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Pierres rongées et lavées

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Par C. Frachebourg

Avec 1 illustration ( 84 ) Nos belles routes goudronnées! Elles ne sont plus du tout pour le piéton. De celles qui ne le sont pas s' élève tant de poussière que le touriste se voit relégué dans les petits sentiers. Et encore par-ci par-là une bicyclette inopportune, si ce n' est une vespa. Le progrès technique, depuis longtemps, n' est pas parti à l' assaut des campagnes et des montagnes? Dans un rayon de 30 à 40 kilomètres tiré du lieu où l'on demeure, tous les sentiers sont assez vite connus pour peu que l'on désire sortir de chez soi. Ceci explique que depuis de nombreuses années, chaque fois qu' en chemin de fer je passai de Flamatt à Thörishaus, sur le viaduc dont les piles sont bien enchâssées dans la molasse, je me proposai de longer la Singine dans son lit, et le plus loin possible. Mais les ans passaient au gré des feuillets du calendrier, et le projet était toujours remis à l' année suivante.Vint le bel été de 1949 avec ses basses eaux dans les rivières. De meilleures circonstances ne pouvaient se présenter. Un beau dimanche matin, je me mis en marche. Le village de Thörishaus, point de départ, n' est pas situé dans le creux même de la rivière. Il est sur le versant droit des pentes qui descendent jusque vers le lit actuel de la Singine. C' est en amont de ce village pittoresque que je dirigeai mes pas. En aval, la rivière s' élargit et ne présente aucune curiosité. Elle traverse le plus naturellement du monde Flamatt et Neuenegg et va confondre, à Laupen, ses eaux avec celles de la Sarine... En amont de Thörishaus et jusqu' à Planfayon, la Singine s' est creusé dans la molasse, au cours des siècles, un lit large et profond. De hautes falaises lavées par la pluie et élimées par le vent s' élèvent par-ci par-là verticalement de chaque côté du fossé, dans lequel la Singine zigzague capricieusement au gré des orages dont l' eau déversée pousse les galets une fois à droite, une fois à gauche. Parfois même, son lit est directement perpendiculaire au fossé. Aussi l' homme a bien de la peine à la dompter quand il lui arrive de prendre par-dessous et par derrière une tranche des berges qui ne sont pas taillées dans la molasse de fond même. Les quelques riverains, avec l' aide financière des communes, du canton et de la Confédération, ont essayé de mater la rivière de diverses façons. Ce qui semble avoir aidé au mieux au difficile endiguement de la rivière, ce sont ces immenses « saucisses » de 50 à 60 centimètres de diamètre, 5 à 6 mètres de longueur et remplies de galets. Le boyau est constitué par du treillis en fil de fer galvanisé d' environ 4 millimètres d' épaisseur. Si l' eau creuse le gravier au-dessous d' une de ces saucisses, immédiatement ces dernières épousent la forme du trou et la brèche ainsi colmatée empêche de plus graves méfaits.

Quelques petits chalets de week-end à l' aspect bien propret, entourés de minuscules jardins, s' égrènent sur la rive gauche ou fribourgeoise de la rivière. Une falaise en forme de tête de buffle et appelée pour cette raison « Der Büffel » fait tout à coup changer la direction de la Singine. Face à l' em du « Schwarzwasser » dans la Singine, à mi-hauteur de la falaise, accrochés comme deux nids d' aigle sur une étroite vire, deux constructions en béton sont les maisons de vacances de deux familles. Un étroit pont suspendu bien haubané conduit de la rive droite à la rive gauche, l' accès à ces demeures de vacances, par grosses eaux, n' étant pas possible de la rivière même.

A partir de cet endroit, le profil du lit de la rivière devient plus sauvage; les groupes de baigneurs et de baigneuses s' échelonnent sur de plus grandes distances; sur les rares plages ensablées, on trouve les traces de chevreuils qui sont venus probablement se désaltérer à la rivière. L' été brûlant a mis à sec maints ruisseaux. Ici, un paysan, avec beaucoup de peine et au prix d' un grand détour, y a fait descendre son gros tracteur qui actionne une pompe centrifuge pour chasser l' eau là-haut sur ses prés et ses champs. Des falaises, par temps de grosse pluie suivi de gel, se détachent des pans de molasse qui, s' ils tombent exactement dans le cours d' eau, subissent les méfaits de l' éro latérale, à tel point que certains blocs ressemblent étrangement aux tables de glacier. La figure 84 en est un exemplaire typique. Certains blocs, au lieu d' être plats au-dessus, sont même d' une rondeur toute géométrique; d' autres qui ne sont pas tombés dans l' eau et n' ont pas été rongés par l' eau courante sont des monolithes aux formes les plus bizarres. Parfois, on dirait que les druides de l' époque celtique ont passé par le lit de la Singine. En un endroit particulièrement sauvage, la rivière a creusé dans la molasse de la falaise une demi-voûte qui se prolonge sur quelques dizaines de mètres. Ce creux dans le rocher a un aspect presque lugubre. Près de Guggersbach, un énorme bloc de molasse s' appuyant par le côté contre la paroi et, par la face inférieure, seulement sur un espace de 50 centimètres, se dresse dans une position d' équilibre quasi instable et si étrange, qu' on éprouve des frissons pour les baigneurs qui passent dans le trou que constitue le vide entre le bloc et la falaise.

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