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Un nouveau membre de l'ONU, le Bhoutan, pays des glaciers inconnus

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Blanche C. Olschak, Zurich

Le Bhoutan vient d' entrer dans le cercle des Nations Unies: c' est un petit royaume himalayen, qui compte 800000 habitants seulement pour une surface de 47000 km2, et formé de hautes vallées fertiles, séparées par des cols d' une altitude élevée. Encore inconnu et retranché du monde qu' à une époque récente, le Bhoutan, situé au sud-est de l' Himalaya, vivait en économie fermée et médiévale, fondé sur sa culture bouddhique très ancienne, se suffisant à lui-même et manifestement heureux. Sa brusque entrée dans notre civilisation technique, financée par l' aide au développement de l' Inde - qui représente le Bhoutan, membre des Nations Unies, devant la A la question qui s' impose: « Pourquoi sont-ils tombés? » je ne puis répondre, car, concentrés sur notre opération de sauvetage, nous ne nous sommes pas renseignés à ce sujet. Peut-être une imprudence? PeuUêtre une glissade sur la glace? Ou un passage vraiment par trop difficile? Nous ne le savons pas. Quant à leur équipement, il semble qu' on ne puisse faire aucun reproche à ces deux touristes.

En revanche, qu' il me soit permis, en terminant, déposer la question: « Est-il admissible que, sans aucune expérience de la montagne, ou avec une formation d' une année seulement, on veuille accomplir déjà une ascension de ce niveau? » Nous n' avons plus jamais eu de nouvelles de ces deux alpinistes.

Camaraderie montagnarde?

Traduit de l' allemand par G. Widmer politique mondiale - attira l' attention sur cet Etat nain qui doit se faire une place entre deux colosses, la Chine au nord et l' Inde au sud. L' opinion populaire sur le Bhoutan, pour autant qu' elle existe, oscille entre le « gaz butane » et une île perdue peut-être au milieu du Pacifique... Mais il y a des exceptions: l' Angleterre, grâce à sa vieille expérience de l' Inde qui est passée dans les écoles, et... la Suisse où les alpinistes ont éveillé un intérêt pour la culture de ces peuples qui ont encore dans leur pays des sommets invaincus, séjour des dieux depuis des temps immémoriaux. Le Bhoutan est vraiment le but des rêves de tous les alpinistes, car il est effectivement le pays 1Charpentiers au travail 2Bhoutanaises transportant des matériaux pour la construction en colombage 3Tsenda Kang, à Vouest de Lunana, dans le Bhoutan septentrional des glaciers inconnus. Si jamais vous avez dû contourner tout le Pakistan oriental, venant de Calcutta, à cause de difficultés fréquentes dans ces régions, vous aurez eu la chance de pouvoir observer d' en haut quelques milliers de kilomètres de frontière himalayenne - en hiver par exemple, quand la vue est très claire. La caméra douloureusement enfoncée dans le sac -car les prises de vue aériennes sont interdites -on croit reconnaître toute la chaîne himalayenne, qui s' étend sur 5000 km, du Karakorum à la ligne NEFA' orientale. Au-delà se trouve le toit du monde, disparaissant à l' horizon dans la brume. On assiste pour ainsi dire à la parade des sommets et des glaciers. Le Kangchenjunga se détache nettement, tel un géant au-dessus du minuscule Sikkim. Au nord-ouest se dresse la reine des montagnes divines, le Chomolhari, à la frontière du Bhoutan. C' est ici que commence la chaîne frontière des montagnes encore inconnues du Bhoutan. Voici maintenant le glacier de la longue vie ( Tsering Kang ) puis le Masa Kang ( 7200 m ), qui domine la localité de Laya située à 3800 mètres. Le Masa Kang porte le nom de la race des Masang, ancêtres préhistoriques des peuples tibétains. Ce nom vient d' une époque disparue, chamaniste, où les montagnes n' étaient pas encore le séjour des dieux, mais les dieux eux-mêmes. Masang est aussi l' ancêtre de Gesar, héros de la saga d' Asie centrale et de tous les peuples qui occupèrent l' Himalaya à partir du toit du monde. On honore en Gesar le conquérant légendaire de toute l' Asie centrale et on dit qu' il ressuscitera si son peuple est en danger.

A l' ouest du Bhoutan se trouve un col prétendument facile. C' est Pämä La, le col du lotus, l' an route des caravanes qui relie depuis toujours le toit du monde au sud, à l' Inde. Cette route part de la vallée tibétaine de Chumbi, passe le Phari Dzong et le col du lotus et traverse la vallée bhoutanaise de Paro. C' est là, à une altitude de 1600 à 1800 mètres, que cotn- 1 Abréviation de Nord East Frontier Agency.

mence, pour tous ceux qui viennent du nord, le jardin paradisiaque du sud, ainsi qu' on désigne le Bhoutan dans de vieux textes. Car les fruits du sud y poussent aussi bien que les plantes du nord; des rizières fertiles s' allongent dans les vallées étroites tandis que le vent violent des moussons d' été, venu du sud, fait grimper le rhododendron jusqu' à plus de 3500 mètres. C' est par le passage difficile du Lingzhi La ( au nord du Chomolhari ) qu' est venu en 1600 Zhabdung Ier; il établit la suprématie et l' auto de la théocratie de Dukyü, pays du dragon tonnant, qui tire son nom de la secte bouddhique de la Dupka. Le Tomo La ( au nord du Masa Kang ) et, plus à l' est, le Mon La, le Pô La et le Me La ( au nord de Lhuntse Dzong et Chörten Kora ) sont plutôt des passages pour voyageurs solitaires; à 5000 mètres d' altitude et plus, impraticables en hiver, ils défendent l' approche de la frontière nord, qui se confond avec la ligne naturelle de partage des eaux. Le prochain passage du toit du monde au sud, au-delà de la frontière orientale du Bhoutan, passe par Tawang; c' est la route qu' a suivie l' actuel Dalai Lama lors de sa célèbre fuite; elle pénètre en Assam, au-delà de la ligne NEFA.

Le plus haut sommet du Bhoutan, à 7550 mètres, est le glacier des trois frères spirituels ( Kangka Pün-sum ) dont le nom se réfère à la coexistence, un temps pacifique, des Bhoutanais, des Tibétains et des indigènes Mönpa. Toute la région septentrionale du Bhoutan est un splendide désert de roc et de glace, une solitude majestueuse. En grande partie inconnu des indigènes eux-mêmes, rarement parcouru, il fut exploré par la seule expédition géologique du professeur A. Gansser, dont les photographies, par exemple celle de la petite forteresse en ruine, au pied du Chomolhari, permettent de jeter un regard sur ces solitudes montagneuses. Cette forteresse, qui s' élève au premier plan de l' inquiétant no man' s land du Chomolhari, date du début du XVIIe siècle, époque où le pays du dragon tonnant défendait son indépendance à la frontière occidentale. Le 4Chaîne frontière du Tsering Kang. Glacier de la longue vie ( Bhoutan septentrional ) 5Sommets de la chaîne frontière septentrionale, encore entièrement inconnue ( à Vest de Chumhari Kang, Lunana ) 6Lac glaciaire, au nord-ouest de Lunana. A l' artière plan, le massif encore inexploré du Tsenda Kang Photos: U. et A. Gansser, Küsnacht ( ZH ) Chomolhari, la puissante reine des montagnes divines ( Jo-mo Lha-ri ) est pour l' instant le seul sommet conquis du Bhoutan. Il faut mentionner à son sujet la première ascension par la face tibétaine, relatée en 1938 par F. Spencer-Chap-man. En avril 1970, la première équipe bhoutano-indienne se lançait à l' assaut du Chomolhari. Cet événement a été décrit dans le Kuensel, bulletin officiel du Bhoutan. Ce récit présente des aspects si typiquement vieux-bhoutanais que cette visite à la reine des montagnes divines doit être rendue avec les mots mêmes du sous-lieute-nant Chachu qui a vécu l' aventure.

Pour nous, le Chomolhari, haut de 7320 mètres, est une montagne sacrée, car c' est la demeure de la déesse Jo-mo Lha-ri. La plupart des Bhoutanais croient que les montagnes ne peuvent pas être gravies, car elles sont sacrées. Cette croyance est propre à tous les montagnards, peut-être parce que la montagne joue un rôle si important dans notre vie à tous. Moi aussi, j' ai été élevé dans cette croyance et j' ai toujours pensé que le Chomolhari était une montagne sainte que personne ne pouvait violer.

Malgré cela, ce fut une bonne surprise pour Chachu d' être choisi pour participer à l' expédi bhoutano-indienne. Et cela d' autant plus que le roi, toujours soucieux de marier l' anti tradition à la vie nouvelle, avait veillé à ce qu' une statue du Bouddha, bénie par les Lamas de Thimphu et transportée dans une urne, soit déposée au sommet avec les drapeaux du Bhoutan et de l' Inde.

Mous allions en équipe, pareils à une famille en pèlerinage, vers la déesse Jo-mo Lha-ri. Le 14 avril igyo, le camp de base fut établi à la limite des glaciers, à une altitude de 16500 pieds ( 4950 m ). Au-dessus de nous, le sommet de la montagne divine s' élevait majestueusement. Ce spectacle nous inspirait le respect. Trois d' entre nous trouvèrent une voie et nous arrivâmes à pieds ( 57oo m ) où le camp I fut établi le 18 avril.

Trois jours plus tard, le camp II fut monté à 23000 pieds ( 6900 m ) et, le 23 avril, le sous-lieutenant Chachu prit le départ avec une équipe de cinq: C' était un jour très clair. Je fis une prière, puis nous commençâmes à monter. Il nous fallut traverser des passages dangereux et tailler des marches dans la glace. Us atteignirent le sommet sud-ouest quelques heures plus tard. Après un bref repos, ils continuèrent leur chemin vers le sommet principal. Après un temps qui nous parut durer des jours entiers, nous arrivâmes à proximité du sommet, juste au-dessous, à cent mètres. Je levai les yeux vers la demeure de la déesse et... il se passa quelque chose en moi. Je sus brusquement que je ne pourrais plus continuer. J' étais encore trop fortement uni à la vieille tradition de mon pays pour pouvoir la briser si vite. Je décidai de rester là et d' attendre. Ce n' est qu' après bien des hésitations et des discussions que mes camarades me laissèrent ici, bien assuré à la corde. Ils me disaient qu' il n' y avait aucun mal à pénétrer dans la demeure de la déesse pour y prier. Nous étions tous venus en humbles pèlerins. Les alpinistes aiment et respectent la montagne et ne l' esca pas pour la profaner. Peu après, mes quatre camarades redescendirent, après avoir déposé au sommet les drapeaux et l' urne contenant la statue du Bouddha.

Tous ensemble retournèrent au camp II. Ils y rencontrèrent la seconde équipe, prête à partir et en pleine forme. Mais leur tentative fut moins heureuse. Ce second groupe s' égara à cause d' un brusque changement de temps. Malgré toutes les recherches, on n' en retrouva aucune trace. Le cœur lourd, nous dames finalement abandonner les recherches. Ce fut bouleversant... Pourtant, si j' en avais à nouveau l' occasion, je repartirais vers les montagnes saintes. Elles sont si bonnes. Leur sainteté nous pénètre. Les montagnes agissent sur l' homme. Quand on est allé une fois chez elles, on n' est plus le même. Quand on est allé une fois sur une montagne, on se sent plus pur, d' une certaine façon, touché par quelque chose de sacré!

Les paroles de ce jeune alpiniste bhoutanais mettent en lumière l' importance incroyable du saut que le Bhoutan a dû risquer entre les temps anciens et modernes. En 1948, l' Inde a hérité, puis complété l' ancienne constitution provenant de l' ère britannique. L' accord des deux pays en politique extérieure culmine maintenant dans la proposition de l' Inde d' admettre le Bhoutan au sein des Nations Unies. L' aide économique a été étendue à des plans quinquennaux, dont les deux premiers ( représentant au total 300 millions de roupies ) concernent principalement la construction d' écoles et d' un réseau routier que le Bhoutan commence à développer actuellement, du sud au nord et selon une ligne ouest-est. Le troisième plan quinquennal, inauguré le Ier avril 1971, s' est vu attribuer 355 millions de roupies, dont 300 millions offerts par l' Inde; il vise l' éducation, l' agriculture et la petite industrie. Si on le mesure avec la jauge de productivité occidentale, le Bhoutan est peut-être un pays sous-développé, qui ne sait pas utiliser ses ressources -de l' énergie hydraulique à l' agriculture et à l' élevage exclusivement non extensif. Mais en fait, le Bhoutan, qui vivait absolument pour soi, coupé du monde, était parvenu à une autarcie complète. Sa faible population n' avait nul besoin d' une agriculture extensive. Ce n' est pas pour rien qu' on le nommait au nord le paradis du sud, dans lequel tout pousse tout seul. L' éner hydraulique, utilisée dans les rizières qui s' éta jusqu' à 2800 mètres d' altitude, permettait des récoltes abondantes, si bien que l' ex était échangé contre du sel et d' autres produits avec les Tibétains. Dans ces régions situées entre 1200 et 1600 mètres, comme par exemple Phunaka, la résidence royale d' hiver, mûrissent sans soins particuliers les bananes, des agrumes aussi gros que des courges, de petites oranges et des noix; en outre des forêts de bambous et de conifères fournissent du bois en abondance: on s' en sert pour les huttes de bambou et les colombages à l' ancienne mode, sans aucun clou, des maisons, châteaux et couvents. Les moutons, les chèvres, les bœufs et les yaks du nord donnaient suffisamment de lait, de viande, de laine et de corne; on en tirait juste la quantité nécessaire. Grâce à une petite économie privée autarcique et à l' artisanat à domicile, on créait des tissages multicolores, dont les plus beaux étaient tissés des deux côtés dans une pure soie venant du sud du Bhoutan. Le papier de fibres végétales, produit au Bhoutan selon un procédé rustique, était célèbre dans toute l' Asie centrale. Il en était de même autrefois des épées réputées invincibles, des boucliers ronds recouverts de peau de rhinocéros, de la fonte des cloches et des travaux d' orfèvrerie. La matière première était tirée d' une mine à ciel ouvert d' hui improductive. On construisit dès le XVe siècle des ponts faits de chaînes de fer; vertigineux, mais praticables, ils reliaient les rives des cours d' eau, dangereusement gonflés pendant la mousson. Les grands châteaux forts, centres des quinze districts, autrefois sièges du pouvoir spirituel et temporel, surgissent du rocher et de la terre, avec leurs murs plus neufs à mesure qu' ils s' élèvent. Ici, ce n' est pas le terrain qui devait être aplani pour s' adapter à la future construction, c' est l' ouvrage qui se moulait sur la nature, et il s' est si bien confondu avec elle qu' il semble vraiment en être sorti. Dominant la vallée, ces constructions, qui possédaient autrefois une importance stratégique, sont aujourd'hui encore les centres de l' administration du district et ont gardé, tout à côté, les anciennes tours et les bâtiments des couvents. Le château de la capitale, Thimphu, s' est rapidement trouvé trop petit pour la bureaucratie naissante, née inévitablement avec le développement. On a dû agrandir l' ancien bâtiment et créer une nouvelle aile: elle est tout à fait dans le style ancien, toute proche d' une carrière! Des femmes ont écrasé la terre sous leurs pieds en chantant, à l' intérieur des bâtiments de pisé, et d' habiles charpentiers ont chevillé les poutres de bois sans aucun clou comme ils l' ont toujours fait. C' est ainsi également que se sont conservés les couvents perdus dans les rochers, très haut dans la montagne, malgré le brouillard humide et les tempêtes de la mousson: parfois toute la poutraison d' un temple s' organise autour d' une niche naturelle creusée dans la paroi de rocher et servant d' autel... Ces régions sont très solitaires, et il est rare que le pèlerin rencontre un groupe de voyageurs dans ces hautes forêts.

Actuellement, le trafic augmente, en même temps que le réseau routier se développe. Les habitants ont vu surgir plus d' étrangers; parmi eux, des pionniers indiens, constructeurs de routes, qui ont fait déjà des routes dans le haut pays himalayen, de Laddakh aux régions de la NEFA; on les distingue plus vite que les nombreux bâtisseurs de routes népalais — ils sont 80000 ouvriers — qui représentent lo°ó de la population.

Avec les routes, les besoins aussi s' étendent et c' est ainsi que plus d' un alpiniste ou touriste amoureux de la montagne qui cherche au Bhoutan son dernier refuge ou shangila, jette un regard navré sur les fils téléphoniques ou les poteaux télégraphiques qui sont sortis de terre le long de la route et font parte désormais du passage de Thimphu, tout comme les jeeps bruyantes et l' héliport, frère cadet de l' aérodrome modeste de Paro, qui témoignent que la civilisation moderne et la technique ont débarqué là aussi. Cette dernière est acceptée avec tolérance et bonne humeur, spécialement par les jeunes Bhoutanais. Au reste, il en va de même ici et partout dans des circonstances analogues: les jeunes ne portent plus l' amulette autour du cou ou le petit autel de voyage mais un petit transistor, où ils glanent des bribes de musique de jazz venues de Calcutta, en oubliant volontairement que, dans de bonnes conditions, on peut entendre aussi la voix de Lhassa qui - contrairement à tout ce que disent les communiqués officiels -prêche la rébellion dans toutes les langues et dialectes qu' on peut désirer et parle du retour à la mère-pairie.

Le Bhoutan a pour la seconde fois dans sa jeune histoire moderne la chance d' avoir à sa tête au bon moment l' homme de la situation: Urgyän Wangchuck, le premier roi élu à l' una au Bhoutan, a mené son pays vers les temps nouveaux, avec prudence, dès 1907 déjà, grâce à la compréhension des Britanniques, mais sans contacts avec l' extérieur. Son petit-fils, le souverain actuel, Jigne Dorje Wangchuck, ne jouit pas sans raison d' une autorité natu- relie incontestée, car il a pratiquement renoncé à elle. Non seulement il a redonné vie à l' assem populaire selon la meilleure tradition bhoutanaise, mais il a renoncé également à son droit de veto, et plus encore: sur sa proposition, l' assemblée populaire fut déclarée souveraine pour renverser un dirigeant qui agirait contre le bien populaire; cela lui valut deux fois déjà un vote d' entière confiance. Même avec toute la tolérance innée des habitants de ce petit royaume bouddhiste, le passage d' une culture autarcique et médiévale à l' âge de la technique ne saurait être simple. Dans ces conditions, c' est peut-être une chance pour le Bhoutan que le rêve d' un paradis pour touristes ne puisse se réaliser si rapidement. Les visiteurs sont encore rares. Jusqu' en 1921, il n' y eut pratiquement que les treize missions diplomatiques britanniques, devenues célèbres, à y pénétrer. Depuis 1952, des amis de la famille royale vinrent visiter le pays; parmi eux, des camarades de collège de la reine, suisses, anglaises, et américaines. Des botanistes japonais, des biologistes anglais et des géologues suisses, notamment, purent y organiser des expéditions scientifiques. Du point de vue de la tibétologie et de l' histoire ancienne, le Bhoutan est vraiment le pays des trésors cachés dont parlent d' anciens textes imprimés, fort rares, et qu' on a redécouverts. Ils jettent un jour tout nouveau sur cette partie sud-est de l' Himalaya où les premiers temples bouddhiques furent construits dans la première moitié du VIIe siècle déjà, et où les grands missionnaires bouddhiques, tels que Padmasambhava, fondèrent, à la fin du VIIIe siècle, les premiers couvents dans les rochers, à l' ouest et à l' est du pays. D' anciennes routes de pierre vont par des cols très hauts jusqu' au de la frontière orientale du pays et témoignent des communications qui existaient au Moyen Age entre les petites principautés. Dans les vallées hautes, des dialectes très anciens et de vieilles coutumes se sont perpé-tués. On peut encore y voir la danse des hôtes, exécutée par des danseurs vêtus de petites jupes de soie, qui, avec leurs tambours, écartent du chemin de l' hôte tous les esprits mauvais. L' an danse des héros est encore en vigueur, durant les fêtes de nouvel an, dans la cour des temples, près des châteaux, et les jeux rituels avec masques révèlent toute la vieille magie des danses symboliques qui accompagnent les représentations dramatiques. Il reste encore - et certainement pour longtemps - des hameaux perdus dans les rochers, où les balcons de bois du couvent sont suspendus au-dessus du vide. A Bumdah sur Parò, une école perpétue la tradition de la fresque; ces peintures murales ornent de couleurs splendides, inimitables, les murs des temples et même les parois de rocher dominant les couvents de montagne. Les drapeaux de prières claquent au vent, et les moulins tournent leurs prières - les plus petits actionnés à la main, les plus grands par le courant des rivières - pour amener le bonheur et la bénédiction sur tout ce qui vit. Cette prière, multipliée à l' in, s' en va vers tous les coins du monde, tandis que chacun prie pour que ce petit pays himalayen puisse sauvegarder la meilleure pant de ses anciennes traditions, au milieu de la civilisation moderne, où il est entré si courageusement.

Traduit de l' allemand par Annelise Brocard

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