Voyage au Kirghizstan. Pour l’Année internationale de la montagne | Club Alpin Suisse CAS
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Voyage au Kirghizstan. Pour l’Année internationale de la montagne

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1 L' auteur de cet article a publié deux ouvrages: Kirgistan. Eine Republik in Zentralasien et Am Issyk-Kul, Kyrgysstan. On peut se les procurer dans les librairies spécialisées dans les guides de voyage ou directement auprès de l' auteur ( tél./fax: 026 424 80 64, ou courriel: christoph.schuetz(at)unifr.ch ) Photo: Christoph Schütz

T E X T E / P H O TO S Christoph Schütz, Fribourg 1

VOYA GE AU KIRGHIZ

Pour l' Année internationale de la montagne VOYA GE AU KIRGHIZ

Ala-Too: une place et une chaîne de montagnes

Bichkek, capitale du Kirghizstan qui compte plus de sept cent mille habitants, se situe au nord du pays, dans la large vallée du Chui, entaillant les contreforts de la chaîne de l' Ala. Bordée d' une statue de Lénine aussi haute qu' un immeuble, du musée d' histoire et de bâtiments administratifs, la place centrale de la ville, vaste espace goudronné, porte également le nom d' Ala. C' est là que se déroulait la parade militaire annuelle au temps du régime soviétique; elle est maintenant devenue un lieu de détente. Depuis l' indépendance du Kirghizstan en 1991, l' aspect de la ville se transforme sans cesse. On rénove les édifices publics, les parcs et les places du centre urbain. Les voitures de marque allemande ou japonaise évincent peu à peu les Shiguli, Moskwitch et autres Lada russes; les promenades jadis paisibles sont emplies maintenant de musiques diffusées par quelques petits cafés, et les ré-

Entre Suusamyr et Son Koul: cimetière musulman à Jaek

Le Kirghizstan en bref

Le Kirghizstan est cinq fois plus grand que la Suisse. Sa topographie, accidentée comme celle de notre pays, comprend toutefois des montagnes nettement plus élevées ( Pic Pobedy, 7439 m ). Son climat est semblable au nôtre, en plus sec. Le pays abrite cinq millions d' habitants appartenant à quatre-vingts ethnies différentes. Bichkek, sa capitale, située tout au nord du pays, est, avec ses sept cent mille habitants, la plus grande ville du Kirghizstan. Le russe et le kirghiz sont les deux langues officielles. L' islam est de loin la religion la plus répandue, mais ses pratiques sont discrètes. La monnaie nationale est le som, le revenu mensuel moyen se situe autour de vingt et un dollars, et l' espérance moyenne de vie s' élève à soixante-trois ans et demi. Plusieurs compagnies aériennes d' Europe occidentale exploitent des vols réguliers vers Bichkek, dont la durée est de sept heures environ. Un visa, établi par l' ambassade du Kirghizstan à Genève, est nécessaire pour entrer dans le pays.

U KIRGHIZSTAN U KIRGHIZSTAN

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clames des firmes multinationales se font concurrence pour attirer l' attention des passants.

En dépit de l' activité fiévreuse du centre de la ville, une grande pauvreté affecte une bonne partie de la population, particulièrement les personnes âgées. Leur rente mensuelle, correspondant à quelque seize francs suisses, ne suffit de loin pas au strict nécessaire en raison de la hausse galopante des prix. Le capitalisme a submergé le Kirghizstan depuis longtemps, mais on attend toujours un système social étatisé permettant d' atténuer ses conséquences négatives.

Arrangements fantaisistes

Mon itinéraire me conduit tout d' abord dans le sud du pays. Avec Tulan, habile conducteur d' une Lada Niva, que j' ai rencontré l' année précédente, j' ai convenu d' avance du prix de mes déplacements et fixé un rendez-vous. Le fait qu' il sera accompagné de son frère Ali ne me gêne pas du tout. Mais dépit et irritation me saisissent lorsqu' il apparaît avec un autre véhicule, une petite Moskwitch à traction sur deux roues. Il m' explique qu' il doit rester à Bichkek pour une opération des yeux et que son frère le remplacera. Les tractations avec les chauffeurs kirghizes sont trop souvent l' objet de déboires et de prix surfaits, malgré d' âpres discussions. Il arrive aussi que, après quelques kilomètres seulement, l'on soit « débarqué » dans un autre véhicule avec un autre conducteur pour la même destination. Ou bien encore, le compteur

Bichkek, capitale du Kirghizstan: la place Ala-Too et l' immense statue de Lénine à l' arrière Col Ala-Bel, situé à 3400 mètres d' altitude: les températures nocturnes glaciales ont transformé la chaussée en patinoire Un panorama à vous couper le souffle, vu du versant sud du col Ala-Bel Pho to s:

Ch rist oph Sc hütz

de la voiture est curieusement en panne si l'on choisit le tarif au kilomètre plutôt que le forfait! Autre cas de figure: vous avez commandé un véhicule à quatre roues motrices et constatez en cours de route que, pour une raison quelconque, l' arbre d' entraînement de l' axe des roues arrière a été démonté, ce qui transforme votre Niva quatre-quatre en un quelconque véhicule à traction avant.

Course imprévue sur une « patinoire »

Malgré tout, je me rends volontiers au Kirghizstan pour l' aventure et ses imprévus. Je me contente donc de mon chauffeur Ali et nous partons par un jour pluvieux du début de l' été pour Djalal Abad, distant de cinq cents kilomètres. Avec mon premier acompte, Ali remplit non seulement le réservoir du véhicule, mais aussi deux jerricanes. Non sans quelque fierté, il fait installer une antenne purement factice sur le toit de sa voiture. Pour finir, il s' achète une boîte de coca-cola. Mon argent est vraiment investi de manière judicieuse!

Au bout de cinquante kilomètres de trajet sur la route principale fortement fréquentée, nous obliquons à gauche, à Kara Balta, pour nous diriger plein sud vers le col de Tor-Ashu. Après une lente montée parmi les prairies et les pâturages, la route côtoie une petite rivière coulant dans une vallée qui se rétrécit de plus en plus. A droite et à gauche, les falaises se dressent presque à la verticale, sur plusieurs centaines de mètres, vers le ciel nuageux. Les nombreux virages sans visibilité offrent aux automobilistes kirghizes maintes occasions d' exercer leur habileté dans de dangereuses manœuvres de dépassement. Quant à Ali, il ne peut se mesurer qu' occasionnellement à des camions, sa petite Moskwitch n' étant pas assez puissante pour d' autres exploits. La route qui relie Bichkek au sud du pays en passant par deux cols est surtout utilisée pour le transport de produits agricoles. Poids lourds, camionnettes et voitures privées sont surchargés d' oignons, de tomates et de riz, mais aussi de tapis et de matériaux de construction. Depuis plusieurs années, on améliore cet axe routier en l' asphaltant d' un bout à l' autre, ce qui permettra une meilleure liaison économique et politique entre le sud et la capitale. Ce projet fait partie d' une stratégie visant à réhabiliter l' ancienne route de la soie dans son rôle de voie internationale de communication et à élever le Kirghizstan au rang d' un pays de transit.

Notre Moskwitch peine dans les derniers lacets menant au col. Déjà la nuit tombe, et les toits des voitures qui nous croisent sont recouverts de neige. Arrivés au col ( 3200 mètres ), nous devons attendre une demi-heure car le tunnel, long de deux kilomètres, est en cours de réfection et réglementé en circulation alternée. La couche

Région de Kochkorka: vue sur la chaîne de l' Ala Une piste bosselée mène sur le haut plateau de Suusamyr LES ALPES 7/2002

de cinq centimètres de neige mouillée ne nous promet rien de bon, car le col suivant culmine deux cents mètres plus haut. Pour l' instant, nous descendons la piste non goudronnée et bosselée en direction du haut-plateau de Suusamyr, avant de remonter à droite une route presque rectiligne qui nous conduit au col d' Ala. Vingt kilomètres environ avant le sommet,nous nous arrêtons dans une petite agglomération de caravanes. Il est déjà 11 h du soir, mais les familles qui assurent aux voyageurs un modeste gîte et le couvert ne connaissent aucun répit dans leur activité. Une femme nous sert du thé et prépare nos lits. Après quelques heures de sommeil, les aboiements d' un chien et le fracas des premiers camions nous réveillent. Le ciel qui s' est éclairci nous annonce une merveilleuse journée, mais la chaussée s' est transformée en patinoire. Une Moskwitch peut rouler sur une surface de glace horizontale et, à la rigueur, vaincre une légère montée avec suffisamment d' élan. Mais si la déclivité s' accentue ou se prolonge, elle refuse tout service et abandonne ses occupants au bord de la route. Après quelques dérapages et tête-à-queue, nous sommes définitivement immobilisés. Ali est fortement impressionné par l' état de la chaussée et je me demande combien d' heures il faudra au soleil pour faire fondre cette couche de glace. Et, comme pour nous narguer, une Lada Niva nous dépasse de temps à autre...

Au bout de deux longues heures d' attente, un camion russe avec trois personnes à bord s' arrête à notre hauteur. Après une brève discussion, Ali coupe les deux ceintures de sécurité et les noue pour former une corde de remorquage! Après une périlleuse montée, remorqués par le camion, nous atteignons enfin le sommet du col ( 3400 mètres ). Un embouteillage nous y attend, car deux poids lourds se sont imbriqués l' un dans l' autre et une dépanneuse tente de les dégager.

Accueil dans une yourte

Quelques heures plus tard, nous arrivons enfin à Djalal Abad. Après trois jours d' incidents en tout genre, je décide de me séparer d' Ali et de sa Moskwitch. En effet, après

Avec ses 6000 kilomètres carrés, le lac d' Issyk, à 1600 mètres d' altitude, ressemble à une petite mer. Vu de la rive sud, direction nord Le plateau qui entoure le lac d' Issyk est un petit paradis, également pour les enfants accompagnés de leur chameau Pho to s:

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une panne de démarreur, de la fumée a envahi l' habitacle et, tous les trois ou quatre kilomètres, mon chauffeur se penchait sur son moteur, soucieux et perplexe.

A Djalal Abad, un collègue m' a par chance mis en rapport avec Oleg, Russe de vingt-trois ans et propriétaire d' une Lada Niva. Sur notre route en direction du lac de Son Koul, un vent printanier presque tiède s' est substitué aux températures hivernales et agite les herbes courtes et encore brunes de la steppe. Nous quittons le haut plateau de Suusamyr et nous dirigeons vers le nord par la localité de Jaek, au centre du Kirghizstan. Lors d' une courte halte à la mine de charbon de Kara-Keshe, nous rencontrons des « gueules noires » aux chaussures couvertes de boue. Après un bref intermède avec un ouvrier ivre qui s' est mis en tête de recevoir un cadeau de notre part, nous roulons sur une mauvaise piste qui monte au lac de Son Koul. A trois mille mètres d' altitude exactement, les eaux calmes et d' un bleu profond de ce lac de dix-sept kilomètres carrés nous accueillent. Le plateau qui l' entoure est un véritable petit paradis. Des troupeaux de chevaux paissent en liberté, des yourtes de nomades sont plantées çà et là, avec leurs ficelles auxquelles pendent des truites

Le lac de Son Koul se trouve à 3000 mètres d' altitude

Coopération au développement entre la Suisse et le Kirghizstan

Le Kirghizstan est le pays bénéficiant de l' effort principal de la coopération suisse au développement. Actuellement, les projets suivants sont réalisés ou soutenus par la Direction pour le développement et la coopération: Solution de conflits: assistance à une organisation kirghize de solution pacifique des conflits interpersonnels et interethniques. Promotion de l' artisanat et de la petite industrie: formation à l' économie d' entreprise et garantie de crédits à des taux favorables. Agriculture: mise en place d' un service décentralisé de conseillers en agriculture, garantie de prêts à des conditions favorables, construction d' une laiterie, assistance juridique à la population agricole. Service de santé: financement d' infrastructures, prévention et information dans le domaine des maladies sexuel-lement transmissibles. Gestion des forêts: coopération à l' établissement d' une politique forestière nationale, soutien aux entreprises forestières étatisées dans leur évolution vers des entités économiques indépendantes. Culture: mesures promotionnelles et soutien à des artistes kirghizes.

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séchant au vent. Des parfums d' absinthe et des relents de crottin de cheval se mêlent à l' odeur de la fumée. Le soir tombe sur cet éden et transforme le ciel presque infini où courent quelques rares nuages en une somptueuse voûte étoilée.

Le couple qui nous loge est monté ici à la fin du mois d' avril, peu après la naissance de sa première fille, pour y séjourner jusqu' à l' arrivée de l' hiver, début octobre déjà. Un chameau qui sert à promener les enfants durant l' été a transporté à lui tout seul les quelque trois cents kilos de la yourte. Cette famille vit de l' élevage de trente moutons et de quelques chevaux et chèvres. A la lumière d' un falot, nous mangeons la soupe constituée de morceaux de viande et de pommes de terre, puis une galette de pain cuite sur place et accompagnée de crème fraîche et de confiture. En buvant le thé, le père, la trentaine tout juste, nous raconte son exil de deux ans dans la capitale. Tout y était

Dans la région d' Ak située au centre du Kirghizstan LES ALPES 7/2002

trop cher. Ici, au moins, il est libre et n' a aucuns frais! La jeune mère a bercé son bébé de trois mois jusqu' à ce qu' il s' endorme, sans que la fumée qui s' élève en fines volutes dans la yourte semble l' incommoder.

Un lac mystérieux

Le lendemain, Oleg et moi, nous nous mettons en route, déjà fatigués d' une nuit troublée par les aboiements continus de deux chiens, censés peut-être chasser le fantôme de Gengis Khan, chef mongol autrefois redouté. La route caillouteuse descend au nord d' Ak, vers une région boisée. Les chansons disco russes de la cassette d' Oleg, maintes fois entendues et que nous connaissons par cœur, nous remettent les pieds sur terre.. " " .Vers 9 h, nous buvons un thé bouillant dans un petit bar et le souvenir de notre mauvaise nuit s' estompe rapidement.

Nous arrivons à nouveau dans des régions de plaine, après trois nouvelles auditions de la cassette et un nombre infini de nids-de-poule, puis nous longeons sur une bonne route la rive nord du lac d' Issyk, en direction de l' est. Cette étendue d' eau, à mille six cents mètres d' alti, ressemble à une mer intérieure de plus de six mille kilomètres carrés et recèle plusieurs mystères. Alimentée par des douzaines d' affluents, elle n' a pas d' émissaire visible. Cette particularité rend non seulement son eau salée, mais engendre de nombreuses spéculations sur des déversoirs souterrains. Des chercheurs ont découvert des localités englouties dans les eaux du lac et rapporté sur terre une multitude d' objets divers. Toutefois ils n' ont pas encore mis à jour le squelette de l' apôtre Matthieu qui, selon la légende, aurait vécu ses derniers jours à l' est d' Ana. Citons aussi les récents essais d' armes nucléaires de l' Union soviétique et l' exploitation des mines d' uranium de Kaji Sai. Les informations sur la pollution radioactive de la région touristique d' Issyk, par ailleurs fort appréciée, diffèrent sensiblement selon leurs sources. Si l'on cherche à se loger chez l' habitant hors des stations de villégiature, on trouvera certainement une « plage privée » d' où l'on pourra contempler tout à son aise ce gigantesque lac de montagne et le splendide panorama sur la chaîne des monts Tian-Shan. Le stress de la société de consommation est avantageusement remplacé par un havre de paix sur les rives du lac d' Issyk ce pays qui a lancé l' idée de l' Année internationale de la montagne. a

Traduit de l' allemand par Cyril Aubert

La plus grande partie de la superficie du Kirghizstan ( 198 500 km 2 ) est montagneuse. Au sud de Bastov au Kirghizstan central Pho to s: Ch rist oph Sc hütz

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