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Paroi nord de la Pointe de Mourty

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Par le Dr Franx Altherr

Avec 1 illustration ( 143Obfelden ) Le touriste qui remonte le Val Moiry a devant les yeux la masse imposante des Pointes de Mourty. L' arête nord-est, en face de la cabane, s' enfonce dans le glacier comme une étrave; elle fut parcourue en entier en 1944 par une cordée conduite par Jean Martin-Henny ( voir Les Alpes, juin 1945 ). A droite, le flanc nord du sommet oriental, 3563 m ., est un beau glacier suspendu, tandis que du sommet ouest, 3529 m ., une abrupte paroi tombe sur le Glacier de Moiry. Cette paroi n' avait probablement jamais été parcourue. L' ascension en a été faite en juillet dernier par le guide Vital Vouardoux de Grimentz, avec le Dr Franz Altherr de la section Am Albis. Nous traduisons son récit, en renvoyant le lecteur à la photo parue dans le numéro de septembre.

Le 24 juillet 1954, par un temps magnifique, nous montons à la cabane de Moiry. Contrairement à ce qu' elle était l' an dernier ( voir photo ), notre paroi a cette fois un aspect plutôt décourageant; il a encore neigé en juillet, et nous constatons avec quelque appréhension de nombreuses taches blanches dans la sombre muraille du rocher. Le gardien Salamin nous accueille par ces mots: « Ah! vous venez pour cette affaire. » Au cours de l' après, nous étudions à la jumelle la paroi pour y reconnaître le meilleur cheminement. « Est-ce que vous voyez des touristes? » demande un des hôtes de la cabane. « On cherche des chamois », répond Vital en étouffant un rire.

Très tôt, nous nous glissons sous les couvertures... On éprouve un étrange sentiment à la veille d' une ascension dont on ne connaît pas les difficultés. Une aube splendide se lève. Après la messe célébrée par le curé de Sierre, nous partons. Les paroles sont rares; mais le moral est excellent. A 6 h. 30, nous franchissons la rimaye et attaquons la pente neigeuse en son milieu. La nouvelle neige nous est ici très favorable; presque pas de glace, et Vital ne taille que quelques marches à l' occasion. La pente se redresse peu à peu; quand je regarde en haut, il me semble que Vital est verticalement au-dessus de moi, et, par un effet de perspective, la paroi rocheuse paraît surplomber.

Le passage de la neige au rocher est scabreux: glace et roche désagrégée. Nous avançons maintenant avec les plus grandes précautions. Partout des blocs, grands ou petits, qui n' attendent que le moment de filer. De temps en temps, une pierre passe en sifflant par-dessus nos têtes: « Tu entends siffler les marmottes? » me crie Vital. Lentement, nous montons à l' à du sommet, une fois évitant un petit surplomb par la droite, pour revenir ensuite à gauche.Vital grimpe toujours à une longueur de corde au-dessus de moi; il va très lentement; moi non plus je n' ai pas grande confiance en les prises. C' est vraiment une ascension très lente, si l'on ne veut pas risquer les chutes de pierres.

Nous ne faisons qu' une seule halte dans la paroi. Sous nos pieds, la vue est impressionnante: ni l' un ni l' autre nous ne voudrions redescendre. Il serait, il est vrai, possible de traverser pour rejoindre l' une ou l' autre des arêtes faîtières de l' est ou de l' ouest; mais ces dalles verglacées et enneigées sont tout qu' engageantes; du reste, nous tenons à rester dans la paroi; donc, droit en haut. Peu à peu, le rocher devient plus solide; nous pouvons varapper carrément. De nouveau, une assez longue pause; j' entends Vital qui plante un piton. Ces attentes sont exténuantes, bien plus que de gravir un passage difficile. De la cabane nous parviennent de joyeuses huchées; sans doute suivent-ils nos progrès à la lunette. C' est comme si ces huchées nous communiquaient une énergie supplémentaire, et Vital se met tout à coup lui aussi à chanter. Bien que je n' aperçoive pas encore la couronne sommitale, j' ai l' impression que le but est proche. Je crie à Vital de monter le premier au sommet, et je grimpe rapidement les dernières longueurs de corde. Quelques mètres sous la corniche, Vital est là qui m' attend: il veut que nous arrivions ensemble. Il est 10 h. 40. Nous agitons nos bérets et lançons une « youtsée ». On nous répond de la cabane et les cimes environnantes nous renvoient l' écho.

Cette belle et impressionnante escalade ne présente pas de difficultés d' ordre purement technique; néanmoins la nature délitée de la roche exige les plus grandes précautions et un cheminement prudent. « C' est plus délicat que difficile », disait Vital, et il caractérisait exactement la course.

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