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Réédition d’un classique Quatre cabanes en cinq jours, une variante de la «Haute Route Graubünden»

Nombre d’itinéraires vont du col du Julier au col de la Flüela. Grâce à la quantité de variantes possibles, chacun peut se concocter sa propre traversée à skis.

Nous partons à l’aube du col du Julier. Peu après, dans le Val d’Agnel, la route bruyante n’est plus qu’un lointain souvenir. On est début avril, cela fait longtemps que l’on n’a plus vu autant de neige à cette époque de l’année au sud. Les conditions sont formidables et le soleil brille. La montée est suffisamment facile pour permettre de donner libre cours à ses pensées. Je me retourne pour apprécier la vue sur les montagnes de la Bregaglia, surtout le Piz Badile. La montée à la Fuorcla d’Agnel est sûre. Cette fois, nous n’avons pas besoin d’éviter la pente délicate qui plonge sur la Chamanna Jenatsch et descendons en ligne droite. Etape chez Fridolin et Claudia: causette autour d’un café et d’une tourte de Linz. Les gardiens de cabane nous montrent fièrement leur dernière nouveauté: la Dschember-Suita, l’une des trois chambres doubles, dont le nom vient du pinus cembra, ou arole. Oubliés, l’agitation et les natels qui sonnent. Je me retrouve transposée dans une simplicité et une gaieté bienfaisantes, comme plus tard d’ailleurs aussi dans les autres cabanes de cette haute route.

Haute route à la carte

La «Haute Route Graubünden» (haute route grisonne) n’est pas une nouveauté. Elle se parcourt depuis des décennies. Les gardiens des quatre cabanes qui la jalonnent se sont toutefois réunis afin d’en remanier toutes les informations, dont une description de ses différentes variantes. Nous avons choisi celle qui relie le col du Julier à Zernez (au lieu du col de la Flüela).

Bien que le travail ne nous permette pas un congé de plusieurs jours, nous attaquons la première partie de ce périple et rattraperons les étapes manquantes une semaine plus tard. Bien sûr, cela ne correspond pas à l’esprit d’une haute route: le charme d’un périple à skis réside justement dans le fait d’être loin plusieurs jours de suite. Mais d’un autre côté, cette possibilité de fractionnement souligne aussi un atout de cette haute route: on peut sans autre s’arrêter à Preda près de Bergün et reprendre le parcours ultérieurement à Madulain.

Le parfum des vieux arbres

Après notre pause à la Chamanna Jenatsch, nous traversons le flanc abrupt de la Crasta Jenatsch sur les hauts du Val Bever. La trace est stable, sur la pente la neige est déjà un peu ramollie. Heureusement car je n’aime pas ce genre de traversées et je suis contente d’atteindre la cuvette d’où s’élève en haut à droite le Piz Laviner. Le soleil printanier nous donne du fil à retordre: la chaleur est torride. Un vent rafraîchissant se lève une fois parvenus au dépôt des skis. Peu de randonneurs à skis sont en route, nous montons en solitaire la belle arête du Piz Laviner. Puis, toujours aussi seuls, nous descendons les fantastiques pentes larges du Val Mulix.

D’un instant à l’autre, nous nous retrouvons au milieu d’aroles noueux. Ils me rappellent la suite de la Chamanna Jenatsch, et leur fantastique parfum odorant nous accompagne jusque dans la vallée. Tout en bas, nous nous trompons d’itinéraire. Résultat: les pieds dans l’eau du ruisseau au lieu du chemin forestier qui, au final, nous gratifie néanmoins d’un parcours de skicross très plaisant. Nous poursuivons jusqu’à Naz, où nous remontons à travers des prés détrempés jusqu’à la gare de Preda. Il ne reste alors plus qu’à enlever les chaussures pour aérer nos pieds surchauffés en attendant le train de l’Albula!

Une île dans l’immensité immaculée

La seconde partie nous conduit de Madulain à Zernez en passant par le Piz d’Es-cha. La montée à la Porta d’Es-cha se déroule sans problème, même la dernière brève montée à pied du col qui s’ouvre telle une porte sur les pentes généreuses du Vadret da Porchabella et les parois abruptes du Piz d’Es-cha. En bas à droite, nous reconnaissons la Chamanna digl Kesch, telle une île dans l’immensité immaculée. Les magnifiques virages tracés par nos prédécesseurs aiguisent notre entrain… Mais il faut d’abord monter jusqu’au dépôt des skis du Piz d’Es-cha, s’armer de crampons, d’un piolet et d’une corde et attaquer son ascension. La trace étant bonne, nous atteignons sans difficulté le sommet de cette imposante montagne.

Ça y est, place à la descente, et dans la poudre s’il vous plaît! Nous nous arrêtons pour regarder l’énorme chute de rochers qui s’est éboulée dernièrement sur le glacier. A la Chamanna digl Kesch, nous en discutons avec Reto, le gardien, ainsi que de l’effrayant recul du glacier, dont atteste ici une exposition de photos. Lui, c’est le «responsable des relations publiques», alors que son épouse Ursina, cuisinière de métier, s’occupe de régaler les clients. Reto nous explique aussi le concept énergétique de son bâtiment, grand et moderne mais néanmoins douillet. La différence qui règne entre les quatre cabanes de la «Haute Route Graubünden» me fascine: chacune a son propre caractère, lequel est renforcé par la personnalité des gardiens, qui sont chacun littéralement «assortis» à leur cabane. Et ils ont tous en commun cette préoccupation du confort de leurs hôtes.

Le jour suivant, nos articulations et nos muscles sont mis à rude épreuve lorsque nous descendons dans une neige croûtée à l’Alp Funtauna. Autant dire que nous sommes contents de remettre les peaux pour monter à travers le vallon de Vallorgia au Piz Grialetsch. Une fois de plus, nous sommes seuls, hormis çà et là, dans le lointain, quelques adeptes de ski-alpinisme. Comme nous sommes pressés, nous évitons le Scalettahorn sur notre gauche et entamons l’ascension du Piz Grialetsch par un flanc neigeux et caillouteux. Après avoir tracé de grandes courbes dans la descente à la Chamanna da Grialetsch, nous nous régalons une fois de plus d’un café et d’une tourte de Linz! Le charme de cette cabane est, lui aussi, désuet. Sa rénovation faciliterait certainement la tâche de ses gardiens, Cécile et Hanspeter.

Neige pétillante et crocus

Puis, nous enchaînons avec le Piz Sarsura. De sa petite selle, nous jetons un regard en arrière vers le Piz d’Es-cha et partageons notre joie de ces quelques jours passés sur la «Haute Route Graubünden». A nos yeux, ses atouts sont indéniables: paysages à couper le souffle, sommets attrayants, cabanes de caractère et une multitude de variantes!

Enfin, nous n’y résistons plus: notre périple se termine par une mémorable descente à travers le Val Sarsura. Celui-ci nous gratifie de 1700 mètres de plaisir divin – un enchaînement de neige pétillante, de neige printanière compacte débouchant sur les crocus. Il fait exagérément chaud en cette journée printanière d’avril, mais cela ne fait aucun doute, l’hiver prochain reviendra. Et alors nous nous dirons que nous pourrions bien entreprendre une autre variante de la «Haute Route Graubünden». Avec certainement encore l’un ou l’autre sommet à la clé…

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