Autour de l'Eggishorn
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Autour de l'Eggishorn

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CONTRIBUTION A L' HISTOIRE DE L' ALPINISME PAR LOUIS SEYLAZ

Avec 3 illustrations ( 144-146 ) L' hôtel Jungfrau possède une précieuse relique des temps héroïques de l' alpinisme. C' est le premier « Livre des voyageurs » de la petite auberge construite en 1856 par Franz Wellig sur une terrasse au pied de l' Eggishorn, un modeste cahier d' une cinquantaine de feuilles. Il était dans un état lamentable, débroché, feuillets détachés, déchirés, bas de pages arrachés, les bords tout frangés d' avoir été feuilletés pendant un demi-siècle par des doigts impatients et irrespectueux. M. Cathrein, le propriétaire actuel, l' a fait réparer et relier, mais le brave artisan à qui il l' avait confié n' était pas un très habile clinicien du livre, et sans doute était-il incapable de déchiffrer les inscriptions en langues variées - l' anglais toutefois occupe une place prépondérante. Toujours est-il que les feuillets du début semblent avoir été intervertis. Tel qu' il se présente, c' est néanmoins un document unique sur la période 1855-1865, que l'on s' accorde à considérer comme celle des débuts de l' alpinisme proprement dit.

Sans doute, la région était connue et avait été parcourue avant cette date. En 1811, les frères Meyer d' Aarau avaient traversé le glacier d' Aletsch et passé par Märjelen au retour de la première ascension de la Jungfrau. L' année suivante, leur fils et neveu avaient séjourné aux chalets de Märjelenalp. En 1829, c' est le professeur soleurois Hugi qui explore le versant sud de la chaîne bernoise. En 1839, Agassiz et ses compagnons, venant de Zermatt, montent à Bettmeralp pour visiter le glacier d' Aletsch et le lac de Märjelen, que l'on appelle encore lac de Méril. La description captivante qu' en a faite Desor1 ne manqua pas d' attirer l' attention sur le site. L' équipe d' Agassiz, accompagnée du professeur Forbes, revint à Märjelen en 1841 pour gravir la Jungfrau. L' année suivante, ce sont les Bernois Gottlieb Studer et F. Bürki.

Finies les guerres napoléoniennes, et la paix rétablie en Europe, le flot accru des voyageurs envahit la Suisse. Mais on ne s' attaque pas encore aux grands sommets. Tœpffer dès 1830 met à la mode les voyages en zigzag; on découvre les Alpes. Des milliers de touristes, parmi lesquels quelques alpinistes en puissance, parcourent les vallées, passent les cols classiques - les Scheid-eggs, la Gemmi, la Grimsel, le Monte Moro - visitent les glaciers les plus accessibles et se contentent, en fait d' ascensions, de gravir les belvédères célèbres et faciles: Righi, Faulhorn, Gornergrat. L' Eggishorn ne tarda pas à figurer au programme. Il était sur la route qui, de la Grimsel, de la Furka ou du Nufenen, drainait les voyageurs vers Zermatt ou Chamonix. Outre l' attrait de son panorama, il y avait ce curieux lac de Märjelen avec ses icebergs, l' imposant glacier d' Aletsch, que l'on traversait alors facilement, même à cheval ou en chaise à porteurs, pour gagner sur sa rive droite la Lusgenalp, où allait bientôt s' élever une autre auberge fameuse, celle de Belalp.

Un flot de touristes signifie une source de profits. C' est ce que comprit un Haut-Valaisan entreprenant, Franz Wellig. Laissons à deux de ses contemporains l' honneur de nous le présenter. Tout d' abord Leslie Stephen, le grand alpiniste anglais2:

1 Excursions et séjours dans les glaciers, 1844, pp. 118-122.

2 Alpine Journal 1890, p. 279.

« J' eus le plaisir de faire sa connaissance en été 1859 à l' auberge de l' Eggishorn qui venait de se fonder ( 1856 ). Franz Wellig, l' hôtelier, était petit de taille mais d' une remarquable vivacité, sachant faire face à toutes les exigences de son métier, soit que vous le réveilliez à trois heures du matin au retour de quelque course tardive, soit que vous le trouviez se démenant pour loger un afflux de touristes qui dépassait les ressources de son modeste hôtel. Il répondait à toutes les demandes avec une bonne humeur inaltérable, et était présent partout.

Il se vantait de pouvoir monter de Fiesch en une heure ce qui, à cette époque, était considéré comme très rapide, du moins par moi, qui essayai d' égaler ce record *. John Birkbeck ( le père ) l' avait pris en amitié et l' avait eu à son service comme maître d' hôtel en hiver chez lui à Settle ( Ecosse ), pour lui donner l' occasion d' apprendre l' anglais. Le résultat fut que Wellig devint un étrange polyglotte, dont la conversation était un curieux mélange de patois alémanique, d' anglais et de français.

Birkbeck lui avait prêté de l' argent pour la construction de l' hôtel de l' Eggishorn, aussi Birkbeck occupait-il naturellement le haut de la table, et nous avions presque l' impression d' être ses hôtes. Birkbeck contribua aussi financièrement à la construction de l' hôtel Belalp en I8602. » Et voici maintenant notre compatriote Heinrich Dübi de Berne:

« Franz Wellig était un drôle de petit bonhomme, très actif, et qui avait quelque commisération pour le jeune débutant que j' étais alors ( en 1866; Dübi était né en 1848 ). Son œil pétillait de malice en racontant comment le jeune prince de Joinville, en séjour à l' Eggishorn, se glissait subrepticement hors de l' hôtel à la nuit, courait à Fiesch pour y retrouver une bonne amie, et remontait pour réintégrer sa chambre avant l' aube. L' hôtel fut racheté en 1871 par Emile Cathrein, beau-frère d' Alexandre Seiler, chez qui il avait fait son apprentissage. E. Cathrein n' avait alors que 25 ans3. » Excellent hôtelier, Wellig était aussi habile commerçant, ainsi qu' en témoigne cette appréciation: « Wellig, dont l' hôtel mérite tous les éloges et qui, personnellement, est un bon type, agit peu honnêtement en attachant à son service, en qualité de domestiques saisonniers, des hommes comme Bortis et J. Bennen, et en les imposant comme guides aux touristes à un prix très élevé fixé et encaissé par lui-même4. » ( Ce prix était de fr.50 pour chacun, alors que Simond et Croz de Chamonix, les deux guides personnels des frères Mathews, recevaient fr. 8 par jour ).

Cette critique est confirmée par John Tyndall qui déclare que les prix exigés par Wellig pour les guides qu' il loue aux touristes sont quasi prohibitifs5.

Les Suisses sont relativement peu nombreux parmi la foule des touristes qui, de 1856 à 1867 ont marqué leur passage dans le Livre des voyageurs de l' hôtel. Les premiers que nous rencontrons, en date du 12 juillet 1856, sont Paul Privat, professeur à Genève, avec les étudiants W. de Luc et Wm. Barbey. L' année suivante, 5 août 1857, Louis Rambert, étudiant à Lausanne, et Jean Muret passent à l' Eggishorn au retour d' un voyage au Tessin. L. Rambert, 1839-1919, 1 L. Stephen passait pour le marcheur le plus rapide - the fleetest foot - de son temps. * Alpine Journal 1890, p. 279.

3 Alpine Journal 1917, p.252.

4 Peaks, Passes and Glaciers I, p. 200 ( note ).

5 Hours of Exercise in the Alps, p. 143.

frère cadet d' Eugène Rambert, a fait une bonne partie de sa carrière à Constantinople en qualité de directeur de la Régie ottomane des tabacs. L' écrivain Eug. Rambert visitera aussi l' Eggishorn en 1866.

27 août 1857. Julius Seiler et Ernst Guglielminetti. Ce dernier était le père - ou l' oncle - du Dr Guglielminetti, l' inventeur de l' asphaltage des routes, devenu célèbre sous le surnom de Dr Goudron. Son père était venu de Domo d' Ossola s' établir à Brigue, où il épousa, alors qu' elle n' avait que 13 ans, Louise Furrer, apparentée aux familles Escher et Perrig1. Un autre Seiler, Alexandre, le fameux hôtelier de Zermatt, viendra inspecter les lieux en 1861.

70 juillet 1860. L. Maquet, H. Brocher et L. Bastian, tous de Genève, mettent en garde les voyageurs allant à Grindelwald: l' hôtelier de l' Adler les a abominablement estampés. Quelques jours plus tard, c' est une autre caravane de Lausannois: Allenspach libraire, Bertholet, prof ., et Peytregnet, venant de la Furka.

En juillet 1861, on note le passage du pensionnat Béraneck de Lausanne, celui-là même où, dix ans plus tard, Emile Javelle devait entrer comme jeune maître et probablement faire ses débuts en alpinisme.

Et voici la signature de l' ineffable Griolet. Il vaut la peine de reproduire son inscription: 6 septembre ( 1861 ). Ernest Griolet,propriétaire de la Bella Tolla, nouveau Righi du Valais, dans lequel il y a un nouveau ( sic ) hôtel confortable à St-Luc. Il s' occupe de faire construire au sommet un phare et un hôtel marin.

Signalons encore, le 22 juillet 1865, le passage du pasteur Ch. Monastier de Lausanne. En novembre 1863 Charles Monastier, alors stud, théol., avait assisté à la séance de fondation de la section des Diablerets du CAS, et en parla le lendemain à table. Une de ses vieilles tantes, qui régentait volontiers toute la maison, le prit vivement à partie: « Charles, tu n' iras jamais sur ces montagnes te faire tuer. Promets-le tout de suite. » Très doux de caractère,le jeune étudiant promit, pour avoir la paix. C' est ainsi qu' il fut pendant plus de 60 ans un clubiste fidèle et assidu, sans jamais faire aucune ascension. La course à l' hôtel de l' Eggishorn n' était qu' une promenade.

Ce n' est du reste pas autre chose pour presque tous les Suisses qui passent à l' Eggishorn de 1856 à 1868. Des touristes et non des grimpeurs, nullement curieux de connaître les joies et les frissons de l' aventure. En quoi ils tranchent vivement avec les visiteurs britanniques, animés d' un tout autre esprit. Les exceptions sont rares. Une de celles-ci est le Bernois Edmond von Fellenberg, qui passa à l' hôtel le 14 août 1867 après avoir effectué la ( 3e ) traversée de la Jungfrau, de la Wengernalp par le glacier de Guggi et le Silberhorn.

Mais le plus eminent est le Genevois François Thioly, un vrai pionnier de l' alpinisme suisse. Il vient une première fois à l' Eggishorn en juillet 1862 pour faire l' ascension de la Jungfrau, qui se présentait cette année-là dans des conditions difficiles. N' ayant pu franchir la rimaye sous le Rottalsattel, sa caravane dut attaquer la paroi par une longue taille de marches, et ne parvint au sommet qu' à 2 heures de l' après 2. Au retour, la grotte du Faulberg étant occupée par Tyndall et ses guides, Thioly dut bivouaquer près du lac de Märjelen et ne regagna l' hôtel qu' au matin.

Il est significatif que le nom de Tyndall ne figure pas à cette date dans le livre des voyageurs. Un de ses porteurs était tombe dans une crevasse près du Faulberg; il fallut ramener le blessé à l' hôtel. Tyndall ne tenait sans doute pas à faire connaître l' échec de sa course.

1 Cf. W. Kämpfen, Le Dr Goudron. s Voir Les Alpes, août 1949.

Thioly revint à l' Eggishorn l' année suivante pour faire l' ascension du Finsteraarhorn, et de nouveau en 1864 pour l' Aletschhorn ( 11-13 septembre ). Le mauvais temps fit échouer cette dernière expédition.

Cette poignée de Suisses sont égrenés et comme perdus dans les pages du cahier, où se trouvent par contre presque tous les grands noms des grimpeurs britanniques de la période que l'on a appelée Page d' or de l' alpinisme. Une de ces inscriptions est d' une portée historique. C' est celle de E. S. Kennedy qui, le 13 août 1857, fit avec les frères St-John et William Mathews, J. F. Hardy et Ellis l' ascension du Finsteraarhorn. Pendant la course, et au retour à l' hôtel, fut étudiée et discutée l' idée lancée quelques semaines auparavant de fonder l' Alpine Club.

Le récit de cette course, par le Rev. J. F. Hardy, nous donne une idée de ce que représentait à cette époque le chapitre commissariat: « Nous descendîmes à la cuisine pour préparer le ravitaillement. Vin en abondance, une bouteille de cognac, à laquelle nous eûmes la faiblesse et l' im d' adjoindre une sœur, rôti de mouton, rôti de veau, jambon, saucisses, fromage, pain, figues, raisins secs furent rassemblés et formaient une pile de quoi nourrir une armée; l' addition correspondante s' élevant à 74 frs. Un peu plus tard dans la matinée, les guides estimèrent qu' il fallait encore „ ein wenig Brot und Fleisch ". Du coup, la note s' éleva à 114 frs, d' où je conclus que le mot „ wenig " n' a pas tout à fait le même sens que notre „ un peu ", et je ne crois pas qu' il serait difficile de prouver que l' expression „ pain et viande " comprendrait aussi bien des liquides que des solides1. » Passons en revue les plus notoires des hôtes de l' Eggishorn.

6-7 septembre 1856. Mr et Mrs Harry Cole. Cette dernière est l' auteur d' un livre à la Tœpffer, A Lady' s Tour round Monte Rosa ( 1859 ). Elle revint à l' Eggishorn en 1858 avec son éditeur W. Longman, A.C., et signale que le 29 août le lac de Märjelen se vida entièrement.

4-6 août 1856. John Birkbeck, G. Joad et Charles Hudson, venant de Grindelwald. Pas d' in d' itinéraire; la route suivie fut probablement celle de la Grimsel-Oberaarjoch et glacier de Fiesch. La grande chaîne n' avait pas été traversée directement à cette date. Le Rev. Hudson, qui fit la première ascension du Mont Blanc à partir de St-Gervais, trouva la mort au Cervin le 14 juillet 1865.

29 août. Rev. L. Davies et F. Vaughan Hawkins Ce dernier accompagnait Tyndall dans sa première tentative à l' arête italienne du Cervin, en 1860.

Le 30 juillet 1858, on rencontre pour la première fois le nom de John Tyndall, qui fera ici de nombreuses visites et séjours avant de s' établir à Belalp, sur la rive droite du glacier d' Aletsch.

Une longue inscription ( non datée, vers le 10 août ) de la main de John Birkbeck raconte la première traversée Eggishorn-Grindelwald:

« Vendredi 6 août ( 1858 ), en compagnie du Rev. Ch. Hudson et de G. Joad, j' ai quitté cet hôtel dans l' intention de traverser la chaîne faîtière jusqu' à Grindelwald. Pour autant que nous le sachions, ce passage n' avait jamais été effectué, mais nous ne doutions pas de sa possibilité, car les routes pour la Jungfrau partant d' ici et de Grindelwald se rejoignent sur les névés supérieurs du Grand Glacier d' Aletsch, et les deux versants du col étaient connus. Nous avions le guide Melchior Anderegg et c' est sur lui que nous comptions pour nous montrer le passage qu' il avait gravi du côté bernois. Nous décidâmes d' aller bivouaquer aussi haut que possible sur l' épaule 1 Peaks, Passes and Glaciers, p. 201.

du Mönch, et de faire la course en deux petites journées plutôt qu' en une. Dans ce but, nous prîmes à l' hôtel quatre hommes pour transporter une grande tente, du bois et le matériel nécessaire. La caravane était complétée par mon guide Victoire ( sic ) Tairraz de Chamonix et le domestique personnel de Ch. Hudson, Th. James, lui-même excellent montagnard.

Départ de l' hôtel 8 h.; lac de Märjelen 9 h. 30; à 11 h. 30 nous passons sous les rochers du Faulberg où se trouve la grotte qui est fréquemment utilisée pour l' ascension de la Jungfrau et du Finsteraarhorn. A 2 h. 30 nous atteignons le Trugberg et remontons la branche du glacier entre le Mönch et le Fieschergrat. A ce moment nos porteurs commencèrent à se mutiner, et bien que Melchior eût l' obligeance de prendre une de leurs charges nous eûmes de la peine à les faire monter jusqu' au bivouac. Il y a de nombreuses crevasses sur cette partie du trajet, et la corde fut utilisée pendant une heure. A 5 h., nous dressâmes la tente sur la neige, 70 mètres environ au-dessous du col. Toute la nuit, le grésil ne cessa de tambouriner sur la toile de la tente.

A 5 h. du matin, le temps était bouché, avec un fort vent et des rafales de neige. Les porteurs étaient impatients de s' en retourner. Vers 7 h. toutefois, il y eut une éclaircie, et nous décidâmes de continuer, du moins pour un temps. Le col est entre 3500 et 3650 m; d' après la carte Dufour, il n' est que de 396 m inférieur au Mönch. Melchior était presque sûr de trouver le chemin; il fut décidé de tenter la descente sur Grindelwald. Au bout de dix minutes, le plafond de brouillard s' éleva, nous laissant apercevoir le Glacier inférieur. La pente est rapide pendant les deux premières heures. A cause des crevasses, nous n' enlevâmes la corde qu' une fois arrivés au Glacier inférieur. La neige était en bonne condition; il ne fut pas nécessaire de tailler une seule marche. Durée de la course: 5 h. 30 du bivouac à l' auberge. » La saison de 1859 s' ouvre le 16 juin déjà par la première ascension de l' Aletschhorn, effectuée en partant de l' Eggishorn par F. Tuckett ( voir Les Alpes, décembre 1957 ).

Quelques semaines plus tard, en date du 7 ( 8 ) août, on peut lire la note, de la fine main de Leslie Stephen, relatant une autre première grande traversée alpine, celle de l' Eigerjoch. La caravane se compose de L. Stephen, W. et S. Mathews, avec les guides Ulrich Lauener, B. Croz et Michel Charlet:

« Partis de Wengernalp le 6 ( 7 ) août à 3 h. 45, nous avons atteint, après une traversée de séracs très exposée, une combe neigeuse à droite ( rive g. ) de l' Eigergletscher, entre les névés très tourmentés et les pentes inférieures du Mönch. Ce vallonnement nous a amenés dans le bassin supérieur du glacier de l' Eiger, au pied de la crête qui relie l' Eiger et le Mönch. Le point le plus bas de cette arête forme un col tout proche de l' Eiger. Parvenus à ce point à 10 h. 25, nous avons constaté qu' il domine le glacier descendant vers la Stiereck ( Glacier inférieur de Grindelwald ). La paroi est si abrupte qu' il était impossible d' y descendre; l' arête conduisant vers le Mönch nous parut également impraticable. Force nous fut de redescendre dans la combe neigeuse et d' attaquer l' arête en un point beaucoup plus près du Mönch. Cette pente, de névé très dur, exigea la taille d' environ 700 marches ce qui, faute d' un piolet convenable, ne nous coûta pas moins de six heures de travail. Il était 5 h. de l' après lorsque nous parvînmes sur l' arête. Descendant un peu sur l' autre versant, nous suivîmes une vire rocheuse au bout de laquelle nous arrivâmes enfin sur un autre col, juste au pied NE du Mönch. De là, des pentes de neige faciles nous conduisirent sur les névés reliant les glaciers de la Stiereck et d' Aletsch ( Obermönchjoch ). Forçant l' allure, nous espérions pouvoir atteindre la grotte du Faulberg avant la nuit. Mais l' obscurité nous surprit avant d' y arriver, et nous passâmes une fort mauvaise nuit dans les rochers du Kranzberg. » En juillet 1860 arrive à l' hôtel une famille célèbre dans les annales de l' alpinisme. Il s' agit de Mr Walker A.C., avec sa fine Lucy Walker et Horace Walker. Le 7 juillet la famille et E. Mathews vont coucher au Faulberg pour faire le lendemain la Jungfrau. C' est la première tentative féminine à cette cime. Malheureusement les guides firent partir la caravane à minuit et demi et la jeune fine, éprouvée par la longue marche monotone dans l' obscurité glaciale, dut s' arrêter au Rottalsattel. Elle prit sa revanche en 1865, après avoir gravi le Finsteraarhorn en 18621. La famille Walker, de même que Tyndall, revient presque chaque année à l' Eggishorn.

9 août 1860. John Tyndall et F. Vaughan Hawkins réussissent la première traversée du Lauitor, 3700 m, ce col difficile qui relie le vallon du Rottal au bassin d' Aletsch, en une journée de 18 heures de marche presque ininterrompue de Lauterbrunnen à l' Eggishorn. La montée du couloir du Lauitor a coûté sept heures de travail.

20 août 1860. J. Kent Stone, de l' Université de Harvard ( USA ), a gravi la Jungfrau avec le guide M. Simond de Chamonix. En véritable Américain, il est fier d' avoir établi un record ( départ du Faulberg 02.30; sommet 08.00; retour à l' hôtel 15.45 ). « Je crois que notre ascension est la plus rapide qui ait été faite jusqu' ici », ce qui, inévitablement, provoqua la remarque écrite en marge par un plaisantin: « don' t doubt it; Yankees are the fastest nation going. » 19 juillet 1862. Encore une grande et magnifique traversée: la première du Jungfraujoch. La caravane était imposante, six Anglais avec six guides oberlandais, dont l' un portait une échelle de dix mètres pour franchir les crevasses du glacier de Guggi. Le col fut atteint en 8 h. 30 de la Wengernalp. W. Moore et B. George descendirent à l' Eggishorn, tandis que Leslie Stephen et trois autres compagnons passaient le Mönchjoch pour rentrer le même soir à Grindelwald.

Le 31 juillet, L. Stephen et ses compagnons F. Hardy et A. Morgan réveillent l' hôtel à 2 h. 30 du matin. Partis du bivouac de Kasten stein ( Grindelwald ), ils ont gravi le Fiescherhorn; surpris à la descente par le mauvais temps, ils se sont égarés dans les bourrasques de neige.

1863.

Le 4 août, le professeur Tyndall prend sa revanche à la Jungfrau.

Du 10 au 14 ad it, St.Winkworth conduit sa femme à l' Aletschhorn et la Jungfrau. C' est la première ascension féminine de ces sommets.

Il faut mentionner ici le Rev. H. Jones qui, à la table d' hôte de l' hôtel, avec ce superbe sentiment de leur supériorité que nourrissaient alors certains Britanniques - l' attitude de Tyndall envers Thioly en est un autre exemple - raillait les Suisses qui osaient imiter les Anglais en fondant à leur tour un club alpin.

1864.

La saison est ouverte par F. Tuckett, qui inaugure un nouveau passage devenu classique ( Beichpass ), du Lötschental au bassin d' Aletsch par le glacier de Distel, le Beichgrat et le glacier d' Oberaletsch.

9 août. De nouveau Leslie Stephen, accompagné de S. Macdonald et C. Grove: « Arrivés ici venant de Lauterbrunnen. Quitté ce village à 1 h. 15 avec l' intention de suivre l' itinéraire du prof. Tyndall au Lauenentor ( Lauitor ). Toutefois, ayant remarqué un couloir descendant du Rottalsattel dans le Rottal, nous avons décidé de le gravir, et après 4 h. et demie de grimpée difficile sur neige et rocher, sommes parvenus au Sattel à 11.45, d' où nous sommes encore montés à la Jungfrau. Arrivés à l' hôtel à 7.15 h. du soir. » 1 Miss Lucy Walker fut la première femme qui gravit le Cervin, en juillet 1871, accompagnée de son père et de son frère.

Nous avons relevé surtout les noms des grimpeurs anglais ayant accompli quelque chose de nouveau dans la région. Mais il y en a des douzaines d' autres, tout aussi importants et célèbres dans le palmarès de l' alpinisme britannique: F. Hardy, W. Hinchliff, W. Longman, L. Davies, Adams Reilly, C. H. Pilkington, les frères Parker à qui l'on doit la première tentative sérieuse sur le versant de Zermatt du Cervin. Th. Philpott, lord Fr. Douglas, une des victimes de la catastrophe du Cervin en 1865. Ed.Whymper avait passé à l' Eggishorn en 1860; mais il était redescendu à Fiesch le même jour. Son nom est cité dans la tentative faite le 13 juin 1865 par lui et H. Hawker A.C. d' ouvrir une route nouvelle Lauterbrunnen—Eggishorn par l' Ebnefluh. Les Escalades dans les Alpes ne consacrent qu' une ligne à cette tentative avortée, mais son Journal est plus explicite. N' ayant pu atteindre l' arête, ils rentrèrent à Lauterbrunnen après une journée de 19 heures de marche. Le lendemain, Whymper passait le Petersgrat pour retrouver à Tourtemagne son guide favori Michel Croz.

En 1871, première apparition de W. A. B. Coolidge, accompagné de sa tante Miss Brevoort. En 1874, celle de F. A. Mummery.

Nous arrêtons ici cette revue de la geste alpine basée sur l' Eggishorn. Elle reflète bien l' esprit d' entreprise, le dynamisme, l' enthousiasme des pionniers britanniques durant cette époque.

Le refuge du Faulberg L' hôtel au pied de l' Eggishorn était la base la plus commode et la plus rapprochée pour l' ascension de plusieurs grands sommets de l' Oberland bernois, Jungfrau, Mönch, Finsteraarhorn. En 1856, ces cîmes étaient regardées comme inabordables par le versant de Grindelwald. A part l' exploit exceptionnel de six chasseurs en 1828, il n' y avait eu que l' expédition rocambo-lesque de la princesse Kolkoff en juin 1855 ( voir Les Alpes, janvier 1956 ). Mais la route est longue de l' hôtel jusqu' au pied de la Jungfrau ou du Finsteraarhorn; aussi la plupart des caravanes allaient-elles bivouaquer dans la grotte du Faulberg, qui s' ouvrait dans les rochers de la rive gauche du glacier d' Aletsch, à 1 km environ en aval de l' actuelle cabane Concordia. Les anciennes cartes Siegfried indiquent l' emplacement: Ehemal. Clubhütte.

Cette grotte-abri était sans doute connue des chasseurs. Nous ignorons qui furent les premiers touristes à y passer la nuit. La caravane Agassiz-Desor-Forbes, lors de leur ascension de la Jungfrau en 1841, couchèrent aux chalets de Märjelen; le récit de Desor ne mentionne pas la grotte du Faulberg. Il en est de même de Gottlieb Studer et F. Bürki en 1842. La première mention que j' en connaisse est celle de F. Hardy, dans son récit d' ascension au Finsteraarhorn, le 13 août 1857:

« A environ 8 km du lac de Märjelen, dans les rochers de la rive gauche du glacier, s' ouvre comme un petit amphithéâtre. Si vous y pénétrez, et gravissez les rochers à votre gauche, vous trouverez, à environ 50 mètres au-dessus, deux fentes. C' est le seul abri que la nature offre dans cette région. La plus grande de ces deux grottes est assez vaste pour contenir cinq à six personnes - confortablement, allais-je ajouter. Mais il y a un petit inconvénient... c' est l' eau qui tombe goutte à goutte, drip, drip, drip - splash, splash, splash, tout le jour, et malheureusement aussi toute la nuit, sans qu' il soit possible de l' arrêter. Vous pouvez l' éviter lorsque vous êtes éveillé, mais lorsque vous dormez... Ah bah! vous ne dormez jamais dans cet antre. Juste au moment où vous êtes sur le point de perdre conscience, voilà un gros plouf, et vous êtes plus loin du sommeil que jamais1. » 1 Peaks, Passes and Glaciers, p. 203. 58 L' année suivante ( 1858 ), John Tyndall en donne un tableau plus gai:

« Rien de plus pittoresque que l' aspect de la caverne avant notre coucher. Le feu jetait encore quelques lueurs pourpres; j' étais assis à côté sur une dalle de pierre, tandis que Bennen, en face, était capricieusement illuminé par des éclairs rougeâtres. Mon appareil à faire bouillir l' eau, le télescope, les jumelles, le havresac, le tonnelet de vin, les gourdes, les piolets gisaient éparpillés tout autour... La grotte était confortable; le foin en quantité suffisante pour atténuer la dureté de la roche, et ma place, du moins, était abritée et tiède1. » Notre compatriote Thioly a couché dans la grotte du Faulberg en 1862 et en 1863 pour les ascensions de la Jungfrau et du Finsteraarhorn: « Deux écuelles fendues et un méchant chaudron de fer, c' est tout ce qu' on y trouvait »; et l' année suivante: « Cette grotte froide et humide empêche tout sommeil La batterie de cuisine remise en place, nous sortons de ce réduit qui doit prochainement être métamorphosé en une cabane plus confortable grâce aux efforts du club alpin anglais. » La métamorphose souhaitée, c'est-à-dire la construction d' une cabane, dut avoir lieu en fin de saison 1864. Le premier qui l' annonce est N.H. Hawker, en date du 28 juin 1865: « Toutes nos félicitations à M. Wellig d' avoir édifié une construction aussi luxueuse que la nouvelle cabane du Faulberg où je fus le premier passer la nuit. Elle offre tous les conforts, et la gratitude de ceux qui y dormiront redoublera au souvenir des inconvénients ou à la vue du misérable trou honoré du nom de „ La Grotte ", et qui est actuellement plein de neige. » \JAlpine Journal de mars 1865 contient la note suivante, qui a tout l' air d' être un « communiqué »: « M. Wellig, le propriétaire de l' hôtel de la Jungfrau à l' Eggishorn, a construit une très bonne cabane sur les rochers, un peu plus bas, c'est-à-dire plus près du glacier que l' ancienne grotte, qui était jusqu' à ce jour le seul abri pour les alpinistes visant les grands pics et passages auxquels le glacier d' Aletsch donne accès. La cabane peut abriter six personnes confortablement; elle est munie d' un fourneau avec casserole, de tasses et d' autres ustensiles, de sept couvertures et de paille en quantité. » Six places, c' est peu. Bien des alpinistes modernes l' ont éprouvé à leurs dépens aux refuges du Fauteuil des Allemands ou de la Fourche. Lors de leur traversée de la Jungfrau par le Rottal, le 22 août 1871, le professeur bernois Chr.Th.Aeby et M. Ober d' Interlaken, avec trois guides, arrivent le soir à la cabane du Faulberg et trouvent la plus grande partie du refuge occupée. On leur fit cependant place: « Un repas chaud répara tout; les habits mouillés furent suspendus devant le feu. » Le lendemain, ils descendent se ravitailler à l' Eggishorn et remontent au Faulberg, où « l' espoir d' être seuls fut déçu... nous dûmes partager le logis avec d' autres voyageurs. Avant l' aurore, nous l' abandonnons d' autant plus volontiers que par la porte ouverte une fraîche brise matinale arrivait jusqu' à nous2 ».

En 1874, on voit apparaître d' autres desiderata:

« La cabane du Faulberg est, je crois, en assez bonnes conditions quant à la propreté et l' amé; mais elle a besoin de réparations. Elle est du reste beaucoup trop petite étant donné l' affluence des touristes au plus fort de la saison. Ce refuge, construit, en grande partie du moins, grâce à l' argent anglais, se trouve plus spécialement sous la garde de l' Alpine Club. Il vaudrait peut-être la peine d' envisager le projet de construire une nouvelle cabane, pour laquelle on pourrait probablement trouver un site plus avantageux, plus haut sur la rive du glacier d' Aletsch3. » 1 J. Tyndall, Ascent of the Finsteraarhorn. a La Suisse illustrée. Berne 1872, p. 420. Alpine Journal, Aug. 1874, p. 164.

Ce nouvel emplacement est celui de Concordia, où s' élevèrent dès 1876 la cabane du Club Alpin Suisse et le Pavillon Cathrein. Le refuge du Faulberg est mentionné encore le 27 juillet 1876 comme point de départ pour la Jungfrau. Il a donc servi pendant 20 ans, et a abrité des centaines, voire des milliers de touristes et d' alpinistes. Il est hors de doute qu' à cette époque où la photographie en montagne était quasi inexistante, mais où tout le monde savait tenir un crayon, le site et la hutte ont dû être maintes fois croqués, esquissés, dessinés. Or la seule illustration que j' en ai pu dénicher, malgré de nombreux appels et recherches, est la vignette qui accompagne le récit du professeur Aeby dans la Suisse illustrée de 1872, dont le rédacteur était alors Juste Olivier. Le dessin est signé ( Gustave ) Roux, qui ne participait pas à la course. A moins que - la chose n' est pas impossible bien que peu vraisemblable - ce ne soit la copie d' une photo ou d' un croquis pris par le professeur Aeby, ce serait un dessin fait de « chiqué », sans garantie de fidélité à l' objet.

Il fallait trouver mieux. L' an dernier, je fus sur le point de crier « eurêka ». Entre 1875 et 1890, un photographe allemand du nom de Julius Beck, qui fut membre de la section de Berne du CAS, parcourait les Alpes dont il prit d' innombrables vues qu' il offrait au public au moyen de catalogues: Hochgebirgsansichten, Photographie nach der Natur. Dans une de ces brochures, sous le n° 285, il y a l' indication: Die alte Faulberghütte, 2740 m. Donc la photo existe; il doit en avoir survécu quelques épreuves; mais où la dénicher? Rien au Musée alpin de Berne, ni aux archives du Bureau topographique fédéral, ni dans les collections de l' Ecole polytechnique de Zurich. Après de patientes recherches, et grâce à la complaisance du secrétaire de la section de Berne, j' appris qu' elle se trouvait à la bibliothèque de la dite section, qui voulut bien me la confier. Mais, hélas! quelle déception! Elle était si mauvaise que nous avons dû renoncer à la reproduire à l' intention de nos lecteurs.

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