«Un infini de désolation et d'implacable rudesse» | Club Alpin Suisse CAS
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«Un infini de désolation et d'implacable rudesse» Et pourtant: une course alpine facile au Diechterhorn

Proche du col du Grimsel, ce sommet haut de 3389 mètres est accessible au terme d' une excursion facile, qui n' a rien perdu de sa beauté depuis la première ascension en 1864. L' itinéraire passe par une des plus vieilles cabanes du CAS.

Jetez un regard sur les programmes annuels des sections du CAS! La plupart proposent une grande diversité d' excursions dans tout l' espace alpin, et même au-delà. Les membres désireux de découvrir de nouveaux sommets n' ont que l' embarras du choix. Ce ne fut pas toujours le cas. Aux temps héroïques, le Comité central du CAS définissait chaque année une à trois régions « officielles » où les sections proposaient des courses destinées à la découverte des itinéraires alpins, des mystères topographiques et des richesses naturelles. Mais ce qui ressemble à un exercice d' état général n' avait pourtant rien d' ennuyeux et donnait l' occasion de nombreuses rencontres entre alpinistes de diverses régions du pays. Cette pratique des régions d' excursion perdura jusqu' en 1903.

Pour 1863, l' année de sa création, le CAS choisit les Alpes glaronnaises comme théâtre des courses guidées. L' année suivante, ce fut la région de Trift, où se rencontrent les cantons de Berne, d' Uri et du Valais. De nombreux membres eurent alors l' occasion de découvrir les montagnes situées entre le Diechterhorn, le Dammastock et le Galenstock. On peut lire dans le Bulletin annuel du CAS ( Jahrbuch des SAC ) de 1865: « La région abritant le Triftgletscher et le Rhonegletscher, choisie pour être durant l' année écoulée le principal terrain d' exploration des clubistes helvétiques, offrait encore sur de nombreux points le charme de l' inconnu. Il n' existait pas alors de carte exacte de ce territoire alpin si longtemps négligé dont la crête centrale dressait des cimes encore inviolées. D' autres sommets dans les alentours attendaient encore que l' humanité curieuse leur prête l' attention qu' ils méritaient1. »

Cette région était bien éloignée des zones habitées, ce qui incita la section de Berne à édifier hâtivement un abri sommaire à l' entrée du cirque du Trift. Cette construction légère en bois « d' une simplicité exemplaire » fut inaugurée ponctuellement le 6 juillet 1864, premier jour de la campagne d' excursions. Une année auparavant, le CAS avait érigé au Tödi un abri constitué d' un enclos en pierre dépourvu de toit, que l'on avait pompeusement baptisé « Grünhornhütte », alors qu' il s' agissait juste d' un bivouac. On peut donc bien désigner la Trifthütte comme la première cabane de l' histoire du club.

Son emplacement s' est avéré judicieux: « Appuyée à la falaise du Telltistock, elle fait face aux étincelantes terrasses du Triftgletscher, qui se succèdent sous la brèche de Triftlimi. Plus bas, la houle immobile des séracs affiche au fond du cirque le calme d' un lac gelé. A cette vision nostalgique d' une nature âpre et sauvage s' oppose ici la paix méritée de l' effort accompli. »

Dans le cadre de l' excursion exploratoire, M. Schwarzenbach-Hüni, de la section Uto, et son guide Johann von Weissenfluh quittèrent le modeste abri au matin du 2 août 1864, en direction du Diechterhorn. « Nous nous sommes progressivement approchés du sommet par un cheminement en zigzag, sur un névé toujours plus pentu. Cent mètres environ sous la cime commence une arête formée d' empilements de gros blocs de granit. Après les avoir escaladés et au terme de cinq heures de marche, M. Schwarzenbach-Hüni prit pied à 9 h sur le sommet principal ( le plus méridional ). Une grande plaque granitique horizontale invite à la pause, et l'on y jouit d' une vue panoramique et majestueuse sur les groupes du Pilatus, du Titlis, des Sustenhörner, du Dammastock, du Galenstock, du Gothard, de l' Ofenhorn, du Bortelhorn, du Monte Leone, du Finsteraarhorn et du Schreckhorn. Malgré le temps ensoleillé et doux, M. Schwarzenbach-Hüni a ressenti dans leur spectacle une impression de désolation et d' implacable rudesse, imposant au regard un infini de roche inerte, de neige et de glace où manque l' apaisante présence de la végétation. Ne trouvant aucun signe de présence humaine antérieure, nous déposâmes le certificat de première ascension, pourvu de toutes les formalités consignées au moyen d' une plume à encre. Au bout de cinq heures et quart, nous descendîmes précautionneusement les rochers instables pour retrouver la neige ramollie, où nous trébuchâmes péniblement jusqu' à trouver une pente plus raide, où nous nous précipitâmes en successions de glissades et de culbutes. »

Si l'on se plonge aujourd'hui dans la littérature alpine, on n' y trouvera plus guère de descriptions aussi poétiques. Le guide CAS actuel Urner Alpen se contente de qualifier le Diechterhorn ( qui est le sommet le plus élevé de la chaîne ouest du Trift ) d'«idéal pour le ski ». C' est indéniable, mais il est dommage d' oublier que le Diechterhorn est aussi une belle course d' été. C' est un parcours glaciaire facile avec de belles pentes de névés, un final d' escalade et une descente assez technique. Le plus intéressant est d' en faire la traversée au départ de la Trifthütte pour gagner la région de Gelmer. Et même si les vagues immobiles du glacier sont en recul sous la cabane, si la simplicité exemplaire de la Trifthütte a connu quelques améliorations, et s' il n' y a plus le même frisson à l' approche de la montagne, on trouvera au sommet du Diechterhorn le même spectacle « désolé et rude » qu' il y a 146 ans. Cette année encore, ce sommet figure au programme des courses de plusieurs sections du CAS. Sans « assignation » venue d' en haut.

1 Toutes les citations ( traduites ) sont tirées du Jahrbuch des SAC ( Bulletin annuel du CAS ) de 1865. 

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