des Alpes valaisannes, IL p. 62. ) Mont Collon. En 1647 Mont Coupeline; en 1682, carte de Lambien, Mont Colombin; dès 1850, Collon.

Grand Cornier. La Corne de Sorebois s' appelait autrefois Le Cournier du Meidi ( carte Lambien, 1682 ). Ce nom a peut-être passé à un point plus élevé du même massif ( carte de Walser, 1768 ).

Mont Miné. Peut-être déformation ou altération d' un nom plus ancien que je ne connais pas. Cependant, à défaut d' une légende secourable, je hasarde une conjecture un peu... acrobatique. Le nom Moming, dans Blanc de Moming ( Rothorn de Zinal ) est terminé par un g anniviard et parasite, tout pareil au c de Lirec, Pinsec, qui a trompé Jaccard et lui a fait adopter l' explication: Mons Magnus, « Mont grand ». Momin(g ) équivaut à Mont Main = Mons medianus, « Mont qui est au milieu », c'est-à-dire entre les deux grandes vallées. ( Voir: Muret, Romania, 1908, p. 41. ) Je suppose donc, pour remplacer le moderne et absurde Mont Miné, une forme archaïque: le diminutif Mont Mainet, soit Monminet, « petit mont qui est au milieu » du glacier.

Le lecteur dira peut-être que j' ai abusé, plus qu' il n' est licite, de ces hypothèses qui valent... ce que valent les hypothèses. Puisse-t-il avoir pris goût à l' étude de nos beaux noms de lieux alpins, et, à la cabane, par les jours de neige et de vent, remplacer le jass par un peu de toponymie! Veuillent aussi les grands initiés à cette science mystérieuse et conjecturale relever toutes mes erreurs ou hérésies de linguistique! Leurs rectifications seront les bienvenues, mais elles ne m' empêcheront pas de récidiver.

Vevey, avril 1929.

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