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Varappe fantaisiste ou alpinisme pour tous

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

ou alpinisme pour tous

Par Ch. Golay.

Pour terminer en beauté — prétention téméraire — une saison pauvre en courses, notre dévolu fut jeté sur les Gelmerhörner, dans la région du Grimsel. En cours de route Schnell avoue toutefois n' avoir pu obtenir sur cette sommité, « belle inconnue », ni au club, ni à Neuchâtel, ni à la Handeck, ni nulle part, le moindre renseignement.

La cabane, après quinze jours de solitude, contient, à notre arrivée, deux Lucernois et leur équipement ( marteaux, pitons, anneaux ). N' ayant avec nous rien de semblable, prudemment nous renonçons à notre ascension: le raisin est trop vert!

Mais quelle cabane! Eau, évier, électricité et, s' il vous plaît, chasse et rouleau! Petite chambre à deux places, munie d' un écriteau-cerbère « Streng reserviert ». Juste ciel, pour qui? Peut-être est-ce, me dit Schnell, le démon de midi? Qui sait?

Les Diechterhörner, tout simples, tout proches, feront le remplacement. Choix judicieux. Petite montagne, mais grande cependant, puisque nous y eûmes de tout: névés, glacier, crevasses, rimaies, ponts, neige dure à la montée, soufflée sur l' arête, en bouillie à la descente. Solitude totale, refuge contre la malignité des temps. Route inconnue: nous jouons à la « première ».

Cinq heures de descente dans les rochers, couloirs, arêtes, rappels, granit magnifique, chutes de pierres. Et pour finir l' inévitable conclusion: Au Cervin on n' en aurait pas fait davantage! Revanche de nos 3400 mètres dominant de plus de 800 mètres ces tout petits Gelmerhörner! Et, pensez donc, descente de midi à 23 heures! Quatre heures de nuit, passant de bloc en bloc, sans autre repère que les traces blanches — de jour —, mais grises de nuit... Chaque fois que la trace suivante est introuvable, je reste vers la dernière, ce rôle prudent, que généreusement je m' assigne, s' étant révélé plusieurs fois salutaire.

Diechterhörner! que la nature est belle! C' est en poètes que nous vous gravissons! Mais Schnell, mettant les points sur les i, douche mon élan de lyrisme: « Ce n' est pas Di, c' est Die que cela s' écrit. » Adieu poètes! Le sommet abrupt est si aigu qu' à 20 mètres il semble n' y avoir de place que pour le petit steinmann. Gerber s' est hissé dessus — pour être photographié. jourd' hui, j' en ai presque, après coup, le vertige.

Panorama. Angle inconnu. On prend le Wetterhorn pour la Jungfrau, le Mönch pour le Bietschhorn, le Schreckhorn pour le Grünhorn. Mais pour le Finsteraarhorn, qui domine tout, personne ne s' est trompé. Plus loin le Cervin, plus dégagé, plus monolithe que jamais: comme monté en épingle entre, à droite, le Weisshorn et, à gauche, le Dôme. Ensuite, modestes seulement sur la carte, le Weissmies, le Fletschhorn, le Monte Leone, toutes les Pennines supérieures. Tout près, le Dammastock et le Galenstock. Derrière nous, les sommets du centre, le Sustenhorn, l' Urirotstock et tant d' autres.

Pas de plaine, pas de lac. Monde sans fin de chaînes, de sommets blancs, bleus, noirs.

A la cabane, où ils avaient laissé leurs sacs, les Lucernois n' étaient pas rentrés. A la descente, dans la nuit, nous nous retournons fréquemment pour voir s' ils ont allumé. A 22 heures toujours rien. Une appréhension de drame nous oppresse. Pourtant nous nous refusons à croire à un malheur.

Sombre moment! L' étroit sentier, nouvelle Schaffschnur, surplombe un vide, plus noir que la nuit. C' est, sous nous, le petit lac. On ne le devine que par le reflet des étoiles. Elles sont si lumineuses et si fixes qu' on dirait un fond piqué de vers luisants. La fatigue nous gagne. Insidieuse elle nous met en mémoire les paroles si souvent entendues: « Quel plaisir peut-on bien trouver à s' éreinter ainsi! » N' auraient ils » peut-être pas raison? On se le demande!... Mais, incorrigibles, le plus prochain samedi nous recommencerons quand même!

Retour. Auto. Les phares, puissants, percent la campagne assoupie. 1 heure. La route déroule son ruban interminable, des confins du Grimsel jusqu' au pied du Jura. Maintenant tout se ressemble. Gerber, consciencieux, se fait un devoir de signaler chaque tournant à gauche, chaque tournant à droite. Schnell se réveille et me dit: « Dors-tu? » Notre chance veut que toutes les colonnes soient fermées, mais l' essence dure quand même de justesse jusqu' à la seule qui soit ouverte à Berne. Et le garagiste d' affirmer qu' il n' y a plus d' autre service de nuit... jusqu' à Zurich!

Les unes après les autres les phases de la course repassent devant mes yeux. Une surtout: cet étonnant trajet formé de sortes de courts gradins, d' une singulière régularité. Suivant le degré de la pente nous les escaladons ou bien nous prenons par une succession de dalles plus ou moins attenantes, qui semblent s' élever parallèlement. Au passage le plus raide une discussion s' élève soudain. Je dis: « 60° », « 50 », reprend Schnell. Mais comme on n' est ni Tchèques ni Sudètes, on s' entendra quand même; Gerber arbitre et tout s' arrange, en admettant le chiffre moyen de 55°. Et ainsi va le monde...

La grandeur des lieux nous impressionne. De place en place il y a des sortes de chiffres, mais, constatation curieuse, ils semblent se trouver à des distances régulières. Ils nous incitent alors, par un savant calcul, à estimer le nombre des gradins. A raison de tant par mètre cela fait tant par kilomètre, de telle sorte qu' au bout de cet original parcours nous en avons compté 3000! Varappe fantaisiste s' il en fut, épreuve de régularité et d' endurance autant que d' équilibre, à laquelle il nous a paru bon de nous trouver soumis.

Mais que la nature est parfois prévoyante: aux places les plus escarpées nous trouvons toujours dans la roche latérale les prises les plus belles, sortes de trous profonds permettant juste le passage d' un doigt!

Etrange route, qui, en trois quarts d' heure, nous éleva de 400 mètres. Passage tantôt en couloir profond, tantôt en vertigineuse arête! Surplombs si aériens que leur souvenir ne nous quittera plus! Pics sourcilleux, sommets neigeux! Que nous sommes petits quand nous vous contemplons!

Mais où suis-je? Et qu' ai dit? Parbleu à la maison, et déjà depuis longtemps! Mon réveil laborieux vient d' enlever au rêve sa poésie, la réalité l' a remplacée... Ah! tout de même, la belle varappe I... qui n' était autre que les escaliers du funi du Gelmerseel

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