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Une course de 1er avril: l'Arête des Fous

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Avec 1 croquis et 2 illustrations ( 6, 7Par W. Greenhalgh

( Cambridge ) Les montagnes d' Ecosse et du Pays de Galles fournissent aux Britanniques de dures varappes, et ils y deviennent des grimpeurs de première force dans le rocher. Mais pour retrouver les conditions de haute montagne — neige et glace — ils y vont également en hiver et au premier printemps. C' est une course de ce genre qui est racontée ici. Nous remercions le Cambridge Mountaineering Club de nous avoir autorisé à la reproduire.

All Fool' s Ridge se traduit littéralement par l' Arête des Poissons d' Avril. Le 1er avril, comme chez nous, est le jour des farces.

Nous étions confortablement allongés dans nos sacs de couchage, en train de nous remettre des fatigues du déjeuner, lorsque quelqu'un souleva la question habituelle: « Qu' est qu' on fait aujourd' hui « L' Arête, je suppose, dit Ian en fourrageant dans ses poches à la recherche de sa pipe. Ça m' est égal de cliqueter' le long de l' Arête avec ces souliers, mais je ne veux pas faire de varappe. » Je compris, en examinant ses chaussures, sa répugnance à faire de l' es avec de pareils godillots; il restait quatre clous sous chaque semelle, si lâches qu' ils tintaient dans leurs alvéoles, et ces « godasses » étaient à peu près aussi propres à la varappe que des patins à roulettes. Il me parut cependant que mon ami surestimait la différence entre grimper et « cliqueter », comme il disait, le long de l' Arête. L' Arête, à Glencoe 1, signifie la crête faîtière de l' Aonach Eagach; elle est magnifique. Au nord de Glencoe la montagne s' élève en pente abrupte d' environ 1000 mètres, pour retomber presque aussi précipitueuse du côté de Kinlochleven; le parapet de cette muraille est l' Arête d' Aonach Eagach. La partie la plus intéressante de cette crête s' étend sur plus de 3 km. et ressemble beaucoup à une lame de scie, sauf sur une longueur de 800 mètres où elle assume davantage l' aspect d' un peigne. Elle est, en proportion, aussi étroite qu' une lame de scie, de sorte que sa traversée oblige à gravir et descendre toutes les dentelures de la scie et du peigne. Une fois engagé sur cette crête, il faut continuer jusqu' au bout ou rebrousser, car les flancs sont trop abrupts pour descendre directement vers Glencoe. Cette traversée peut être une affaire assez croustilleuse à n' importe quel moment de l' année, mais particulièrement à Pâques, lorsque la montagne est plaquée de neige durcie ou de glace. Il me semblait que je pourrais y aller « cliqueter » moi aussi; du moins, moi, j' avais des clous à mes souliers.

La proposition de Ian semblait donc passer sans opposition lorsque Margaret se réveilla soudain: « Faisons-la au clair de lune, dit-elle; c' est la pleine lune ce soir, il doit faire assez clair. » Ian et John ne réagirent pas immédiatement, et il me fallut plusieurs minutes pour me rendre compte que tous envisageaient sérieusement de faire 1 Dans les régions montagneuses d' Ecosse, la plupart des noms sont en gaélique.Voici la signification de quelques-uns: Glencoe = Vallée des Lamentations; Aonach Eagach = Arête Dentelée; Meall Deargh = Mont Rouge; Meall Garbh = Mont Rugueux; Sgor nom Fiannaidh — Pic Fingal. Fingal est le héros légendaire de l' Ecosse; son nom est associé à la célèbre grotte de l' île Staffa.

la traversée de nuit. Bien que j' aie peine à le croire, mes protestations durent manquer de la vigueur nécessaire, car tout sembla réglé en un moment. Ian eut le dernier mot, tandis qu' il coupait des rondelles dans l' épais rouleau de ce qui lui servait de tabac: « C' est une chose qu' il me faudra bien faire une fois ou l' autre; autant maintenant. » J' étais comme dans un brouillard de stupeur incrédule. Il n' y avait apparemment aucun doute que mes trois compagnons avaient bien l' intention de faire l' Arête cette nuit-là et qu' ils s' attendaient à ce que je les accompagne. Comment au monde pouvaient-ils envisager sérieusement une chose pareille, je n' arrivais pas à le comprendre. En hiver l' Arête a la vilaine habitude d' accrocher les caravanes et de les forcer au bivouac; deux de mes amis ont employé neuf heures à cette traversée de la montagne enneigée, bien qu' il fît un beau soleil, et ont juste réussi à en sortir avant la nuit. Avec ou sans clair de lune, une tentative nocturne sur l' Arête était quelque chose de fantastique, de... Arrivé à ce point, je renonçai à argumenter plus avant et rabattis le capuchon de mon sac sur mon visage.

Dans l' après, nous descendîmes à Ballachulish faire l' emplette pour Ian d' une pipe en terre qui s' accorde avec son rouleau de tabac, et passâmes le reste de la journée à flâner au-dessus du village. Evidemment, il fallait ménager nos forces en vue de la nuit chargée qui approchait rapidement. Du moins, c' est ce que disaient les autres, car pour moi j' avais dépassé le stade de la pensée cohérente. Au retour, nous rencontrâmes Derek qui rentrait à Glencoe, après avoir fait l' Arête en sens inverse. Il y avait beaucoup de neige, annonça-t-il, et de la glace. Cela promettait d' être abominable.

Après un repas pantagruélique, nous nous étendîmes pour prendre un peu de repos. J' étais à ce moment plongé dans une sorte de coma de résignation fataliste. Si l'on devait m' emmener sur l' Arête cette nuit, et il semblait qu' il n' y avait plus moyen de l' empêcher, eh bien! ainsi soit-il. Mais je doutais d' en redescendre jamais.

J' étais en train d' envisager, comme dernière ressource, la possibilité fort improbable d' un orage lorsque, apercevant un chat qui farfouillait dans nos victuailles, je lui lançai une pantoufle pour le faire filer. Ce fut de ma part une grave faute, car le bruit réveilla les autres, et quelqu'un annonça qu' il était 8 1/2 h., juste le moment de partir. Sans cette malencontreuse pantoufle, ils auraient peut-être dormi jusqu' à 11 h. et je ne crois pas que même leur force de volonté eût été assez puissante pour les faire sortir de leur sac de couchage à cette heure de la nuit. II n' y avait maintenant plus rien à faire pour y échapper; je me glissai hors de mon sac et commençai à m' équiper. Margaret, John et moi endossâmes tous nos vêtements supplémentaires pour nous tenir au chaud lorsque la progression serait ralentie. Ian fit exactement le contraire, et s' habilla légèrement afin d' être obligé de marcher vite pour se réchauffer. Il apparut bientôt vêtu d' un pantalon de velours à côtes si déguenillé que ses genoux pointaient à travers des déchirures de 10 cm. à chaque canon.

A 9 h., après avoir traversé la route, nous abordâmes les pentes de Sgorr nam Fiannaidh, et je me disais que nous étions une bande d' idiots. A 9 h. 15 nous étions au haut des gazons, déjà éreintés, et tous convaincus que nous étions un tas d' idiots. Nous restâmes assis 10 minutes à nous le redire, et à observer les lumières de la vallée où les gens doués de plus de bon sens que nous étaient confortablement installés dans leur fauteuil à côté du feu, se demandant si ce n' était pas bientôt l' heure d' aller au lit. L' heure et demie qui suivit fut un des plus pénibles moments de ma vie. La pente de la montagne était constituée par un entassement de cailloux, adroitement liés les uns aux autres par les touffes de bruyère et n' offrant aux pieds qu' un point d' appui dé- testable. J' étais en nage; mes lunettes étaient constamment embuées de vapeur; je n' y voyais absolument rien. Tout ce que je pouvais faire était de ramener le pied en haut en espérant qu' il veuille bien crocher quelque part, ce qui ne réussissait que rarement. Le pullover de réserve que je portais autour du cou s' agrippait à la bruyère ou à mon piolet, le rouleau de corde ne cessait de glisser de mon épaule, un petit caillou s' était glissé dans mon soulier. Heureusement que les autres en étaient à la même enseigne, et tous les quarts d' heure nous nous laissions tomber haletants sur la bruyère. Durant une de ces haltes, tandis que je frottais mes lunettes pour la 17e fois, Margaret lâcha cette remarque malheureuse: « Il fera plus clair au sommet, avec le reflet de la lune sur la neige. » Ce fut le coup de grâce: la lune disparut derrière un banc de nuages et ne la revîmes pas de toute la nuit.

Toutefois, et bien qu' elle ait tout fait pour cela, même cette pente ne pouvait durer éternellement. Nous finîmes par nous extirper de la bruyère pour attaquer, en tapant des marches avec le pied, une pente de neige qui montait jusqu' à la crête. La neige était en condition parfaite, crissante avec une croûte ferme; nous montions lentement en serpentins, admirant les for- midables corniches surplombant Kinlochleven, et débouchâmes au sommet du Sgorr nam Fiannaidh.

C' est le point culminant de l' Aonach Eagach, et en même temps le commencement de l' Arête proprement dite; le lieu était donc tout indiqué pour y reprendre souffle et nous restaurer, ce dont nous avions grand besoin. Assis sur des blocs au pied du cairn, après avoir enfilé nos pullovers, nous fîmes un sort à nos provisions, fromage, dattes, le tout suivi d' une cigarette. Ma montre indiquait minuit et demi. Nous avions donc mis plus de trois heures pour gravir une montagne qui exige environ une heure et demie en temps normal. Bien sûr que nous étions une bande d' idiots. Tout à coup je me mis à rire: c' était maintenant mardi, 1er avril. Quatre crétins, engagés dans une course idiote, le Jour des Fous, ou plutôt la Nuit des Fous. Je ne sais trop pourquoi, mais peu à peu me vint la conviction tout à fait illogique que ça finirait peut-être par devenir drôle. Dieu seul pouvait dire quand nous re-gagnerions la vallée, si jamais nous y arrivions. Si nous gardions la même allure, ce serait certes dans un avenir lointain. Malgré tout, ça pourrait être amusant; au moins, nous ne serions pas surpris par la nuit sur l' Arête.

Reprenant nos piolets nous nous mîmes en route pour la traversée de l' Arête, l' Arête du Premier Avril. Elle plongeait fortement et devint bientôt très étroite. Nous retrouvâmes là les traces de Derek. La neige devait être très molle lors de son passage, car il y avait enfoncé de 20 cm ., laissant des « marmites » maintenant durcies juste là où je devais poser les pieds. La lumière était mauvaise, et lorsque mes lunettes s' embuèrent de nouveau, je commençai à glisser dans ou hors de ces trous et à tituber dangereusement par-dessus la crête. Peu soucieux de démontrer la possibilité d' une descente directe — et involontaire — vers Glencoe, je déroulai la corde, où je m' attachai avec John, et la descente reprit, bien contrôlée cette fois, tandis que nous admirions les effets de lune sur Bidein nam Bian, en nous demandant comment elle s' ar pour ne jamais éclairer notre route.

Depuis un moment, j' avançais dans une sorte d' automatisme inconscient, sans remarquer que la crête était beaucoup plus étroite et les pentes de chaque côté plus abruptes. Je me réveillai en escaladant un mur d' une quinzaine de mètres, disloqué et branlant. A l' autre bout, sur une petite plateforme, Margaret, ancrée à son piolet, assurait Ian qui négociait le ressaut suivant. Nous étions arrivés au début de la section « peigne » de l' arête, où Ian allait commencer à cliqueter pour de bon.

A partir de ce moment, la suite des opérations s' estompe dans le vague, comme un film de cinéma pas au point. Je n' ai gardé des souvenirs distincts que de certains passages. Nous avons gravi puis redescendu des tours, des contreforts, des pinnacles, tantôt sur la neige, tantôt sur le rocher, mais le plus souvent sur une abominable combinaison d' herbe gelée et de neige en poudre. A 3 h. 30 je rejoignis de nouveau Margaret occupée à assurer Ian pour la descente d' un ressaut scabreux consistant en une pente de glace vive encastrée entre deux pylones de rocher lisse et sans prises. Ian tapait de toutes ses forces de son piolet, avec l' entrain d' un pic épeiche, ce qui nous laissait espérer un bel escalier de marches dans la glace. Fait curieux, la plu- part de ces marches semblaient avoir disparu lorsque Margaret descendit à son tour, et elle eut des remarques acides sur la prévoyance de son compagnon de cordée qui était descendu le premier, la laissant se débrouiller sans l' assis d' une corde tendue d' en haut. Le bourrelet de nuages lumineux — c' était tout ce que nous pouvions voir de la lune — était sur le point de disparaître derrière l' horizon, aussi me hâtai-je de suivre, laissant John descendre dans l' obscurité devenue encore plus complète. Il trouva la chose fort mauvaise — je le comprends — malgré le flot de conseils que Ian et moi, assis sur un bloc au fond de la brèche et essayant de combiner nos souvenirs très vagues quant à la position des prises, ne cessions de lui prodiguer.

Par déférence pour les idées de Margaret sur les inconvénients d' être en queue de cordée, Ian la laissa prendre la tête pour gravir la dentelure suivante, ce qui donna aux trois autres le temps de fumer une cigarette. Et qu' elle était bonne! Lorsque nous nous remîmes debout, je me rendis compte qu' il devait faire très froid: mon gant était collé au piolet par le gel; il fallut l' arracher de force; toutefois, cela facilitait le problème de l' adhérence au rocher: je n' avais qu' à poser la main sur une protubérance quelconque et mon gant s' y fixait incontinent par le gel.

Nous nous trouvâmes tous réunis au sommet de la tour suivante pour discuter la nature d' une tache de lumière rougeâtre visible au nord par-dessus la crête de Mamore. Nous finîmes par conclure que ce devait être une aurore boréale; quoi qu' il en soit, nous ne pûmes sur le moment rien imaginer d' autre.

L' Arête devenait maintenant un peu plus horizontale, et les dentelures plus petites; il fallait néanmoins les gravir. A un certain endroit, j' éprouvai une véritable exaspération lorsque, ayant escaladé puis redescendu avec moult précautions, à la suite de John, une tour de quatre mètres, je dus recommencer aussitôt la même manœuvre par-dessus une autre tour de trois mètres. Cela m' apparut comme une mauvaise plaisanterie, et à ce moment je n' étais plus d' humeur à plaisanter. Peu après, John me fit dérouler toute la longueur de notre corde de 40 mètres pour atteindre le sommet d' un bastion d' une dimension exceptionnelle, et nous cria d' en haut que c' était Meall Deargh, la dernière pointe. Je grimpai à mon tour sur le fil d' une mince lame de rocher solide, un vrai plaisir, et là je constatai que je pouvais distinguer la figure de mon camarade. Arrivé en haut, il n' y avait plus de doute, l' aube était là, et nous pouvions voir l' Arête au-dessous de nous qui allait s' élargissant en une suite de bosses doucement ondulées. Nous nous hâtâmes d' enlever la corde avant que cette satanée crête ait le temps de changer d' avis, puis nous nous assîmes pour grignoter les restes de fromage, de dattes, et tout ce qui dans le sac avait l' air mangeable.

Une soudaine bourrasque de neige, venue du Ben Nevis, nous enveloppa de ses tourbillons et nous rendit la vie amère pendant quelques instants. Lorsque la rafale fut passée, et que j' eus nettoyé mes lunettes, Ian et Margaret avaient pris de l' avance et avaient disparu derrière une des bosses de la crête. Nous nous hâtions à leur suite, John et moi, quant tout à coup, arrêt brusque avec un grognement. Margaret était assise dans la neige, laissant filer la corde à Ian qui descendait un autre ressaut abrupt. Sans doute, c' était là une dernière farce que l' Arête voulait nous jouer avant de nous laisser descendre vers le dîner et le gîte. Pendant que nous démêlions notre corde et que nous nous rattachions, Margaret avait commencé la descente, et le bruit confus d' une violente discussion monta jusqu' à nous, tandis que je posais le pied sur l' escalier de roc. La situation s' éclaircit bien vite lorsque je parvins un peu plus bas. Mon escalier se faisait de plus en plus vertigineux et finissait par mourir au-dessus d' un surplomb de 5 mètres. Bien qu' il occupât le bon bout de la corde, Ian avait passé là de drôles de moments, et Margaret avait préféré essayer ailleurs. Elle était maintenant agenouillée sur une étroite bande de gazon dangereusement inclinée et cherchait à dégager une prise avec son piolet, tout en lâchant un torrent de paroles, incongrues dans une bouche féminine, à l' adresse de l' architecte de l' Arête, et du sort réservé dans la vie future aux hommes qui la laissaient descendre en dernière de cordée un endroit aussi scabreux. Pour moi, je déteste les gazons traîtres; par contre j' ai une très grande confiance dans la solidité de la corde, aussi me décidai-je pour l' itinéraire de Ian, par le surplomb. Grâce à ma taille — je dispose de 15 cm. de plus que mon camarade — je pus utiliser une loupe de rocher, dans le genre de celles qu' on appelle habituellement « prise Dieu soit béni », et ne trouvai pas le passage trop difficile, mais je pus apprécier l' embarras de Ian dans ce mauvais pas. John étant de la même taille que Ian, tâtonna et gratta désespérément au point critique; il finit par remonter pour prendre la route de Margaret. La plupart de ses paroles, tandis qu' il descendait, furent heureusement absorbées par le gazon de la vire; mais ses remarques ressemblaient curieusement, dans leur sens général, à celles de Margaret. J' en conclus qu' après tout il y avait un certain avantage à être grand.

La corde roulée, nous trottâmes à la poursuite de Ian et Margaret qui, à leur habitude, avaient disparu derrière la prochaine ondulation. Le temps était maintenant radieux; une légère brise soulevait la neige poudreuse tandis que, par bonds et glissades, nous approchions de la selle au-dessous de nous. La pointe suivante serait définitivement la dernière, et de son sommet nous allions dégringoler par des pentes faciles jusqu' à la route. John se réjouissait déjà à haute voix à la perspective d' une longue glissade. L' arête se relevait une dernière fois et... la douce brise se changea soudain en un vent glacial et désagréable. Ayant tourné une nervure du terrain, nous aperçûmes Ian en train de tailler des marches sur une pente vertigineuse de gazon et de glace, tandis que Margaret, assise dans la neige, lui filait de la corde. Nous avions déjà vu cela quelques fois.

Il était 10 h. 1/2 quand nous arrivâmes à la route. Etendus sur la banquette de gazon tendre, les pieds sur nos piolets, nous allumâmes une cigarette en essayant de ne pas penser aux dix kilomètres de route qui nous séparaient de nos victuailles et de nos sacs de couchage. Mes pieds se plaignaient de m' avoir porté pendant treize heures et demie depuis notre départ, et mon estomac criait que seize heures s' étaient écoulées depuis notre dernier repas. Dix kilomètres sont un long bout de chemin, par la route ou autrement. Quelqu'un a dit une fois: « Ce serait bien plus agréable de faire de la montagne s' il n' y avait pas tant à marcher. » Deux heures plus tard, jetant pêle-mêle dans un coin cordes et piolets, nous nous affalions sur nos couches. Ne me demandez pas comment nous avons réussi à préparer un repas et à le manger; je crois que ce fut tout simplement une chance que l' un de nous se réveilla au moment critique. La dernière chose que je me rappelle, c' est Ian examinant d' un air lugubre ce qui restait de son pantalon. Les déchirures béantes aux genoux s' étaient graduellement élargies, et quelque part le long de l' arête il avait achevé le désastre en y plantant son piolet, croyant le ficher dans la neige. Pendant les dernières heures, c' était tout à fait comme s' il avait eu un kilt au lieu de pantalon. Il en portera probablement un la prochaine fois que nous ferons ensemble l' Arête d' Aonagh Eagach, mais je veillerai à mieux choisir l' heure et la saison.

Traduit par L. S. du Cambridge Mountaineering Journal

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