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Records, gloire et prise de risques Histoire du parapente (2e partie)

Le parapente a connu un boom dans les années 1980 et 1990. Grâce à une descente en parapente, rapide et peu gourmande en énergie, des vols spectaculaires le long de faces célèbres et des « enchaînements » ont été possibles. Les trajets, quant à eux, sont devenus toujours plus longs.

Quatre faces nord d' un seul coup Chamonix se mua également rapidement en un lieu incontournable pour les alpinistes et autres aventuriers volants. L' un d' entre eux se fit particulièrement remarquér par sa polyvalence: le guide Jean-Marc Boivin, originaire de Dijon, un grimpeur et skieur de l' extrême audacieux, qui maîtrisait en plus très bien le vol en deltaplane et en parapente. Il réalisa le 17 mars 1986 un enchaînement qu' il nomma « Les 4 Glorieuses », représentatif de nombreux projets semblables de cette époque, qui vit les limites de l' alpinisme et du vol alpin repoussées à un rythme quasi-hebdomadaire. Jean-Marc Boivin décolla à 4 h du matin des Grands Montets, avant de s' attaquer tour à tour, durant les dix-sept heures qui suivirent, aux faces nord de l' Aiguille Verte, des Droites, des Courtes et des Grandes Jorasses. Pour la descente de chaque sommet jusqu' au pied de la face suivante, il utilisa des parapentes et des ailes delta qu' il avait déposés auparavant. Après une pause bien méritée, il décolla peu après minuit avec une aile delta depuis les Grandes Jorasses et, après avoir fendu le silence de la nuit, se posa vers minuit et demi sain et sauf à Chamonix. Le 26 septembre 1988, il mit un point d' orgue à sa carrière. Dix ans après l' impulsion décisive due aux parachutistes français Bosson, Bohn et Betemps avec leurs premiers vols avec course d' élan et trente-cinq ans après la première ascension du Mont Everest par Edmund Hillary et le sherpa Tensing Norgay, Jean-Marc Boivin combina les deux exploits pionniers en un spectaculaire duathlon. Il fit l' ascension du toit du monde et s' envola de son sommet pour rejoindre le Camp II onze minutes plus tard. Ce premier vol au départ de la piste de décollage la plus élevée au monde entra dans l' histoire comme un record mondial inégalable. Connu comme l' un des premiers alpinistes de renommée internationale à s' être voué au Base Jumping, Jean-Marc Boivin perdit la vie le 17 février 1992, lors d' un saut du Salto Angel, au Venezuela. Machines de course On assista à un véritable saut quantique dans le développement des parapentes au début des années 1990, lorsque les fabricants commencèrent à s' inspirer de profils d' avions. Encore une fois, ce fut une entreprise suisse qui établit les critères en matière de design et de qualité des finitions. La maison Advance, fondée à Thoune en 1988, développe et fabrique aujourd'hui encore des ailes avec lesquelles des pilotes briguent régulièrement la plus haute marche des podiums dans le cadre de toutes sortes de compétitions. A l' époque déjà, Robert Graham, membre fondateur, fut l' un des rares constructeurs à s' être fixé comme objectif de conserver une finition arrondie et des réserves de sécurité appropriées – cela malgré une recherche accrue de performances – et à y être parvenu. D' autres fabricants donnèrent la priorité à la pure optimisation des performances de vol. Les surfaces furent réduites, et les envergures élargies de manière marquée. Cela eut pour résultat des machines de course poussées à l' extrême et très sensibles. Ces étapes de développement ont révélé des aspects positifs et négatifs qui eurent tôt fait de s' exprimer dans les statistiques des records, mais aussi celles des accidents. Toujours plus loin L' un des aspects positifs concernait le nombre de kilomètres de vol. Si le record du monde FAI de distance, signé par le grimpeur allemand Sepp Gschwendtner, était encore de 91,. " " .06 kilomètres à la fin de l' année 1989, le Sud-Africain Alex Louw le pulvérisa à peine trois ans plus tard avec 283,. " " .9 kilomètres. Aujourd'hui, ce record est détenu par Nevil Hulett, lui aussi d' origine sud-africaine. Il est entré dans la légende le 14 décembre 2008 en volant sur 502,. " " .9 kilomètres. Quant au record de Suisse officiel de la distance libre, il est détenu par Alfredo Studer, avec un vol de 297,. " " .1 kilomètres à Quixada, au Brésil. Bien qu' il soit plus facile de couvrir de grandes distances en plaine, où l'on décolle par treuillage, des exploits ne sont pas impossibles dans l' espace alpin. En 2004 déjà, Christian Chrigel Maurer d' Adelboden signa une performance magistrale en couvrant 323 kilomètres du Niesen, dans l' Oberland bernois, à Tösens, en Autriche, en passant par les cols du Grimsel, de la Furka et de l' Oberalp, puis par celui de l' Albula et par la Basse-Engadine. Toutefois, ce vol ne figure pas parmi les statistiques des records en raison d' un vice de forme au moment de l' inscription Et toujours plus haut Le record mondial officiel et encore valable aujourd'hui du plus important gain d' altitude avec un parapente a été signé en 1993 par le Britannique Robbie Whittall. Après le décollage, il est parvenu à s' élever de 4526 mètres en se laissant porter par les thermiques. Le record inofficiel de cette discipline appartient cependant à la parapentiste allemande Ewa Wisnierska. Le 16 février 2007 en effet, lors d' une manche des Pré-Championnats du monde au nord de Tamworth, dans l' Etat de New South Wales, en Australie, elle se retrouva près d' un épais nuage dont elle sous-estima les dimensions. Elle était en phase ascensionnelle lorsque sa vitesse de montée commença d' un coup et de manière inattendue à augmenter fortement. Malgré une tentative de contournement, elle ne parvint plus à échapper aux masses d' air la poussant vers le haut. Elle fut littéralement aspirée par le nuage. Des éclairs commençaient à fendre la pénombre toujours plus dense, et le tonnerre grondait tout autour d' elle. Ewa Wisnierska était en train de vivre le pire scénario imaginable pour tout parapentiste. Elle se trouvait au beau milieu d' un gigantesque cumulonimbus2 et avait perdu le contrôle. A quelque 7000 mètres d' altitude, elle perdit conscience, mais son ascension infernale était loin d' être terminée pour autant. Lorsqu' elle sortit de cet état, son altimètre indiquait 6900 mètres. Le vol ascensionnel avait enfin fait place à une redescente, mais la visibilité restait nulle, et il grêlait de manière intensive. C' est à 5000 mètres d' altitude environ que le nuage recracha enfin la malheureuse. Après une série de fortes spirales, elle put atterrir peu après à proximité d' une ferme. Ce n' est qu' après un épluchage des données de son altimètre qu' elle réalisa qu' un ange gardien l' avait accompagnée dans cette course folle. Elle avait été aspirée à l' altitude incroyable de 10000 mètres. La vitesse d' ascension maximale s' élevait à 20,. " " .2 m/s, la vitesse maximale de descente à 33,. " " .1 m/s, ce qui correspond à des déplacements verticaux de 72 km/h en ascension, respectivement de 119 km/h en descente. Sa vitesse maximale était de 152 km/h. Des spécialistes ont estimé la température à l' altitude la plus élevée à –50°C environ. Ewa Wisnierska s' en est finalement sortie saine et sauve, malgré quelques petites engelures au visage et aux jambes. Le pilote chinois de Coupe du monde He Zhongpin, qui avait été aspiré par le même nuage, paya de sa vie son inattention. Plus difficile et plus dangereux Grâce à des constructions innovantes, les longs vols n' étaient plus un problème. Toutefois, les envergures plus grandes de manière générale et les angles d' incidence plus petits des extrémités de l' aile favorisaient le risque de fermeture brusque de l' un des côtés, cause des réactions violentes de l' aile. Des pilotes peu expérimentés étaient très vite dépassés, et le nombre d' accidents augmenta. Deux autres répercussions de cette évolution concernèrent avant tout le spectre d' utilisation des parapentes. Tous les composants de l' équipement progressèrent nettement en matière de poids et d' encombrement, mais les qualités au décollage de ces ailes toujours plus destinées à la pure performance se dégradèrent. L' aptitude à voler depuis des sites de décollage de haute montagne en fut clairement réduite. En conséquence, le cercle des adeptes du vol alpin se réduit lui aussi continuellement. Ainsi, la combinaison entre alpinisme et vol en parapente devint pour longtemps un phénomène marginal. 1 La première partie de notre série d' articles consacrés au parapente a été publiée dans Les Alpes, 8/2010. La troisième et dernière partie suivra dans la prochaine édition ( Les Alpes, 10/2010 ). 2 La finesse informe sur le nombre de kilomètres qu' un aéronef peut parcourir sans système de propulsion sur 1000 mètres d' altitude. A l' heure actuelle, les valeurs se situent pour le parapente entre 7 et 8 ( jusqu' à 10 pour les parapentes de compétition ). En comparaison, un planeur performant atteint une finesse supérieure à 60, ce qui signifie qu' il peut voler sur plus de 60 kilomètres avec une perte d' altitude de 1000 mètres.

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