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Rencontre en silence avec un univers paisible Randonnée hivernale dans le Val Lumnezia

Le Val Lumnezia se pose en véritable alternative aux sports d' hiver devenus de plus en plus fébriles. Le réseau de chemins de randonnée hivernale autour du village de Vrin y est exemplaire.

Etre assis à gauche revient à frôler de manière inquiétante les abîmes. La couche de neige uniforme sur laquelle le car postal file tambour battant n' est pas non plus très rassurante. Heureusement, on gagne bientôt le terminus, où le chauffeur maîtrise à la perfection son parcage en marche arrière. Instinctivement, on se tourne vers l' arrière, et la chair de poule reprend: le regard s' arrête sur une frise composée de quatre rangées de crânes qui orne un ossuaire tout blanc derrière lequel s' élève un clocher multicolore.

 

Vrin se trouve tout au fond du Val Lumnezia et constitue l' un des villages de montagne les plus originaux de Suisse. L' été, il ne représente qu' un lieu de passage pour la plupart des randonneurs, qui s' empressent de laisser derrière eux le monde colonisé par l' homme pour gagner le plateau retiré de la Greina. L' hiver en revanche, il est très apprécié des randonneurs à skis ( voir Les Alpes 12/2002 ). Les amateurs d' architecture moderne prennent aussi le temps de s' y arrêter, car Vrin est le lieu de résidence et d' activité du célèbre architecte Gion A. Caminada. Ce fils de paysan, entre-temps devenu aussi professeur à l' EPF de Zurich, a déjà attiré l' attention au début des années 1990 par la réalisation de constructions agricoles s' intégrant avec grande sensibilité dans le paysage. Une étable à moutons et la boucherie que l'on aperçoit depuis le parvis de l' église sont au nombre de ses constructions les plus populaires. Les paysans du village y commercialisent eux-mêmes leurs produits biologiques de qualité, ce qui assure en même temps leur survie dans cette région de montagne.. " " .Vrin constitue donc un exemple réussi de développement dans lequel les ressources locales sont utilisées de manière durable.

Cette commune de 300 âmes n' est cependant pas la seule de la vallée. Tout le Val Lumnezia oriente son développement en fonction des directives de la Convention alpine et recherche un avenir économique respectueux de la nature et de l' environnement. Pour cette raison, les offres en matière de tourisme doux en constituent le cœur, particulièrement durant la mauvaise saison. Un réseau de chemins de randonnée hivernale incomparable y a été créé durant les cinq dernières années. Presque tous les sites sont désormais atteignables à pied, et cela loin de toute circulation.

 

Un bel itinéraire commence sur l' ancestrale place du village. On passe à côté du nouvel ossuaire de Gion A. Caminada, la « stiva da morts », et d' une étable de laquelle des chèvres curieuses nous regardent passer. Le tintement de leurs clochettes est audible jusqu' au plus profond de ce paisible environnement hivernal. Puis on n' entend plus que le crissement de la neige sous les chaussures et le doux clapotis du Glogn qui coule à proximité. Ce torrent sauvage s' écoule dans une gorge serrée entre de menaçantes parois rocheuses qui, lorsque le regard les suit vers le haut, font prendre conscience de la véritable dimension du monde qui nous entoure: la nature montagnarde sauvage règne ici en maître. Il n' est pas étonnant que la foi ait toujours occupé une place de choix dans un univers aussi hostile aux être humains, et cela se mesure à la quantité d' églises et de chapelles que les randonneurs rencontrent en chemin. S' il est une contrée qui mérite l' appellation de paysage sacré, c' est bien le Val Lumnezia.

Il n' a pas été difficile d' aménager un chemin d' hiver entre Vrin et Surin, car ces villages étaient déjà reliés par un chemin de desserte qui n' est pas utilisé en hiver et se laisse facilement damer. Dans cette vaste vallée transversale de la Surselva, l' offre ne se cantonne cependant pas à des solutions aussi simples. A une époque où les résidences secondaires, les routes, les téléskis et les bassins d' accumulation se multipliaient dans les régions de montagne, les habitants du Val Lumnezia ont opté pour l' aménagement d' un tout nouveau sentier traversant le flanc ensoleillé de la montagne, la « senda culturala », et décidé d' en entretenir l' accès hivernal. Il a finalement été prolongé jusqu' à Vrin il y a deux ans, ce qui a occasionné la construction de deux ponts. Comme les communes de montagne dépourvues d' infrastructures de tourisme de masse ont toujours des moyens restreints, il a fallu quelques années pour réunir les fonds. Sans l' aide de fondations, d' associations de protection de la nature et de privés, cet ambitieux projet ne se serait certainement pas réalisé. La construction en bois qui enjambe le Val Mulin était particulièrement coûteuse.

 

Le passage le plus saisissant se trouve toutefois entre Vrin et Sontg Andriu. Il emprunte un sentier qui serpente à travers la forêt enneigée. Vastes étendues de neige immaculée, clapotis d' un ruisseau çà et là, traces de renards et de lièvres dans le sous-bois et un couple d' aigles royaux tournoyant par-delà la cime de vieux sapins. Dans d' autres vallées des Alpes, des raquettes ou des skis de randonnée sont nécessaires pour côtoyer la nature de si près.

Les nombreux chemins qui conduisent à travers le paysage ouvert des Alpes et des mayens sont tout aussi attractifs. Entre Lumbrein et Vella, un vaste réseau de chemins évite au randonneur de se lasser. Un des itinéraires balisés en rose conduit au bar des neiges de l' Alp Sezner, à 2000 mètres. Où que l'on regarde, la vue embrasse un royaume magique peuplé de pentes enneigées. Tout mouvement semble congelé, aucun câble de transport, ni de pylône électrique loin à la ronde.

Le randonneur contemplatif préférera la « senda culturala » pour gagner Davos Munts. Afin de moins dépendre du tourisme hivernal, un lac naturel y a été aménagé il y a quelques années, lequel a fait affluer nombre d' estivants sur les hauteurs. Durant la morte saison, il hiberne bien à l' abri du vent dans son écrin recouvert d' une neige étincelante. On y trouve également un kiosque et une yourte chauffée grâce à un fourneau à bois. Le silence est à couper le souffle, et le panorama fantastique. Le Val Lumnezia rend une fois de plus honneur à son nom qui signifie « vallée de la lumière ».

 

Initialement, les habitants de la vallée ont aussi misé sur les sports d' hiver classiques et ont construit deux télésièges. Pourtant, dans les années 1980 déjà, le manque de neige en hiver a obligé les exploitants des remontées mécaniques à revoir leur copie. La seule piste dont dispose le Val Lumnezia est en effet bien trop exposée au soleil. A l' époque, des photocopies de plans décrivant les possibilités de randonnées ont été distribuées aux hôtes afin qu' ils ne partent pas. La carrière de la randonnée hivernale a donc démarré aussi péniblement que dans les autres stations de sports d' hiver suisses. Au lieu de se présenter comme une offre autonome, elle a d' abord été présentée comme une solution provisoire en cas de manque de neige. Dans les années 1990, ces chemins hivernaux ont certes été institutionnalisés à l' échelon national, mais les randonneurs ont été plutôt mal considérés par les remontées mécaniques. Ils passaient pour des avares et des profiteurs qui voulaient s' offrir l' air pur de l' hiver sans avoir à mettre la main au porte-monnaie. On damait d' abord les pistes de ski, puis les chemins, près de deux jours après la nouvelle neige.

Le changement de mentalité est intervenu au milieu des années 1990, comme un coup d' éclat: Suisse Tourisme a effectué une enquête concernant le « potentiel futur du snowboard » auprès de la clientèle allemande. 18 % des sondés ont déclaré vouloir essayer le snowboard à l' avenir. 27 %, de loin le groupe le plus important, a coché la randonnée hivernale. Contrairement aux idées reçues prévalant dans le marketing événementiel, c' est donc exactement ce qui était considéré comme appartenant à l' âge de pierre du tourisme qui apparaissait désormais comme l' activité la plus prometteuse.

 

Depuis lors, les choses ont évolué dans les Alpes. On ne trouve plus une station de sports d' hiver qui ne promette aussi « des vacances à la neige authentiques », ou ne propose des chemins de randonnée hivernaux et des pistes de luge. Cependant, ce potentiel n' est pas toujours bien exploité. A certains endroits, il n' existe même pas de carte de ces randonnées. Souvent, les itinéraires conduisent au milieu du domaine skiable, obligeant les usagers à devoir sans arrêt prendre garde aux carveurs incontrôlables et autres snowboarders sauvages.

Dans le Val Lumnezia, rien de cela. Les pistes de ski se limitent à un petit territoire situé au-dessus de Vella. Le télésiège y sert avant tout à amener les clients à Obersaxen, situé derrière la montagne. Evidemment, les langues de neige artificielle qui ont vu le jour sur les pentes élimées grâce à une batterie de canons à neige dérangent. Cependant, au prochain virage déjà, le chemin conduit dans un environnement enneigé assoupi, à l' abri de l' agitation des pistes et de la circulation.

 

Toutefois, des nuages pourraient bientôt assombrir ce paradis. En effet, la fascination pour cette vallée alpine intacte est telle qu' elle est actuellement le théâtre d' une importante flambée immobilière. Pourvu que les habitants du Val Lumnezia sachent faire usage d' autant de discernement que lorsqu' ils se sont distancés du développement moderne, décision qui leur a valu à ce jour renommée et succès. 

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