Arête nord de la Dent Blanche
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Arête nord de la Dent Blanche

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PAR JEAN SAVIOZ, SIERRE

Cette course hantait mes rêves depuis ma plus tendre enfance, et j' en faisais presque une affaire de famille, car l' arête nord a été descendue la première fois en 1926 par V. Kropf, avec les guides Jean Genoud ( un frère de ma mère ) et Marcel Savioz qui n' était autre que mon père. C' est donc avec un certain amour-propre que j' ai préparé cette ascension. Mon ami de cordée, Roland Pont, avec lequel j' ai gravi ces dernières années tous les 4000 de la région de Zinal, désirait aussi réaliser ce projet.

Le samedi 11 août 1962 me vit encore au Cervin pour un dernier galop d' entraînement et, le lendemain nous montions à la cabane du Mountet. Un autre camarade, Gaston Perret, nous y accompagna, afin de suivre notre escalade du refuge. Avant de nous coucher, j' informai le gardien du but de notre course, en le priant de ne pas dévoiler notre projet jusqu' à notre départ, afin d' éviter certains commentaires qui ne sont pas toujours encourageants.

Minuit! Le réveil sonne. C' est le moment où, dans la vallée, chacun se retourne dans son lit pour s' abandonner à nouveau dans les bras de Morphée. Pour l' alpiniste, il n' en est pas question. Un coup d' œil nous révèle une belle nuit étoilée. Debout! A 1 heure, nous quittons la cabane, la lune éclaire de sa lueur froide les flancs du Rothorn et de l' Obergabelhorn. Par le glacier Durand, nous longeons le Roc Noir. Quelques ponts de neige cèdent à notre passage, mais la corde tient bon. A 3 h. 30, nous prenons pied sur le bas de l' arête des Quatre Anes. Une descente, rendue délicate par la nuit et des rochers brisés couverts de verglas, nous fait perdre pas mal de temps, jusqu' au moment où nous atteignons le glacier du Grand Cornier. Le jour se lève, tandis que nous traversons le bas de la face nord et le soleil nous surprend à l' instant où nous débouchons sur le col de la Dent Blanche, à 3500 mètres, point de départ de notre ascension. Notre marche d' approche a donc duré cinq heures ( elle peut être réduite d' une heure à une heure et demie, suivant les conditions de neige et de glace ). Nous profitons de cet emplacement pour nous restaurer et admirer l' arête qui se dresse devant nous.

La première partie de l' escalade est relativement facile: à 3800 mètres, un mur vertical de 15 mètres, mais muni de bonnes prises, nous conduit au début des fameuses dalles qui ont déjà passablement fait parler d' elles lors des précédentes ascensions. Nous chaussons nos crampons, et en deux longueurs de corde, par une montée oblique sur une fine couche de poudreuse et de la glace qu' il faut seulement caresser pour n' en pas détacher toute la plaque, nous gagnons un petit éperon. Nous le remontons en trois longueurs sur des rochers retenus par le gel, en plantant deux ou trois pitons d' assurage, et aboutissons bientôt au sommet des dalles. Une petite niche me permet de déposer mon sac; je m' empresse de chercher un point d' appui et je découvre alors, à 50 centimètres au-dessus de ma tête, un piton muni d' un mousqueton, vestige d' une ancienne cordée, qui nous permettra d' assurer notre progression.

Nous devions apprendre par la suite que notre camarade resté à Mountet nous perdit de vue dès cet instant; ne nous ayant pas vus sortir la brèche, ni au-dessus du ressaut, il avait commence à redouter le pire pour notre sort.

Comme nous sommes directement sous le surplomb, il nous faut traverser encore environ 120 mètres de dalles. Je m' engage délicatement, bien assuré par mon second. Après avoir planté quatre pitons, Roland demande à me rejoindre. Je n' en vois pas la nécessité, car je suis en mauvaise position; cependant, il me fait gentiment remarquer que cela fait plus d' une heure que je l' ai quitté et je n' ai pas encore parcouru une longueur de corde. Nous ne prenons pas de risques pour autant. J' aperçois une petite vire enneigée au-dessous de moi; je la rejoins avec peine, en espérant pouvoir avancer plus rapidement. Désillusion! Elle est trop inclinée, et de surcroît verglacée. La danse des pitons continue; j' en laisse deux sur place pour permettre au second de me suivre. Je puis à ce moment-là me rendre compte que son travail est tout aussi pénible et dangereux que le mien, car souvent, il n' a qu' un seul pied dans une prise. Quelques cailloux que la neige a dégagés passent au-dessus de nous, frôlant nos têtes, ricochant parfois sur un piton. Aussi est-ce avec soulagement que nous atteignons la brèche. La traversée des dalles nous a occupés pendant huit heures. Nous sommes ainsi au pied du ressaut, à 4000 mètres, et il est 17 heures.

Nous jetons un rapide coup d' oeil sur Mountet et les Haudères, pendant que nous grignotons quelques biscuits, car c' est plutôt la soif qui se fait sentir. Le temps, auquel nous n' avions plus songé, change brusquement; l' orage éclate dans la région du Grand Combin, mais, heureusement pour nous, seul un peu de grésil atteindra le sommet de la Dent Blanche.

Nous attaquons le ressaut, un passage de V sup. sur une hauteur de 25 mètres, mais le rocher est solide. Un étrier au départ nous évite de faire la courte échelle; à mi-hauteur, j' utilise deux pitons déjà sur place et une délicate montée vers la droite me permet de le surmonter. La corde reste coincée et je dois redescendre de quelques mètres pour la dégager. Je fais monter le premier sac; le second reste accroché à un bec de rocher. La corde de caravane est de nouveau bloquée. Roland fait alors une montée digne d' éloge, car il doit dégager la corde et le sac qui ne veut pas aller plus haut. Quant à moi, je fais de mon mieux pour assurer mon camarade en tirant sur les cordes. Nous sommes de nouveau sur l' arête proprement dite.

Les passages sont moins difficiles; en revanche, la fatigue se fait sentir et nous montons péniblement. A 20 heures, un dernier rayon de soleil nous fait ses adieux. Je suis encore engagé dans le passage d' une tour verticale, mais, la fatigue aidant, je renonce. Mon compagnon, mieux place, prend les devants par la gauche, à travers un couloir. Je le suis sagement. L' obscurité s' étend peu à peu sur nous, alors qu' il nous reste environ deux longueurs de corde à parcourir.

A ce moment-là, un spectacle unique s' offre à nos yeux: on dirait que la montagne se met en fête pour notre arrivée. Des brumes chassées par le vent passent au-dessus de la crête sommitale, la lune qui vient de sortir à l' horizon les teinte de rouge, ce qui nous fait penser à un volcan en éruption. C' est dans ce tourbillon de couleurs et cette grande paix que nous atteignons le sommet Il est 20 h. 45! Nous voyons briller une lampe à Mountet, et nous faisons signe avec nos lampes de poche, afin de rassurer notre camarade.

A 21 heures, nous quittons la cime par un beau clair de lune. La descente, sur une arête que nous avons déjà parcourue l' année dernière, est rapide. Au pied du Grand Gendarme brille une petite croix qui nous rappelle la mort de notre ami Paul Darioli, tombé il y a une douzaine d' an. Enfin, à 23 heures, nous arrivons à la cabane Rossier, où le gardien nous reçoit aimablement et nous offre même sa loge pour la nuit.

Je ne pense pas que cette course deviendra une « classique », cependant elle trouvera certainement d' autres amateurs; suivant les conditions des dalles, ils mettront moins de temps que nous. Une seule recommandation que je me permettrai de leur faire: qu' ils soient prêts, techniquement et physiquement! Pour notre part, nous avons préféré la sécurité à la vitesse! Ce qui renforce encore le souvenir inoubliable que nous gardons de cette ascension.

Outre l' unique descente indiquée plus haut, l' arête nord de la Dent Blanche fut gravie intégralement pour la première fois en 1928 par Dorothy Pilley et I. A. Richards avec le guide Joseph Georges et le porteur Antoine Georges, tous deux du Val d' Hérens. La deuxième ascension fut réussie par André Roch, Georges de Rham, Alfred Tissières et Gabriel Chevalley, en 1943. La cordée Maurice Perrenoud-R.M.onty ( Fuchs ) vainquit en 1947 la fameuse arête que plusieurs guides parcoururent également: Pierre Mauris des Haudères, Rémy Thétaz d' Ayer, Vital Vouardoux et Henri Salamin de Grimentz. En 1949, nos amis Robert Panchard et Maurice Antille escaladèrent avec succès l' arête nord de la Dent Blanche que nous avons gravie nous-mêmes le 13 août 1962.

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