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Varappe à gollots

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

PAR MAURICE BRANDT, GHM LES AIGLONS, JURA

Avec i Illustration ( 93 ) II est encore rare, pour le varappeur qui parcourt les voies tracées dans les rochers de notre pays, de rencontrer des gollots sur son chemin. Le gollot, pour ceux qui l' ignorent, est une espèce de piton utilisé pour la progression et dont le logement doit être foré au moyen du burin et du marteau. Primitivement, on parlait de pitons à expansion, puisque, en chassant le piton dans son trou, on exerçait, par une astuce technique, une pression radiale qui contribuait à la fixation du piton. Après de multiples essais et solutions provisoires, on s' est arrêté au gollot de section ronde ou carrée qui se chasse sans expansion. On semble être arrivé au terme d' une évolution qui se concrétise par un gollot de très faible poids et dont la longueur forcée dans le rocher varie de 10 à 25 mm. La naissance d' un nouveau moyen technique poussera le varappeur à l' utiliser là où les moyens actuels ne lui permettent plus de se déplacer. On criera probablement au scandale, comme on s' est offusqué lors de l' apparition du piton maintenant classique. Que de réticences n' a pas marquées dans nos milieux alpins qu' une génération a manqué de respect à la montagne en prétendant la vaincre avec des fiches defer! On invoquera les principes sacrés d' un alpinisme qui se veut immobile, toute évolution étant suspecte de porter en elle les premiers symptômes d' une décadence.

Cependant les varappeurs d' aujourd ne sont pas des innovateurs. Qu' on veuille bien se souvenir que c' est depuis fort longtemps que ce principe a été adopté pour vaincre des sommets rébarbatifs et peu disposés à succomber sous des assauts classiques. On a planté des fiches de fer dans un trou fait au burin pour se hisser au sommet de la Vierge de Gagnerie, pour fouler le sommet du Clocher du Portalet, pour franchir la dalle de Pierre Cabotz, pour tenter Y Enjambée à l' arête des Salaires, pour monter au Grenadier des Gastlosen, pour vaincre la face nord du Stockhorn, etc...

Ces fiches témoignent toutes d' un esprit d' entreprise qui ne date pas d' aujourd. Il serait alors vain de parler d' une évolution récente, mais plutôt d' une lente transformation dont les aînés ont suggéré le départ et que les varappeurs actuels ont amenée à une perfection. Plus récemment on a utilisé le gollot à la face sud de l' Aiguille du Midi, à l' ouest du Dru et à l' éperon sud de la Dent de Ruth. Ces voies sont superbes, l' unique gollot de l' Aiguille du Midi a rendu possible la réalisation d' une voie de toute beauté, les gollots de la Dent de Ruth ont permis de franchir un passage exceptionnel. Rebuffat n' a pas admis de capituler à l' Aiguille du Midi et lui, qu' on ne soupçonnera pas d' avoir trahi l' idéal alpin, n' a pas hésité à franchir le pas délicat sur un gollot. Probablement sans complexe de culpabilité et la conscience nette!

Pour juger des impressions que peut ressentir le varappeur engagé dans un passage de gollots, il faut l' avoir vécu et ne pas porter de jugement qui ne soit appuyé par l' expérience.

Dans leur domaine, les varappeurs jurassiens n' ont pas hésité longtemps à forer les trous qui leur ont permis de réaliser des voies impraticables sans cela. C' est dès 1958 que se font les premiers essais, sans grande garantie de sécurité. En effet, le système à expansion provoque souvent l' éclatement de la roche, et il faudra l' abandon de ce moyen pour arriver à une sécurité absolue. Encore une inconnue cependant: combien de temps le gollot restera-t-il solide dans son logement? Les plus vieux gollots utilisés dans le Jura datent de neuf ans et ils sont encore irréprochables. Exposés au seul cisaillement, ils sont maintenant fréquemment utilisés dans les surplombs, sous traction et cisaillement. Ceux qui auront tenté l' expérience de planter un gollot verticalement dans un toit et essayé de l' arracher n' hésiteront plus à lui attribuer une sûreté supérieure à celle des pitons classiques.

Cette impression, chacun d' ailleurs l' éprouvera s' il est engagé dans la voie de la Glatti Flue. C' est avec plaisir qu' on quitte les pitons couplés ou fichés dans un bouchon de bois pour la sécurité des gollots. Au-dessus de Rosières ( SO ) s' élève un immense miroir de pierre parfaitement lisse. Les indigènes lui ont donné le nom de Glatti Flue. Il semblait impensable qu' un jour une voie y soit tracée. Et c' est cependant le 1 er mai 1964 que P. H. Girardin et P. Wieland en atteignent le bord supérieur, après avoir tracé une voie d' une grande élégance. Je me suis trouvé en litige avec P. H. Girardin, quant à la hauteur réelle de la voie. Les 83 mètres indiqués dans le Guide du Jura lui semblaient trop faibles. Il n' y avait plus qu' à y aller voir ensemble, et c' est ce que nous fîmes un samedi de novembre 1966, où le risque d' y rencontrer quelqu'un était pratiquement nul, une bise très froide poussant de lourds nuages de neige. Les arbres étaient givrés, le soleil absent.

Nous remontons avec plaisir le vaste pierrier de la Grossi Risi pour nous réchauffer. Il fait sombre, mais le rocher est bien sec, à l' exception de la très caractéristique traînée d' eau qui macule la paroi en son milieu. Bien réchauffés, nous nous encordons à 40 mètres et Paulet me fait l' honneur de sa voie. Avant d' atteindre la base du miroir proprement dit, il faudra surmonter partiellement en escalade libre l' assise de la paroi. Un zigzag dans des gazons enneigés et du terreau humide nous amènent au premier relais sans trop de difficultés. Les chaussures embourbées ne nous aideront guère à surmonter la première fissure coudée, difficile, qui amène, à gauche, sur une vire herbeuse où les chaussures reprennent ce qu' elles avaient perdu de terre. Un dièdre en dents de scie permet de sortir les étriers et de progresser en escalade artificielle jusqu' au second relais, dans une niche où il est possible de se tenir assez confortablement. Les doigts gourds, nous nous retrouvons, impatients de nous glisser sur la dalle polie qu' un bombement cache en partie à nos yeux. Jusqu' ici une dizaine de pitons normaux nous ont aidés à progresser. Un mince filet provenant des parties cadmiées des gollots marque le rocher. La dalle concave permet d' abord une progression aisée d' autant plus que les gollots se trouvent rapprochés. Peu à peu, ils s' éloignent les uns des autres, jusqu' à atteindre une distance obligeant le grimpeur à se dresser sur le dernier échelon de l' étrier. Us sont ici plantés à une distance que je n' ai rencontrée nulle part ailleurs. Le premier s' élève méthodiquement, alors que son partenaire s' efforce d' assurer dans la mesure où le lui permettent ses mains mordues par une bise déchaînée Quelques mètres d' escalade libre sur des prises excellentes permettent d' atteindre le troisième relais sur pitons normaux. Malgré la compacité du rocher, on trouve quand même quelques fentes, en général peu propices aux pitons, ceux-ci étant souvent consolidés par des bouchons de bois. Le relais est digne d' une voie à gollots, il se fait donc sur étriers. L' impression de détachement total des servitudes de l' escalade, prises et autres moyens naturels de progression, est absolue. Nous avons l' air de petits plaisantins, amusés eux-mêmes de la farce jouée aux moyens classiques, catalogués et reconnus dans les manuels d' escalade. Parvenus à la hauteur de l' origine de la traînée d' eau, nous traversons horizontalement à gauche, et franchissons la surface humide et savonneuse. Au passage, un regard curieux jeté dans le trou d' où suinte l' eau permet de constater qu' il se prolonge très loin, ce que confirme l' acoustique lorsqu' on y pousse un cri.

Paulet affirme avoir vu des faucons venir s' y abreuver. Pour l' heure, nous observons une araignée dont la lenteur trahit l' engourdissement. Sans hâte, elle abandonne les lieux et se dirige vers la base de la dalle. Nous aurions pu l' inviter à suivre nos traces, puisque le sommet ne se trouve plus qu' à une quinzaine de mètres. Elle y aurait trouvé un trou pour hiberner, alors que son aventureuse descente doit l' avoir conduite au trépas... La paroi n' est plus parfaitement lisse, elle se redresse à la verticale. La suite des gollots n' est plus rectiligne. Il a fallu chercher le rocher le mieux approprié.

Sans transition, c' est l' arrivée sur un peu de gravier, dans la neige, 100 mètres au-dessus de notre point de départ, hauteur que nous reconnaissons exacte. L' obscurité est proche. A nos pieds brillent déjà quelques lumières du village. Rapidement, nous dévalons un couloir enneigé pour rallier la Grossi Risi, qui est un des rares pierriers du Jura où sont encore amassés suffisamment de cailloux pour permettre de descendre sans effort.

Cette voie est la plus longue à être équipée de gollots ( 32 ). Elle ne le restera pas toujours, car d' autres itinéraires s' ouvriront ailleurs, plus élégants encore. Ils apporteront des joies nouvelles aux varappeurs qui ont autant de plaisir à pratiquer la varappe facile que celle qu' on persiste à appeler extrême, avec une tendance manifeste à la dévaluer.

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