Alpes uranaises. Au Pucher
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Alpes uranaises. Au Pucher

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Au Pucher.

Par F. Tharin.

Dans la majestueuse chaîne des Windgällen au Rüchen, entre le Gwasmet et le Ruchenfensterstock, s' élève le sommet le plus arrogant, le plus comique et le plus baroque de nos Alpes uranaises. Et chaque fois qu' il m' est donne de contempler le Pucher depuis le sud-ouest ou l' ouest, je ne puis réprimer un sourire à la vue de cette marmotte dressée en sentinelle sur le Maderanertal, ornée au surplus d' un cairn démesuré élevé juste sur son nez. Le sommet, surplombant sur trois faces, lui donne un cachet très original et la vue de là-haut est aussi aérienne que possible. Réputé pour sa belle roche ( voie normale ), c' est un sommet assez fréquenté, quoique de tout premier ordre.

... 8 juillet. Sur la route brillante qui remonte le Schächental, nous n' arrivons pas à nous mettre d' accord, Otto Künzel et moi, sur la course de demain. Nous sommes bien partis dans l' intention de faire la Schächentaler Windgälle, mais je regrette de sacrifier ce beau dimanche de juillet à une course aussi facile, et comme rien ne laisse prévoir un changement de temps, tout au plus un peu d' orage, je ne résiste pas à l' envie d' escalader le Pucher par la paroi nord.

A Spirigen il fallut se décider. Je tenais ferme à mon projet et Otto acquiesça non sans regretter un peu sa Windgälle et le sentier ombragé qui aurait remplacé la route brillante et ses autos. Mais ce n' est du reste guère que la cinquième fois que nous partons pour la Windgälle et que nous n' y arrivons pas.

Le Brunnital est déjà dans l' ombre lorsque nous nous engageons dans le sentier qui le remonte, mais le soleil éclaire encore de biais les majestueuses parois de la chaîne du Rüchen qui le ferment au sud. Et nous arrivons avec la nuit à la Brunnialp où la veuve Herger, avec sa marmaille proprette, nous accueille d' un large sourire. Ici je suis un inconnu, mais non pas Otto qui y est déjà venu plusieurs fois. Deux touristes sont déjà devant le chalet, Charles de Schaffhouse, et Ernest d' Aarau, à moins que ce soit le contraire! Comme Charles s' est déjà trouvé l' an dernier avec Künzel pour la paroi nord du Gross Rüchen, la glace entre les quatre est bien vite brisée et la discussion s' engage sur le Pucher qu' ils comptent aussi essayer demain. Nous sommes tous d' ac que les conditions sont un peu anormales. Il y a encore trop de neige et de mauvaise qualité probablement, mais nous espérons tout de même nous en servir, si elle tient, pour gravir aisément la dernière partie, toute de plaques imbriquées, excessivement raide. Le guide du reste recommande de faire cette course tôt, tandis que la neige retient les pierres.

Bien que maman Herger, tout aux petits soins, se soit donné la peine d' étendre des draps sur le foin, je dors très mal, Otto aussi, et le sommeil ne vient qu' à 1 h. y2; le moment de se lever est déjà là.

Otto qui se pique de mieux trouver le chemin que l' automne dernier, nous fait traverser le ruisseau dix mètres plus haut que le pont. Ce fut le premier contact avec l' élément humide, mais malheureusement pas le dernier.

.'Au travers des pâturages, puis des éboulis nous atteignons en une petite heure le pied des rochers et la tache de neige qui nous y introduira. Le jour commence à poindre et, après avoir consulté le guide, nous nous fourvoyons immédiatement. C' est du reste ce que font presque toutes les caravanes, et souvent même elles perdent assez de temps à cet endroit pour être obligées de renoncer à l' ascension. Ayant pris trop à droite, nous sommes forcés de revenir à gauche et de passer des surplombs très délicats. Le gazon mêlé à de la mauvaise roche rend l' ascension peu amusante, et le temps que nous mettons pour atteindre la vire qui longe la paroi grise et conduit à la gorge me paraît excessif. Arrivé au but, je découvre un passage qui eût été idéal; c' est une vire très facile, qui prend au plus haut point du névé d' entrée ( rochers noirs ) et conduit, fortement inclinée, à environ 30 mètres au-dessous de la vire supérieure à des rochers d' escalade facile. La prochaine foisje gagnerai une heure grâce à cette découverte.

Nous voici donc à 6 heures au pied des trois taches de neige, du grand triangle, pour lui donner un nom. Une varappe assez délicate mais sur une pierre excellente nous permet de gravir une petite arête jusqu' à un endroit propice à un saut sur le névé. Nos camarades n' escaladèrent que la moitié de l' arête et à la hauteur d' un gros bloc coincé dans la gorge traversèrent dans celle-ci encore remplie de neige. Plus tard dans la saison, ce doit être impossible, car de l' autre côté du bloc il ne peut y avoir qu' un trou.

Nous gravissons environ trente mètres de névé, puis, obliquant à l' ouest, rejoignons des dalles faciles qui nous amènent au névé supérieur. La neige est trop molle, l' air trop chaud et, pour tout ce qui nous est réservé, cette température ne vaut rien. Combien aurions-nous donné pour avoir un peu « froid aux pattes »!

Après le second névé, cette fois à gauche du ruisseau, une nouvelle série de dalles déjà moins faciles que les premières nous conduit au névé supérieur, le plus grand, le plus raide, ravagé de côtes et de couloirs, mais dont la mollesse est vraiment révoltante. Un coup de pied et voilà une marche; un coup de poing, et vous avez une prise. Malgré ça notre lenteur est désespérante, mais il faut assurer du piolet. Nous montons d' abord directement, puis obliquons à l' ouest vers la pointe supérieure de droite du triangle. Le soleil est déjà haut et pour comble il darde ses rayons sur les pentes supérieures où passe notre route. Quelle audace de venir ainsi ramollir une paroi nord que la nuit n' a déjà pas pu affermir. Pour une fois, je maudis le soleil!

Nous voici à l' endroit où les premiers ascensionnistes élevèrent un cairn que Krupski et Gassler reconstruisirent en 1927. La neige, hélas, en a élevé un bien plus long, plus large, plus haut et ne semble pas près de dégager le petit tas de pierres qui doit trouver l' hiver bien long cette année.

Au lieu de descendre trente mètres dans le couloir, nous préférons gravir l' arête environ 40 mètres, car aujourd'hui il est possible d' atteindre la vire en face par le haut du couloir enneigé. Il y a bien un à-pic de neige molle, mais il est relativement facile d' assurer. Nous nous trouvons ainsi sur le bord supérieur de cette bande de neige que nous devons traverser horizontalement, c'est-à-dire que nous devons la redescendre dans toute sa hauteur pour rejoindre la voie décrite dans le guide. C' est ce que font Charles et Ernest tandis que je ne puis me résoudre à perdre ces 50 mètres. Du cairn ou plutôt de la place où il doit trôner, j' avais repéré une vire difficile mais régulière qui se continue obliquement dans la direction de la Ruchenfensterschlucht ( excusez, c' est la gorge qui descend de la Fenêtre du Rüchen !), et bien que n' en voyant pas l' issue, j' avais prévu que nous en sortirions, à condition de pouvoir forcer certain passage problématique, juste sous une forte chute d' eau. Allons-y! dis-je à Otto qui semblait ne plus être là que pour m' ap, me suivre et m' assurer!

J' avais vu juste et croyais même être sur le vrai chemin, car, bien que n' avançant qu' avec de très grandes difficultés à cause de la pierre pourrie, des dalles verglacées et de la neige molle, nous atteignions les névés supérieurs une bonne demi-heure avant nos camarades, pour lesquels j' étais fort en souci. Ils connurent du reste les mêmes craintes pour nous, car ils se savaient sur la bonne voie. Mais celle-là est beaucoup plus difficile et ils croyaient leur dernière heure venue dans cette gorge effrayante * ). Leurs appels que nous ne savions pas où situer provenaient d' un endroit peu au-dessous de nous, et grand fut notre soulagement lorsque nous les vîmes enfin apparaître.

La sortie des rochers et la prise des névés supérieurs nous prit bien quelque temps pendant lequel nos camarades nous rejoignirent. C' est alors que commença, biaisant de larges bandes de mauvaise neige, la lente progression vers le haut qui devait durer trois heures. Le temps se gâtait depuis longtemps; l' ouest n' est plus ce qu' il aurait dû être, et maintenant le sommet prend déjà un bain... de brouillard en attendant mieux. Je tombe de sommeil avec cette marche de limaces, et assurer mon compagnon est bien pire que faire les marches. Machinalement je fais glisser la corde autour du piolet, cette corde détrempée et gonflée, et chaque fois ce sont de nouveau vingt mètres de lutte acharnée contre le sommeil. Ce n' est certes pas encore de l' épuisement, mais cette allure ralentie permet au sommeil de prendre sa revanche sur la nuit précédente.

Nous alternons pour faire les marches; nous avons déjà trois grands zigzags au-dessous de nous, personne ne regarde en arrière. Les pensées sont toutes au sommet, mais le doute se fait une place de plus en plus grande. A midi, comme premier, je me trouve tout à coup au bord d' un large couloir de glace, recouvert de peu de neige molle. La pente est effrayante. Déjà à plusieurs reprises la glace était apparue, mais nous croyions toujours à la possibilité d' une ascension intégrale sur la neige. Mais cette fois c' est fini. Tailler? Impossible, vu la mince couche de glace, et dessous, ah! oui, dessous ce sont des tuiles; nous sommes sur un toit recouvert de plaques de neige... et le temps devient noir, le brouillard nous enveloppe, compact, menaçant. Nous sommes à 2600 mètres.

« Mir müend umkehre! » Tous nous y avons pensé. Otto seul a le courage de le dire. Lentement les têtes se tournent vers le bas. Derrière la masse opaque nous voyons l' abîme... notre nouveau but, sept cent mètres de paroi à redescendre. En un clin d' œil, toute la gamme des mauvais passages traverse notre esprit, mais ne vaut-il pas mieux risquer une retraite honorable que de forcer une aventure déjà trop avancée?

Les premières gouttes se mettent à tomber, probablement pour nous rendre le retour plus « coulant ». La lourde corde reprend en sens inverse son patient travail. La descente est ce que fut la montée, la neige devient toujours plus mauvaise, à bien des endroits nous touchons maintenant la glace. Trois monotones heures de lutte entre le sommeil d' une part et la glissade de l' autre s' écoulent de nouveau jusqu' à l' entrée des névés où nous arrivons en même temps que le soleil. Le temps semble se rasséréner, mais nos plaques de neige se mettent en mouvement. Sous nos regards terrifiés, elles prennent l' une après l' autre le chemin de l' abîme! La Providence a réglé les choses à la minute. Une courte hésitation là-haut, une discussion un peu prolongée et c' en était peut-être fait de nous quatre.

Au départ, ma cordée prend la tête, afin de suivre mon nouvel itinéraire. Ernest avait juré qu' il ne retraverserait plus la gorge, et n' importe quel casse-cou lui semblait préférable. La nouvelle voie s' affirma bien supérieure ( au propre comme au figuré !) à l' ancienne, et nos amis semblent presque joyeux! Mais un nouvel orage menace et j' aimerais être au bas de la vire avant l' averse. Il est pourtant dangereux de vouloir accélérer dans un pays pareil, où le moindre écart peut être fatal. Nous arrivons néanmoins au but avec les premières gouttes, mais la seconde cordée, retenue par une dalle scabreuse, doit subir toute l' averse à six mètres de nous!

Pour nous, à la manière de Gribouille, nous sommes bien à l' abri sous la cascade surplombant assez pour ne pas nous toucher...

Pour la suite, nous prenons exactement notre voie de montée, soit le couloir de neige qui nous semble infiniment préférable à l' affreuse paroi qui mène au cairn invisible. Ce passage fut encore marqué par un formi- dable coup de tonnerre qui nous fit sursauter, et que suivit une grêle de cailloux. La pluie reprend de plus belle. Tout craque, siffle, ruisselle, glisse. Pas trace d' abri et le grand triangle de neige que nous allons entamer n' est plus qu' un vaste entonnoir balayé de chutes de pierres. Comme on n' est en sûreté nulle part, j' exige que l'on continue. Passons entre les cailloux, mais ne les attendons au moins pas ici. Des rochers qui surplombent dix, quinze cascades se précipitent dans le névé, englouties aussitôt par la rimaye. Mais les pierres passent par-dessus et sifflent comme des balles. Stoïques et confiants, nous descendons, nous assurons, cherchant les côtes, évitant les couloirs, dans le grand triangle supérieur. Ayant traversé obliquement le névé, nous sommes, sur l' autre bord, un peu moins exposés aux cailloux. Mais ils balaient maintenant nos traces avec méthode et précision. L' eau tombe, glacée, en trombe, sur quatre points mouvants dans la grande paroi du Pucher, et à droite, à gauche, au-dessus des têtes claquent les coups de pierres comme des coups de feu. Vingt mètres de marche, vingt mètres d' attente... mais il faut assurer; notre vie en dépend plus que jamais.

... Sans une égratignure nous arrivons au bas du névé supérieur, la porte de sortie de l' enfer comme l' a dit Otto. Une nouvelle averse est déjà prête à remplacer la précédente qui vient de finir. Rapidement nous descendons les dalles, et le névé suivant peut être pris sans assurer. Le passage au névé inférieur se fait sous l' averse, par une mauvaise cheminée transformée pour la circonstance en ruisseau. Mais où voulait-on trouver chez nous encore une place à mouiller? La sixième averse pouvait s' acharner sur nous; elle arrivait bien trop tard pour faire grand dégât!

Personne n' a regardé sa montre, mais chacun a encore l' espoir d' atteindre la dernière varappe avant la nuit et sait qu' il faut donner maintenant tout ce qu' il reste à donner. La dernière tache de neige est dure. Nous la descendons à reculons en vitesse, et nous voici au fond de la gorge, sur le bloc coincé vers lequel obliqua ce matin l' autre cordée. J' eus vite estimé cette traverse impossible pour mon compagnon qui en plus d' une infirmité au bras, fléchissait à vue d' œil. Aussi force me fut, sur la paume des mains et les genoux et sous la septième et dernière averse, de rejoindre la place d' où nous avions sauté ce matin. Puis encore vingt mètres d' arête dont les derniers six mètres sont constitués par une dalle lisse et sans prises, où il faut, d' une envolée courageuse, se laisser glisser en tant que dernier de cordée! Il faut visiblement être pressé pour se laisser partir du premier coup! Le jour baisse, disparaît, mais nous sommes sur la vire. A un mètre devant moi je chasse ce pauvre ami qui n' y voit plus rien, pour tâcher de rattraper les deux fugitifs. La vire nous semble interminable; elle est très étroite, jonchée de gros blocs détachés. Forçant l' allure, mais hélas! aussi les derniers remparts de la camaraderie, j' arrive à rejoindre la première cordée qui déjà s' est engagée dans la varappe terminale. En même temps un nouvel orage éclate et l' obscurité est complète. Il est 9 heures.

Notre résolution est vite et unanimement prise. Il faut trouver un bivouac convenable. Au-dessus de nous, la vire semble se continuer environ huit mètres, plate, tapissée de mousses et de rosés des Alpes ( Rhododendron hirsutum ) et, ce qui est parfait, sous un surplomb qui nous protégera de la pluie. L' étroitesse de la place en privera deux du confort du « Zdarsky ». Ernest part au bout, Otto ensuite, et je reste en avant ayant le thé à préparer; une minuscule tache de neige à proximité nous le permit, tandis que Charles, la lanterne aux dents, s' ingénie à planter un piton pour nous encorder pour la nuit.

Le premier service passé, les idées revenant peu à peu, chacun ôte ses souliers et les vide, ses chaussettes et les tord! On tord la chemise, on tord le pullover, on tord les pantalons. A ce travail comique, dans la plus comique des positions ( presque nus et encordés ), la gaîté est revenue. Le lundi est bien perdu, mais nous sommes au moins hors de danger. Avec Charles, j' utilise le Zdarsky avec la corde de sûreté sortant par la fenêtre et dans ce léger asile nous dormons du sommeil du baigneur, rêvant à toute la place qui se perd, ce soir, à la Brunnialp sur le foin.

Comme d' habitude, nous aurions affirmé n' avoir pas fermé l' œil de la nuit. Et pourtant, le réveil fut aussi difficile qu' il l' eût été sur le foin. Il fait beau temps, pas froid et déjà grand jour. Le bain de pieds en est au point où nous l' avions quitté huit heures auparavant. Par contre, le linge a un peu séché...

Une rasade de thé chaud et vivement nous partons. Au-dessous de nous se trouve la vire qui va raccourcir considérablement la descente. Mais pour l' atteindre, il nous faut une grande heure d' efforts avec nos membres engourdis. Elle est relativement facile et n' eût même, en temps ordinaire, demandé aucune précaution. A la montée c' est une promenade.

La sortie sur le névé fut un peu compliquée vu le manque de prises, et la rimaye demanda aussi un peu d' attention. Mais qu' était à côté du jour précédent?

En une demi-heure, nous sommes à la Brunnialp, accueillis à bras ouverts par tous ses habitants. Notre bivouac et la lumière de nos bougies leur avaient occasionné une nuit angoissante. Nous sommes bientôt attablés devant une grande bassine de lait chaud, tandis que nos vêtements sèchent sur vingt mètres de corde. Une journée radieuse vouée au repos, mais aussi à la méditation, suivit ce dimanche si riche en dangers, en enseignements utiles et où la chance nous avait servis avec une si grande mansuétude.

Puisque le Pucher, cette année-là, ne se laissait pas prendre par le nord, je résolus de faire sa connaissance par la voie normale qui emprunte celle de son voisin à l' ouest, le Gwasmet.

Un mois plus tard, en compagnie de Bruno Meyer, et par un splendide clair de lune, nous quittons vers 3 heures du matin la cabane des Windgällen. J' ai bien quelque appréhension quant au résultat de notre course. Car, à la traversée ordinaire Gwasmet-Ruchenfensterstock, qui elle-même n' est déjà plus une course de débutants, je vais ajouter le Höhlenstock, par lequel nous allons commencer. Mes craintes furent vite dissipées lorsque je vis la facilité avec laquelle nous prenions l' élégante arête.

A 9 heures, nous passions au Gwasmet, continuant directement notre route vers le Pucher. Avant 10 heures, nous atteignions la grande dalle au pied du sommet, la célèbre « Pucherplatte ». Une dalle fortement inclinée, presque sans prises, de douze mètres de large, à traverser horizontalement. Puis c' est le tour de la grande cheminée, complètement verticale, malcommode et aérienne d' abord, varappe « intérieure » vers le haut. De là au sommet une quinzaine de mètres vers l' ouest.

Un temps merveilleux, une vue splendide, une belle avance sur l' horaire prévu nous invitent à faire une halte digne du sommet gravi. Devant nous court la fine arête que nous venons de parcourir; elle descend au Gwasmet, s' ébrèche, s' interrompt, se courbe, remonte d' un trait au Höhlenstock, réapparaît au Stäfelstock et en plusieurs bonds hardis va converger au sommet de la Grande Windgälle, 1a reine du pays d' Uri, avec l' arête sud de cette dernière, qui s' y élance d' une superbe envolée depuis le Furkelistock. Le temps est si clair qu' on ne peut se lasser d' énumérer les multiples sommets environnants, la Petite Windgälle, 1e Bristenstock, le Giuf, le Ner, l' Oberalp, le Düssi, la masse formidable du Tödi, et nous voici de nouveau au bout de notre arête, au Grand Rüchen, dont les multiples tours et gendarmes se détachent aujourd'hui avec une rare netteté. Devant lui un sommet non moins orgueilleux, le Ruchenfensterstock qui va recevoir encore notre visite, et à notre gauche, l' abîme de la paroi nord qui nous a si mal reçus il y a un mois. Tout petits, dans leur cadre de verdure, les chalets de la Brunnialp se chauffent au soleil, et j' y devine la maman Herger sur le banc devant la cuisine, goûtant le repos dominical.

Nous continuâmes ce jour-là jusqu' au Ruchenfensterstock et redescendîmes par les cheminées en une varappe aérienne et intéressante rejoindre au-dessous du Pucher la voie que nous avions prise le matin. Une courte halte à la cabane des Windgälle et un repos prolongé au bord du charmant Lac de Golzern dans son ravissant cadre de verdure nous remirent un peu de la longue, mais belle varappe que nous venions d' accomplir.

Je ne vous dirai pas pourquoi le printemps suivant me retrouvait à la cabane des Windgällen. Quel alpiniste n' a pas ses secrets, ses espoirs, ses craintes et... ses rivaux?

La neige, fraîche de cinq jours, tapissait les couloirs et tous les plans susceptibles de la retenir. Et ce contretemps m' obligea à porter de nouveau mes pas vers le Ruchenfensterstock. Il fallait bien utiliser la journée, et l' arête de ce dernier au Pucher ne semblait pas impossible à faire, malgré les belles calottes de neige dont elle était ornée.

Le Ruchenfensterstock fut délicat, très délicat; je parle pour ceux qui le connaissent. Poudré de neige, il se défendit loyalement et même le mauvais passage fut plus courtois qu' en roche sèche. A lui va toute ma reconnaissance 1 Au Pucher, maintenant! L' arête aussi, sous un mètre de neige, fut très abordable. 0h, ne vous imaginez pas une promenade, non, mais une arête de quatre mille, avec ses corniches, ses selles et ses gendarmes. Par malheur, l' encoche qui est à mi-chemin se révéla infranchissable. Y descendre était un jeu avec un petit rappel de corde; mais les dalles pourries, très inclinées et recouvertes de peu de glace et de neige molle qui forment l' autre paroi de l' encoche défient toute escalade. Il ne nous restait qu' à faire demi-tour, à moins de choisir la solution héroïque de la descente d' environ 150 mètres dans la paroi nord et de remonter sous le sommet. Quiconque a fait connaissance avec cette paroi, apprécié son inclinaison, tâté ses mauvaises dalles et mesuré la hauteur de la chute en cas de glissade, comprendra ce que nous coûta cette décision. Confiants en notre bonne étoile, nous descendîmes, Otto Frey et moi, le couloir, puis la pente de neige, en certains endroits à 70° et plus. Il y eut même quelques à-pics qui, pour le dernier de cordée, posaient un problème formidable en un endroit aussi périlleux. La neige qui n' avait jamais été touchée par le soleil était aussi bonne que possible, mais en allant vers l' ouest nous devions arriver à l' endroit exposé aux rayons du soleil chaque jour quelques heures. La qualité de la neige devient de plus en plus mauvaise et bientôt j' enfonce jusqu' aux aisselles. Sans possibilité d' assurer, nous devons traverser ainsi une cinquantaine de mètres. La première couche est poudreuse, d' une épaisseur de plus d' un mètre. La seconde est absolument coulante, et après avoir traversé la première couche qui serait passable, le pied fuit avec la seconde sur les plaques lisses et affreusement raides. Impossible aussi d' assurer d' une manière quelconque, et j' avance ainsi de côté, me creusant un fossé d' un mètre et demi dans la direction d' une petite bande de rochers où je m' empresse d' enfoncer un piton et d' y fixer la corde. Alors seulement une bienfaisante sensation de sécurité nous envahit. Depuis une heure nous jouions avec le hasard!

Par bonheur, nous pouvons nous servir de cette même paroi, un piton relayant l' autre, jusqu' aux pentes moins inclinées, mais encore bien raides pourtant qui conduisent à l' arête. Au quatorzième piton nous semblons hors de danger et une montée directe d' une centaine de mètres nous ramène à la bienheureuse arête à peu de distance du sommet.

Nous avions l' impression très nette d' avoir été un peu plus loin que ce que permet la prudence, et notre cœur battait encore bien fort au sommet durant le court repos que nous pûmes y prendre. Il semblait que, à part la cheminée et la dalle, rien de bien sérieux ne devait plus se trouver en travers de notre chemin. Mais le temps se gâtait. Le brouillard nous harcelait depuis longtemps, et la cheminée, remplie de neige, n' était pas encore dépassée qu' il se mit à neiger. Il fallut faire un rappel, ce qui d' ordinaire est superflu. La dalle, pour comble, était recouverte de neige, et quelle neige! Devinant les prises, tandis que mon ami assurait à un piton, je déblayais la neige au fur et à mesure que j' avançais et allais à longueur de corde fixer un piton de l' autre côté. Frey put ainsi descendre presque jusqu' à la brèche où j' arrivai directement la longueur suivante.

Il neigeait dru. La varappe aérienne de cette arête, d' ordinaire si élégante, n' était plus qu' une course de neige dans la tempête qui soufflait avec violence du nord-ouest. Chaque ressaut exigeait beaucoup de précautions, tant nos mains étaient engourdies dans nos mitaines détrempées. Dans le brouillard opaque l' arête semblait bien longue. Enfin nous arrivons au Gwasmet et cette fois c' est la fin des difficultés. Nous allons être au moins à l' abri du vent et rien ne devait plus nous arrêter sérieusement.

Une joie immense fait place à la tension nerveuse des neuf dernières heures. Le cauchemar de la paroi nord s' est dissipé. Les souffrances de la dernière arête sont restées là-haut dans la tourmente, et en nous rayonne le sentiment d' une victoire chèrement gagnée.

La vision d' un gros pot de thé fumant sur la table de la cabane et la certitude de l' accueil cordial que nous réserve Gottfried Epp, notre ami le gardien, nous donnent des ailes pour traverser les vires effritées, le petit glacier recouvert de neige molle, la moraine et enfin les grandes et belles dalles vertes qui nous amènent à pied sec jusque tout près du refuge. Une courte éclaircie nous permit de contempler un instant notre marmotte qui nous narguait sous un frais manteau d' hermine!

Si la grande Windgälle est 1a reine du pays d' Uri, le Pucher est bien l' un de ses pages les plus gracieux, sinon des plus commodes!

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