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Saules et montagne

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Avec 2 dessinsPar Sam. Aubert

Les saules! Buissons quelconques diront quelques-uns, qui n' offrent qu' un maigre intérêt et ne retiennent guère les regards de ceux qui s' en vont vers les cimes. Cependant, ce sont des végétaux que l'on observe à partir des régions tropicales jusque dans la zone arctique, et dans les Alpes il est trois espèces qui atteignent les 3000 m. et même davantage. A ce titre, ces dernières, ne méritent-elles pas l' attention du touriste qui a des yeux non seulement pour la montagne, ses rocs, ses glaciers, mais aussi pour les êtres vivants qui l' habitent?

Les saules des pays chauds et certains de la zone tempérée sont arborescents, et il en est qui atteignent une taille très élevée. Parmi ces derniers, relevons le saule de Babylone ou saule pleureur, commun sur les rives des lacs du plateau et dont les branches pendantes s' inclinent gracieusement jusqu' au miroir de l' onde qu' elles dominent. Il provient de l' Orient et un peu partout en Europe centrale et méridionale on l' a multiplié par boutures. A ce propos, disons que les saules sont des végétaux dioïques, qu' ils produisent deux sortes de fleurs, les unes mâles, les autres femelles, naissant sur des pieds distincts. Or, les individus apportés jadis de l' Orient étaient exclusivement femelles et leurs innombrables descendants, obtenus par bouturage, le sont aussi. Donc, nos saules pleureurs restent toujours stériles.

Mais, hâtons-nous vers la montagne. Déjà, le long des torrents qui en descendent, on observe une espèce digne d' intérêt: le saule pentandre appelé aussi saule laurier, à cause de ses feuilles d' un beau vert brillant qui exhalent une odeur caractéristique. Buissonnant d' ordinaire, mais arborescent, dès qu' il rencontre de favorables conditions d' existence. Dans ce cas, son aspect est vraiment majestueux et nul ne passera auprès sans lui porter des regards d' admiration qui seront d' autant plus vifs que l' arbre sera chargé de ses innombrables chatons mâles, couleur d' or.

Elevons-nous davantage. La zone forestière supérieure, celle des moraines, des prairies qui les avoisinent ou les dominent hébergent plusieurs espèces de saules de taille moyenne ou petite, mais vigoureux, résistants. Chez plus d' une, la face inférieure des feuilles est revêtue de poils cotonneux d' un blanc d' argent qui les protègent efficacement contre les énormes variations de température auxquelles le climat des hautes altitudes est soumis jour après jour.

SAULES ET MONTAGNE Ces saules, on les rencontre aussi en compagnie d' autres végétaux ligneux dans les couloirs d' avalanches où, solidement enracinés, ils protègent le sol contre l' érosion. Souples, d' une résistance à toute épreuve, leurs tiges plient sous le poids des neiges hivernales, mais ne rompent pas. Sonnée l' heure de la libération, elles se relèvent, se redressent et s' empressent de fleurir, de fructifier, car là-haut, la saison de végétation est courte.

Toutefois, les saules de la montagne les plus dignes d' intérêt sont ceux dont les tiges s' étalent, rampent à la surface du sol que littéralement elles palissent et même s' y incrustent. Au fur et à mesure que l'on s' élève en altitude, les plantes raccourcissent leurs tiges et tendent à fleurir au ras du terrain. C' est que la température de celui-ci est plus élevée que celle de l' air, et la différence augmente avec l' altitude. Ainsi, en se rapprochant de la terre, les plantes alpines s' efforcent de profiter de sa chaleur relative, de se mettre à l' abri des basses températures des nuits sereines estivales. L' hiver ne les inquiète guère, ensevelies qu' elles sont sous une épaisse couche de neige qui les préserve des frimas.

Parmi les saules, il est trois espèces qui réalisent d' une manière admirable cette adaptation des plantes de l' Alpe aux conditions climatiques du milieu. Voici d' abord le saule réticulé ( Salix reticulata ) aisément reconnaissable à ses feuilles largement elliptiques, fortement veinées. Bien sûr, on ne le distingue pas de loin comme les « belles fleurs » de la pelouse alpine, car ses fleurs Salix reticulata sont très peu voyantes. Mais quiconque dirige ses regards à la surface des gazons clairs, des moraines au sol graveleux, apercevra l' étroit lacis de ses rameaux densément feuilles et appliqués contre la terre nourricière. Et d' emblée, la figure de ce petit végétal si différent par la taille de ses congénères du bas-pays, lui plaira et il se dira: quand même la nature n' en a pas fait une merveille de couleurs, elle lui a donné un charme, une grâce incontestables. Ce saule est commun dans les régions calcaires des Alpes. Au Jura, il est rare. Le Mont Tendre, à ma connaissance, en possède deux colonies prospères, au sujet desquelles on peut redouter qu' une fois ou l' autre, elles ne soient détruites par les tirs d' artillerie dont les sommités sont le but.

Le saule émoussé ( Salix retusa ) est beaucoup plus commun que le précédent. Grâce à ses feuilles petites, luisantes, obtuses, le touriste le repère très facilement. Davantage encore que chez le réticulé, les rameaux allongés rampent, s' étalent sur le sol et, en s' y incrustant, luttent avec succès contre le gazon. Au Mont Tendre, toujours localisé sur les versants nord, recherchant la fraîcheur qui lui est indispensable, il recouvre des surfaces étendues. Sa résistance aux basses températures hivernales doit être énorme, car partout où il croît, la neige est balayée par les vents ou est remplacée par du verglas, de sorte SAULES ET MONTAGNES qu' aucune protection efficace ne lui est assurée. A chaque saison nouvelle, il fleurit et fructifie abondamment. Aussi, on ne peut qu' admirer la nature qui en tout et partout organise ses créatures de manière à ce qu' elles soient capables de résister aux forces de mort qui sans cesse les assaillent.

Sur la haute Alpe et jusqu' à 3000 m ., dans les moraines, les couloirs balayés par les avalanches, les combettes à neige, nous avons le saule herbacé ( Salix herbacea ) dûment caractérisé par ses petites feuilles rondes. Mieux encore que les deux espèces précédentes, il est adapté au climat rigoureux des hautes régions. Ses rameaux très nombreux forment un lacis d' une extrême densité, fortement incrusté dans le sol. Il croît avec une incroyable lenteur. Ainsi, un individu récolté à l' altitude de 2850 m ., âgé de 12 ans, mesurait 1,85 mm. de diamètre!

Nos trois espèces de saules rampants sont souvent qualifiées saules glaciaires, expression absolument juste, car ne vi vent-elles pas dans le voisinage des glaciers et ne sont-elles pas merveilleusement adaptées au climat des hauteurs d' où s' écoulent les fleuves glaciaires. Ils existent également dans les régions arctiques où ils s' avancent très loin dans la direction du pôle.

La montagne constitue un milieu d' une merveilleuse puissance créatrice, et les or- Salix herbacea ganismes auxquels sans se lasser elle donne la vie, sont d' une extraordinaire diversité.

Si les uns se distinguent par la grâce et l' éclat des couleurs dont elle les pare et que nous admirons de tous nos yeux sur la prairie alpine, dans les fissures rocheuses, les graviers morainiques, d' autres par contre — les saules et bien d' autres sont de ce nombre — sont vêtus d' une façon beaucoup plus modeste et ne s' imposent pas à nos regards comme les « belles fleurs » de l' Alpe, objets habituels de la convoitise de tant de touristes. Mais les saules, ils sont tout autant des enfants de cette montagne qui par son relief, sa grandiose et farouche beauté, exerce un attrait irrésistible sur tant d' esprits. A ce titre donc, d' enfants de l' Alpe, les saules, ces modestes, ne méritent pas l' inattention, voire le dédain du touriste; au contraire, aidé par le sens de l' observation qui doit exister en lui, il les remarquera, les examinera avec intérêt et plaisir et se dira: En leur donnant la vie, la nature a fait œuvre méritoire; admirons-la de tout notre pouvoir, car nos yeux, sans cesse, nous y invitent.

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