Voyage à Zermatt en août 1844 | Club Alpin Suisse CAS
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Voyage à Zermatt en août 1844

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Avec 1 illustration.Par le D' E Thomas.

Le récit de cette excursion a été écrit par mon grand-père maternel, le Dr J. P. Dupin ( 1791—1870 ) qui exerça la médecine jusque vers 1855, époque à laquelle il se décida à renoncer à la pratique et à satisfaire ses goûts pour les auteurs classiques et la botanique.

Mais à de rares moments il pouvait s' accorder quelques vacances. Bon marcheur, il fit pendant ses études plusieurs fois le trajet de Genève à Paris pour épargner les frais de diligence. A près de 80 ans il allait encore à pied de Genève à Satigny et en revenait le même jour. Mais il n' a jamais, a-t-il écrit, voulu dépasser la limite des neiges éternelles qui ne l' attiraient pas. Connaissant sa responsabilité vis-à-vis des siens, il ne voulait pas s' exposer aux dangers de la haute montagne, d' ailleurs peu connue et surtout peu pratiquée au temps de son activité professionnelle assez étendue.

Cette notice qui a été accompagnée et suivie de plusieurs autres, m' a paru offrir un certain intérêt à différents points de vue que j' ex chemin faisant, laissant de côté beaucoup de détails actuellement superflus.

La petite troupe se composait de quelques médecins botanisants, si ce n' est botanistes, dont le Dr Mercier, grand-père d' un de mes confrères fixé à Coppet, d' un bachelier ès-sciences dont on ne nous dit pas le nom, d' un pasteur, probablement M. Duby, autrefois pasteur aux Eaux-Vives, et d' un fameux botaniste d' une dynastie bien connue dans la science, M. Abram Thomas de Bex ( 1787—1859 ).

Le voyage s' effectue de Genève à Villeneuve par le bateau, puis en voiture particulière à Lavey voir un ami qui s' y soigne, puis à Martigny et à Sion. On retrouve à plusieurs reprises des traces de la lutte qui eut lieu entre les partisans du Haut et du Bas-Valais, pour des questions d' ordre politico-religieux.

De là à Sierre et à Viège. Là il faut mettre pied à terre, et la marche commence pour aboutir par un chemin bien connu de ceux qui se rendaient à Zermatt avant l' établissement du chemin de fer, et aboutissait au joli pont en arc d' où une dernière montée amenait à Stalden. Dans le village la troupe se complète parce que MM. Thomas et Duby, arrivant de Saas, rejoignent leurs camarades.

Jusque-là les auberges des différentes localités parcourues étaient passables, voire même bonnes. Mais à Stalden c' est autre chose. Dans une salle très sombre d' une maison ayant plutôt l' apparence d' une masure, on voit cinq lits, une grande table, deux bancs et un bahut aussi vieux que le reste. Il s' agit de caser chacun le moins mal possible, puis, dans une maison voisine, chercher un souper plutôt primitif, une soupe composée de lait, de fromage, d' oignons, après quoi vient un mets hétéroclite, baptisé omelette, renfermant surtout du maïs, encore du fromage, des poires; un vin exécrable; l' eau est heureusement de bonne qualité. La nuit se passe sans incidents particuliers; pour les ablutions matinales, il faut se contenter du ruisseau voisin; on ne parle pas du déjeuner.

Un porteur et une femme se chargent des bagages de la troupe qui suit un chemin à travers vignes et prairies et ne tarde pas à s' encadrer de hautes parois de rochers aux fréquents éboulements. C' est ensuite St-Nicolas qui apparaît; l' auberge abrite aussi une fabrique de souliers; les fenêtres soigneusement fermées, contribuent à propager une odeur de cuir qui n' est rien moins qu' appétissante. Cependant le repas est passable. De là nos voyageurs arrivent à Randa et peuvent se rendre compte de l' éboulement à la fois glaciaire et rocheux qui se produisit en 1819 sur la rive droite de la Viège. Sans doute le village ne fut pas directement atteint, mais la pression de l' air renversa plusieurs maisons. Le chemin fut aussi endommagé, et 25 ans plus tard on voyait encore les traces de ce sinistre.

Le narrateur prend à Randa un contrefort du Brunegghorn pour le Weisshorn. Dans la feuille d' assemblage Evolène, Anniviers, Zermatt, revisée par Imfeld, le Glacier de Bies s' arrête à la côte 2154 m. Etant donné la raideur de la pente, il est probable qu' avec la fonte le glacier se délite peu à peu et n' avance plus guère.

Plus loin il s' agit de passer au delà de Täsch sur la rive droite de la Viège, au débouché d' une gorge étroite et profonde. Le solide pont moderne existait alors sous la forme de troncs et de planches plus ou moins ajustés, le tout assez branlant et vertigineux.

Enfin — et tous les voyageurs ont la même impression —la vallée s' apla, s' élargit et le Cervin se dresse dans toute sa hauteur. Nous relevons un point intéressant de la description de l' auteur qui affirme qu' une demi-heure au delà des maisons du village, dans une gorge située entre le Cervin et les montagnes avoisinantes plus basses apparaît un glacier assez sale. La différence est bien grande d' avec l' état actuel. Un article de M. Guex renferme la reproduction d' un dessin de Whymper en 18651 ), probablement exécuté à mi-chemin de la route conduisant actuellement à l' hôtel « Waldes-ruhe ». On distingue nettement, adossé à la montée qui, par Hermattje, conduit au Lac Noir, un glacier qui n' est certes plus visible actuellement, car le retrait du Glacier de Gorner est très marqué. Il y a dix ou douze ans la fantaisie me prit, quittant le chemin de la Ryffelalp au moment où il monte vers les chalets d' Augstkummen, de me diriger vers les rochers de droite, assez abrupts; là se trouve, buriné dans le rocher, le lit d' un ancien affluent ou de la Viège elle-même; il devait y avoir là une belle cascade de séracs et de crevasses.

A Zermatt il s' agit de se loger; quelquefois la cure s' ouvrait dans ce but. Vers 1804, un professeur de Lausanne d' origine hollandaise, M. Struve, s' adressa à un habitant. Désireux de simplifier le repas, il lui demanda une soupe aux herbes et ne fut pas peu étonné de voir son hôte hacher les herbes de son jardin sur un banc de bois placé au pied du lit monumental auquel il servait à accéder, d' où évidemment un goût spécial. Une cuiller de bois, seul instrument utilisable, paraissant assez sale, son propriétaire la lécha consciencieusement et l' essuya à sa culotte. Du pain cuit deux fois par an, du mouton séché et fumé terminaient le repas.

Nos voyageurs trouvent pourtant mieux; le médecin de l' endroit, Dr Lauber, avait construit en 1839 une auberge qui fut rachetée en 1854 par M. Alexander Seiler, 1e créateur de Zermatt, et devint l' hôtel du Mont Rose si connu et apprécié par les alpinistes.

Coolidge rappelle que la vallée de St-Nicolas a été habitée par une population romane, plus tard germanique. Le nom de Pratoborno se trouve jusqu' en 1450. Matt apparaît dans la première carte suisse, celle de Conrad Turst, datée de 1495—1697. La forme complète de Zermatt se voit dans la carte du Valais de Lambien en 1682; ce nom est définitif dès le voyage de de Saussure2 ).

La nourriture consiste surtout en mouton apprêté de manières différentes; mais, décidément, à cette époque le mouton constitue le gibier, la volaille, le poisson, et il ne faut pas demander plus.

Le plan de campagne comportait pour le lendemain trois projets, à gauche le Glacier de Findelen, en face le Riefel et ensuite le Lac Noir.

C' est le premier qui est adopté; arrivés en haut de la forêt, les botanistes se dispersent et fouillent les pierres et les rochers qui bordent le glacier descendant assez bas. Il y a lieu de supposer que le narrateur, peu enclin à les suivre, se dirige avec le porteur par un sentier assez bien tracé, dépasse probablement le hameau d' Eggen; mais le rendez-vous général n' est pas très éloigné et certainement nos voyageurs ne sont pas allés jusqu' à la Fluhalp ou au Stellisee; ils observent que les marmottes sont nombreuses dans ces parages; la chasse en est permise seulement depuis le 21 août. On va les vendre à Viège, en novembre, au prix maximum de 3 francs.

Chassés par l' orage, et laissant les botanistes, deux des participants descendent rapidement à Zermatt où ils trouvent une tasse de thé dont les feuilles gardées sans doute depuis longtemps n' avaient plus aucun parfum.

Au repas du soir, le mouton reparaissait avec une vague omelette.

Le lendemain, c' est le Riefel ou Rœfel qui est le but. Ici se place une digression d' ordre toponymique.

J' ai mentionné plus haut l' appellation Rsefel que nous retrouvons dans le voyage autour du Mont Blanc de Töpffer de 1843 et que, du reste, il ne gravit pas avec ses élèves, étant pressé de retourner à Stalden pour assister à la représentation d' un drame villageois.

Cette appellation, qui ne se trouve ni dans le Dictionnaire géographique ni dans le Dictionnaire historique de la Suisse, m' avait frappé. Grâce à une enquête auprès de M. Marcel Kurz, rédacteur du Guide des Alpes Valaisannes, de M. le professeur Gauchat, à Zurich, le principal rédacteur du Glossaire des patois de la Suisse romande, de M. l' abbé Meyer, archiviste cantonal, à Sion, et auteur d' une esquisse toponymique pour la deuxième édition du Guide des Alpes Valaisannes, j' ai pu arriver à une conclusion qui me paraît très juste. Le mot Riffel existe à Visperterminen et signifie pente. Le nom de Riffelalp se justifie puisqu' il s' agit d' un haut pâturage sur une pente; le mot est apparenté à l' allemand Riff qui signifie récif. L' orthographe Rœfel indique probablement que l' i est modifié. D' après Meyer, Riefel provient de l' allemand Riefe, rainure, raie, l' endroit aux raies. L' orthographe de Riffel serait fausse.

Nos voyageurs emploient trois heures pour arriver; d' après la description il me paraît probable qu' ils sont parvenus jusqu' à la station de Rotenboden où ils trouvent un petit lac dans une plaine flanquée de masses de rochers, certainement le Riffelhorn, et d' où ils découvrent brusquement ( aujourd'hui sentier de Gadmen et de la cabane Bétemps ) toute la chaîne qui s' étend du Cervin au Mont Rose; ce spectacle provoque une profonde admiration. Après une halte prolongée et après avoir repéré le passage du Col de St-Théodule qui inspire quelques craintes à ceux qui s' y aventurent ( n' oublions pas que ce récit date d' un siècle ), l' auteur et un de ses compagnons redescendent à Zermatt et se décident à aller coucher à St-Nicolas.

Une dernière aventure, c' est de constater la fréquence des insectes dans le lit ou sous le drap: il y avait une peau de mouton.

Le voyage se termine par un long parcours en diligence jusqu' à Montreux, une excursion dans les environs de cette localité et la rentrée au logis.

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