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Pour un «Chant national»

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Parmi les innombrables chants patriotiques qui enrichissent le répertoire de nos mélodies populaires, y en a-t-il un qui pourrait être considéré comme le « Chant national suisse »?

La question peut se poser, et cela d' autant plus que nombreux sont les Suisses qui, comme nous, se refuseront toujours à considérer comme tel un chant d' origine étrangère comme le « Rufst du ».

Puisque la question se pose, elle ne peut qu' intéresser les membres de notre C.A.S., lequel, avec ses sections locales composées de citoyens appartenant à toutes les langues, à toutes les confessions, comme à tous les milieux sociaux de la Confédération, peut être considéré comme une image réduite de la patrie.

Or, que demande-t-on à un « chant national » sinon d' être l' hymne par lequel tous les citoyens d' une même nation ou les sujets d' un même monarque communient dans un sentiment commun d' admiration, de reconnaissance et d' amour envers leur pays ou leur souverain?

Il est évident qu' un tel hymne ne pourra faire appel qu' à ce qui unit. Sa force émotive sera d' autant plus grande que les sentiments qui l' auront inspiré seront plus unanimes et plus spontanés.

On voit de suite que le caractère d' un chant national sera très différent s' il s' agit d' une monarchie ou d' une république. Dans le premier cas, l' una se trouve réalisée tout naturellement par les louanges — sincères ou factices — que l'on adresse au prince. Et ce seront les « Gott erhalte unsern Kaiser Franz », « God save the King », « Heil dir im Siegeskranz », « Boje Tzaria Khrani », etc., tous très beaux du reste, parce que dus à la plume de bons compositeurs. Mais dans une démocratie, il faut autre chose que le bon plaisir ou le bon goût d' un souverain pour faire d' un hymne un chant national. Il faut encore la conviction, l' acquiescement de tout un peuple. Et c' est pourquoi de tels chants nationaux — quand ils existent — sont le plus souvent admirables de force et de lyrisme.Voyez « la Marseillaise » chantée avec le même enthousiasme par tous les Français, qu' ils parlent la langue d' oc, la langue d' oil ou le dialecte alsacien. C' est que cette ardente mélodie est née de l' exaltation unanime et spontanée du sentiment républicain qui a soulevé la France à l' heure de la grande révolution.Or, le sentiment patriotique qui anime notre peuple suisse n' est certes pas moins puissant que celui de nos voisins de l' ouest; comment se fait-il alors que la question du « chant national » se pose encore pour nous?

Nous manquerait-il ce quelque chose qui fait qu' un peuple peut être unanime malgré des différences de langues ou de convictions? Certes non, et notre histoire est là pour démontrer tout le contraire et prouver que ce principe d' unanimité existe chez nous mieux peut-être que partout ailleurs.

Ne nous sommes-nous pas unis volontairement les uns aux autres, cantons après cantons, ne sommes-nous pas la plus ancienne démocratie du monde, le seul peuple n' ayant jamais eu de rois?

Le fait même de la diversité de nos races, de nos langues, de nos religions prouve la force du sentiment suisse qui a toujours su triompher des querelles de familles. Dans les heures les plus difficiles, il s' est toujours trouvé un Nicolas de Flue, un général Dufour, un Spitteler ( pour ne citer que les plus grands ) pour renouer le lien confédéral que l'on pouvait croire brisé.

Malgré cela, un chant national d' origine purement suisse reste encore à trouver, puisque même la « Montagne », cette Alpe que nous aimons, qui a inspiré tant de poètes et de musiciens, ne nous a pas encore donne — à ce qu' il semble du moins — cet hymne que nous attendons.

Car je l' ai déjà dit, il me paraît difficile de donner ce titre au « Rufst du », malgré la très grande beauté du texte allemand; sa musique étant par trop internationale. Ne sert-elle pas à la fois aux Anglais, aux Allemands et aux Suisses, vraie bonne à tout faire pour chants nationaux — belle fille sans doute, aux traits nobles et larges, mais qui n' est pas de chez nous!

Alors le « Cantique suisse »? Celui-là est bien d' inspiration purement helvétique, son allure est grave et forte, son texte élevé et confiant: mais c' est un cantique — le « cantique national » tant qu' on voudra — mais non le « chant national ». Au demeurant, si l' un n' empêche pas l' autre, il ne le remplace pas. Un chant national doit être enthousiaste, passionné, lyrique, caractères qui s' accordent mal avec l' allure exclusivement solennelle et recueillie d' un chant religieux. Si l' hymne de Zwyssig remplace de plus en plus ( du moins en Suisse romande ) le chant national « officiel » dans nos cérémonies patriotiques, c' est sans doute en attendant mieux, et parce que le chœur de Careyldont les paroles françaises sont quelconques — ne saurait nous émouvoir, encore moins nous exalter.

Le chant national pourrait-il être le résultat d' un concours entre les compositeurs et poètes suisses? Cela me paraît bien difficile, car l' inspiration ne se commande pas.

Il suffit d' examiner quelques chants nationaux, dignes de ce nom, pour se convaincre qu' ils sont comme le cri du cœur d' un musicien ayant su exprimer, dans un éclair de génie, le sentiment patriotique de son peuple, exacerbé par des circonstances momentanées.

Ces circonstances, Genève les a trouvées dans sa triple libération: civile, morale et religieuse, que résume si fortement son austère, âpre et sévère « Ce qu' è laino », Vaud, dans la joie de la proclamation des « Droits de l' homme » alors qu' il devenait de pays sujet République Lémanique, puis canton suisse: d' où le « Vaudois, un nouveau jour se lève » d' allure si virile et si convaincue.

Dans le même esprit républicain, Fribourg chante la liberté aux accents décidés de son alerte et énergique marche « Les bords de la libre Sarine », comme Berne a son irrésistible et pesante « Bernermarsch », devant laquelle ont reculé les plus téméraires.

Ainsi, chaque canton a son chant national à l' ouïe duquel tous les citoyens d' une de nos 22 petites patries peuvent communier dans un sentiment d' unanime confiance dans ses destinées.

Mais les cantons ne sont pas seuls à posséder leur hymne national, et je ne crois pas me tromper de beaucoup en affirmant que nous autres welsches nous nous rallierions volontiers aux accents martiaux et résolus du martial « Roulez tambours » d' Amiel ou, sinon, à ceux du noble et enthousiaste « Nous habitons un beau domaine » de Lauber.

Nos confédérés alémaniques, eux, n' ont que l' embarras du choix, tant de beaux chœurs populaires enrichissent le répertoire de leurs sociétés de chant: pourtant le merveilleux « O mein Heimatland » de Baumgartner me paraît exprimer, mieux que tout autre, par son lyrisme exalté et attendri, le fond de leur âme à la fois sentimentale et ferme.

Et l' admirable « Ranz des vaches » ne pourrait-il pas prétendre être, non seulement l' hymne de l' alpe gruyérienne, mais celui de la montagne suisse tout entière? On sait l' émotion considérable qu' il provoquait dans les rangs de nos soldats au service à l' étranger: cela à tel point que Louis XIV avait dû l' interdire de peur que le mal du pays ne provoquât des désertions. Il me semble que voilà un beau titre de noblesse pour un « chant national ». Mais si la « Montagne » peut être prise comme le symbole de notre patrie, elle n' est pourtant pas toute la patrie qui possède aussi ses beaux lacs aux flots d' émeraude ou d' azur, son riche plateau aux cités fleuries et industrieuses.

C' est pourquoi ce chant des « Armaillis » — qui touche au sublime — ne s' est pas imposé comme « chant national ».

Un autre chœur, très beau aussi, qui pourrait aspirer à ce titre, c' est le « Il est, amis, une terre sacrée » de Nägeli. Malheureusement, la musique ne s' adapte pas toujours d' une façon heureuse aux paroles françaises; de plus les dernières mesures ont une allure dansante qui nuit un peu au caractère de radieuse noblesse qui s' en dégage.

Alors quoi?

Ni le cantique de Zwyssig, parce que trop exclusivement religieux.

Ni le « Rufst du », parce que d' origine étrangère.

Ni le chœur de Nägeli, pour quelques imperfections.

Ni le « O mein Heimatland », parce que trop alémanique.

Ni le « Roulez tambours », parce que trop welsche.

Ni les « Armaillis », parce que trop uniquement montagnard.

Pas même celui qui résulterait d' une mise au concours entre nos meilleurs compositeurs parce que l' inspiration ne se commande pas!

Sommes-nous donc condamnés à n' avoir pas de « chant national » parce que, trop riches en chants populaires et patriotiques, nous ne savons auquel donner notre palme?

Là est, je crois, le nœud de la question, car ce chant existe, et, pour ma part, s' il me fallait voter, je n' hésiterais pas à lui donner ma faible voix.

Vous le connaissez tous, vous le chantez tous, vous l' aimez certainement tous. Alors comment se fait-il que sa popularité ne soit pas encore ce qu' elle devrait être eu égard à sa profonde beauté, à son caractère absolument suisse, à l' envolée de son lyrisme inspiré.

C' est, je crois, qu' ayant été composé, non pour chœur d' hommes, mais pour chœur mixte, avec voix d' enfants et accompagnement d' orchestre, il ne figure pas au répertoire favori de nos sociétés de chant masculines. L' auteur en a bien donne une réduction pour 4 voix d' hommes, mais, tout en restant admirable, il ne saurait rendre, dans cette version, l' effet foudroyant qu' il produit inévitablement lorsqu' il est chanté à sept voix. De plus, la partie des ténors est forcément un peu tendue, puisqu' elle remplace celle des sopranis.

Pourtant, cet inconvénient est précisément celui qui caractérisera toujours un « Chant national » dans une démocratie comme la nôtre où le patriotisme des femmes ne le cède en rien à celui des hommes.

La femme suisse doit donc pouvoir joindre sa voix à la nôtre pour chanter la patrie, c' est pourquoi notre chant national doit être un chœur mixte.

Une autre qualité de ce chant: c' est que les paroles allemandes et françaises sont également belles, ce qui est assez rare pour être remarqué.

Fières sans provocation, nobles sans vanité, poétiques sans romantisme, elles expriment avec sincérité des sentiments d' un patriotisme élevé.

Quant à la musique ( et n' est pas elle qui compte avant tout Y ), elle est tout simplement géniale. C' est une explosion de joie, d' amour, de confiance et de reconnaissance, telle qu' elle devait jaillir du cœur d' un musicien suisse véritablement inspiré.

Je sais qu' on a invoqué contre cet hymne certaines difficultés techniques d' exécution, ou encore le fait qu' il nécessite de trop grandes masses chorales pour « sonner » normalement? Mais tout ce qui est beau est difficile et il y a quatre millions de Suisses: ils n' ont qu' à l' entonner tous ensemble le le! août!

Ne serait-ce pas émouvant qu' à l' occasion de notre fête nationale, toutes les voix suisses: voix enfantines, voix féminines, voix viriles, s' unissent pour entonner à la même heure, à la même minute l' hymne formidable et splendide — alors que brillent les feux traditionnels et que les cloches sonnent:

« Terre des monts neigeux,«Heil dir, mein Schweizerland, Pour toi jusques aux cieuxHeil dir, frei Alpenland, Montent nos voix.Im Völkersturm.

Sur ton rempart sacréWeit in der Länder Kreis, De l' étendard paréLeuchtet aus Nacht und Eis Brille en son champ pourpréDein Banner rot und weiss Ta blanche croix.»Vom Felsenturm. » Ecrit pour 7 voix ( 2 sopranis, altis, 2 ténors et basses ) en si majeur ( la version pour chœur d' hommes est en ré bémol ), le chant débute dans un mouvement large, solennel, d' une passion contenue, puis rapidement la mélodie s' élève en une puissante gradation diatonique précédant — deux fois répétée — une courte phrase bouillonnant d' exaltation pour jaillir enfin, crescendo, dans l' explosion d' un lyrisme haletant où elle s' arrête comme éperdue, pour redescendre peu à peu apaisée dans le calme decrescendo final qui la ramène à l' accord parfait.

La fameuse « altération » de la 23e mesure, si elle offre une difficulté aux chanteurs novices, donne précisément au chœur un peu de cette rudesse qui caractérise si bien ce qui est suisse, dans la meilleure acception du mot, cette rudesse que l'on trouve dans l' âme de nos ancêtres et qu' a si bien exprimée notre grand Hodler.

Voilà pourquoi je romps une lance en faveur de l' œuvre de l' auteur de la partition de « Calven », du vrai musicien qui nous vient des Grisons, que les Genevois ont appelé, du maître que tous les musiciens admirent et que tous les Suisses aiment: j' ai nommé Otto Barblan.

Loin de moi la prétention d' avoir résolu la question du « Chant national », encore moins celle de connaître tous les chants du folklore suisse et par suite de pouvoir dire d' une manière définitive: C' est celui-là qui convient.

Mais si j' ai pu réussir — tout en insistant sur la valeur quelque peu méconnue d' un de nos plus beaux chants populaires — à retenir l' attention de mes collègues du C.A.S. sur ce problème, je ne regretterai pas ces lignes insuffisantes, mais sincères.L. Villard, fils.

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