1971 : Une année exceptionnelle - hommage à nos cabanes
Georges Perrin, Vevey
Un souvenir de ma jeunesse est particulièrement vivant: je me revois, au printemps 1928, feuilletant avec mon père, vieux clubiste, le magnifique album des cabanes que le CAS venait d' éditer. Le volume, de belle présentation, avait un format moins pratique peut-être que les petits livres de poche d' aujourd. Mais combien remarquables étaient ses grandes photos, combien suggestifs les traits appuyés figurant les chemins d' accès, combien engageants tous les renseignements relatifs à chaque refuge! J' étais passionnément intéressé.
Je le fus plus encore et je me sentis « mordu » tout à fait quand je pus participer aux courses de mon père et que j' eus le bonheur d' assister avec lui, en 1934, à l' inauguration de deux cabanes. Aussi, mes premiers gains en poche, je n' eus plus qu' une idée: m' inserire au CAS et partir à la découverte de toutes nos cabanes, jusqu' aux endroits les plus reculés de nos Alpes.
Quel magnifique programme!
Près de quarante ans plus tard, je suis encore loin de mon but. Certes, un peu plus d' une centaine ont reçu ma visite, mais pourrai-je jamais franchir le seuil des autres, celles que leur éloignement met à bien des heures de chez moi?
En revanche, il en est que je connais bien et que j' ai assidûment fréquentées, à commencer par la nôtre, la cabane Rossier ( 3507 m)1, la plus haut située après le refuge Solvay. Avoir été pendant 18 ans l' adjoint de son intendant m' a permis d' y monter en toute saison, et nous y avons passé de beaux moments, surtout ceux où, pas trop nombreux, nous avons pu vibrer d' un même cœur à ces délicieux instants du soir. Les derniers rayons éclairant intensément la paroi nord de la Dent d' Hérens, The Blanche, l' arête déchiquetée des Bouquetins et l' Aiguille de la Tsa, nous 1 Ou cabane de la Dent Blanche.
1Cabane Terri ( CAS Piz Terri ) 2Cabane Lenta ( CAS Bodan ) apercevions alors à nos pieds les feux de la For- cla et d' Evolène, et tout là-bas, au loin, le sommet des Diablerets. Alors nous mesurions notre bonheur et combien nous étions redevables au CAS d' avoir construit ces refuges alpins.
1971 fut une année exceptionnelle: dès juillet et jusque tard dans l' automne, le temps, en général très favorable, permit de belles réalisations aux alpinistes entreprenants. Et moi- même, en fin de saison, je m' aperçus, tout étonné, que j' avais touché, en cette année bénie entre toutes, 22 cabanes, dont 20 différentes, 2 appartenant au Club alpin italien, et 13 pour la première fois. Lorsqu' elles étaient « gardien- nées », j' y fus toujours reçu avec amabilité et fort bien traité; et je n' eus guère à me plaindre de la foule, car, en été, les cabanes furent rarement occupées totalement, et d' autre part je les fréquente de préférence dans les entre-saisons.
Voici quelques-unes de ces courses qui me permirent d' apprécier les refuges alpins:
POINTE DE LA GALISE PAR LE REFUGE BENEVOLO DU CAI ( AVRIL ) Sans le tunnel du Grand-Saint-Bernard, cette course, commencée sous la pluie, eût été impossible à cette saison. A Rhêmes-Notre-Dame ( 1725 m ), on nous parquons la voiture, le ciel est encore menaçant. Aussi la montée au refuge, toute en longueur et peu raide, se fait-elle à un rythme accéléré. Surprise à l' arrivée: une trentaine de paires de skis blancs impeccablement alignés contre la façade du refuge et marqués Bundeswehr annoncent la présence d' un groupe de militaires d' Outre. Discrets, polis, grands et blonds pour la plupart, ils ne nous gêneront en rien.
Surprise également le dimanche matin: pas un nuage au ciel. La neige est dure, le froid est vif, vraiment les conditions ont bien changé depuis hier soir. Direction sud toujours, en quatre heures d' une montée agréable, nous touchons la Pointe de la Galise ( 3346 m ) à la fron- tière franco-italienne. Nous sommes au cœur des Alpes Grées, dont le Gran Paradiso et la Grivola sont les sommets principaux; à l' ouest, la Tarentaise est à nos pieds. Le spectacle est saisissant.
La descente jusqu' au refuge Benevolo, dans une neige revenue à point et sur un terrain vaste à souhait, est une jouissance sans limite. Celle du refuge jusqu' à Rhêmes-Notre-Dame, dans une neige plus profonde et après un arrêt bienfaisant, n' en a évidemment pas la qualité et demande plus d' effort.
Et c' est alors par le beau temps que nous jouissons de cette vallée, belle entre toutes. Un petit albergo sympathique, au bord de la route, nous offre de quoi nous désaltérer en crus du pays. Le printemps est là, la vie est belle.
refuge de chalin sous la cime de l' est ( mai ) En me rendant au refuge de Chalin, je désirais m' entraîner, bien sûr, mais aussi combler une grave lacune: il est si proche de mon domicile que je puis le distinguer à la jumelle et je ne le connais pas encore!
Ma fille cadette, Jacqueline, m' accompagne.
Notre itinéraire de montée n' est pas recommandable, car il est long et compliqué. Débar-qués du train à Champéry à 7 h 30, nous faisons le détour par le Grand Paradis et de là, en direction opposée, passons par les Rives. Un chien de ferme non attaché, menaçant à l' ex, nous cause en cet endroit quelque émotion. Il résulte de cet incident que le piolet de l' alpiniste est très valable également pour imposer le respect!
Ayant repris notre souffle, nous continuons notre chemin, toujours à flanc de coteau et sans gagner d' altitude. Le village de d' Illiez est en face de nous. Nous décidant enfin à grimper - et quelle grimpée alorsnous suivons le torrent des Crêtes, passons aux Sives, à l' Alpe de Chalin; direction nord de nouveau, nous Ion- 3Cabane Baltxchieder ( CAS Blümlisalp ) 4Cabane de la Dent Blanche ( CAS Jaman ) Photos: Georges Perrin, Vevey geons le flanc ouest de la Dent de Valére et accédons à la crête du Dardeu quelque peu fourbus, mais contents. Le reste de l' ascen sur cette crête caractéristique, jusqu' au refuge, est sans histoire. Par moments, il neige et nous sommes noyés dans les brumes. En fin de parcours, l' alpiniste expérimenté doit constater, à son grand dépit, que sa fille lui prend plusieurs longueurs d' avance, qu' il ne peut récupérer. Ainsi va la vie!
Temps de montée depuis Champéry: sept heures et quart, autant que pour un 4000 des Alpes. Nous nous accordons un arrêt d' une heure dans ce sympathique petit refuge, qui fait un peu penser, vu ses dimensions réduites, à une cabane d' éclaireurs.
Notre projet est de descendre jusqu' à St-Maurice, par Vérossaz. Il en ira autrement, fort heureusement pour nos jambes: à proximité du chalet de Chindonne, une doctoresse de Monthey, en promenade, nous propose fort aimablement deux places dans sa voiture, parquée quelques minutes plus bas. Elle nous invitera chez elle, nous fera goûter à un excellent Johannisberg, au pain de seigle et au fromage de Bagnes. Suprême gentillesse, elle nous accompagnera à la gare en auto.
Il est encore des gens qui ont le sens de l' hos et savent rendre service!
cabane rossier à la dent blanche ( pentecôte ) Cette fois, le grand jour est arrivé. Tout est prêt. Les sacs de montagne sont lourds, ils contiennent outre nos vivres et objets personnels, maints articles et outils pour la cabane.
Nous serons trois: ma fille Jacqueline et mon beau-fils Graham m' accompagnent. Epoux de mon autre fille, ce dernier est Anglais; il ne connaissait rien à l' alpinisme avant de s' établir en Suisse, mais il n' a pas tardé à y trouver beaucoup d' intérêt.
Départ en auto à 2 heures du matin. Je devine en effet que les conditions de montée seront pénibles. Peu sous Evolène, il se met à neiger à gros flocons, les essuie-glace entrent en action. Cela va-t-il durer? Nous laissons la voiture à proximité du petit barrage au-dessus de Ferpècle et partons à pied, à 4 h 20, dans 30 cm de neige poudreuse. Si le jour se lève, le temps, lui, a plutôt tendance à se gâter. Nous dépassons Bricola, atteignons la moraine, y « brassons » par moments jusqu' au ventre avant d' en atteindre la crête. La chose était prévue.
Au « Gros Caillou », arrêt officiel, juste avant le glacier des Manzettes. Le temps a l' air de s' améliorer. l' œil, car c' est dans le brouillard que nous allons effectuer toute la fin de la montée. Et cela n' arrange rien dans cette grande pente glaciaire interminable et dans cette neige où chaque pas est un effort. Nous nous relayons en tête, et Jacqueline fait largement sa part du chemin. Malgré ma connaissance approfondie des lieux, je trouve avec peine l' arête de rochers qui nous conduira à la Perche. Et de là, de nouveau sur le glacier, sur ce Dôme qui n' en finit pas, mais où il s' agit de garder la bonne direction: ni trop à gauche, ni trop à droite, l' art étant de tomber droit sous la cabane. Facile à dire avec cette visibilité de chambre à lessive! A tel point qu' à deux cents mètres du but, sur le replat du glacier, je pars seul en éclaireur pour voir si nous sommés... à la bonne adresse. Miracle, la cabane est là!
Nous y sommes en un clin d' ceil. Il est 14 h 15. Notre montée a donc duré dix heures moins cinq minutes. Vite du feu, du thé! La température intérieure monte allègrement. Nous voilà heureux, chez nous, plus seuls qu' au pôle Sud.
Du bon travail sera fait dans la cabane. Graham apprend à ses dépens que la nature n' est pas toujours d' accord avec nos activités: le dimanche, il déblaye à la pelle, durant des heures, la neige devant le refuge et dégage les deux fenêtres latérales, pour constater, le lundi matin, que tout a été fait en vain. Une respecta- ble couche de neige fraîche tombée durant la nuit a tout regarni.
Et c' est par un temps radieux et avec une vue incomparable que nous regagnons la vallée, creusant dans cette poudreuse un sillon visible de fort loin.
cabane rossier à la dent blanche ( juin ) Pour la première fois depuis quinze ans, je n' ai pas pris le départ avec le groupe qui monte à notre haut refuge pour y déblayer la neige. C' est une tradition, en effet, dans notre section, de partir un jeudi soir à 18 heures, à la mi-juin, après le travail, et de monter durant la nuit. L' arrivée à la cabane se situe entre 2 et 4 heures du matin, selon les conditions. Cela donne ainsi pour le travail deux jours pleins qui se passent dans une ambiance assez extraordinaire, où les bons repas préparés par les dames et les crus du pays sont bien pour quelque chose. Et le soir, Christian, en excellent chanteur qu' il est, dirige une chorale aux éléments plus ou moins doués.
Neuf membres de la section et deux épouses se sont conformés cette année à la règle. Je monte les rejoindre le samedi matin avec un membre du CSFA, bien entraînée. Le temps n' est pas beau du tout. Les conditions de neige seront toutefois meilleures que trois semaines auparavant, ce qui permettra de faire le trajet à pied en six heures et demie cette fois, mais le vent souffle avec une puissance inouïe, à tel point que, sur l' arête rocheuse, particulièrement exposée, mon capuchon se rabat sur mes yeux et je bascule en arrière, tombant dans les jambes de Margrit quelque peu surprise.
A la cabane, la tempête continue sans désemparer. Nos amis n' ont pas pu faire tout le travail prévu à l' extérieur. Mais l' ambiance intérieure, elle, subsiste. Mis en ordre, contrôlé, astiqué, notre refuge, une fois de plus, est bien prêt à recevoir les alpinistes durant le prochain été- REFUGE GONELLA DANS LE MASSIF DU MONT BLANC ITALIEN - AIGUILLE DE BIONNASSAY ( JUILLET ) Je passe comme chat sur braises sur une visite à fin juin, par un dimanche de beau temps, à la nouvelle et si jolie cabane Gelten, au-dessus de Lauenen. Je connaissais l' ancienne depuis plus de vingt ans; ce Lauenental et ses cascades n' ont rien perdu de leur beauté.
Revenons au Mont Blanc. L' idée de gravir l' Aiguille de Bionnassay date du jour où je l' ai vue, en avril 1968, si régulière de lignes et si proche des Dômes de Miage et du Col Infranchissable.
Le temps paraît sûr. Mon ami Pierre sera mon compagnon de course pour la réalisation de ce vieux projet. Par le Grand-St-Bernard, Aoste, Courmayeur, nous atteignons le Val Veni; nous y laissons la voiture à proximité du lac Combal, à 1950 mètres environ. Il est 11 heures, l' affluence est grande. De nombreuses voitures sont déjà parquées, le coin grouille de monde, et il y aura donc foule à la cabane.
D' un bon pas, nous prenons le chemin du glacier de Miage italien que nous atteignons rapidement. Et c' est, durant cinq kilomètres, le fastidieux cheminement sur un glacier couvert de blocs de toutes dimensions. A mi-chemin, à l' oc d' un arrêt casse-croûte, nous repérons le refuge qui se distingue facilement à sa couleur jaune. Nous remarquons à la jumelle que les fenêtres sont ouvertes; le gardien est sûrement là. D' autre part, la foule qui nous entourait tout à l' heure s' est volatilisée totalement, nous sommes seuls, et de surcroît le temps se gâte.
C' est avec soulagement que nous atteignons enfin le petit chemin qui, du glacier de Miage, nous conduira en une montée très raide au refuge Gonella, situé à 3072 mètres. Quelques gouttes de pluie tombent en cours de route. Le gardien est là, tout seul, en avance sur son programme annuel, car il doit réparer portes et fenêtres de son refuge préfabriqué. L' ancien refuge, placé quelques mètres au-dessous du nouveau, est dans un état de délabrement avancé.
Le ravitaillement en vin et bière n' est pas encore arrive; aussi est-ce avec du thé qu' il faut étancher une grosse soif. L' orage éclate. Les averses se succèdent au cours de la soirée et de la nuit, nous causant pas mal de souci pour le programme du lendemain. D' autant plus qu' il fait nettement trop chaud et que la neige ne porte pas du tout.
Au moment du coucher arrivent inopinément deux messieurs et une dame de Turin. Sympathiques, athlétiques, leur présence nous redonne du courage, car ils manifestent l' intention de faire le Mont Blanc. Nous leur sommes redevables de deux choses: la première: de nous avoir réveillés à 2 h 30 le dimanche matin, et la seconde: de nous avoir encouragés à partir par un temps aussi peu favorable. Nous ne pouvions décemment rester à la cabane, eux-mêmes tentant leur chance au Mont Blanc.
Et bien nous en prit. Commence alors la longue montée sur le glacier du Dôme, montée pénible en raison des crevasses innombrables qu' il faut contourner et de la profondeur de nos pas dans la neige. Avouons humblement que la première cordée, partie avec une demi-heure d' avance, nous a rendu à ce sujet un fier service. L' arête frontière franco-italienne, à 4000 mètres environ, est atteinte après six heures d' effort. Nous y rejoignons nos camarades italiens qui décident de ne pas aller plus loin. Le temps s' est bien remis, et l' Aiguille de Bionnassay est là devant nous, magnifique. Pour l' at, il faudra redescendre au Col de Bionnassay, à 3888 mètres, et de là, le long de la crête neigeuse, parfois très aérienne, gagner le sommet à 4051 mètres. C' est chose faite à to h 45. Pierre et moi échangeons la traditionnelle poignée de main, tout à la joie de cette réussite inespérée.
Le sommet du Mont Blanc, seul, est dans les brumes. Nous sommes au centre d' un monde de glace, et le spectacle est saisissant. Le refuge de l' Aiguille du Goûter nous fait face, très reconnaissable.
Je ne m' étendrai pas sur notre descente qui, le soleil aidant, fut très pénible. La plupart du temps, nous enfoncions profondément dans la neige à chaque pas. Mais tout a une fin et, à 14 h 50, nous franchissions la porte du refuge Gonella. A 18 heures, après une marche rapide, nous retrouvions la voiture au lac Combal.
CABANES GRISONNES OU DE DAVOS A DISENTIS ( JUILLET ) Mon propos étant de rendre hommage nos cabanes, je n' indiquerai que succinctement notre itinéraire, pour mettre l' accent sur quel-ques-unes de nos têtes d' étape et sur des gîtes nocturnes où les Romands ont plus rarement l' occasion de s' arrêter.
C' est à 17 heures, le 22 juillet, jour anniversaire de ma fille Jacqueline, que nous franchissons le seuil de la cabane Grialetsch, située sur le plat d' un col, en un lieu idéal, entourée de petits lacs, face au grand glacier du même nom. Elle a été tout récemment agrandie, et Gusti, son gardien sympathique, nous en fait les honneurs en un français parfait. Il me déclare aussi qu' au Piz Vadret, c' est bien connu, rien ne tient, et qu' il vaut mieux y monter par son arête nord-ouest, qui part de la Fuorcla da Vallorgia. Mais, le lendemain, je me rends compte que l' escalade de tous ces gendarmes nous prendrait beaucoup trop de temps, alors que, le 23 au soir, nous devons être à la cabane Kesch. Notre Gusti est un farceur: nous parcourrons la voie ordinaire, qui nous paraît très convenable.
Il ne suffit pas, dans les Grisons, pays aux cent cinquante vallées, d' étudier le guide-ma-nuel. Il faut aussi compter ses pas. Quelques-uns de trop, c' est assez pour nous faire dévier de la Fuorcletta dal Vadret sur la Fuorcla da Pin-tota. Conséquence: nous aboutissons au Piz Vadret Pitschen au lieu du véritable Piz Vadret, dont nous séparent une profonde échancrure et onze mètres de différence de niveau. Avis à ceux qui voudraient arpenter le Pays des Ligues!
C' est aussi le pays des vastes solitudes: on y peut marcher des jours sans voir personne, ou presque. Et nous arrivons le soir à la cabane Kesch, peu peuplée également, où la femme du gardien nous accueille avec beaucoup de gentillesse. L' aménagement de ce refuge, récemment agrandi lui aussi, est vraiment remarquable et mérite d' être vu. Un détail qui m' a plu particulièrement, c' est une fontaine de bois intérieure.
Le lendemain, après un bref arrêt à la cabane Es-cha, sur le versant engadinois, nous descendons sur Madulain, d' où un court trajet en train nous amène à Spinas, à l' entrée sud du tunnel de l' Albula. Commence alors une longue marche d' approche — trop longue au gré de Jacqueline - mais inoubliable, dans le merveilleux Val Bever aux eaux impétueuses et cristallines.
Arriver à 18 heures, un samedi soir, en pleine saison, par grand beau temps, et les premiers dans une cabane du CAS, c' est la chance qui nous échoit en ce jour. Nous avons en effet le plaisir d' ouvrir les volets de la sympathique chamanna Jürg Jenatsch, qui n' est pas « gardiennée ». C' est le véritable refuge alpin selon l' ancienne tradition. Nous nous sommes rafraîchis et restaurés, quand arrivent trois clubistes du Tösstal. Finalement l' effectif sera porté à sept personnes par la venue, à la nuit, de deux Allemands équipés en promeneurs.
Au programme du lendemain: le Piz d' Err, un car postal à prendre à io h 40 dans F Oberhalbstein, et la montée à la cabane Rapport. Il nous faut partir de grand matin. Nous quittons notre accueillante cabane à 3 h 30, dans la nuit, franchissons quelques passages en crampons, jouissons intensément de la solitude et du moment présent dans un paysage de rêve, traversons des zones de gros blocs et, après des trajets en car, en train et de nouveau en car, nous voyons apparaître l' écriteau: Cabane Rapport, 4 heures. Jacqueline trouve que son père exagère. Elle jure qu' elle ne s' y laissera plus prendre et que dorénavant les programmes de course paternels seront sérieusement étudiés à l' avance.
C' est inouï à quel point les chemins d' accès à nos diverses cabanes peuvent être différents. Celui que nous empruntons en cette chaude après-midi présente quelques particularités. Il traverse tout d' abord sur plusieurs kilomètres une morne plaine, réservée depuis quelques années aux ébats des chars d' assaut de notre armée. Des signes tangibles de leur activité apparaissent en effet de droite et de gauche.
Plus loin, prenant enfin l' aspect d' un véritable chemin de cabane, il se fait un malin plaisir, à plusieurs reprises, de monter à flanc de vallée et de redescendre d' autant - ou presque - sitôt après. C' est déconcertant, et je n' ose plus regarder du côté de Jacqueline. En fin de parcours toutefois, il devient plus « sage », et le paysage aussi s' humanise.
Nous savions que la cabane Rapport était en cours d' agrandissement en cet été 1971. Nous tombons en effet sur un véritable chantier, mais le réfectoire et un dortoir sont en ordre, et c' est ce qui importe. Une famille avec quatre enfants y est là, toute seule...
Quant à la cabane Lenta, que nous atteignons le jour suivant après une marche longue et éprouvante à travers d' interminables éboulis, mais aussi de verts pâturages, c' est la plus jolie, la plus originale des cabanes du CAS, et celle où nous recevons le plus cordial accueil.
Toute neuve, car l' ancienne a été emportée par une avalanche, elle est accolée à un énorme bloc de rocher qui la protège et la surplombe même en partie. Sa construction est mixte: pierres et bois, et son aménagement intérieur est remarquable. Un groupe mixte de l' OJ, venu des bords du lac de Constance y passe justement une semaine dans une ambiance « du tonnerre » et sous la direction de membres du CAS dévoués. C' est ainsi que nous partageons le souper avec cette jeunesse sympathique et buvons avec leurs chefs le verre de l' amitié: un délicieux vin rouge de la Valteline.
Le hasard fait bien les choses, car je retrouve parmi eux un Willi que j' ai connu lors d' une clubistique centrale dans le Stubai, en Autriche. Sur ses conseils, nous adoptons un itinéraire plus pittoresque et moins fatigant pour monter à la cabane Terri: un joli chemin qui, au-dessus de Tenigerbad, flâne entre les bosquets de mélèzes, puis, le pont franchi, attaque la pente en multiples lacets dans un paysage grandiose et fascinant qu' agrémentent les cascades et les chutes de la rivière. Toute l' eau de nos montagnes, heureusement, n' est pas encore domestiquée!
La cabane Terri nous accueille en fin d' après. Petite, posée sur une bosse du terrain, elle est située dans une région très particulière, et occupée en partie par des indigènes de la vallée du Rhin qui nous tiennent longuement sous le charme de leur romanche incompréhensible.
Le lendemain, après avoir traversé un immense plateau aux nombreux cours d' eau et à la sévère beauté, le Plaun la Greina, et après avoir franchi le col de la Greina, nous faisons une brève incursion en terre tessinoise et, par la Forcola sura de Lavaz, cheminant sur le glacier puis à travers des rochers, nous voilà, deux heures plus tard, au pied du Piz Medel, non sans avoir rencontré et dérangé par notre présence un groupe de huit bouquetins de belle taille.
Le temps se gâte, l' orage menace. Aussi des-cendons-nous rapidement sur la cabane Medel. Bien plantée sur son col et propre comme un sou neuf, elle est « gardiennée » par une dame aimable et très à son affaire qui nous reçoit avec beaucoup de gentillesse. Qu' il fait bon vivre ici, à l' abri de la pluie!
Il y aurait beaucoup à dire encore sur cette semaine grisonne qui se termine par le beau temps revenu, mais dont le souvenir en nos cœurs n' est pas près de s' effacer.
CABANE ETZLI, BÖRTLILÜCKE, CABANE TRESCH ( SEPTEMBRE ) Depuis longtemps, je désire connaître dans le détail la région du Gothard. Ma fille Suzanne, moins entraînée que sa sœur Jacqueline, et son mari Graham m' accompagneront. Le temps est sûr. Nous partons.
L' auto nous transporte prestement à Bristen, à l' entrée du Maderanertal, après avoir escaladé le Jaunpass et le Susten. L' air transparent de l' automne nous permet de jouir pleinement de la beauté des paysages.
Nous quittons Bristen sur le coup de midi. Au cours d' une agréable montée le long de l' Etzli, à l' eau vive et limpide, nous croisons quelques groupes d' indigènes portant sur le dos chacun plusieurs fromages alignés sur un support spécial en bois. A leur allure rapide, à leur démarche, on devine que la charge est lourde. Plus haut, rencontre attristante cette fois qui nous rappelle que nous sommes en période de chasse: trois chamois et un renard, innocentes victimes, se balancent sur le dos de trois chasseurs qui, eux aussi, pressent le pas en direction de la vallée.
Peu de monde à la cabane Etzli ( les nombreux touristes arriveront plus tard ) où nous sommes aimablement accueillis par le gardien et sa famille. Lui est guide, aussi le contact est vite établi et la discussion s' engage, animée, entre nous. Nous jouissons longuement, sur la terrasse de la cabane, d' une glorieuse fin de journée automnale. Le frais du soir, seul, nous oblige à la retraite.
Le lendemain, au petit matin, au départ de la cabane, le ciel est parfaitement serein. Au programme: la Börtlilücke et la cabane Tresch dans le Fellital. La nécessité de rentrer le soir même à la maison nous empêche de gravir un sommet Nous sommes seuls sur ce joli chemin, dans cette magnifique nature, et n' en demandons pas plus. C' est toutefois étonnant, alors que la cabane paraissait avoir reçu finalement son plein de touristes. Les montagnes qui nous entourent: Le Sunnig Wichel, le Piz Giuv, le Piz Nair ont du caractère. Saupoudrés d' une légère neige fraîche, les flancs habillés de glaciers, ces sommets ont fière allure dans la lumière du matin et invitent à l' ascension.
La Börtlilücke est rapidement atteinte. Avec elle, la surprise du jour: une grande zone de blocs et d' éboulis à traverser, avant d' atteindre un chemin confortable qui descend fort rapidement sur la cabane Tresch. Construite à la lisière d' une forêt ( à 1475 mètres ) dans un coin tout simplement idyllique, c' est certainement l' une de nos cabanes situées à l' altitude la plus basse. Ce qui n' empêche que la montée est rude depuis la route du Gothard, où le point de départ est à 694 mètres.
La trouvant tous volets ouverts, mais vide d' ha, nous nous installons confortablement sur la terrasse de la cabane, en plein soleil, pour un casse-croûte bien mérité. Une bouteille de St-Saphorin, fraîche à point, remplace avantageusement en cette circonstance le thé traditionnel de l' alpiniste.
Les huit cents mètres de dénivellation qu' au Fellibrücke, sur la route du Gothard, sont descendus rapidement. Le point faible de notre organisation est qu' il faut maintenant aller quérir la voiture laissée à Bristen, ce que je fais tout de suite et d' un bon pas, laissant fille et beau-fils au bord de la route avec le matériel. Le retour à la civilisation sous la forme d' une montée à Andermatt, encolonnés, est pénible. Il n' altère toutefois d' aucune façon le souvenir d' une aussi belle traversée.
CABANE BALTSCHIEDER ( OCTOBRE ) II y a plus de vingt ans que je désire faire connaissance avec le Baltschiedertal et sa cabane. Un dimanche automnal de toute beauté m' en donne l' heureuse occasion. Dimanche bien rempli, il faut le dire d' emblée, puisque je quitte, seul cette fois, mon domicile, de telle sorte que j' arrive à Ausserberg à 4 heures du matin. Ce village est situé à 1005 mètres audessus de Viège, sur le flanc nord de la vallée du Rhône. Tout y est endormi; dans un ciel constellé d' étoiles, pas trace de lune - elle m' au été particulièrement utile. Aussi est-ce à la lumière de la lampe de poche que je marche durant deux bonnes heures, c'est-à-dire jusqu' à Senntum, en majeure partie le long d' un bisse. Au hasard d' un chantier, je dois chercher non sans peine mon chemin dans l' obscurité.
Mais alors, au lever du jour, quelle beauté et quelle solitude! Les lacets du chemin sous la Martischüpfe, à l' herbe toute mouillée de rosée, me font gagner rapidement de l' altitude et me permettent d' admirer toujours plus le décor: tout d' abord les Mischabel, ensuite le Weisshorn et son arête nord.
Je repère peu après, sur le flanc ouest de l' Alpja, à plus de 2600 mètres, les baraques de chantier de la mine de molybdène, dont les travaux de recherche ont repris récemment. A noter qu' à proximité de la petite chapelle de Senntum, dans la vallée, plusieurs croix scellées sur un rocher rappellent la mémoire des victimes de cette mine de haute altitude.
Au point 2274, qui est un petit col, je découvre, en direction nord, un paysage nouveau et grandiose et cherche ma petite cabane, blottie tout là-haut sous les rochers du Jägihorn. J' y cours presque, pressé d' y parvenir. Je traverse quelques ruisseaux avec prudence, car les pierres sont couvertes d' une carapace de glace; le gardien a sagement retiré récemment la planche qui les enjambe, vu la saison avancée.
A io h 30 mon rêve est réalité. La Baltschiederklause est là, devant moi, jolie petite cabane comme je les aime. Comme elle mérite bien son nom en ce jour magnifique: un ermitage! Et combien je souhaiterais en être l' ermite!
L' air transparent de l' automne permet à l' heureux mortel que je suis de jouir de là, durant une bonne heure, d' une vue absolument extraordinaire. La face orientale du Bietsch- horn, si proche, est la pièce maîtresse de ce spectacle. Au sud, dans l' échancrure de la vallée, le Strahlhorn, les Mischabel, le Breithorn.
Une descente rapide jusqu' à Ausserberg me prend tout de même 3 heures et demie, mais me permet de croiser, en fin de parcours, d' innom promeneurs, familles pour la plupart, qui font l' itinéraire recommandé longeant la ligne du chemin de fer du Lœtschberg. Gens heureux qui, comme les alpinistes, pratiquent la marche pour leur plaisir... et leur santé.
Quelle glorieuse journée!
cabane rossier a la dent blanche ( mi-novembre ) Nous nous flattons, mon ami Jean-Louis et moi, en toute modestie, de posséder un certain bagage de connaissances en matière d' alpi. Eh bien, il faut convenir que, lors de la dernière montée à notre refuge en qualité d' in et d' adjoint - nous avons quitté en effet nos fonctions à fin 1971 - nous avons fait une cruelle expérience qui eût pu entraîner de graves conséquences. Y être allé par tous les temps, peut-être cent fois, ne suffit pas. La haute montagne a toujours quelque chose à apprendre à ses adeptes.
Depuis quelques années, si l' automne est beau, des touristes fréquentent la cabane en octobre, ce qui ne se serait jamais passé, voici dix ou vingt ans. Notre montée tardive est donc une mesure de contrôle nécessaire, puisque, pour la deuxième année consécutive, nous trouvons des volets ouverts, ce qui est une négligence vraiment incompréhensible, à cette altitude et à cette saison, de la part d' alpinistes.
Jean-Louis, toujours optimiste, ne pensait pas à la neige récemment tombée, lorsqu' il me convoquait le vendredi après-midi. Ou bien ne voulait-il pas y penser?
- Nous partons de bonne heure et redescendons samedi soir.
Pas un nuage au ciel, calme absolu - c' est une chance - lorsque nous quittons à 6 h 50 du matin la voiture au petit barrage au-dessus de Ferpècle et nous engageons dans 30 centimètres de neige fraîche et poudreuse à souhait. Le jour se lève à peine. Il est déjà couché lorsque nous ouvrons la porte de la cabane à 18 h 05, soit 11 heures et quart plus tard, les guêtres et le pantalon complètement gelés. La montée a été très pénible du début à la fin, de telle sorte que nous nous sommes relayés constamment en tête, tant la neige était profonde.
Toute notre peine est oubliée. Nous sommes dans notre cabane, heureux comme des gosses en vacances. Jean-Louis s' occupe du feu et de la soupe; quant à moi, je procède tout de suite à la mise en ordre. Et ce n' est que deux heures plus tard, au moment d' aller nous coucher, que nous nous apprêtons à enlever nos souliers.
Mon ami, à sa grande surprise, n' y parvient pas; un bloc de glace comme une grosse boîte d' allumettes s' étant formé devant les orteils, bloque le pied dans la chaussure. A force de tirer, d' insister, devant le potager allumé, nous arrivons au bout de nos peines. Je gronde sévèrement Jean-Louis dont les guêtres ne fermaient pas bien, sans me douter que, moi aussi, j' ai également les orteils gelés. Mais chez moi, il n' y a pas eu de glace à l' intérieur des chaussures, et le cas est d' emblée moins sérieux.
Moralité: nous avons marché trop longtemps dans une neige particulièrement froide et profonde. Jean-Louis, après avoir passablement souffert, subissait un mois plus tard une intervention chirurgicale peu importante, mais nécessaire. Chez moi, cette aventure se solda par une désagréable sensation qui dura deux mois environ. Une expérience supplémentaire!
1971 fut sans contredit une année exceptionnelle!
Ewige Berge?
Hermann Kornacher, Unterpfaffenhofen Hinter den Hügeln und Wäldern im Süden, weit; weit weg, stehen die Berge. Herbstlich nebelverhangen an vielen Tagen, an anderen wieder föhnig klar. Schweigende Klippen, aufgerichtet am Rande der Ewigkeit. Sinnbild des Dauernden, des Bleibenden, des Mächtigen -wie der diamantene Berg im Märchen. Und doch zahlen auch die Berge der Vergänglichkeit ihren Tribut, selbst wenn sie noch stehen werden, wenn wir, ihre stolzen Bezwinger, nicht mehr sind. Die 45. Sure des Korans, der Heiligen Schrift der Mohammedaner, kündet dem Gläubigen:
« Und eines Tages werden die Berge vergehen, und schauen wirst du eben die Erde... » Die Fachgelehrten bestätigen uns diese prophetischen Worte. Während die Besucherzahlen in den Alpen immer mehr zunehmen, nehmen die Alpen selbst an Höhe und Masse ständig ab. Zum Glück nicht im gleichen Verhältnis. Jedenfalls haben weit zurückreichende Beobachtungen in den Zentralalpen ergeben, dass die Erosion, das heisst die alpine Abtragung, ungefähr einen Meter im Zeitraum von 2000 Jahren ausmacht. Wind und Wetter, Frost und Wärme, Schnee und Eis helfen mit bei dieser Arbeit. Den meisten Verlust an alpiner Masse aber bewirkt das Wasser.
Je stärker das Ross, um so grosser die Ladung - sagt der Volksmund. Je grosser und reissender das Gewässer, um so grosser ist die von ihm wegtransportierte Gesteinsmenge. So befördert z.B. die Drance, ein reissender Gletscherfluss im vorderen Wallis, mit einem Einzugsgebiet von rund 670 km2 im Jahresdurchschnitt etwa eine Million Tonnen Geschiebe zu Tal. Und für das gesamte Alpengebiet hat man einen durchschnittlichen Abtrag von o,6 Millimeter pro Jahr errechnet. Allerdings sind im Verlauf län- gerer Zeitperioden gebietsweise auch Hebungen bis zu mehreren Metern festgestellt worden.
Aber bleiben wir einmal bei den durchschnittlich o,6 Millimetern Abtrag pro Jahr: Demzufolge müsste der Mont Blanc mit seinen 4810 Metern Meereshöhe in etwa i o Millionen Jahren so gut wie verschwunden sein. Andere Schätzungen nehmen einen weniger radikalen Schwund an und weisen darauf hin, dass die Alpen höchstwahrscheinlich erst in 60 Millionen Jahren wieder so flach sein werden wie die Prärien Nordamrikas. Wohl bemerkt: wieder! Denn die Wissenschaft hat festgestellt, dass die Alpen vor 60 Millionen Jahren noch kaum existierten und die Erdauffaltung erst begonnen hatte.
Nur ein winziger Zacken in der grandiosen Gipfelflur der Walliser Alpen ist das Matterhorn, einer der schönsten und bekanntesten Berge der Welt. Ein ruinöser Schutthaufen, sagen manche, die diesen Berg kennen. Schuttströme zu seinen Füssen, Steinschlag in seinen Wänden. Wie lange wird es dauern, bis auch seine zweieinhalb Milliarden Felsgestein eingeebnet sein werden? 50 oder 60 Millionen JahreVor etwas mehr als t oo Jahren ( t 865 ) wurde dieser Berg das erste Mal von einem Menschen bestiegen; der Alpinismus kam in Mode, der Fremdenverkehr überflutete die Alpen. Aber was sind t oo Jahre im Dasein eines Berges?
Wir heutigen Bergsteiger haben das grosse Glück, ausgerechnet in die Mitte dieser Zeitspanne zwischen Werden und Vergehen der Alpen geraten zu sein. Wir werden es aber - Gott sei Dank - nicht mehr erleben, wenn einmal die Zugspitze, Deutschlands höchster Gipfel, so flach sein wird wie etwa heute schon die schwä-bisch-bayerische Hochebene.
Auch die scheinbar für die Ewigkeit « gebauten » Berge sind vergänglich; auch die Zugspitze wird einmal dranglauben müssen und, etwas später vielleicht, das Matterhorn.