Au Mont Blanc par l'itinéraire de la «Poire» de la Brenva
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Au Mont Blanc par l'itinéraire de la «Poire» de la Brenva

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Deuxième ascension.Par r. Grfioz.

En 1933, M. Graham Brown, accompagné des guides Al. Graven et Aufdenblatten, parvenait à l' arête faîtière du Mont Blanc entre le sommet italien et le sommet français par un nouvel itinéraire dans le versant de la Brenva. Cette nouvelle route au Mont Blanc se situait entre le Pilier d' Angle et la route de la Sentinelle Rouge; il empruntait dans sa partie inférieure un éperon rocheux, puis au-dessus une grosse masse de rochers en forme de poire et, pour terminer, il escaladait deux petites crêtes rocheuses et les pentes terminales du flanc sud.

Cet itinéraire fut jugé par M. Graham Brown et ses guides comme le plus dangereux et le plus difficile des itinéraires du Mont Blanc. Difficile par l' escalade des rochers de la « Poire » qui s' effectue dans une zone de 4000 mètres et dangereux par les bancs de séracs qui la bordent de chaque côté et la dominent par-dessus.

Deux fois en 1936, avec mon ami André Roch, nous eûmes l' occasion d' examiner avec soin cet itinéraire, magnifique en soi par sa rectitude: la première, en tournée photo au Col Moore, la seconde en parcourant une route de la Sentinelle Rouge. Nous restions confondus devant la hardiesse de l' exploit, et un grand respect allait vers le grand guide qui l' avait si brillamment fait réussir. Sans encore songer à le récidiver, nous tablions déjà sur les dangers qu' il comportait. Ce n' est que cette année qu' une proposition de Roch vint donner une forme précise à un projet qui, à l' origine, n' était plutôt qu' une envie.

Partis de Genève le 23 juillet, nous nous acheminons très tranquillement vers le refuge du Requin où nous arrivons peu après midi. En nous voyant si tôt dans la journée, le gardien, le brave père Burnet, comprend bien que notre idée n' est pas de nous arrêter longuement chez lui. En effet, après nous être restaurés, nous reprenons notre route en direction du Col de la Fourche de la Brenva où nous comptons passer une partie de la nuit dans le petit refuge-bivouac installé depuis deux ans.

La montée du Col de la Fourche est beaucoup plus aisée que les années précédentes. A 20 heures nous arrivons au refuge. Un dîner sommaire, de longs regards vers l' énorme versant de la Brenva que la lune fait paraître encore plus magnifique, et nous nous allongeons sur les paillasses.

Réveillés après minuit, nous quittons cet accueillant petit refuge à 1 heure du matin. L' éclairage de la lune est si intense qu' il nous dispense de l' usage de la lanterne.

Au départ déjà Roch brise sur les rochers une pointe avant de ses crampons. Pour traverser la branche Est du Glacier de la Brenva, il nous faut passer par-dessus les débris d' une gigantesque avalanche de séracs qui nous contraint à des sauts et des escalades de blocs assez désagréables.

La rimaye du Col Moore, sans être extraordinaire, demande à Roch un petit travail de patience.

Du Col Moore nous devons gagner les rochers qui se trouvent à l' aplomb de la « Poire ». Il nous est donc nécessaire de traverser horizontalement toute la distance qui nous en sépare. Cette traversée emprunte quelques côtes rocheuses séparées par de petites pentes de glace et couloirs dont les derniers sont particulièrement exposés aux chutes de séracs éventuelles des M- B/anc dé Gourmayei/r /es coordonnées e' s Vcrsanf~a/e/a Brenva> i Ascension de S933 2 » » i93?

régions supérieures. La traversée du dernier couloir qui précède immédiatement les rochers est effectuée au pas de course, tant nous avons hâte de diminuer les risques.

Sur les rochers nous enlevons nos crampons que nous plaçons dans les sacs. Ceux-ci, déjà beaucoup trop lourds pour une course semblable parce que garnis de provisions pour trois jours, se trouvent ainsi surchargés et vont nous occasionner un gros retard dans notre horaire, retard qui, nous verrons plus loin, fut bien près de nous conduire à notre perte.

L' escalade proprement dite ne débute donc qu' à partir de ces rochers inférieurs qui conduisent à la « Poire ». Ces rochers n' offrent pas un intérêt transcendant, mise à part leur excellente qualité. Ils se terminent par une petite crête neigeuse qui les relie à la base de la « Poire ».

Nous attaquons alors la « Poire » dans son axe. Les rochers s' escarpent tout de suite et sont en général d' une grande solidité; seuls quelques blocs instables encombrent parfois une vire ou une fissure. L' escalade, d' emblée très intéressante, a tendance à nous conduire sur le flanc sud-ouest de la « Poire ». Nous essayons plusieurs fois d' opérer un redressement pour gagner le flanc nord-est 1 ), mais la comparaison est chaque fois à l' avantage du côté sud-ouest.

Plus nous nous élevons, plus les rochers se redressent. La partie supérieure de l' escalade est extrêmement intéressante.

Dans la crainte de ne pouvoir terminer la grimpée sur ce versant, nous voulons encore une fois tenter de revenir sur le flanc nord-est. Une fissure oblique suivie d' une vire étroite nous ramène dans l' axe de la « Poire ». De cette vire l' escalade d' un mur vertical qui demande un rétablissement extrêmement pénible nous fait gagner une grande vire, large, mais dont l' in du sol nous offre une sécurité toute relative. Cette vire conduit sur la droite ( nord-est ) dans le vide. Par contre, sur la gauche, elle tourne, s' élargit et donne naissance à une petite pente de glace adossée à une paroi verticale et qui aboutit à une petite cheminée en plein flanc sud-ouest.

Remonter cette pente de glace le long de la paroi rocheuse apparaît d' emblée d' une facilité dérisoire, mais l' inclinaison est plus importante qu' il ne le paraissait et la paroi ne présente guère d' aspérités pour nous aider. A dix mètres au-dessus de Roch je suis contraint d' abandonner mon sac, tant son poids me gêne dans cette taille de degrés rendue malcommode à cause de la proximité de la paroi.

La cheminée qui suit cette petite pente de glace est escaladée sans difficultés; nous parvenons alors à une vire exiguë qui passe sous une nouvelle cheminée très encaissée et qui se continue, mais sans issue, au travers d' une énorme dalle. De cette vire nous distinguons, au-dessus les derniers rochers de la « Poire » qui sont de plus en plus abrupts, l' énorme tranche de glace inclinée qui surplombe le flanc sur lequel nous opérons. Afin de mieux observer la marche à suivre pour l' escalade de la dernière paroi, Roch s' avance le long de la vire sur la grande plaque, mais son examen étant peu concluant, il revient à la base de la cheminée dans laquelle il se hisse jusque sur une petite plateforme de laquelle il tire son sac. Cette manœuvre est à peine achevée qu' un craquement suivi d' un roulement affolant retentit. En levant instinctivement les yeux, je vois s' abaisser sur nous l' énorme tranche de glace. D' une enjambée je me précipite dans la cheminée, sans me soucier de la corde qui n' est pas même amarrée, je m' y coince avec une frénésie qui me coupe presque la respiration, m' attendant à tout instant à me sentir tiré par la chute de Roch que je ne savais pas être dans une position mieux abritée que moi. Les morceaux de glace me frappent la tête et mon sac, le bruit infernal continue puis s' éloigne dans les profondeurs de l' abîme. Je lève alors la tête, m' ébroue des débris, tout heureux d' entendre à nouveau la voix de mon camarade, mais notre émotion est encore intense et nous réalisons pleine- ment la chance dont nous venons d' être gratifiés, car le gros de la chute s' est écrasé sur la dalle où Roch était en observation quelques instants auparavant.

Avec beaucoup d' anxiété nous reprenons l' ascension. L' escalade de la cheminée, sans nous poser un problème ardu, nous demande pas mal d' efforts. D' autre part nous sommes devenus très craintifs, chaque bec rocheux nous semble devoir céder.

Une fois réunis au sommet de la cheminée, nous sommes à la base d' un mur vertical haut d' une dizaine de mètres. Roch le grimpe en vitesse avec une rage qui en dit long sur son désir de se mettre à l' abri d' une nouvelle chute. Un passage de dalle qu' un piton lestement planté assure d' une façon convenable, une dernière cheminée, remplie de glace, qu' il faut monter en ramonage, et nous voici enfin sur la « queue » de la « Poire », au niveau des deux tranches de glace si menaçantes. Nous respirons bien qu' un autre énorme mur de glace nous domine sur la droite à quelque trois cents mètres.

Le temps qui menaçait dès le lever du jour est maintenant franchement mauvais; de lourds nuages assombrissent le ciel, et un grésil très fin tombe avec une force accrue par le vent qui souffle en rafales.

Du sommet de la « Poire » nous empruntons la pente de neige. Quelques crevasses sont franchies sur de fragiles ponts, puis nous nous trouvons bientôt entourés d' un épais brouillard qui nous dérobe toute vue à plus de cinquante mètres. Comme la pente est toute de glace, nous sommes forts contents d' utiliser les moindres pointements rocheux qui en émergent et qui nous dispensent de la taille de bien des marches.

Bien que plus d' une heure se soit écoulée depuis que nous avons quitté la « Poire », nous sommes sans nouvelles du mur de séracs qui nous dominait encore; nous nous perdons en conjectures à son sujet. Mais après l' escalade d' un nouveau groupe de rochers et étant à nouveau dans une zone de glace, nous le distinguons à moins de cinquante mètres qui nous domine d' une hauteur impressionnante.

Notre allure s' accélère aussitôt et nous le dépassons sur la gauche 1 ). Dès lors, notre progression continue dans une pente de neige un peu profonde qui forme presque un couloir très ouvert entre les rochers qui soutiennent la partie supérieure de l' arête de Peuterey et de petits séracs supérieurs. Nous parvenons ainsi à la base de la corniche qui couronne le Mont Blanc de Courmayeur en utilisant les derniers mètres de l' arête de Peuterey.

Le brouillard est de plus en plus dense, et la tempête qui nous envoie des paquets de neige fine par-dessus la corniche rend notre situation des plus désagréables.

La corniche, au point où nous sommes arrivés, n' est pas franchissable, nous la longeons sur la gauche dans l' espoir d' y découvrir un point faible, puis nous faisons une longue et vaine tentative sur la droite. Le temps passe, les conditions atmosphériques empirent et nous en sommes toujours au même point.

Nous décidons de pousser plus loin nos investigations vers la gauche. Pour cela nous nous encordons à quarante mètres de distance, et Roch, délesté de son sac, part à la découverte d' une issue. Nous croyons un instant que le brouillard va se déchirer, mais ce n' est qu' illusion, la tempête redouble et cette nébulosité persistante nous énerve.

Roch disparu dans le brouillard, je surveille la corde qui, très lentement, se dévide. Enfin, dans la tourmente, la voix de mon camarade me laisse deviner qu' une solution possible est entrevue. En effet, le mouvement de la corde a cessé, et après un long arrêt j' entends une nouvelle fois, mais très lointaine, la voix de Roch; je comprends qu' il a réussi à franchir la corniche et qu' il m' invite à suivre ses traces. J' attache alors nos deux sacs au tronçon de corde devant moi, et avec toutes les précautions qu' exige la raideur de la pente je suis les marches creusées par mon compagnon qui me conduisent en un point où l' épaisseur de la corniche n' est guère plus de deux mètres, et dans une échancrure qu' il a taillée dans celle-ci je vois la tête de Roch qui, couché à plat ventre par-dessus, prodigue tous ses efforts pour m' aider à faire passer les sacs et moi-même.

Au-dessus de la corniche, soit au faîte même du Mont Blanc de Courmayeur, nous raccourcissons la longueur de notre corde, et dans la tempête qui nous couche presque nous suivons l' arête faîtière en nous aidant d' an traces remplies de neige fraîche. Nous passons par-dessus un ou deux pointements rocheux et nous nous trouvons sur la large pente de neige du sommet du Mont Blanc que nous gravissons à grande allure.

A un rythme toujours aussi accéléré nous dévalons l' arête des Bosses. Au refuge Vallot nous prenons quelque repos, et une dernière descente nous amène aux Grands Mulets. Durant cette descente et après que le brouillard se fut dissipé, nous assistons à la magnifique préparation d' un des plus fantastiques orages. Le ciel qui roule d' énormes nuages, les montagnes dans le lointain et les vallées qui atteignent une couleur noire extraordinaire déchaînent notre admiration. Seule une trouée lointaine laisse encore passer quelques rayons de soleil qui s' irradient sur le Lac de Genève.

Bientôt la pluie, le vent, la grêle et le tonnerre seront les maîtres de cette gigantesque nature, cependant que, chaudement enfouis dans de bons lits, nous repasserons avec passion les événements les plus marquants de la journée. La chute des séracs est rappelée avec encore un peu d' émotion; demain, peut-être, il en restera aussi quelque chose, puis, dans quelques jours, ce ne sera plus qu' un incident parmi bien d' autres. Déjà le courant de la vie qui exige sans cesse le renouvellement nous entraîne vers d' autres itinéraires.

Horaire: Col de la Fourche1 h.

Attaque des rochers3 h. 30.

Base de la « Poire»5 h.

Sommet de la « Poire»9 h. 30.

Mont Blanc de Courmayeur. .16 h.

Grands Mulets19 h.

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