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Péclet-Polsct

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Photos t Pierre Baillod, Neuchâtel

Pointe de l' Echelle ( 34S7 m ), vue du refuge de Péclet-Polset Glacier de Chavière A l' aube du 6 juillet, pleins d' entrain, Ferrari et Lafranconi remontent les cent mètres déjà franchis la veille, et déploient toute leur énergie à vaincre les dernières dizaines de mètres qui les séparent du sommet Pour atteindre la partie du champignon qui forme la cime du Jirishanca, il faut affronter un glacier perfide et sans consistance, spongieux et soufflé en surface. Le piolet s' enfonce, le pied cède, perdant en quelque sorte tout point d' appui.

La fragile calotte glaciaire qui recouvre le sommet semble vouloir défendre l' inviolabilité de ce Nevado ( haut de 6126 mètres ). Tout à coup, Ferrari et Lafranconi, qui s' étaient portés de l' autre côté pour trouver un passage, disparaissent à mes yeux, pour réapparaître quelques instants plus tard, derrière la calotte. Ferrari, assuré de manière précaire par Lafranconi, réussit à émerger de la glace et se tenir debout sur le sommet. Ce dernier, très étroit, ne nous permet pas de nous y réunir tous à la fois; nous devrons nous contenter de le fouler un à un, et nous laisserons libre cours à notre joie à notre retour à la grotte.

A l' aube du jour suivant, le 7 juillet, la descente commence, longue et épuisante. Lafranconi et moi récupérons les cordes et les pitons, du moins ceux qui ne nous servent pas pour la descente. A quatorze heures, nous arrivons au camp d' attaque, on nous attendent Lanzetta et les porteurs. Avant de rejoindre le camp de base, nous fêtons la victoire autour d' une bouteille de « Cardinale », apportée jusqu' ici par Zucchi.

Adapté de l' italien par Ed. Bernard

Péclet - Polset

fPierre Baillod, Neuchâtel Ce nom n' est pas de chez nous, mais on le situer? Imaginez une grande carte de géographie, avec une infinité de sommets, entre Grenoble et Turin, le Mont Blanc et la Meije en Dauphiné. Le massif de Péclet-Polset en est le centre et, du haut de ses 3500 m, vous découvrez tout le pays. A vos pieds coulent de part et d' autre i o km de glaciers, celui de Gébroule vers le nord et celui de Chavière au sud. Mais par on accéder à ce belvédère situé en bordure du Parc national français?

Faites comme nous. Nous quittons Neuchâtel par un matin de septembre brumeux, mais déjà plein de promesses, comme ses coteaux qui virent au jaune, comme son lac si doux. Nous abordons le Léman; sur l' autoroute, le cœur et le moteur chantent à l' unisson. A Annecy, c' est la poésie d' un lac riant, dont la route suit les méandres et fait danser la voiture; mais le chemin est encore long; la montagne se dresse, tout de suite haute et abrupte, et dans le couloir de ses vallées étroites les usines fument: Ugines, Albertville, Moutiers; à Planay, le métal en fusion jaillit de la gueule des hauts-fourneaux, aveuglant, sous un jet d' étincel. On entre enfin dans le Parc national de la Vanoise. Sur la chaussée, un appel peint en blanc « SOS Vanoise » nous avertit que cette œuvre est en danger: on y projette de grands travaux. Pralognan, 1400 m ., station touristique au-delà de Courchevel, nous accueille, hors saison. On s' y installe pour manger, bien sûr, mais je passe sur les délices de la grillade, des courgettes à la provençale fleurant bon le romarin, et sur le vin âpre comme l' air des sommets. La Peugeot escalade encore 500 mètres parmi les cailloux d' un chemin étroit et tortueux puis le bourbier d' une grande route en construction, et les quatre portes de la voiture s' ouvrent enfin sur l' herbe tendre d' un alpage. Il est 16 heures. Le poteau indicateur annonce 2 h. % jusqu' à la cabane. Nous l' attei en 1 h. %, tant le besoin de bouger nous tenaille. Le refuge n' est pas beau, mais notre petit local d' hiver, perché au haut d' un long escalier, nous plaît d' emblée. On s' y sent plus trappeur que touriste motorisé. Et que de larmes on verse avant de découvrir pourquoi le fourneau enfume la chambre!

Les lits sont un tantinet défoncés, mais quand on a des projets plein la tête, ces choses-là importent peu.

Notre groupe de cinq clubistes est parfait; il compte trois organisateurs, un pour conduire, un pour payer et un pour critiquer, deux maîtres queux qui se surpassent, deux photographes et deux chefs de cordée.

Quatre heures et demie. Il faut déjà quitter la douceur des couchettes, sans faire la grimace puisque c' est pour son plaisir. Il fait jour quand nous partons dans l' herbe givrée; le Lac Blanc nous renvoie, inversée, l' image des sommets. L' un d' eux est fait d' une pierre aussi blanche que la craie; tout auprès, le col du Soufre est d' un jaune ocre; sur le glacier que nous abordons, les cristaux de neige scintillent au soleil; notre piste louvoie parmi les crevasses et vient buter contre le mur que couronne l' arête de Péclet. La roche est déjà chaude, et l'on chevauche de gros blocs jusqu' au faîte, tantôt rocheux, tantôt neigeux, en réglant l' allure sur le rythme de la « pompe » qui est mise à rude épreuve. Il faut aussi laisser au regard le temps de se repaître d' azur bleuté, de lointains limpides, de montagnes à l' infini, dont Philippe nous énumère les noms. Faute de pouvoir le démentir, on le croit. Pourtant le Viso, c' est bien celui-là, la Noire de Peuterey, quelle allure! Les Ecrins, Le Pelvoux, regarde... là, le Doigt de Dieu, à gauche du Pic Central, et ici, à nos pieds, la vallée de Modane. Plus près, l' Aiguille et le Dôme de Polset, qu' il nous faut encore traverser aujourd'hui avant d' entamer la descente. Une descente de plus de mille mètres, en neige profonde, en rocher, en longues glissades, en longs, longs éboulis. Journée splendide, sans rencontrer une âme, sinon la sienne propre, sans croiser une seule piste, si ce n' est celle d' un unique chamois, sans autre bruit que celui d' une chasse lointaine.

Le lundi est déjà jour de rentrée: la balade sera donc plus courte que la veille. On prévoit huit heures, on en mettra dix. Il faut d' abord qu' on s' engage dans une mauvaise cheminée, faite surtout de sable aggloméré par le gel et qui menace à tout moment de nous expulser, pour nous apercevoir, au bout d' une heure, que nous faisons fausse route. Il faut aussi que la Pointe de Labby, notre but si proche vers i o heures du matin, prenne tout à coup ses distances. Le premier plan nous cachait une arête et un vallon inattendus qui nous contraignent à une descente et à un jeu de cache-cache parmi une série de gendarmes mal tournés. Mais dès que nous prenons pied sur le glacier, patiemment, tout droit, assurant chaque pas, nous dessinons dans la neige une longue échelle de Jacob jusqu' au plateau supérieur. De là, sans les sacs, c' est un jeu d' escalader le sommet de 3520 m. La Dent Parrachée se dresse en face, immense et magnifiquement poudrée de pied en cap.

Comme dessert, reste la descente. Un long glacier fait pour le ski, au nom parfumé de génépi, nous offre les moelleuses ondulations d' une tombe, puis tout à coup un à-pic entre deux amoncellements de séracs, avec, dans le bas, la voûte gothique d' une splendide crevasse. Avec force précautions, nous nous faufilons au travers de cette souricière, puis par des névés, des roches arrondies, des pierriers, des gazons raides, toute la gamme des jouissances promises aux genoux délicats, nous atteignons le fond du vallon où la grenouille béate barbote au bord d' un ruisseau tranquille. De là, un sentier balisé nous ramène par les alpages déserts jusqu' à la voiture. Le soleil a déjà passé la crête, il est 17 heures, il n' y a plus qu' à rentrer. Confiants, nous remettons notre sort entre les mains de Philippe, pour refaire en sens inverse les 290 km de route. Tous les sens en éveil, la main sûre, il reprend le volant, passe sans hésiter les tournants en épingle à cheveux d' un chemin muletier et le bourbier qui précède Pralognan. Il esquisse bien un arrêt près d' une fontaine, mais il faut repartir aussitôt, car la voiture ne permettrait pas d' emporter avec nous le modzon que Maurice négocie déjà d' un air connaisseur. Au bord du lac d' Annecy, on a soif; à Genève, on a faim; à Echallens, on a sommeil, et c' est mardi quand, enfin, on peut se glisser dans sa baignoire. Chapeau bas au conducteur, car les autres têtes dodelinaient bien avant d' arriver à bon port.

Péclet-Polset, une région sauvage, un nom que le tourisme organisé va bientôt exalter et placarder sur les affiches aguichantes d' un complexe de trente-cinq mille lits.

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