Souffles d'enfer sur le Medel | Club Alpin Suisse CAS
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Souffles d'enfer sur le Medel Excursions à ski autour du Lukmanier

Les hautes murailles dominant le glacier de Medel, à la frontière des Grisons et du Tessin, portent les noms de Piz Cristallina, Piz Uffiern, Cima di Camadra et Piz Medel. Avec ses 3210 m, ce dernier est le plus élevé et le plus brillant des joyaux de cette couronne. Un eldorado pour les randonneurs à snowboard ayant l' expérience des glaciers.

La carte de randonnées à skis est sillonnée de lignes rouges. A la Camona da Medel, la veillée est occupée à une vive discussion sur les possibilités d' excur du lendemain. Nous sommes particulièrement tentés par la descente du flanc est-nord-est du Piz Medel: praticable par bonnes conditions, il offre sur 500 mètres de dénivelé des pentes allant jusqu' à 30° d' abord, puis 40° pour aboutir au Glatscher da Lavaz. De là, on peut revenir à la cabane de Medel en remontant de 250 mètres à l' opposé, ou atteindre la cabane de Scaletta ou celle de Terri en passant la Fuorcla Sura da Lavaz pour traverser la plaine de la Greina. Le mieux est de prévoir deux ou trois jours avec un bulletin d' avalanches annonçant quelque chose comme: « Les conditions sont généralement excellentes pour la randonnée alpine. »

Malheureusement, le bulletin d' ava de ce jour n' est pas de cet avis. Au contraire: il prévoit de forts vents et des amoncellements de neige fraîche. Nous choisissons donc d' aborder le Piz Uffiern, un des piliers du Piz Medel, pour gagner le Piz Cristallina et de là, descendre par les pentes nord sur Fuorns: un dénivelé de 1700 mètres! C' est mieux qu' une excursion de remplacement.

Nous passons une soirée paisible. Les derniers rayons de soleil traversant la fenêtre panoramique de la nouvelle annexe pour baigner les cartes, les boissons et nos visages d' une clarté d' or.

Le matin suivant fouette nos visages de soufflets de vent glacé. Quel est le caprice qui nous envoie ces salutations polaires du glacier? Un regard en direction du Piz Medel laisse deviner ce qui nous attend: de fins cristaux de neige scintillant dans la lumière du matin paraissent propulsés par des canons à neige dissimulés, silencieux et menaçants, derrière les arêtes des plus hauts sommets. Malgré ces signes, nous faisons route vers le départ de l’itinéraire, situé 200 mètres plus haut sur le plateau glaciaire.

Il faut affronter la pénombre et un parcours désagréablement glissant pour atteindre le glacier de Medel, qui nous accueille avec le soleil matinal comme la salle des fêtes d' un palais royal. Encordés et tenant quelques anneaux en main, nous remontons en longs zigzags la vaste langue glaciaire. Plus nous approchons du massif rocheux du Piz Uffiern, plus fort souffle le vent. Les cristaux de neige balaient le sol comme de fugitifs nuages. Par vent arrière, nous avons l' impression de voler en direction du sommet. A chaque changement de direction, le vent, nous chahutant de droite et de gauche, nous force à rattraper les écarts latéraux, et rugit dans nos capuchons serrés. Avant même d' atteindre le dépôt des snowboards sous l' arête sommitale, nous sommes presque bloqués, incapables d' entendre nos propres paroles et cachant nos visages dans le Gore-Tex. Impossible de déposer ou de déballer quoi que ce soit, de crainte de voir tout s' en. Nous trouvons quelque abri dans une anfractuosité rocheuse où nous nous accroupissons sous un ciel d' un bleu éclatant, à quelques mètres à peine du sommet. Le Piz Uffiern, qui semble hors d' atteinte, mérite ici son nom romanche: l' enfer, ou les enfers.

Un vent démoniaque hurle furieusement dans les rochers. Nous nous désencordons et chaussons nos crampons. Le diable nous laisse froids, si l'on peut dire, et pourtant nous hésitons. Nous aurions bien aimé admirer la vue sur la plaine de la Greina, le Campo Tencia, voire l' Ober bernois ou réaliser tout ce que la région du Medel peut encore offrir comme possibilités. Nous n' en avons maintenant qu' une seule: redescendre dans la vallée.

Le flottement de nos anoraks produit un vacarme pareil à celui d' une glissade effrénée sur la plaine glaciaire. Nous n' atteignons même pas la vitesse d' un homme au pas dans le premier passage vent debout. La pente devient ensuite plus raide et le vent faiblit enfin, pour se faire oublier dans la descente vers Fuorns par le val la Buora. La tempête nous a quittés aussi subitement qu' elle nous avait saisis. Deux cents mètres au-des-sous du plateau glaciaire, nous sommes réchauffés par un soleil printanier et retrouvons le calme habituel. Une harde de chamois nous observe, seuls visiteurs. Le tapis de neige fraîche nous offre un bon support jusqu' à la route du col. Nous détachons alors nos fixations avec la satisfaction enthousiaste d' avoir surmonté les affres du passage en enfer et d' avoir trouvé notre paradis tout près. Et tant pis pour le sommet manqué de peu !

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