Autour du Grand Chavalard
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Autour du Grand Chavalard

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Avec 1 croquisPar André Favarger

Si les principaux sommets de nos Alpes portent, en général, des noms que personne ne songerait à modifier, des noms qui font si bien corps avec l' objet qu' ils désignent que les vouloir changer paraîtrait à beaucoup une atteinte sacrilège portée aux Alpes elles-mêmes, il n' en va pas ainsi pour maints sommets secondaires. Il arrive, pour ceux-ci, que le topographe désireux d' inscrire dans la carte un toponyme indiscuté se trouve placé devant une situation embarrassante.

Au nord du Grand Chavalard, une pyramide rocheuse au sommet tronqué est ornée dans la carte Siegfried, depuis les premières éditions, du joli nom de Fenestral. Repris consciencieusement par chacune des éditions successives, ce nom n' a pas quitté la pointe, l' orthographe n' en a pas varié d' un accent. Or, pour tous les bergers et chasseurs que nous avons consultés, ce nom s' applique au col voisin, passage reliant la Montagne de Fully aux alpages de Leytron et que la carte appelle Col de Fenestral qui est un pléonasme. Les voies de communication ont une histoire plus ancienne que les sommets qui les dominent. Le col était probablement connu avant que l'on prît garde à la pointe. Il ne serait pas étonnant que la date de naissance des toponymes suive le même ordre chronologique. La pointe est appelée Grand Duc par les plans les plus récents et les bergers de Fully lui donnent le nom de Six du Doe ( oe prononcé comme œu dans œuf ), doe signifiant en patois Grand Duc, le rapace nocturne.Voici qui rappelle étonnamment le Six Dédoz, nom porté dans les plans et dans la carte, dès les premières éditions, par une tour rocheuse du voisinage.

Y a-t-il eu confusion entre les deux sommets? Il est tentant de l' ad. Il semble probable que ce Six Dédoz ait été repris par les plans sans que les rédacteurs s' avisent de son sens caché. Le nom patois et le nom français doivent désigner un seul et même sommet, les bergers de la Montagne de Fully sont catégoriques sur ce point.

Faut-il alors laisser anonyme cette élégante tour rocheuse qui se voit brusquement dépouillée de son nom? En 1942, les bergers rencontrés aux alpages de Leytron ne marquent qu' indifférence à son égard, le bétail ne va pas si haut. Le topographe, chasseur de toponymes, n' a pas trouvé alors parmi les habitants temporaires de ces lieux son auxiliaire précieux, le chasseur de gibier pour qui les noms de lieux sont des points de repère indispensables à la bonne entente avec ses compagnons de chasse.

A Fully, deux grands coureurs de ces monts, chasseurs en temps et hors de temps, nous confirment sans hésitation le Six du Doe pour Fenestral de la carte, ils appellent Petit Château le Six Dédoz de Siegfried. Décidément, c' est un cercle vicieux: il n' y a pas moyen de baptiser un sommet sans voler son nom au voisin. En effet, un Petit Château dominerait selon la carte l' alpage de la Luy d' Août. Mais que désigne ici ce Petit Château que personne ne nous a confirmé? Tout au plus une assise du Grand Château qui, lui, porte fort bien son nom. Nous l' abandonnons sans regret et ainsi l' écheveau se débrouille.

Gardons-nous toutefois de conclure trop vite, méfions-nous de ces renseignements à distance. Pour lui arracher ses noms, il faut tenir la montagne de près. Avec deux chasseurs, nous ferons le tour du Grand Chavalard. En cette saison, à quelques jours de l' ouverture, ils ne se font pas trop prier pour nous suivre; les jumelles glissées dans le sac permettront peut-être de repérer ici et là un chamois. Ne nous en plaignons pas, l' intérêt de nos compagnons pour l' expédition ne peut que servir le but que nous poursuivons; la trouvaille du nom approprié peut dépendre de ces impondérables.

Par une merveilleuse journée de fin d' été, nous arrivons à la Montagne de Fully. Le funiculaire de service de l' usine électrique puis la benne du téléférique nous ont amenés jusqu' au bas de l' alpage. Tout en nous dirigeant du côté de Fenestral, nous contrôlons une fois de plus grâce à nos nouveaux informateurs, les noms vérifiés déjà avec d' autres; c' est que l' absolu n' existe guère en toponymie, les surprises sont toujours possibles, et puis cette Montagne de Fully porte de bien jolis noms et c' est un plaisir de les entendre prononcer avec l' accent savoureux de ce coin de pays. Ils étaient méthodiques, ces bergers, pour qui chaque jour de la semaine désignait le lieu de pâture sans qu' il puisse être question de mener le bétail au même endroit le lundi et le mardi. L' habitude s' est perdue, mais les noms ont subsisté: il y a un Devindro ( vendredi ), un Dechando ( samedi ), etc.; le Demècre ( mercredi ) a donné son nom au Col du Demècre inscrit par Siegfried.

Nous franchissons le col ( Fenestral ) et contournons le Six du Doe qui, selon nos compagnons, doit remplacer le Fenestral de la carte, passons au pied du Six Dédoz de Siegfried que nos chasseurs ne connaissent que sous le nom de Petit Château alors qu' ils confirment le Grand Château de la carte; il est moins élancé que son voisin, mais ses larges assises, ses parois imposantes expliquent l' adjectif même si son sommet n' atteint pas l' altitude du Petit Château.

Ainsi nos suppositions se vérifient et la carte devra inscrire de l' W à l' E: Six du Doe, Petit Château et Grand Château, Fenestral tout court désignant le col; mélange sans doute de patois et de français, mais c' est de cette façon que les noms seront le mieux compris aujourd'hui, les sommités le mieux identifiées, c' est ainsi que les toponymes seront le plus utiles au lecteur de la carte, et c' est ce qui nous importe. Le Six du Doe restera-t-il toujours un Six du Doe? Nous ne l' affirmerons pas; un beau jour peut-être, on remarquera que le nom se francise de plus en plus, on entendra parler du Rocher du Grand Duc, du Sex du Duc ou d' autre chose encore et alors il faudra l' enregistrer. Les noms ne sont pas immuables. La carte doit suivre leur évolution, évitant de la précéder arbitrairement.

De la large selle qui sépare Grand et Petit Château, nous regardons au nord, du côté du Grand Muveran. Le soleil déclinant découpe les arêtes qui, de la Dent aux Favre, de la Pointe d' Aufalla, des Muverans vont se perdre vers Ovronna. Deux d' entre elles narguent le chasseur de toponymes au moyen d' un sommet qui revendique un nom, un nom qui reste insaisissable.

C' est d' abord ce Six des Armays que nous trouvons dans les archives de la carte comme Six à Germain, puis Six des Armaillis ou Six à Germain, Sex des Armays et de nouveau Six Germain. Nos chasseurs répugnent à se prononcer. Six Germain leur paraît plus connu aujourd'hui, mais on entend aussi Six des Armailles. Est-ce le rocher de Germain, le rocher des Armailles ( bétail ) ou le rocher des Armaillis ( vachers )? Les bergers de Bougnonne et d' Euloi sont aussi hésitants. Pour nous, la question reste ouverte.

Plus loin, écrasée par le voisinage du Grand Muveran, voici une Pointe de Chemoz que Siegfried n' a pas cessé d' écrire de cette façon. Les plans les plus récents notent ici Pointe de Tzevelloz, alors qu' ils placent une Pointe de Simoud près du Trontzey de la carte. Une Dent de Simoud semble désigner d' après Siegfried le point 2150 de la carte.

Tzevelloz, Chemoz et près de là un nom dont nous nous méfions déjà, un Simoud qui rampe au pied de la pointe avec un petit air complice, c' est tout ce que nous disent les cartes. Le topographe qui a noté ce Tzevelloz tout neuf l' a de son aide de Chamoson qui indique également, mais comme vieilli, « Pointe de Chemoz ». Les bergers des alpages ne sont guère précis; à Saille et à Bougnonne, ils appellent Semou, Chemou, Chimou ou Chemo toute l' arête descendant de la pointe vers Ovronna; à Loutse et à Chamosentse, le point culminant est appelé simplement « L' Homme », comme tout sommet surmonté d' un cairn de pierre; Chemou ou Semou désignerait d' ici tous les pâturages du haut.

La langue des alpages est restée imprécise pour la pointe, mais nous ne sommes pas ici dans un coin perdu; de la cabane Rambert, à deux kilomètres de là, le regard qui plonge dans la vallée du Rhône est arrêté par notre sommet. Les habitués des Muverans et beaucoup de visiteurs occasionnels ont sans doute été curieux du nom de cette protubérance et la carte, fidèle dès le début à « Pointe de Chemoz », a fixé pour beaucoup cette graphie. M. Crettenand de Leytron, gardien de la cabane dès 1916, actif comme porteur dans cette région déjà auparavant, n' a pas d' hésitation et déclare: « les gens du pays, les chasseurs et le guide Philippe Allamand de Bex qui est des plus vieux guide de notre région prononcent toujours Pointe de Chemoz. La Pointe de Tze-vellod n' est pas du tout connue ni par les gens, ni par les chasseurs et guides. » Nous nous associons à une opinion si nettement exprimée. Comme ailleurs, nous supprimerons toutefois le z parasite, ce qui ne change rien à la prononciation. Quant à la Dent de Simoud qui n' a pas cessé d' accom dans la carte la Pointe de Chemoz, elle est condamnée à disparaître.

Notre promenade toponymique du Grand Chavalard au Muveran aura-t-elle permis d' améliorer la nomenclature de la carte? Nous le souhaitons. Elle nous aura en tous cas révélé de curieux dédoublements de noms: dans les plans les plus récents, le Six du Doe avait produit un Grand Duc et un Six Dédoz, une accueillante tour rocheuse se trouvant là à point nommé pour recevoir une déformation du nom patois. La Pointe de Chemo a mis au monde une Dent de Simoud qui ne sait pas trop où trouver place, enfin est-ce le Six Germain qui a produit le Six des Armays ou le Six des Armays qui a donné naissance au Six Germain? Nous devons avouer que cette dernière question reste encore pour nous sans réponse.

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