Migration pédestre d’Annecy aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Hymne à la lenteur | Club Alpin Suisse CAS
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Migration pédestre d’Annecy aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Hymne à la lenteur

LES ALPES 9/2002

Migration pédestre d' Annecy aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

u cœur de la Camargue, les Saintes-Maries-de-la-Mer représentent à nos yeux une destination chargée de souvenirs. Depuis plusieurs années maintenant, nous aimons y retourner en empruntant les voies rapides qu' offrent les autoroutes. Lors de notre dernier voyage, peu pressés de rentrer à Genève, nous avons préféré suivre les petites routes sinueuses pour admirer les paysages. C' est en traversant le Diois, puis en remontant le long du Vercors, qu' a germé en nous l' idée de privilégier le voyage plutôt que la destination en parcourant, à pied, les chemins de traverse jusqu' à la mer. Un projet naissait, une aventure se dessinait dans nos têtes. Quel plaisir que de déplier une carte, tracer un itinéraire, estimer les temps de marche, imaginer la réalité! Au début de l' été, nous étions prêts pour un mois de découverte le long des sentiers et des petites routes, un mois de bonheur partagé, d' émotions intenses et de souffrance parfois. Eloge de la marche, hymne à la lenteur, symphonie de la solitude, ce périple du nord au sud, jalonné de rencontres inoubliables, de nuits magiques avec un ciel

T E X T E Gil Bonte, Le Lignon

P H O T O S Gil Bonte, Le Lignon Mario Colonel, Servoz ( F )

LES ALPES 9/2002

étoilé comme unique toit, d' une faune et d' une flore de toute beauté a permis d' affûter nos sens et d' apprendre à nous ouvrir aux autres. Extraits!

En accéléré

Confortablement installés dans le TGV nous ramenant à Genève, nous remontons la plaine du Rhône à une vitesse à laquelle nous ne sommes plus habitués. Au loin, perdues dans la brume, les montagnes arpentées il y a quelques jours se dessinent timidement. Le paysage défile à une allure effrénée: les Alpilles, le Ventoux, le Diois et, déjà, les contreforts du Vercors, des lieux chargés de souvenirs tissés au rythme de nos pas. Il y a un mois, nous entamions nos premières foulées en direction du sud en quête d' une liberté et d' un ressourcement vital. Notre itinéraire s' est essentiellement déroulé en terrain calcaire, à travers des massifs de moyenne montagne dans lesquels nous avons privilégié les cols, lieux de passage par excellence. Nous avons quitté Annecy, à une trentaine de kilomètres au sud de Genève, guidés par l' envie de prendre le temps d' observer pleinement les richesses de la nature. En de rares occasions seulement, nous avons opté pour l' alternative de l' auto pour franchir des portions de route moins intéressantes.

Routée vers le Grand Veymont, au pas de Chattons, face au sommet de Peyre Rouge Photo: Mario Colonel

5 e jour, massif de la Chartreuse

Au rythme des marmottes

Déjà notre cinquième jour d' errance. Après la montagne du Semnoz, nous laissons derrière nous le massif des Bauges. Principalement forestier, le dernier-né des parcs naturels en région Rhône-Alpes abrite d' imposants sommets enveloppés de barres calcaires, comme le Mont Colombier ( 2045 mètres ) et le Mont Trelod ( 2181 mètres ). Notre itinéraire, reliant le petit village d' artisans du Châtelard aux vignobles de Chignin, près de Montmélian, navigue entre ces forteresses naturelles le long d' une croupe herbeuse, dominé par le mont Pelat ( 1543 mètres ), unique sommet du voyage. Paradoxalement, aucun panorama ne s' est offert à nos yeux, ce jour-là, tant le brouillard s' accrochant aux reliefs était épais. Un parc en appelant un autre,nous voilà à présent dans celui du massif de la Chartreuse, que Stendhal décrivait comme « l' émeraude des Alpes ». Notre objectif: la traversée des hauts plateaux calcaires bordant le massif à l' est, classés comme réserve naturelle depuis 1997. Nous empruntons pour cela le GR 9, déserté en ce début de saison. Les paysages traversés sont de toute beauté: les alpages peuplés de troupeaux de vaches succèdent aux verdoyantes forêts d' altitude, le tout entrecoupé et bordé d' interminables falaises calcaires. Ces deux jours baignés dans un univers d' une sauvagerie intense sont rythmés par les cris incessants des marmottes. Ce n' est qu' aux abords de la Dent de Crolles que nous croisons une véritable procession de randonneurs partie à l' assaut de ce prestigieux belvédère. La motivation des gens à s' entasser le long du même itinéraire, alors que la montagne est si vaste et tout aussi belle ailleurs, nous laisse perplexes.

Etude de la carte, outil indispensable du randonneur, dans le vallon de Pratcel richement fleuri ( massif de la Chartreuse ) Pho to s:

Gil Bon te LES ALPES 9/2002

10 e jour, massif du Vercors

Dans l' ouest américain

D' un point de vue géologique, les massifs se suivent et se ressemblent. Le calcaire rend ces régions extrêmement sèches et, en ce début juillet particulièrement torride, notre souci permanent est de chercher une source non tarie. Après un jour de repos à Lans-en-Vercors, nous pensions refaire le plein d' énergie. Mais cette première journée sur les hauts plateaux est des plus pénibles. Les sacs n' ont jamais été si lourds et les jambes refusent de coopérer. Un monument a beau nous rappeler que nous sommes à égale distance du pôle Nord et de l' Equateur: en ce qui nous concerne, la moitié de notre trajet n' a pas encore été franchie. Les premiers doutes sur la réussite de cette aventure nous assaillent et nous préférons ne pas penser au chemin qui nous attend.

Le lendemain, la fatigue est un peu oubliée. Nous nous mettons en route pour une somptueuse traversée des plateaux, sous le regard du GrandVeymont, point culminant du massif ( 2341 mètres ). Les bovins ont laissé place aux troupeaux d' ovins nous rappellent que le loup ne doit pas se cacher très loin.. " " .La bergerie de la Jasse de la Chau est d' ailleurs tristement célèbre pour les nombreuses attaques perpétrées par ce grand prédateur. Nous passons une seconde nuit sur ce plateau à la cabane Pré-Peyret, baignés dans une ambiance de profonde solitude. Une seule rencontre lors de cette dernière journée, celle d' un berger à la recherche de ses moutons, qui s' inquiète du manque cruel de pluie. Nous le quittons pour entamer une longue descente sur Châtillon-en-Diois. Après un dernier coup d' œil sur la silhouette caractéristique du Mont Aiguille,qui se dresse majestueusement à l' est plongeons dans le spectaculaire cirque d' Archiane, prisé par les amateurs d' escalade. Si le Mont Aiguille rappelait les forteresses naturelles rougeâtres de Monument Valley, les structures élancées de ce cirque évoquent celles du Bryce Canyon. Nous avons soudainement l' étrange impression d' effectuer la tournée des parcs nationaux de l' ouest américain, en accéléré.

La bergerie faisant face au refuge non gardé de l' Alpette offre un très beau point de vue sur les falaises du Mont Granier ( massif de la Chartreuse ) Niché en plein cœur du massif des Bauges, le village du Châtelard abrite un grand nombre d' artisans Pho to :G il Bon te Pho to :G il Bon te Pho to :G il Bon te Photo: Mario Colonel Le Pic de Luc, dominant le village de Luc-en-Diois, dont un pan entier s' est écroulé en 1442, formant ainsi le saut de la Drôme ( site classé du claps ) Volets dans le village de Chatillon sur Diois A chaque nouvelle vallée, les champs de lavande rajoutent une touche de violet au paysage. Au fond se dessine le village de l' Ouvèze, dans les Baronnies LES ALPES 9/2002

16 e jour, massif du Diois

Les parfums du sud

Après le loup, place au sanglier, mais dans nos assiettes cette fois. Après deux journées de repos forcé pour cause de tendinite, nos jambes nous transportent jusqu' au petit village de Charens, où la carte indique, à tort, la présence d' un gîte d' étape. Nous nous voyons proposer une halte dans un gîte rural pratiquant l' accueil à la ferme. Reçus chaleureusement, nous dégustons le succulent sanglier abattu par les paysans du village. Comme une longue étape nous attend le lendemain, nous profite-rons de l' amabilité du paysan pour parcourir les premiers mètres en tracteur.

Col de la Caille, Saint-Dizier-en-Diois, col de l' Esta, La Charce. Le paysage défile, sans monotonie, sous nos yeux émerveillés.. " " .Malgré la chaleur pesante,le rythme est bon le long de ces petites routes départementales, heureusement peu fréquentées. Le tempo de la marche nous laisse l' opportunité d' admirer sous tous ses angles les plis et replis de la montagne, magnifiée par les couleurs orangées du soir. Perché sur notre droite, le village de Pomme-rol, sauvé des ruines par un médecin, ne se dévoile que ti-

Photo: Mario Colonel La plaine, au sud du village de Rosans, est parsemée de champs de seigle revêtant le paysage de couleurs dorées ( Diois ) Le Mont Aiguille, vu du pas de la Selle LES ALPES 9/2002

midement. Nous poursuivons notre route jusqu' au col de la Fromagère, où les parfums du sud se manifestent pour la première fois sous la forme d' un champ de lavande.

21 e jour, plateau du Vaucluse

Bain de foule à Gordes

La nuit a été courte et pénible sous notre bâche précaire amarrée au sol à l' aide de quelques pierres. Météo France annonçait de violents orages accompagnés de vents tempétueux pour ce 14 juillet, jour de fête nationale. Gîte complet ou fermé, nous nous retrouvons finalement dans un endroit plus proche de la décharge que de la nature sauvage pour passer la nuit. La perturbation attendue n' est pas passée inaperçue: au petit matin, rester sous la bâche ou sortir sous la pluie ne changeait plus grand chose. Après une courte accalmie, la pluie reprend de plus belle sur le chemin du gîte St-Hubert, de plus en plus difficile à deviner. Les croisements se multiplient, la carte, déjà peu lisible, n' a pas l' air de correspondre à la région et voilà que le brouillard s' en mêle. C' est à l' aide de l' altimètre et de la boussole que nous rejoignons le gîte, nous évitant une nouvelle nuit sous une pluie battante.

Le lendemain, les rayons du soleil transpercent le ciel chargé d' humidité et nous quittons ce lieu hospitalier pour la touristique ville de Gordes, aux portes du Luberon. Nous longeons un instant le mur de la peste, édifié au XIV e siècle pour empêcher les pestiférés d' entrer en Provence. Nous admirons pour la première fois les pentes douces orientées sud du Mont Ventoux qui nous a fermé l' horizon au sud pendant plusieurs jours. Le « Géant de Provence » dans notre dos, il ne nous reste plus que les « bosses » des Alpilles à franchir avant d' aborder la platitude camarguaise. Après une nouvelle journée de solitude, ponctuée de quelques aboiements de chevreuil, l' arrivée à la petite ville touristique de Gordes équivaut à un choc: ruelles envahies de touristes, place centrale saturée de voitures, magasins de souvenirs à profusion. Nous ne sommes plus habitués à tant d' animation.

26 e jour, Camargue

Derniers pas avant la mer

Dissimulés à l' intérieur d' un mirador, nous sommes aux premières loges d' une scène magnifique: flamants roses, aigrettes, hérons, chevaliers et bécasseaux, tous les échassiers se sont donné rendez-vous pour dormir dans cet étang, traversé au galop par des chevaux à demi-sauvages accompagnant les derniers rayons du soleil. Plus loin, un ragondin fait discrètement sa toilette. Le ciel se peint en rouge et le soleil joue à cache-cache avec une traînée de nuages épars avant de disparaître. Nous avons l' impres de visionner un reportage animalier sur la Camargue. Pourtant, tout cela est bien réel!

Plus que quelques kilomètres avant de goûter à une baignade bien méritée. Notre exploration se poursuit et, à chaque pas, une touche de bleu se rajoute au paysage, les

Pho to s:

Gil Bon te Nous observons les grands échassiers quand, soudain, quelques chevaux camarguais traversent l' étang près de notre poste d' observation. La scène est magique, grandiose!

LES ALPES 9/2002

champs et les prairies laissent la place aux immenses étangs du Fangassier et de Galabert, peuplés de flamants et de goélands. La dernière ligne droite, le long d' une digue construite au XIX e siècle pour empêcher la mer d' envahir le delta du Rhône,nous mène jusqu' au phare de la Gacholle. Nous arrivons à la hauteur d' un panneau vert, indiquant la mer à 900 mètres. Pour ce dernier kilomètre, nous empruntons le passage des douaniers. Les empreintes de nos pas se gravent momentanément dans le sable durci de la plage désertée du littoral. Nous sommes à l' aboutissement de notre rêve. L' instant est émouvant et un bonheur immense nous envahit subitement.. " " .Bercés par le ronronnement des vagues,nous avons le regard qui se perd vers l' horizon où le bleu du ciel se mélange à celui de la mer.

Plouf!

Informations pratiques

Hébergement

Privilégiant les nuits à la belle étoile, nous avons profité des nombreux abris offerts aux randonneurs lors de la traversée des hauts plateaux de la Chartreuse et du Vercors. Il faut toutefois savoir que la plupart de ces refuges, non gardés, n' offrent pas la possibilité de cuisiner. De passage dans une agglomération, nous avons opté pour le camping et, parfois, pour un gîte d' étape. Il faut cependant bien se renseigner auparavant, car les informations inscrites sur les cartes sont parfois truffées d' erreurs.

Cartes

Cartes de l' IGN ( série bleue ) au 1:25 000: Lac d' Annecy ( 3431 OT ); Massif des Bauges ( 3432 OT ); Massif de la Chartreuse Nord ( 3333 OT ); Massif de la Chartreuse Sud ( 3334 OT ); Villard-de-Lans ( 4336 OT )

Cartes Didier Richard au 1:50 000: Diois, Baronnies ( n° 5 ); Ventoux ( n° 27 )

Cartes de l' IGN au 1: 50 000, série spéciale « Plein air »: Provence, les Alpilles; Parc naturel régional de Camargue Carte de l' IGN au 1:60000, série « culture & environnement »: Parc naturel régional du Vercors a

Au pied des Alpilles, le village perché d' Eygalières recèle quelques joyaux historiques comme la chapelle romane saint Sixte datant du XIII e siècle

Les étapes

massif du Semnoz 1. Annecy–chalet de Bénévent 8,5 690 5 2. chalet de Bénévent–Le Châtelard 11 9 320/1040 5 massif des Bauges 3. Le Châtelard–chalet de la Cha 11 650 5 4. chalet de la Cha–au-dessus de Nécuidet 17,. " " .5 550/750 7 massif de la Chartreuse 5. au-dessus de Nécuidet– refuge de 12,. " " .5 13 650/600 5 l' Alpette 6. refuge de l' Alpette de Bellefont 12 470/100 6,5 7. col de Bellefont–Sappey-en-16,. " " .5 280/1100 6 Chartreuse 8. Sappey-en-Chartreuse–Villard-de-Lans 11 30,. " " .5 150/740 3 massif du Vercors 9. Villard-de-Lans–Tiolache du Milieu 19,. " " .5 600 6 1O. Tiolache du Milieu–cabane Pré-Peyret 14 50 5 11. cabane Pré-Peyret–Châtillon-en-Diois 12 9 100/900 4,5 le Diois 12. Châtillon-en-Diois– Luc-en-Diois 9 8 700/550 5 13. Luc-en-Diois–Charens 7 7 200 1,5 14. Charens–col de la Fromagère 20 750/700 7 15. col de la Fromagère–col de Corbière 16,. " " .5 400/350 6 les Baronnies 16. col de Corbière–Buis-les-Baronnies 6 16 0/500 2,5 17. Buis-les-Baronnies–Montbrun-les-Bains 21 6 400/120 6 massif du Ventoux 18. Montbrun-les-Bains–Monieux 19 240/220 5 plateau du Vaucluse 19. Monieux–Gîte St-Hubert 7,5 200 2,5 2O. Gîte St-Hubert–Gordes 25,. " " .5 250/600 7 21. Gordes–Eygalières 15,. " " .5 18 50/270 4 Les Alpilles 22. Eygalières–Maussane-les-Alpilles 19,. " " .5 300/360 6 23. Maussane-les-Alpilles–Arles 19,. " " .5 5 la Camargue 24. Arles–Salin-de-Badon 24 3 7 25. Salin-de-Badon–phare de la Gacholle 15,. " " .5 4 26. phare de la Gacholle–les Stes-Maries 10 2,5 totaux 371 118 8000/8900 130 étapes km aut o- st op ( km ) déni velé po si.

/nég a ( m ) temp s de m ar che ( h ) LES ALPES 9/2002

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