Au Gran Sasso d'Italia
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Au Gran Sasso d'Italia

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L' ossature centrale de l' Italie péninsulaire est formée de montagnes qui, au premier abord, semblent être sans grande importance.

Et cependant, si l'on examine attentivement la carte, on verra bientôt que, çà et là, tant dans le nord que dans le sud de l' Apennin, beaucoup de massifs atteignent une altitude moyenne de 2000 mètres.

Mais c' est au centre même de cette immense épine dorsale que se trouvent les montagnes les plus élevées. Ainsi, le Monte Vettore, dans les monts Sibyl-lins, atteint 2478 mètres; le Monte Velino, à l' est des montagnes de la Sabine, culmine à 2487 mètres; le Monte Amaro, dans la chaîne de la Majella, s' élève à 2795 mètres; enfin, dominant Aquila de ses flancs abrupts, le massif du Gran Sasso dresse sa cime la plus haute à près de 3000 mètres, soit, exactement, à 2914 mètres d' altitude. C' est le sommet le plus élevé de la région et le point culminant des Apennins.

Les autres cimes les plus importantes du massif sont: le Pizzo Intermesole ( 2646 m .), le Corno Piccolo ( 2637 m .), le Monte Corvo ( 2626 m .), le Monte Camicia ( 2570 m .), le Monte Cefalone ( 2532 m .) et le Monte Portella ( 2388 m .), au sud-est duquel s' étend un vaste plateau incliné appelé Campo Imperiale.

Très sauvages d' aspect, ces montagnes ont, sous le rapport de la structure et de la nature même de la roche, un caractère analogue à celui des Alpes calcaires. Encore peu connues des alpinistes du continent, elles constituent un vaste champ d' excursions. Les varappeurs, en particulier, peuvent y trouver de quoi satisfaire leur goût.

Deux refuges en facilitent les ascensions: le Rifugio Duca degli Abruzzi ( 2350 m .), très bien situé sur l' arête de la Portella, et le Rifugio Garibaldi ( 2200 m .), situé au Campo Pericoli et géré par la section d' Aquila du C.A.I. Ces deux refuges appartiennent à la section de Rome du C.A.I. et les clefs peuvent en être obtenues auprès du guide Giovanni Acitelli d' Assergi. A Pietracamela, sur le versant nord du massif, les mêmes clefs se trouvent chez le syndic et chez les guides.

La première ascension du Gran Sasso ou Monte Corno a été faite en 1794 par O. Delfico qui passa par Isola. Elle se fait le plus souvent depuis Aquila, par Paganica, Assergi, le Passo della Portella ( 2256 m .) et l' un ou l' autre des deux refuges. Elle s' effectue aussi de Teramo, par Pietracamela et le Campo Pericoli. Le Gran Sasso se gravit également par ses couloirs et ses arêtes les plus difficiles. Tout récemment encore, l' arête orientale, très accidentée et réputée périlleuse, a été parcourue, au prix de grandes difficultés, par G. Bavona, d' Aquila, qui en fit, seul, la traversée complète. Longue et découpée, cette arête borde, au sud, le petit glacier du Calderone.

De Rome, on peut atteindre Aquila en passant soit par Avezzano et Sulmona, soit par Orte, Terni et Sella di Corno. Ce dernier itinéraire est le plus court et c' est celui que nous suivîmes lors de notre voyage dans les Abruzzes. Du côté nord, on aborde le Gran Sasso par Giulianova ( ligne d' Ancone ) et Teramo.

L' idée d' une visite au Gran Sasso nous vint en préparant notre voyage en Italie. Un jour, en feuilletant un guide, une carte de ce massif nous tomba sous les yeux; son beau relief nous frappa et nous permit de nous rendre compte de l' im de ce groupe de montagnes. Il n' en fallut pas davantage pour nous décider à prendre nos dispositions en vue d' une course danscette intéressante région.

A fin mai 1925, à Rome, de retour de Sicile et de l' Etna, nous résolûmes, mon collègue du C.A.S., M. D. Boscoscuro, et moi, de mettre notre projet à exécution. Mais ce ne fut pas sans hésiter quelque peu, car, durant notre voyage, le beau ciel d' Italie avait souvent failli à sa réputation et, pendant notre court séjour à Rome encore, il plut à verse. Cependant, dans la matinée du 27 mai, le temps semble s' améliorer et bien qu' il ne soit toujours pas très engageant, mon compagnon, homme énergique et décidé, me dit: « II faut tenter l' aventure, l' occasion est unique! » Je me déclare volontiers de son avis. Les valises et les sacs sont bouclés et, à midi, nous partons pour les Abruzzes.

Nous arrivons à Aquila vers 19 heures. Une surprise désagréable nous y attend: une petite exposition vient de s' y ouvrir et tous les hôtels sont combles. Malgré toutes nos recherches, nous sommes obligés de nous contenter d' une chambre sordide que nous trouvons chez des particuliers, fort heureusement.

Le lendemain, le temps est magnifique. Tout en activant nos préparatifs, nous visitons rapidement la ville qui, sous le soleil du Midi, est resplendissante. En effet, Aquila, avec ses jolies maisons, ses belles places et, surtout, ses églises si curieuses, romanes pour la plupart, est vraiment ravissante. Que n' avons le temps de la visiter plus à fond et de jouir de son charme?

Comme beaucoup de villes de l' Italie centrale, elle est encore entourée de ses anciennes murailles. L' une de ses places, la piazza Palazzo, est décorée d' une belle statue en bronze de Salluste. Car, c' est, en effet, près d' ici, à Amiterne, que naquit cet historien latin.

Aquila a été fondée en 1240 par l' empereur Frédéric II qui, d' ici, entendait faire la loi au pape. Détruite en 1259, par Mainfroi, elle fut rebâtie par Charles Ier. Dès lors, elle forma une république qui se maintint à peu près autonome jusqu' en 1521, date à laquelle elle fut soumise par les Espagnols.

Dans le domaine des arts et de l' industrie, Aquila occupa aussi une place importante. De nos jours, c' est une ville florissante de 20,000 habitants, où l'on fait beaucoup de dentelles.

Située à 721 mètres d' altitude, son climat est salubre et la fraîcheur de sa température en fait une station d' été très fréquentée.

A 10 heures, complètement équipés, nous partons pour Assergi. 15 kilomètres nous en séparent encore. En voiture nous descendons dans la plaine, la longeons sur près de 7 kilomètres, par une route absolument droite.Voici Bazzano, le premier village, où la route se bifurque et d' où la vue est déjà fort belle. Devant nous se dresse la chaîne altière du Gran Sasso, estompée d' azur; le ciel est d' un bleu intense, mais au-dessus des cimes, des nuées s' amassent déjà rapidement. Puis c' est Paganica que nous traversons pour aboutir, ensuite, à l' entrée du défilé de Camarda. Là, notre voiturier nous déclare ne pouvoir aller plus loin, car, nous dit-il, la route est coupée, en plusieurs endroits, par des éboulements. Nous avons du reste pu le voir nous-mêmes peu après. Nous quittons donc la voiture et partons à pied. Sac au dos, pleins d' entrain, nous cheminons sous les ardents rayons du soleil. La route s' enfonce dans une gorge étroite et rocheuse, où bruissent les eaux du Rajale. Plus loin, le défilé s' évase et devient moins sauvage. Les versants sont rocheux, creusés de ravins; les rochers, calcaires, d' un bleu de plomb, sont fissurés, brisés. On les dirait tombés de quelque hauteur prodigieuse, tant ils sont fracassés, éboulés. Sont-ce les tremblements de terre qui bouleversent ainsi ce coin de pays? Nous ne le croyons pas, mais ce qu' il y a de certain, c' est que ces derniers ne sont pas rares dans la contrée. Ne se souvient-on pas de celui de 1915, qui désola le pays et dont Avezzano, en particulier, eut tant à souffrir? Dans beaucoup de localités, on peut voir encore des maisons lézardées. A Aquila, par exemple, on nous en montra plusieurs. Le vallon est maintenant plus spacieux et, parmi les aulnaies et les cailloutis, le torrent coule paisiblement. La route s' avance à l' ombre de vieux saules; en haut, à gauche, se voient quelques champs cultivés; puis c' est Camarda, grand village pittoresquement étage sur la pente. Ses maisons brunâtres et frustes, ont de curieuses rosaces; elles feraient la joie des peintres et des photographes.

Après une halte de quelques minutes, nous poursuivons notre marche dans la direction d' Assergi. La route traverse le torrent et le suit sur la rive gauche. Chemin faisant, nous rencontrons des naturels à dos d' âne. L' un d' eux pousse de langoureux et amusants « ha » — terme employé par les charretiers de l' Italie méridionale — pour faire avancer sa monture.

L' âne, appelé « vettura » par les gens du pays, est, ici, la bête de somme par excellence. Malheureusement, il est maltraité et, souvent, ce pauvre animal disparaît littéralement sous son énorme fardeau. Comme dans le sud de la péninsule et en Sicile, les ânes sont particulièrement nombreux dans cette contrée et, partout, l'on en entend le braiment.

Le torrent se perd au milieu des cailloutis; la végétation arborescente disparaît presque complètement. Au fond du val, au pied des montagnes, un village apparaît: c' est Assergi ( 847 m .) où nous arrivons peu après.

Le site est austère. Le pays est aride, déboisé; seuls quelques maigres champs cultivés s' accrochent aux pentes des monts. C' est l' âpre sévérité de l' Abruzze.

Assergi est une agglomération de vieilles maisons aux toits de tuiles; ses ruelles sont tortueuses et glissantes. Encore en partie entouré de ses murailles d' enceinte, d' aspect tout méridional, le village est pittoresque, mais très primitif. Il n' y a ni auberge, ni boutique.

Assergi possède cependant une petite église, dont la façade, de la Renaissance, ornée d' une jolie rosace, est intéressante.

Installés devant l' église, où nous dînons, nous sommes bientôt entourés d' une foule de curieux. Ce sont d' abord des enfants; puis c' est l' instituteur, le curé, l' institutrice, le guide, toutes les notabilités enfin, avec lesquelles mon compagnon parle politique, religion avec volubilité.

Pendant ce temps, j' observe les femmes qui viennent prendre de l' eau à la fontaine du voisinage. Avec une grande adresse, elles portent leur seau sur la tête, souvent sans même le tenir. Ce seau, à anses, à fond renflé et évasé dans le haut, est en cuivre comme la plupart des ustensiles de cuisine de ce pays.

Les paysannes portent encore le costume national. Toutefois, celui-ci tend à disparaître et ne se voit plus guère que dans le sud-est des Abruzzes, à Scanno notamment. Ce costume se compose d' une jupe de lainage noir ou vert, à très gros plis; d' un corsage — le comodino — de même étoffe, à manches bouffantes et plissées; d' un tablier de percale aux dessins et coloris variés. Enfin, la coiffure — le cappellitto — compliquée et aussi pittoresque qu' étrange, rappelle, de loin il est vrai, le bandeau des anciens Egyptiens. Très volumineuse, elle permet de porter, sur la tête, d' assez lourds fardeaux.

Les habitants des montagnes de l' Abruzze ont une vie rude. Ils sont travailleurs, sobres, économes et animés d' un esprit d' indépendance, esprit qui s' est manifesté à plus d' une reprise au cours de leur histoire. Ils vivent de l' élevage du bétail et des produits du sol, le pays étant, avant tout, agricole et pastoral.

C' est également dans le sud-est des Abruzzes que se trouve le second parc national de l' Italie. Ce parc s' étend sur toute une région montagneuse, plus ou moins boisée, où l'on rencontre encore quelques chamois et même des ours.

D' Assergi, on atteint le Rifugio Duca degli Abruzzi en quatre heures. Le temps s' écoule rapidement et il est 15 h. 30 déjà lorsque nous nous remettons en route. Au sortir du village, le guide, qui nous accompagne jusque-là et duquel nous avons obtenu les clefs du refuge non sans de pressantes démarches, nous montre, grosso modo, le chemin à suivre. D' ici, nous n' en voyons guère qu' une partie: un sentier zigzague au milieu d' une pente assez raide qui, d' un seul trait, monte au col de la Portella. Le ciel est gris; les nuages ont envahi les sommets et il commence même à pleuvoir.

A travers de maigres champs cultivés et par des pentes arides, où le sentier, très rocailleux, décrit force lacets, nous nous élevons rapidement. A gauche, se trouvent les escarpements rocheux du Pizzo Cefalone; à droite, les flancs gazonnés du Monte Portella. La pente s' accentue et la marche est plus pénible. Déjà, nous atteignons les premiers pâturages; le paysage devient alpestre et, après deux heures et demie de montée, nous arrivons à la délicieuse Fonte di Portella ( 1870 m. ). Entourée de verdure et de fleurs, cette source est une vraie oasis dans le désert. Aussi est-ce avec empressement que nous y faisons une halte bien méritée.

La vue, déjà belle, s' étend sur le plateau central des Abruzzes et les montagnes de la Sabine. Le temps se découvre et les nuées qui traînent encore sur les hauteurs voisines laissent apparaître, de temps à autre, le Passo della Portella ( 2256 m. ). Ce col, très important, réputé dangereux en cas de gros temps, donne accès au massif du Gran Sasso et permet de passer d' Assergi à Pietracamela, sur le versant nord.

La flore rappelle celle des Alpes calcaires. Les pâturages, déjà passablement verts, sont émaillés de violettes — viola calcarata — et de myosotis. Parmi les quelques jolies fleurs que nous avons rencontrées encore en montant, nous citerons: la gentiana verna, la soldanella alpina, la gentiana acaulis, l' anemone alpina, la primula auricula, etc.

D' ici, la montée se poursuit à travers le versant sud du Monte Portella. Nous laissons, à gauche, la piste qui mène au col du même nom, gravissons une croupe gazonnée, traversons un vaste couloir plein de neige, où nous retrouvons le sentier, et parvenons en vue du refuge. Le coup d' œil est magnifique.Vis-à-vis, s' élève le Monte della Scindarella ( 2237 m .); à nos pieds, morne solitude, l' immense Campo Imperiale, tacheté de neige et sillonné de nombreux torrents temporaires, s' étend à perte de vue; enfin, tout là-bas, à gauche, le Monte Camicia ( 2570 m .), couvert de neige et cravaté de nuages, flamboie sous les feux du couchant.

Encore 30 minutes de montée, par une pente douce, où zigzague un sentier agréable, et nous voici au Rifugio Duca degli Abruzzi ( 2350 m. ).

A notre arrivée, nous assistons à un spectacle merveilleux. Le Gran Sasso apparaît soudain devant nous, drapé d' hermine, inondé de lumière. Tel un Olympe rayonnant de gloire, il se dresse fièrement dans l' azur. Le soleil se couche et le mont s' enveloppe de pourpre, s' illumine d' or; puis les teintes s' éteignent, se fanent, s' évanouissent dans le néant de la nuit froide des montagnes.

Admirablement situé, robuste, le refuge est en pierres et couvert d' un toit à deux pans; ses deux fenêtres sont munies de grilles de fer aux barreaux énormes; sa double porte est littéralement blindée, cadenassée, voire même verrouillée, de telle sorte que l' ouverture en est longue et assez difficile. Inutile d' ajouter que les clefs sont, elles aussi, d' un volume et d' un poids incroyables.

L' intérieur, revêtu de bois, comprend une cuisine-réfectoire et un dortoir. L' ordre y est convenable et nous sommes heureux d' y trouver, outre le fourneau, une batterie de cuisine, ainsi qu' une bonne provision de bois, ce qui nous permet de préparer notre souper, tout en nous réchauffant quelque peu. Mais, le fourneau ne tire guère; le local s' emplit de fumée et nous passons la soirée à tousser et à larmoyer.

Si nous en croyons le livre du refuge, le Gran Sasso n' aurait pas encore été gravi cette année-ci. Seule, une caravane, composée de skieurs, venue ici à Pâques, en a tenté l' ascension par l' un des couloirs de la face sud, mais elle a échoué dans son entreprise, en raison du mauvais temps.

Les tempêtes sont redoutables sur ces hauteurs. En hiver surtout elles sévissent parfois avec une extrême violence et les alpinistes qui en ont essuyé savent combien elles sont terribles.

Il y a quelques années — c' était à fin décembre — trois membres de la section de Rome du C.A.I. se proposaient de faire l' ascension du Corno Piccolo. Accompagnés de l' un des guides d' Assergi, ils gravirent péniblement les pentes enneigées et glacées du Monte Portella. A la hauteur de l' arête du même nom, ils furent surpris par une tourmente de neige. Malgré la furie des éléments, ils parvinrent au refuge à la tombée de la nuit.

La porte de la cabane étant obstruée par un énorme amas de neige, il fallut la dégager. La première porte — celle de protection — put être ouverte sans trop de peine, mais tous les efforts que l'on fit pour ouvrir la seconde furent vains. On résolut alors de l' enfoncer à coups de piolet, mais celle-ci, très robuste et probablement scellée par le gel, ne céda pas. La situation était critique. Le vent soufflait toujours avec violence et le froid devenait intense. La nuit était noire et il ne fut naturellement pas possible d' allumer une lanterne. Il n' y avait plus qu' une solution: redescendre.

Transis de froid, affamés, les quatre alpinistes s' encordèrent et reprirent résolument le chemin de la plaine. Durant la descente, qui se fit à tâtons et au milieu de la tempête, ils durent tailler de nombreux degrés, firent plusieurs chutes, s' égarèrent et, vers 2 heures du matin, échouèrent dans une misérable hutte de berger, où ils essayèrent de se restaurer quelque peu. Mais ce fut peine perdue, car toutes les provisions étaient gelées.

Bien que presque complètement épuisés — deux d' entre eux avaient même des doigts gelés — ils poursuivirent leur marche sur Assergi, où ils arrivèrent après une nuit de lutte avec la montagne et les éléments déchaînés.

Avant de gagner nos couchettes, nous sortons un instant. Le ciel est presque complètement étoilé. Un silence de mort règne autour de nous. Tout là-bas, dans la profondeur, les lumières d' Aquila trouent la nuit de leur scintillement. Derrière le refuge, s' ouvre le Campo Pericoli, dépression profonde et ténébreuse, au delà de laquelle se profile l' imposante pyramide du Pizzo Intermesole. Tel un fantôme géant, mystérieux et impressionnant, le pic se dresse dans la nuit glacée, semée d' étoiles. Le sol est gelé; la neige crisse sous les pas; le froid nous pénètre. Rentrons.

Le lendemain, 29 mai, réveil tardif. Il est7h. 30 lorsque nous nous levons. Le temps est magnifique et le soleil inonde de sa lumière tous les sommets d' alen. Toutefois, le ciel est strié de cirrus. Le beau temps sera de courte durée.

Du refuge, la vue est immense. Elle s' étend, à l' est et au sud, sur tout un monde de cimes, de vallées et de plateaux. Mais, dans tout ce panorama, ce qui attire et retient le regard, c' est la mer. En effet, là-bas, à l' est, la mer Adriatique scintille au soleil levant, dans un lointain vaporeux. Au sud du plateau central des Abruzzes s' allongent des chaînes arides, d' où émergent les cimes blanches du Monte Sirente ( 2349 m .), du Monte Velino ( 2487 m .), du Monte d' Ocre ( 2206 m .) et du Monte Morrone ( 2216 m. ).

Vers 8 heures, après avoir déjeuné, nous préparons nos sacs, fermons le refuge et partons pour le Gran Sasso.

Par une pente escarpée, en partie couverte de neige très dure, où la taille de quelques degrés est nécessaire, nous descendons au Campo Pericoli. De là, et dans la direction du nord, nous remontons d' immenses champs de neige ondulés et peu inclinés. Le soleil darde, la neige s' amollit, mais la montée s' effectue facilement. Nous passons au-dessus du Rifugio Garibaldi, dont on ne voit guère que le toit, tant la couche de neige est épaisse. Puis, par une pente raide, rocailleuse et gazonnée, où il faut parfois se cramponner aux aspérités, nous atteignons, après deux heures de marche, l' arête occidentale du Gran Sasso.

La vue plonge tout à coup sur le versant nord du massif, embrassant les bois et les pâturages verdoyants de la vallée de Pietracamela, les chaînes bistres et arides des monts de Teramo, et découvre, dans la direction du nord-ouest, les sommets du Pizzo di Sevo ( 2423 m .) et du Monte Vettore ( 2478 m .), couverts de neige. A droite, devant nous, dominant la Conca degli Invalidi, surgit le Corno Piccolo, hérissé de rochers abrupts. A l' ouest, ce sont les cimes blanches du Pizzo Intermesole, du Monte Corvo, du Monte Cefa- Ione, etc. C' est une vue magnifique qu' on ne se lasse pas d' admirer, un tableau mouvementé, coloré, sur lequel le soleil déverse des flots de lumière.

L' arête que nous allons suivre se déroule maintenant devant nous. Nei-geuse et en partie hérissée de rochers déchiquetés, elle est d' abord peu inclinée, puis se relève pour atteindre le sommet de la montagne.

L' ascension est relativement facile, mais très pénible à cause de la neige molle. Nous enfonçons parfois jusqu' au genou et, souvent, nous devons nous arrêter pour reprendre haleine. Après avoir escaladé quelques rocs, nous atteignons une petite esplanade, où nous retrouvons l' arête neigeuse. Celle-ci, festonnée de petites corniches, devient étroite et vertigineuse. A droite, le regard plonge dans les profondeurs du Campo Pericoli; à gauche, des pentes de neige, très rapides, fuient vers la Conca degli Invalidi. Le temps est toujours beau, mais de petits nuages gris se forment rapidement au-dessus des cimes. Enfin, après une heure et demie de montée, nous arrivons en vue du cône terminal. Le coup d' œil est de toute beauté. Avec ses arêtes, ses corniches, ses pentes de neige, le sommet est vraiment splendide. On dirait un 4000 mètres. Encore 20 minutes de montée, dans une neige éblouissante, vierge de pas humains, et nous atteignons la cime du Gran Sasso d' Italia. Nous nous serrons la main, contents d' arriver au but.

Le panorama est immense. La vue embrasse toute l' Italie centrale, s' étend, au sud-est, jusqu' au groupe de la Majella et, au sud-ouest, jusqu' au delà des monts de la Sabine. A l' est, là-bas dans la brume, nous apercevons, une dernière fois, la mer Adriatique. Autour de nous, c' est le superbe massif du Gran Sasso, avec ses pics, ses vallées et ses ramifications. A nos pieds, s' ouvre un couloir hideux, moucheté de neige; enfin, à gauche, c' est l' arête orientale avec ses rochers abrupts.

Mais des nuées envahissent déjà le sommet. Parfois, nous sommes en plein brouillard et comme perdus dans l' espace. L' air est relativement calme. De temps à autre, le voile se déchire et, dans les trouées, apparaissent des pics, des champs de neige ou des régions verdoyantes et ensoleillées.

Tranquillement assis dans la neige, mon compagnon tire, de sa vieille pipe ébréchée, des bouffées de fumée, dont les volutes bleues vont se perdre dans les vapeurs qui enveloppent le sommet. Nous sommes silencieux, mais heureux, une fois de plus, d' être libres, de courir à l' aventure sur des sommets lointains et sauvages.

Une heure environ après notre arrivée au sommet, un léger vent commence à souffler. Dans les couloirs et les rochers du voisinage, les nuées s' engouffrent, s' accrochent, se déchirent. Le ciel s' assombrit et le froid nous oblige à partir. Nous jetons un dernier coup d' œil autour de nous et redescendons.

Mais mon compagnon, habile skieur, n' entend pas reprendre l' arête. Il abat la corniche, descend dans le grand couloir de la face sud-ouest — le canalone centrale — s' appuie sur son piolet, se met à glisser et... disparaît dans l' abîme. Non sans avoir hésité quelque peu, car le couloir est vraiment très incliné, je descends à mon tour et la glissade commence. L' air cingle le visage. Mon compagnon m' attend un peu plus bas, d' où nous repartons ensemble. A une vive allure, nous filons, entraînant de petites avalanches qui coulent lentement derrière nous. En quelques minutes, nous atteignons la vaste conque du Campo Pericoli, après avoir effectué une descente représentant une différence de niveau de plus de 500 mètres.

A travers des champs de neige, nous nous dirigeons ensuite vers l' arête de la Portella. La neige se ramollit de plus en plus, la chaleur est accablante et la marche très pénible. Lentement, nous gagnons l' arête, où un vent frais nous ranime, gravissons un renflement rocailleux, où nous rencontrons quelques jolies touftes roses de saxifrages, et retrouvons le refuge.

A 15 heures, nous nous remettons en route, car l' étape est longue encore.

Par des névés et des pentes gazonnées, la descente s' opère rapidement. En proie à une soif ardente, nous passons naturellement encore à la bonne Fonte di Portella. L' eau y est d' une fraîcheur exquise et nous pouvons enfin nous désaltérer et nous laver. Puis, dans les pierres roulantes, où les pieds sont soumis à une rude épreuve, nous dévalons, sans arrêt, jusqu' à Assergi, où nous arrivons vers 18 heures, fourbus et assoiffés.

Arrêt, formalités et départ. En cours de route, nouvelle halte à Camarda. A 20 heures, nous arrivons à Paganica. Fatigués, nous nous mettons en quête d' une voiture, mais, étant donnée l' heure tardive, nous ne trouvons rien. Force nous est donc de faire à pied les 10 kilomètres qui nous séparent encore d' Aquila. Résolument, nous poursuivons notre route. Il fait chaud; un orage couve. Peu après, des éclairs sillonnent l' espace; de grosses gouttes tombent sur nos sacs avec un bruit mat, mais c' est de courte durée. A 21 heures, nous passons à Bazzano. Puis, c' est la route droite, déserte, interminable, se perdant dans la nuit. Harassés, hallucinants, nous avançons machinalement au milieu du coassement des grenouilles et des crapauds. Enfin, vers 22 h. 30, nous apercevons des lumières. La route monte, décrit une courbe. Une muraille apparaît. Plus loin, une porte s' ouvre, un cours se dessine. Nous arrivons à Aquila.

Le lendemain, le temps est de nouveau splendide. Nous aimerions bien passer encore une journée à Aquila, mais les vacances sont finies et c' est malgré nous que nous prenons le chemin du retour, satisfaits, toutefois, de notre randonnée en pays lointain.A. Fabriani

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