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Protection de la nature

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Max Oechslin, Altdorf

Le Conseil de l' Europe a proclamé, pour les Etats européens, igyo, année de la nature. Donc pas simplement une année de protection de la nature. En effet, il ne s' agit pas seulement de pratiquer durant une année, sur sol européen, la protection de la nature, mais bien davantage d' amener la population tout entière à se rendre compte de ce qu' est la nature, et lui faire prendre conscience de l' importance qu' a la nature pour notre espace vital. Cette prise de conscience ne doit pas s' évanouir après une année, elle doit être une semence qui germe et se développe et qui porte des fruits. Il s' agit d' arriver à ce que cette prise de conscience de l' importance du maintien de notre espace vital ne soit pas le seul apanage de ceux qui sont mûris par l' expérience, mais qu' elle soit transmise à nos enfants et petits-enfants, comme nous-mêmes sommes le sang de nos pères et le transmettons à ceux qui nous suivront, igjo, année de la nature, est une chose importante qui nous concerne tout particulièrement, nous alpinistes.

Lorsqu' il y a six siècles nos aïeux ont mis à ban, dans les vallées de montagne, certaines forêts recouvrant les pentes raides dominant villages, hameaux, chemins et sentiers, il ne s' agis pas de protéger le forêt pour l' amour de la forêt, mais de la conserver pour la sauvegarde des bâtiments et constructions, utiles à l' homme, sis à son pied. C' est que l' expérience avait montré que les forêts étaient une protection contre l' avalanche, contre les éboulements, contre les glissements de terrain. Ainsi, pour ne se référer qu' à une seule vallée, les habitants de Flüelen, au pays d' Uri, à l' époque important lieu de transbordement des marchandises de et vers l' Italie, avaient mis à ban, en 1382, la forêt communale dominant le village, et cela à nouveau, puisque à l' introduction du document, on peut lire parce que l' ancienne charte de mise à ban est en trop mauvais état. Et plus haut, vers le Gothard, les gens d' Urseren, à leur assemblée de vallée de 1397, à Andermatt, avaient mis à ban la forêt dominant le village, en un vaste triangle, vers l' alpe de Gurschen, afin qu' elle subsiste à jamais comme protection du village.

Il y a quelque 600 ans que cela se passait - en quelque sorte le commencement de la protection de la nature au profit des humains. Seules cependant étaient concernées de modestes forêts recouvrant les pentes raides dominant les vallées. C' est que la mise à ban, à l' époque, impliquait que rien ne pouvait être fait pour modifier l' état naturel. Ainsi, dans leur document, rédigé en un savoureux allemand médiéval, les gens d' Urseren avaient entre autres établi qu' il était interdit de porter atteinte à la forêt au-dessus des prés et aux taillis au-dessus de la forêt et au-dessous de la forêt, que la futaie et les taillis d' aunes devaient rester intacts et que personne n' avait le droit d' en emporter, ni des branches, ni des fagots, ni des pives, ni n' im quelle autre chose qui pousse ou qui a poussé dans ladite forêt. Et cela de jour comme de nuit. Et si l'on devait apprendre que quelqu'un, homme ou femme, jeune ou vieux, a transgressé cette interdiction, le coupable devra payer cinq sols tournoi à chaque propriétaire de la vallée. Les limites indiquées au document englobent un territoire qui est le quintuple de l' actuelle forêt de protection d' Andermatt. La mise à ban eut alors lieu à tout jamais; elle fut renouvelée par l' assemblée de vallée de 1719, donc par tous les habitants d' Urseren, et en 1735 la mise à ban fut renouvelée, confirmée et ratifiée par le landammann et le Conseil d' Uri. Elle fut élargie en 1803 et 1841, même l' accès de la forêt étant interdit aux enfants, par quoi l'on voulait notamment empêcher que, par la cueillette des petits fruits, on ne nuise aux jeunes pousses. En 1876 et plus tard, la loi fédérale sur l' économie forestière déclara forêt protectrice toutes les forêts de montagne, c'est-à-dire qu' elles doivent être intégralement conservées - ce qu' il convient de rappeler aujourd'hui à bien des gens des vallées, puisque maintenant on s' at taque aux forêts sous le prétexte fallacieux qu' il faut améliorer les conditions de vie des populations de montagne et favoriser l' industrie touristique. Malheur au peuple qui n' aime pas sa forêt!

Nous avons insisté quelque peu sur ces lettres de mise à ban au pays d' Uri, que l'on retrouve d' ailleurs dans mainte autre vallée de montagne, parce que nous voulions montrer à nos lecteurs combien rigoureuses pouvaient être, il' y a des siècles déjà, les lois de protection de la nature établies par les habitants des vallées de mon- tagne, sans pour autant que les autorités aient eu à faire face à des demandes en dommages-intérêts de ceux qui se sentaient lésés dans leurs intérêts particuliers.

Dans son livre Les merveilles de la forêt ( i 939 ) Hans Wolfgang Behm a écrit: L' étude des siècles et des millénaires qui ont précédé notre époque nous montre que la forêt, protégée avec perspicacité, fait prospérer les hommes et les peuples, mais que toute atteinte à la forêt conduit au malheur, voire au désastre. L' âme des troncs abattus erre à travers le pays et oblige même les arrière-petits-enfants à payer pour les péchés de leurs aïeux. L' homme et la forêt ont ensemble forgé l' histoire, et cela parce que le sort d' un peuple est indissolublement lié à celui de sa forêt. Si la forêt est atteinte dans sa santé, les hommes qui vivent près d' elle sont eux aussi atteints dans leur santé.

Aujourd'hui, en l' an de grâce 1970, nous sommes confrontés avec le fait qu' il ne s' agit plus de protéger les seules forêts mises à ban, mais bien davantage: notre espace vital. Celui-ci ne s' arrête pas devant notre porte, à la limite de notre commune de domicile, à celle de notre ville ou de notre vallée. C' est l' espace dans lequel nous vivons et devons vivre, au-delà de notre maison, de notre village, de notre ville ou de notre vallée, et c' est pourquoi nous devons le conserver en bonne santé et le transmettre en bon état à ceux qui viendront après nous. C' est pour nous une irrévocable obligation, une impérieuse nécessité. La population augmente. D' ici trois décennies nous serons, en Suisse, de 6 mil- lions que nous sommes aujourd'hui, 7 y » ou 8 millions. Cette poussée démographique ne nous est pas particulière, elle se manifeste partout, souvent même plus intense, et cette évolution est devenue un problème d' ordre mondial. Davantage d' humains, des villes et villages qui s' agrandissent, un habitat toujours plus compact, la proportion des logements en location augmentant au détriment de ceux qui sont propriété de celui qui y est domicilié. Augmentation du nombre des véhicules à moteur de toute sorte et, de ce fait, davantage de bruit, de pollution de l' atmosphère, aussi par l' augmentation des chauffages à mazout. Il faut y ajouter les modifications, presque révolutionnaires, dans les usines et les bureaux, qui ont nom: automation, travail à la chaîne, réduction des heures de travail, une tension accrue pendant les heures de travail qui restent à accomplir, une mécanisation toujours plus poussée, davantage de gains, de dépenses et des possibilités toujours accrues de nouvelles acquisitions, davantage de plaisirs, etc. Est-ce que toutes ces augmentations et tous ces suppléments n' aboutissent pas fatalement, en fin de compte, à ce que les humains finiront par se heurter partout à leurs semblables? N' en résulte-t-il pas l' exigence de vacances et de temps de repos plus longs, pour pouvoir fuire les usines et les casernes locatives, les océans de béton des complexes industriels et des cités-dor-toirs, pour pouvoir échapper à des communautés toujours plus encombrantes - que ce soit pour le week-end, en vacances, voire à la résidence secondaire qu' on a pu acquérir? A la semaine de cinq jours des milieux toujours plus étendus opposent la semaine de quatre jours, qui procurera un week-end sensiblement allongé. L' envahissement par les constructions des rives de nos lacs et de nos rivières, comme aussi des pentes ensoleillées et des endroits dans les Préalpes et les vallées de montagne offrant une belle vue restreint l' espace où l'on peut librement se délasser. L' augmentation des véhicules à moteur, des caravanes et du camping ( ces der- niers, caravanes et tentes de ` camping, constituant de plus en plus « la résidence secondaire des gens dont les ressources sont restreintes » ) contribue à restreindre l' espace disponible à qui cherche la tranquillité. D' innombrables entreprises de transport en commun amènent des foules toujours plus nombreuses, souvent bruyantes, dans les régions de haute-montagne où il y a peu régnait le silence, et il en résulte des changements qui ne peuvent être prévus. Que l'on songe seulement à ce que fut le ski de montagne, dont le slogan tout un peuple à ski est devenu une activité qui n' a plus grand-chose de commun avec un mouvement servant à la santé et au repos, les mots d' ordre étant devenus: pistes, concours de vitesse, reportages!

Nous risquons de voir de plus en plus l' agita fébrile des cités transférée, « en pièces détachées », dans des régions qui, il y a peu, étaient à l' écart du bruit et nous donnaient le repos. Déjà la demande a été faite par les Valaisans de raser la forêt là où les convoitises de l' industrie touristique l' exigeaient. Comme si le maintien intégral de la forêt protectrice, dans toutes nos vallées, n' était pas une des bases essentielles d' une industrie touristique prospère, rentable pour les habitants de ces vallées!

Nous citons tous ces faits à titre de contribution à igyo, année de la nature, car il convient de les avoir sous les yeux si nous voulons satisfaire à cette exigence maintien d' un cadre naturel aussi sain que possible et maintien d' un espace vital vivable. Cela concerne toutes nos régions de montagne, y compris les Préalpes et le Jura. L' avenir de l' espace où l'on peut trouver le repos n' est pas seulement un problème urbain, où l'on est tenté de dire que les urbanistes créent des espaces de verdure marqués par des écriteaux défense de marcher sur le gazon, tenir les chiens en laisse, etc., et où les massifs fleuris, les bosquets et les arbres délimitent des chemins asphaltés, savamment traces. Espaces verts, deux mètres carrés par habitant. Les années qui viennent demandent au contraire que, loin des cités, il y ait de vastes régions de repos, essentiellement dans nos vallées de montagne, les Préalpes, le Jura. Mais que deviendront ces refuges si l'on y crée de nouveaux centres urbains et si on en facilite l' accès à tel point que tout le monde peut s' y rendre - sauf le promeneur? Et combien sont nombreuses les attractions qu' au on imagine pour donner plein essor à ces centres de vacances!

Nous alpinistes, nous nous trouvons d' hui devant la nécessité de collaborer à la réalisation du maintien et de la création de véritables centres de repos. Pensons, par exemple, aux problèmes suivants: sentiers pédestres, voies d' accès aux cabanes, utilisation de nos cabanes, exigences des non-alpinistes relativement aux installations et à l' équipement de celles-ci, restauration dans les cabanes, rôle du gardien et tant d' autres encore. Nous alpinistes devons et voulons entendre par lieu de délassement autre chose que le suréquipement prôné par les promoteurs financiers. Il ne s' agit pas de ne tenir compte que de l' adage: La noblesse des hommes a ses racines dans la forêt. Si nous sommes en communion avec elle, nous serons bénis sur cette terre. Il s' agit de respecter et de conserver, précieux héritage de nos pères, non seulement la forêt, mais tout notre paysage, avec ses prés et ses champs, les lacs, les rivières, les torrents et les ruisseaux, les glaciers et les névés. Notre noblessse a ses racines dans notre paysage de montagne tout entier!

Pour nous, alpinistes, 1970 doit être l' année de la protection de la nature dans son ensemble, et tout particulièrement de la forêt. Car la forêt, où qu' elle soit, est le lieu de repos pour tous, qu' elle soit proche ou lointaine. Et si la forêt aux alentours de nos villes et de nos villages et partout sur le Plateau est une frontière, que la marée montante des bâtiments peut atteindre mais jamais outrepasser, et puisque la forêt est aussi le gardien des sources et des eaux souterraines, nous devons considérer comme inviolable la forêt protectrice de nos montagnes, jus- qu' aux arbres rabougris et aux buissons de son extrême limite, jusqu' aux aunes, aux saules, aux pins nains et aux rhododendrons qui marquent sa limite supérieure. C' est que, sans la forêt, on ne peut vivre dans la vallée de montagne. La sécurité n' y est plus.

Ce qui était valable il y a six siècles l' est encore aujourd'hui, non seulement pour les populations enracinées dans nos vallées de montagne; dans le dernier quart du XXe siècle, c' est valable pour les habitants de la Suisse tout entière.

Cela, nous, alpinistes, devons le savoir, et il ne nous est pas permis de l' ignorer.

( Traduit de l' allemand par G. Solyom )

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