Chronique himalayenne 1956
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Chronique himalayenne 1956

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AVEC NOTES COMPLÉMENTAIRES SUR LES ANNÉES PRÉCÉDENTES PAR G. O. DYHRENFURTH

Avec 3 illustrations II nous est parvenu récemment un flot de cotes d' altitude des grands sommets himalayens, ce qui a amené de regrettables confusions. Comment expliquer une pareille incertitude au sujet de sommités très célèbres, connues et mesurées depuis un siècle? Il y a en premier lieu trois sources d' erreurs, dont les estimations sont aujourd'hui différentes de ce qu' elles étaient auparavant: a ) la réfraction des rayons lumineux, qui varie fortement selon les saisons et les heures de la journée; b ) la déviation des forces d' attraction ( pesanteur ) due au voisinage de la masse de l' Himalaya; c ) les réductions au géoïde. On aurait pu s' attendre que les nouveaux calculs et travaux de mensurations en cours depuis 1952 fassent apparaître de très fortes différences d' avec les anciennes cotes, mais heureusement la plupart des erreurs commises dans le passé se sont compensées réciproquement.

Pour le Chomo Lungma ( Mont Everest ), les six mesures effectuées en 1849 et 1850 donnaient ie de 8839,8 m. La moyenne des six mensurations faites de 1881 à 1902 était de riais ce chiffre fut encore considéré trop bas; des estimations ( non officielles ) le portaient jusqu' au de 8900 m. La nouvelle cote officielle publiée en 1955 ramène la hauteur de l' Everest à 8847,6 m, soit 8848 m en chiffres ronds. Il conviendra désormais de s' en tenir à ce chiffre.

Quant au Kanchenjunga, on savait que l' ancienne cote de 8579 devait être relevée de 60 pieds ( 19,29 m ), ce qui donnait environ 8597 m au troisième sommet du globe. A ma connaissance, la nouvelle cote officielle n' a pas encore été publiée. Quoi qu' il en soit, l' altitude de 8603 m qui figure sur la carte de Marcel Kurz peut être considérée comme exacte.

Officiellement, le Lhotsé mesure toujours 8501 m, mais ce chiffre devra vraisemblablement être élevé à 8510 m, proportionnellement à ses voisins, l' Everest et le Makalu. Car la cote de ce dernier, 8470, admise pendant un siècle, doit être abandonnée. Le nouveau chiffre officiel est 8481 m.

L' écart est encore plus grand pour le Cho Oyu auquel, depuis quelque temps déjà, on attribue deux altitudes concurrentes, 8153 et 8189 m. Il semble qu' il n' y ait pas eu de nouvelle mensuration à ce jour.

Le Dhaulagiri, le Mont Blanc de l' Himalaya, qui passait jadis pour être le plus haut sommet du globe, était cote jusqu' ici 8172 ou 8167 m. La nouvelle cote lui donne 8222 m.

Rien de nouveau à signaler pour l' instant concernant l' altitude du Manaslu, 8125 m, du Nanga Parbat, 8125 m, de l' Annapurna I, 8078 ou 8074 m, du Shisha Pangma, 8013 m, et des quatre « 8000 » pakistanais: K 2, 8611 m, Hidden Peak, 8068 m, Broad Peak, 8047 m, et Gasherbrum II, 8035 m.

Les nouveaux calculs, en tenant compte de tous les facteurs géophysiques connus actuellement, exigent passablement de temps. La question du Cachemire, dont la frontière est disputée par l' Inde et le Pakistan, y ajoute encore. Il faut donc patienter encore avant de pouvoir enregistrer définitivement - c'est-à-dire pour quelques décennies - les nouvelles altitudes des grands sommets de l' Himalaya et du Karakorum.

Cette fois encore, nous commencerons à l' est notre revue des principales récentes expéditions à l' Himalaya.

1. Kangchenjunga. Au point de vue alpinistique, il n' y a pas grand' chose à ajouter à ce que nous avons dit dans notre chronique himalayenne 1955 ( voir Les Alpes, avril 1956 ) de la magnifique « première » du Kantch. Par contre, au point de vue géologique, l' œuvre que poursuit méthodiquement le Dr Toni Hagen a considérablement enrichi notre connaissance de ce massif. Les Alpes ont publié là-dessus ( novembre 1956, p. 298-303 ) un rapport provisoire avec texte, profils et esquisses cartographiques ).

2. Il en est de même pour le Makalu, à la silhouette élégante, la cinquième, par rang de hauteur, des montagnes du globe. Le beau livre de Jean Franco {Makalu, Arthaud ) n' ajoute guère à la relation originale et notre chronique de l' an dernier. Mais l' exploration du massif du Makalu par Toni Hagen au cours de l' hiver 1954/55 et en automne 1955, dont les résultats ont été brièvement esquissés dans cette revue {Les Alpes, p. 295-298 ) est d' une grande importance scientifique, et nous a valu une riche moisson de documents iconographiques. La tectonique des hautes chaînes népalaises nous est peu à peu dévoilée et s' avère aussi grandiose que nos anticipations le prévoyaient.

3. A l' est du massif du Makalu, le fleuve Arun s' est creusé jusqu' à 1200 m au-dessus du niveau de la mer, une cluse, un des plus formidables canons taillés dans l' écorce terrestre. En 1930 déjà, j' écrivais à ce sujet: « Malgré son altitude, l' Himalaya, à proprement parler, n' est pas la ligne de partage des eaux; celle-ci est constituée par des chaînes de hauteur moindre situées plus au nord. Des fleuves comme l' Arun, entre les massifs du Makalu et du Kantch, ou la Tista, à l' est de ce dernier, ont leur source sur le versant nord de l' Himalaya, et se sont frayé un passage vers le sud par des gorges fantastiques entaillées dans la barrière des montagnes. Il est hors question d' attribuer de telles cluses à l' érosion rétrograde. Incontestablement, ces cours d' eau se déversaient déjà dans l' Océan indien avant que l' Himalaya ne dresse ses cimes vers le ciel; le travail d' érosion a progressé 2 Les Alpes - 1957 - Die Alpen17 synchroniquement avec la tectonique. Le soulèvement de la haute chaîne s' est produit graduellement, ce qui a permis aux fleuves, dans le même temps, de creuser leur lit à travers la masse et de conserver, grosso modo, leur ancien parcours. Ces fleuves sont plus vieux que l' Himalaya. » La vallée de l' Arun est également très intéressante au point de vue de la flore et de la géobotanique. A. Stainton y a travaillé en été 1956 pour le compte du British Museum. Il était accompagné du sherpa Da Temba ( n° 212 de la liste de l' Himalayan Club ).

4. La grande expédition suisse de 1956, organisée et préparée avec soin par la Fondation suisse pour explorations alpines, dirigée magistralement par Albert Eggler, et dans laquelle les alpinistes bernois firent preuve d' un esprit de camaraderie exemplaire, fut couronnée d' un succès que l'on peut qualifier d' exceptionnel. Son principal exploit fut la première ascension du Lhotsé, 8501 à 8510 m, le 18 mai 1956, par Ernest Reiss et Fritz Luchsinger. En outre, deux cordées réussirent les 2e et 3e ascensions de l' Everest, Jürg Marmet et Ernest Schmied le 23 mai 1956, Adolphe Reist et H.R. von Gunten le 24 mai 1956. Pour ne pas répéter ce qui est connu de chacun, il suffira ici de mentionner les publications les plus importantes sur cette expédition:

a ) Les articles originaux dans le Bund et la Neue Zürcher Zeitung de mai à octobre 1956.

b ) Les Alpes 1956, Varia p. 91/92, 132/133, 147-151, 175-177 et le fascicule de mars 1957.

c ) Albert Eggler, Gipfel über den Wolken. Hallwag, Bern. Berge der Welt, Bd. XI, 1956/57.

Outre les succès alpinistiques spectaculaires, il ne faut pas oublier de rappeler les recherches scientifiques dont le massif de l' Everest a été l' objet: 1952, Augustin Lombard en géologie, Albert Zimmermann en botanique; 1952/53, C. Pugh en physiologie; 1954, Helmut Heuberger en géographie; 1954/55, Pierre Bordet et Michel Latreille, ainsi que - indépendamment des Français - Toni Hagen en géologie; 1955, Erwin Schneider en cartographie; 1956, Fritz Müller et Arthur Durst en glaciologie et météorologie. Petit à petit, le groupe du Chomo Lungma devient la région la mieux connue de l' Himalaya.

5. Une expédition australienne dirigée par Peter C. Bryne est annoncée pour l' hiver 1956/57. Elle se rendra à Solo Khumbu afin d' y poursuivre les recherches sur le « Yeti », c'est-à-dire qu' elle se livrera à la chasse à l' homme des neiges ( cf. le n° 12 de la présente chronique ). C' est tout ce que l'on sait pour le moment.

6. La chronique himalayenne de l' an dernier ( voir Les Alpes 1956, p. 80 ), a déjà brièvement parlé de l' expédition féminine écossaise qui a opéré au printemps 1955 dans la région du Jugal Himal, au NE de Kathmandu. Entre temps a paru le livre de Mrs. Monica Jackson et Elizabeth Stark, Tents in the Clouds ( Collins, London ), écrit allègrement et joliment illustré. Peut-être con-vient-il de rappeler ici avec W. Tilman qu' il ne faut pas exagérer l'«Human Interest » et que les montagnes en général sont plus belles que les hommes qui rampent sur leurs flancs.

7. Dès 1952, les Japonais avaient fait une reconnaissance au puissant Manaslu, 8125 m. La première attaque, en 1953, les amena jusqu' à 7750 m. Ils revinrent à la charge en 1954, mais déjà pendant la marche d' approche par la vallée de Buri Gandaki, ils furent en butte à l' hostilité des habitants, qui voyaient dans l' entreprise une insulte à la divinité. L' expédition dut faire demi-tour. La montagne fut laissée en repos en 1955, tandis que se poursuivait l' inévitable préparation diplomatique à son sujet. L' année 1956 apporta la décision. Sous la direction de Yuko Maki, l' alpiniste chevronné qui a accompli en 1921, avec les guides Fritz Amatter, Fritz Steuri et Samuel Brawand, de Grindelwald, la première ascension de l' arête du Mittellegi à l' Eiger, les Japonais essayèrent une nouvelle route. Jusqu' alors, toutes les tentatives s' étaient faites sur le flanc NE, à partir du village de Sama, par le glacier de Manaslu, le col Naiké, 5600 m, la selle N, 7100 m, et le plateau glaciaire supérieur, itinéraire qui ne présente pas de difficultés majeures, mais ex- trêmement long et nécessitant l' installation de neuf camps. Cette fois l' assaut définitif fut lancé sur le versant sud, et l'on s' en tira avec six camps seulement. Le sommet fut atteint tout d' abord le 9 mai par Imanishi et le sherpa Gyalzen ( n° 57 du rôle des sherpas de l' H. C ). Deux jours plus tard, le 11 mai, Kato et Higeta touchaient à leur tour le point culminant. Le sommet est formé de quatre clochetons; le plus élevé est si aigu qu' un seul homme peut s' y tenir.

D' après les dernières mensurations, le Manaslu a exactement la même altitude que le Nanga Parbat, soit 8125 m. Ces deux cimes occupent les 8e et 9e rangs dans la liste des montagnes du globe. Les Japonais ont fait preuve dans cette conquête d' une ténacité vraiment admirable. On attend avec impatience le récit complet et les photos de leur expédition victorieuse de 1956.

8. Le Dhaulagiri, 8222 m, est la plus élevée des montagnes du monde encore vierges; depuis quatre ans il résiste aux plus durs assauts: expédition suisse de l' AACZ en 1953; en 1954, première expédition argentine, qui parvint à 7950 m, et que le mauvais temps seul priva de la victoire. En 1955 s' intercale une expédition germano-suisse dite « expédition végétarienne » à l' Hima. Enfin, 1956 a vu la 2e expédition argentine, dirigée par le colonel E. Huerta. On ne sait pas grand' chose de cette entreprise, sinon que deux assauts, les 15 et 25 mai, échouèrent. Si les informations données par la presse sont exactes, on n' aurait pas dépassé 7200 m.

On dit qu' une expédition franco-suisse est en gestation pour 1957. En cas d' échec de celle-ci, les Argentins pourraient revenir à la charge pour la troisième fois. Le Dhaulagiri est une montagne difficile et dangereuse; toutefois son heure viendra aussi, peut-être même bientôt.

Rien de nouveau à signaler au Dhaulagiri Himal, formidable muraille couronnée de six sommets dépassant les 7000 m ( voir Les Alpes 1956, p. 82 ).

Toni Hagen est au travail depuis l' automne 1956 dans le Népal occidental.

9. Au Garhwal, le Trisul, 7120 m, a été gravi de nouveau deux fois, par K. Bunshah de Bombay, avec Gyalzen Minchung ( n° 163 de l' H. C ), et par les Allemands F. et A. Hieber avec deux sherpas. Le sommet du Trisul fut atteint en 1907 déjà par T. G. Longstaff avec les guides A. et H. Brocherel de Courmayeur et Kharbir. C' est une belle montagne d' abord aisée au sud de la Nanda Devi. Elle passe pour être le plus facile des « 7000 » et a été gravie plusieurs fois.

10. La chronique himalayenne de 1955 a déjà mentionné que Peter Aufschnaiter et George Hampson ont fait une excursion dans le massif du Ronti, au sud de la gorge de la Rishi Ganga ( région de la Nanda Devi ). On a appris par la suite qu' ils ont fait la première ascension du Ronti, 6064 m.

11. Les expéditions féminines semblent venir à la mode. En mai et juin 1956 l' expédition Abinger comprenant quatre membres du Ladies Alpine Club de Londres sous la conduite de Mrs.Joyce Dunsheath, était à l' œuvre dans la région du Kulu oriental. De Manali, elles ont passé dans la vallée de la Chandra par le col Hampta pour installer un camp de base sur le glacier de Bara Shigri; de là elles ont gravi six sommets de 5800 à 6200 m. Elles s' étaient mises sous la garde éprouvée du vieux et fidèle Ang Tsering III ( Pansy, n° 51 de l' H ) et de trois autres sherpas.

12. Dans cette même vallée de Chandra débouche aussi le glacier de Kulti, au sud du Lahul, où la Royal Air Force Mountaineering Association a fait en 1955 une expédition sous la direction du capt. M. Smyth ( voir Les Alpes, 1956, p. 83 ). U Alpine Journal ( n° 293, novembre 1956 ) a publié récemment une très intéressante relation de cette campagne par le chef d' escadrille L. W. Davies. J' en traduis ici quelques passages:

... « Un peu plus haut dans la vallée nous rencontrâmes trois larges empreintes de pas sur la lisière d' un des îlots de neige séparant les bras du torrent glaciaire à notre droite. C' était indubitablement la trace d' un animal qui était sorti du courant rapide et glacial pour prendre pied sur l' îlot. Nous essayâmes de passer la rivière, mais le flot était trop froid et trop profond. Nous cherchâmes alors l' endroit où la bête était entrée dans l' eau, et nous retrouvâmes sa trace à une centaine de mètres en amont. Nous remontâmes cette piste sur le flanc ouest de la vallée, d' où la bête était venue, parallèlement aux traces, mais sans les toucher. L' animal était descendu la pente rapide, marchant debout sur ses pattes postérieures, se laissant glisser sur son train arrière aux* endroits trop raides.Un examen attentif montra qu' il avait utilisé ses poings, soit pour freiner, soit pour aider la descente. La distance entre le poing droit et le gauche mesurait environ 3 yards ( 2,75 m ). Nous remontâmes le long de la rivière jusqu' à un pont de neige, puis revînmes sur nos pas par la rive opposée jusqu' aux traces premièrement aperçues. L' eau, à cet endroit, était profonde de 1,50 m, le courant avait miné la berge, et cependant nous ne pûmes découvrir aucune empreinte de mains ou de pattes antérieures. Quelle que soit la créature qui avait passé là, elle devait être d' une taille extraordinaire pour avoir pu sortir de l' eau profonde en portant le pied directement sur la lisière de l' îlot.

« Tout comme ses camarades ladakhis, notre sirdar Nawa Ram avait jusque-là raillé les précautions « anti-yéti » prises par nos sherpas. Mais à partir de ce moment son attitude changea du tout au tout: « Zarur sahib, s' exclama, y eh bah nay hai » ( ce n' est certainement pas un ours ). La veille, il m' avait accompagné, portant mes caméras, 300 m en amont. Nous pûmes constater que nos propres empreintes ne s' étaient élargies que d' Vs de pouce ( 3 millimètres ) sur leur pour tour. L' hypothèse que les prétendues empreintes du « yèti » ne sont que des pas d' ours agrandis par la fonte devait dans le cas présent être éliminée. Au surplus, étant donné que nous avions quitté ces lieux, la veille, vers 15 h. 30, nous savions que la créature avait traversé la vallée entre ce moment-là ( 11 juin ) et le début de la matinée du 12 juin. L' examen attentif des empreintes indiquait qu' elle était sortie de l' eau alors que la neige était durcie par le gel, c'est-à-dire durant la nuit ou très tôt le matin.

« Au cours des six voyages que j' ai faits dans l' Himalaya, j' ai souvent vu des ours noirs ou rouges et observé leurs traces, mais ces empreintes de la vallée de Kulti étaient très différentes. Chaque « pas » avait cinq larges orteils, le gros orteil étant particulièrement proéminent dans quelques empreintes. Celles-ci mesuraient en moyenne 12 pouces ( 305 mm ) de longueur sur 8 ( 203 mm ) de large. En certains endroits, elles étaient profondes de 28 centimètres, là où moi-même, avec mes 89 kg, n' enfonçais que de 4 cm à peine dans la neige ramollie par le soleil de midi. Des empreintes si profondes dans la neige durcie dénotent un poids très lourd.

« Pendant des heures, nous suivîmes ces traces qui se prolongeaient sur près d' un kilomètre, fort embarrassés par les îlots de neige et les bras de la rivière. La bête avait traversé au moins cinq de ces chenals avant que ses traces aillent se perdre sur les pentes rocheuses du flanc est de la vallée. Nulle part elle n' avait marché à quatre pattes; la longueur de ses pas était presque le double des miens. Finalement nous abandonnâmes cette chasse et revînmes au camp. Nos sherpas étaient très persuadés que c' étaient là les traces d' un ,yéti

« Swami Pranavananda a récemment publié un intéressant article ( voir Les Alpes, octobre 1955 ) dans le but évident de mettre fin à la légende de F,homme des neiges '. Malheureusement, il ne peut prétendre avoir jamais lui-même rencontré et observé ses traces. Son information n' est que de seconde main. Des Tibétains lui ont assuré que des empreintes attribuées d' abord au yéti' étaient en réalité celles d' un ours rouge ( nous dirions plutôt brun ). Ce n' est là, il va sans dire, qu' un témoignage fallacieux.

« Ce qui est très significatif, c' est que chaque fois qu' on a annoncé la découverte d' une nouvelle espèce animale, il y a toujours eu des savants spécialistes pour affirmer qu' une telle créature ne pouvait exister. Il y a juste 100 ans que l' explorateur franco-américain Paul Belloni du Chaillu tira le premier gorille abattu par un Blanc. Or, pendant plus de 2000 ans, l' Europe avait tenu le gorille pour une pure légende, un peu comme le serpent de mer ou les dragons' du moyen âge. Lorsque Chaillu, à son retour en Europe, donna la description de ce redoutable singe, elle fut accueillie par des tempêtes de rires. Il fallut encore plusieurs années pour que l' Europe admette l' existence du gorille. Il en fut de même plus tard du Panda Géant, du Coelacanthus et de l' Okapi, la girafe des forêts primitives. Les savants ont longtemps et obstinément nié l' existence de ces animaux.

« Les sceptiques demanderont pourquoi les rencontres avec le yeti' ont été si rares, et pourquoi seuls des indigènes l' ont aperçu. On pourrait leur répondre par une contre-question: Combien de personnes, dans cette île étroite et surpeuplée qu' est la Grande-Bretagne - ou en Suisse -combien ont jamais vu un blaireau en liberté? Dans les vastes solitudes inexplorées de l' Hima, les animaux ont toute possibilité d' observer sans être vus. Le fait que la plupart des renseignements sur le yéti' proviennent des indigènes est dû incontestablement à ceci: que justement ces gens habitent le pays, et ont plus d' occasions de voir un yéti' que la poignée d' Européens qui y viennent pour gravir des sommets, et encore généralement dans la saison chaude, lorsque la limite des neiges est haute et la nourriture est abondante. A ce propos, il est intéressant de noter qu' en 1955 la limite des neiges était exceptionnellement basse, à tel point que nous avons dû abandonner le district que nous avions l' intention d' explorer, la chaîne du Shigri qui marque la ligne de partage des eaux, et nous rabattre sur le Kulti Himal.

« Wladimir Tschernezky, qui fut peut-être le premier à faire une étude scientifique du concept ,yéti ', a compare cette mystérieuse créature au Gigantopithecus actuellement disparu. Selon lui, ce pourrait bien être un homme-singe plutôt qu' un singe-homme Il pense que la terreur que le yéti' inspire aux indigènes, particulièrement aux sherpas, est due à ses instincts pillards et son intelligence, qui ne le cède qu' à celle de l' homme Tschernezky nous a confirmé que les empreintes que nous avons rencontrées présentent une très grande analogie avec les documents et photographies authentiques que nous possédons déjà... » Tel est le témoignage de L. W. Davies, courageux officier d' aviation qui ne craint pas d' affronter le ridicule. Deux bonnes photos, très significatives, illustrent son exposé. Personnellement, j' ai toujours pensé que la question de l' homme des neiges ne sera pas résolue par le cri de guerre « A l' ours! », ou par quelques remarques ironiques. ( Cf. également Ralph Izzard, The Abominable Snowman Adventure, London, Hodder and Stoughton 1955. ) 13. L' année 1955 a vu également l' expédition Hamish McArthur dans le Lahul central. La relation publiée par Y Alpine Journal ( n° 293, p. 279-295 ) montre que cette équipe ne se borna pas à faire des ascensions, mais qu' elle a accompli un gros travail de topographie. De belles photos, des panoramas remarquablement dessinés, un croquis très précis de l' ossature du massif, avec une bibliographie de 55 numéros, contribuent grandement à la connaissance de cette région fort négligée jusqu' ici, dont les sommets cotent de 5800 à 6200 m. A l' échelle de l' Himalaya, ce sont donc des montagnes relativement modestes, de caractère simplement alpin et non super-alpin, néanmoins très pittoresques et attrayantes, la plupart encore peu connues, qui peuvent offrir un beau champ d' activité à de petites expéditions disposant de peu de temps et de moyens.

14. Les mêmes remarques peuvent s' appliquer à la région voisine du Spiti, riche en fossiles et particulièrement intéressante au point de vue géologique. L' expédition de l' Université de Cambridge y fut en 1955 ( voir Alpine Journal, n° 293, p. 296-309 ). Elle a enregistré l' ascension de deux modestes « 6000 » et de nombreuses traversées de cols.

Le groupe du Sasir Kangri, 7672 m, dans la grande boucle du fleuve Shayok, constitue l' aile sud-est du Karakorum. Ce massif d' approche difficile fut l' objectif de la première expédition du couple Visser-Hooft en 1922. Après un long intervalle, une expédition britannique conduite par M. Roberts s' en fut en 1946 tenter sa chance, mais les résultats furent si minces que tous les candidats au Karakorum se désistèrent. Comme le Sasir Kangri se trouve dans la partie indienne du Cachemire, il présentait un intérêt particulier pour l' Himalayan Mountaineering Institute de Darjiling. Une nouvelle tentative fut faite en 1956 sous la conduite du montagnard expérimenté qu' est le major D. Jayal, mais sans plus de succès. On manque encore de détails sur cette campagne, cependant on a annoncé que Jayal aurait déclaré cette sommité inaccessible. Bien que n' atteignant pas les 8000, c' est certainement un dur morceau.

16. Un des plus fiers sommets du Karakorum est la Tour de Muztagh, 7273 m, sur la rive nord du grand glacier de Baltoro. Pour tous ceux qui ont contemplé avec un sentiment d' admiration et de stupeur la célèbre photo rapportée par Vittorio Sella en 1909, cette cime était comme le symbole de l' inaccessible. Pourtant, dès 1939, j' avais écrit dans mon ouvrage Baltoro ( Bâle, p. 66-67 ): « Quand on la regarde du glacier supérieur de Baltoro, l' idée seule d' une ascension semble inconcevable. Mais à la considérer de plus près, sous un autre angle, il y a, à mon avis, une chance. Les parois, il est vrai, ne laissent aucun espoir: l' arête SE, qui porte le ,Black Tooth ', n' est guère encourageante; mais l' arête ouest - ou, plus exactement W. NW - est peut-être possible. Il faudrait chercher à atteindre, à partir du glacier de Chagaran, la selle au pied de l' arête W. » C' est précisément par cette route que j' avais alors proposée, que la Tour de Muztagh a été gravie l' an dernier par une équipe britannique sous la conduite de J. Hartog, et même deux cordées, à un jour d' intervalle, ont atteint le sommet le 6 juillet 1956 J. Hartog et Tom Patey; le 7 J. Brown et I. McNaugh-Davis. Du dernier camp, placé à 6400 m, ils suivirent l' arête ouest. Les deux cordées durent bivouaquer à la descente, ce qui valut à Hartog de graves gelures ( voir Alpine Journal, n° 293 ).

17. Si incroyable que cela paraisse, la Tour de Muztagh fut de nouveau escaladée quelques jours plus tard par une expédition française qui força une voie par l' arête SE, encore plus difficile que l' arête W. Le chef était Guido Magnone, dont le nom est lié à ceux des Drus ( face ouest ), du Fitz Roy, du Makalu et de maintes autres cimes farouches parmi les plus difficiles. Les autres membres de l' équipe étaient André Contamine, Paul Keller, Robert Paragot et le médecin François Florence. Leur officier de liaison était le capt. Ali Usman.

Le 31 mai ils étaient à Askolé, dernier hameau de la vallée. Le 2 juin, à Bardumal ( Bagdomal ), un formidable éboulement faillit anéantir tout le camp. Urdokas fut atteint le 5 juin. C' est là que Magnone apprit qu' une expédition britannique, la meilleure équipe qu' on pût mettre sur pied, se trouvait dans la région et visait bien la Tour de Muztagh; elle avait une avance considérable. Depuis quinze jours les Anglais, montés par les glaciers du Muztagh et de Chagaran, menaient l' attaque à l' arête ouest; ils étaient déjà parvenus assez haut. La situation, pour les Français, était délicate: Pas question de prendre la même voie que les Britanniques; il ne faut les gêner en aucune manière. En outre, ils sont déjà si haut que de toutes façons ils arriveront vraisemblablement au sommet les premiers. Les Français ne feraient-ils pas mieux de choisir un autre objectif parmi les cimes du Haut Baltoro? A cela on n' était pas préparé; il n' y aurait pas eu assez de vivres pour les porteurs. Et puis, n' était pas équipé pour examiner les problèmes d' ascensions techniquement difficiles? Il fut donc décidé d' aller reconnaître les autres faces de la Tour et voir s' il n' y aurait pas sur l' arête nord, ou peut-être dans la paroi sud, une voie possible.

Le mauvais temps et une grève des porteurs - combien d' expéditions ont eu de graves ennuis avec les Baltisretardèrent l' expédition de quelques jours; ce n' est que le 12 juin que le camp de base put être installé, à environ 4500 m, sur le glacier Younghusband médian ( appelé aussi glacier Biange ), au point de jonction des branches E et W du glacier, soit au pied de l' arête SE du Black Tooth, 6179 m, et que les reconnaissances purent commencer.

Une première excursion les conduisit par la branche orientale du glacier au point le plus bas ( 5600 m environ ) entre le Mont Steste et la Tour de Muztagh, donc au pied de sa prétendue arête nord. Quelle désillusion! Il n' y a pas d' arête nord, mais une immense paroi d' au moins 1600 m de hauteur, effroyablement raide, balayée par les avalanches de glace. Tenter une voie de ce côté serait un pur suicide. Alors, retour au camp de base.

Le 17 juin, on réussit à forcer le passage de la chute de séracs de 900 m qui forme la branche ouest du glacier, donc au sud du Black Tooth. Sans tarder, on tendit à travers la zone inférieure des séracs un câble actionné par un treuil fixé sur un éperon rocheux dominant le glacier, puis... il ne cessa de neiger pendant dix jours. Tout ce qu' on put entreprendre fut une visite aux concurrents anglais sur l' autre versant de la montagne. Une franche explication de vive voix dissipa tous les malentendus: Anglais et Français se séparèrent en bons camarades.

Le temps finit par s' améliorer; toutes les forces se mirent au travail, les porteurs hunzas eux-mêmes faisant de leur mieux. Fin juin le camp I était installé à 5100 m, le 2 juillet le camp II à 5400. Le camp III dut être placé sur un éperon rocheux au pied du Black Tooth. Le parcours entre le camp II et le camp III était extrêmement mauvais, aussi difficile, malgré 400 m de cordes fixes, que la paroi nord des Courtes, et menace sur la gauche par des avalanches de glace. Toutefois le plus scabreux fut la Grande Barrière au-dessus du camp III, constituée par un ressaut rocheux vertical dominé par une falaise de séracs de 200 m. La seule possibilité de surmonter l' obstacle se trouvait à l' extrême droite, un goulet de glace effroyablement raide. Il fallut plusieurs jours de besogne acharnée et 300 m de cordes fixes pour en venir à bout; le 6 juillet seulement l' équipe put prendre pied sur un petit plateau incliné au-dessus de la paroi de glace.

Le Dr Florence, médecin de l' expédition, et les deux meilleurs porteurs hunzas, Aminula et Gerikhan, qui étaient montés jusque-là portant vaillamment leurs charges, redescendent, laissant les quatre hommes de l' équipe d' assaut piétiner et tasser la neige profonde, à gestes lents, sous le soleil accablant, pour y placer la tente du camp IV ( 6300 m ). Au-dessus d' eux, la Tour les domine encore de 1000 m, d' une raideur telle qu' elle fait hocher la tête aux plus optimistes. La seule voie pouvant offrir quelque chance est l' arête SE.

Le 7 juillet, R. Parangot aperçut tout à coup deux petits points noirs se détachant dans le ciel sur la crête terminale: les Britanniques arrivaient au sommet C' était prévu; les Français ne se laissèrent pas décourager. En avant!

L' accès à l' arête SE s' avéra extrêmement difficile. Les deux premières longueurs de corde au-dessus de la rimaye - le 7 juillet - coûtèrent des heures d' efforts. Il fallut deux jours pour gravir 250 m. Six heures de cramponnage à la limite de l' équilibre, des dalles verglacées surmontées à l' aide de pitons, pour déboucher enfin dans une échancrure de l' arête. C' est là certainement une des plus dures escalades qu' on ait faites jusqu' ici dans l' Himalaya et cette altitude.

A midi, le soleil disparut derrière un écran d' épaisses nuées. Sur l' arête, les brèches profondes se succédaient, qui rendaient l' avance si lente qu' à 16 heures ils n' avaient franchi qu' une centaine de mètres en distance horizontale. Et voilà qu' il se met à neiger... retour obligé au camp IV. Tout ce qui leur restait de cordes disponibles fut fixé à la descente de la paroi.

Deux jours durant, ils sont immobilisés dans la tente par le mauvais temps. Le soir du 10 juillet le ciel s' éclaircit enfin, et le 11 au matin ils repartent à l' attaque. Grâce aux cordes fixes, l' arête

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est atteinte rapidement. Mais dès qu' ils doivent ouvrir une nouvelle trace, ils enfoncent jusqu' à mi-cuisse. Des tours abruptes barrent le chemin, qu' il faut tourner par la gauche sur des dalles raides et verglacées, ou par la droite sur des corniches de neige pourrie surplombant le glacier Younghusband. A 16 heures, ils sont au pied de la troisième et dernière tour, au delà de laquelle apparaît le sommet - à portée de la main semble-t-il - alors qu' en fait ils n' ont pas encorepassé l' altitude de 6900 m. Il s' agit de chercher une place de bivouac pendant qu' il en est temps: deux étroites banquettes, où il faut s' assurer au moyen de pitons. La vue sur la couronne de cimes qui les entoure, du K 2 à l' arrogant Masherbrum, en passant par le Broad Peak, les Gasherbrums et le Hidden Peak, est unique; mais la nuit sera cruellement glaciale et douloureuse.

L' aube du 12 juillet se lève dans un ciel où rampent des traînées de cirrus: il faut se hâter. Mais au delà de la grosse tour, la neige est sans consistance; aucun des membres de la cordée ne peut assurer solidement. La trace devient une vraie tranchée; le premier patauge péniblement pendant 30, au maximum 40 pas, puis, sans un mot, tire de côté pour laisser place au suivant Enfin, à 13 heures... le sommet, si étroit qu' on peut à peine s' y tenir debout. Us n' y restent que quelques instants, car, depuis une demi-heure, il a recommence à neiger.

La descente est une course contre la nuit; mais c' est en vain. L' obscurité est complète lorsqu' ils arrivent à la brèche. Un rappel de 50 m pour atteindre les cordes fixes où ils dévalent à tâtons. Au-dessous de la rimaye, ils sont accueillis par le Dr Florence, ému aux larmes. Enfin... le camp IV.

Lorsque le 19 juillet ils regagnèrent le glacier de Baltoro, ils furent salués par le Dr Patey, médecin de l' expédition britannique, venu solliciter l' aide de son collègue français pour donner des soins à Hartog, chef de l' équipe anglaise, qui souffrait de graves gelures aux pieds. Les Anglais attendaient depuis quelques jours à Urdokas. Dans ce site magnifique, qui a joué un grand rôle dans toutes les entreprises au Baltoro, les membres des deux expéditions concurrentes passèrent ensemble de bons moments dans une parfaite cordialité et fêtèrent par un joyeux banquet le double succès de l' ascension de l' une des plus belles et des plus difficiles sommités de l' Himalaya.

CVoir le récit de Guido Magnone dans La Montagne, octobre 1956, p. 261-270. ) 18. Dans mon livre Baltoro ( 1939 ), j' avais chaudement recommandé une tentative au Gasherbrum II, 8035 m. Je suis revenu à la charge dans Der dritte Pol ( 1952 ): « Le Gasherbrum II n' est pas facile, mais probablement possible et relativement sûr. Si j' avais eu dans l' expédition internationale de 1934 de bons porteurs d' altitude, je l' aurais sérieusement entrepris. » L' Oesterreichische Himalaya-Gesellschaft de Vienne prit cela à cœur et mit sur pied, en 1956, une expédition au Baltoro dont cette ascension était le but principal. Outre le chef Fritz Morawec, l' équipe comprenait cinq alpinistes et deux « scientifiques »: Sepp Larch, Hans Ratay ( photographe ), Richard Reinagl, Heinrich Roiss et Hans Willenpart. Comme médecin le Dr Georg Weiler et Erich Traugott Gattinger comme géologue. Sur la base des expériences faites dans un camp d' entraînement, on choisit le système d' alimentation dit « Reform-Ernährung », ce qui réduisit sensiblement le poids des bagages.

L' accueil au Pakistan fut des plus cordiaux; toutefois les Autrichiens, malgré toute la bonne volonté des autorités, durent attendre neuf jours à Rawalpindi que les conditions météorologiques permissent le transport aérien de l' équipe et de ses bagages, car le vol jusqu' à Skardu, dans un paysage unique en son genre, le long de l' étroite vallée de l' Indus et au voisinage du Nanga Parbat, passe pour être la route aérienne la plus dangereuse et ne peut être tenté que lorsque la visibilité est parfaite. C' est pourquoi Skardu, la capitale du Baltistan, ne fut atteinte que le 27 avril.

A la demande de l' officier de liaison, capt. Quain Ali Shah, il fallut refaire toutes les charges pour les réduire à 27 kg. Les tarifs des porteurs ont fortement augmenté aussi au Pakistan. Dans les régions habitées, un porteur ordinaire reçoit 3 roupies ( 2 fr. 70 ) par jour, à charge de pourvoir lui-même à son entretien. Au-dessus d' Askolé, 3050 m, le salaire journalier monte à 4 roupies ( 3 fr. 60 ), et la nourriture est fournie par l' expédition. De Skardu à Askolé les Autrichiens utilisèrent 168 coulies et de là 263 hommes, à cause des vivres supplémentaires. A Païju, dernière oasis avant le glacier de Baltoro, les porteurs réclamèrent les souliers que le règlement ordonne de mettre à leur disposition. On en avait apporté 250 paires, malheureusement de forme normale, c'est-à-dire européenne. J' ai déjà souvent attire l' attention sur ce point, que pour les porteurs himalayens il faut principalement des pointures 42-44 ( quelques paires seulement de 41 et 45 ), mais très larges. On l' oublie presque toujours, ce qui ne manque pas de créer de grosses difficultés. On fut oblige de fendre la cape rigide des souliers, afin que les pauvres types puissent y introduire leurs pieds de forme naturelle, c'est-à-dire très larges, non défigurés par des chaussures européennes. Il y eut naturellement beaucoup de pieds blessés, et le médecin de l' expédition passait des heures à panser les écorchures et les ampoules.

A Urdokas, 4057 m, il y eut la grève habituelle des porteurs, qui n' a été épargnée à aucune expédition dans le Baltoro; mais l' énergique intervention de l' officier de liaison remit bientôt les choses en ordre. Toutefois 68 charges durent être laissées à Urdokas, sous la garde du second assistant pakistanais, l' étudiant Hayat Ali Shah. Le gros de la troupe monta en trois étapes à la célèbre Place de la Concorde, où elle subit une tempête de neige. Alors il ne fut plus possible de retenir les porteurs; la plupart abandonnèrent pour rentrer dans leur village. Après de longues discussions, 68 hommes seulement acceptèrent de transporter les colis du dépôt d' Urdokas à Concordia.

Pendant ce temps les Autrichiens, aides de onze porteurs d' altitude baltis ( les tigres baltis ), transportaient les charges jusqu' à l' endroit où mon expédition de 1934 ( E.I.H .) avait eu son camp principal ( IV ), soit au pied sud du Gasherbrum VI, 7190 m, à l' angle de la vallée où le glacier des Abruzzes devient glacier de Baltoro proprement dit. Pour les Autrichiens, ce n' était qu' un camp intermédiaire; ils devaient placer leur camp de base plus haut, là où le glacier de Gasherbrum sud rejoint le glacier des Abruzzes, à peu près à l' endroit de la moraine où, en 1934, nous avions établi notre camp V a, à 5250 m. La première escouade y parvint le 25 mai.

Après une période d' acclimatation de dix jours, on reconnut une route à travers les innombrables crevasses de la partie inférieure du glacier de Gasherbrum sud, jusqu' au pied du Gasherbrum II. De la partie supérieure de ce glacier deux nervures s' élèvent vers la grande terrasse de névé du Gasherbrum II. J' avais préconisé l' éperon de droite ( SE ) en grande partie rocheux, parce que tout à fait à l' abri des avalanches. Les Autrichiens toutefois se décidèrent pour l' éperon sud-ouest, probablement un peu plus facile, et installèrent à son pied, à 6000 m environ, leur camp d' altitude n° I. Les premières charges y furent déposées le 11 juin; les 13, 15 et 17 juin la navette des porteurs était en plein mouvement. Ensuite, le mauvais temps, avec de fortes chutes de neige, retint les alpinistes au camp de base pendant dix jours.

Le 30 juin seulement ils purent remonter à leur camp d' altitude I et constatèrent, à leur extrême consternation, qu' entre temps une avalanche gigantesque avait emporté presque tout le matériel déposé là. Ils avaient cru le site tout à fait à l' abri des avalanches: plateau glaciaire horizontal dominé par des pentes étagées en terrasses. Mais les grosses avalanches de l' Himalaya s' avancent très loin, même sur un terrain plat. Il suffit de rappeler ici la catastrophe de 1937 au Nanga Parbat, qui fit 16 morts. Cette fois, heureusement, le camp n' étant pas occupé, il n' y eut pas de victime, mais une grande partie du précieux matériel et des approvisionnements gisait sous une couche de neige de cinq à dix mètres. Pendant deux jours on creusa des tranchées et des puits pour tâcher de récupérer au moins une partie de ces choses irremplaçables: tentes, cordes, pitons, vivres, etc.; peine perdue. Que faire? Si Pon ne voulait pas s' avouer battu, il fallait modifier tout le programme et accepter les risques d' une campagne-éclair.

Le 2 juillet, Ratay et Roiss aménagent le passage sur l' arête de glace entre le camp I et le camp II, 6700 m, au prix d' un gros travail de taille et pose de cordes fixes. Le 3, Larch et Reinagl montent à leur tour au camp II et le lendemain ouvrent la route sur des bosses de glace jusqu' à une épaule de l' arête où fut place le camp III, 7150 m. La montée à ce point fut une dure épreuve pour les quatre porteurs d' altitude qui y furent installés le 6 juillet, mais ces « tigres » baltis, bien assurés, il est vrai, par leurs sahibs, se comportèrent vaillamment et hissèrent leurs charges jusqu' à l' épaule. Ils étaient toutefois très abattus.

Au-dessus se dressait une pente de glace très raide recouverte de neige poudreuse. Pour pouvoir y utiliser les porteurs, un travail d' aménagement de plusieurs jours eut été nécessaire; on n' en avait pas le temps. Les grimpeurs durent donc, à partir de ce point, transporter eux-mêmes leur matériel, ce qui impliquait la suppression du camp IV prévu à l' origine. L' assaut final devra être tenté en partant d' un haut bivouac.

Dans l' après du 6 juillet, tandis que Reinagl assurait la descente des porteurs, Morawec, Larch et Willenpart, lourdement charges, entamaient la montée. La neige folle qui recouvrait la glace rendait tout assurage illusoire, aussi avançaient-ils non encordés, afin de ne pas se gêner réciproquement. A 20 h. 30 ils étaient au pied de la pyramide finale, 7500 m environ, et ils s' ins pour la nuit sous un rocher. Chacun se glissa dans son sac de couchage en « dralon »; ils disposaient en outre d' un sac de bivouac commun. La nuit fut horriblement froide; Larch eut de légères gelures aux orteils, Morawec au mains.

Enfin le jour parut. Du lait chaud et un peu de pain de germes de blé devait être leur unique repas de la journée. Une traversée en écharpe sous la paroi SE du Gasherbrum II fut très pénible. Il était près de 9 heures quand ils atteignirent une petite échancrure de l' arête est, 7700 m environ. C' est la chaîne faîtière entre le Baltoro et le Shaksgam, et la ligne de partage des eaux entre l' Indus et le Tarim, l' Océan indien et les bassins fermés de l' Asie centrale.

Encore 335 m jusqu' au sommet Sur les pentes très inclinées, le soleil matinal avait déjà ramolli la neige; ouvrir la trace était terriblement fatigant. Quelques pas, et il fallait s' arrêter pour reprendre son souffle. Ce n' est qu' en bandant leur volonté à l' extrême qu' ils s' élevaient mètre après mètre. Le dernier obstacle était un ressaut rocheux, puis, le 7 juillet, à 13 h. 30, ils foulèrent le sommet du Gasherbrum II, 8035 m, forme d' une étroite plateforme neigeuse couronnée de deux petites dents de rocher à peine de la hauteur d' un homme Ils s' affalèrent épuisés sur la neige.

Ce n' est qu' au bout d' un certain temps qu' ils furent en état d' accomplir les rites obligés du culte des sommets: photographie du piolet avec les fanions autrichiens et pakistanais, construction d' un cairn, inscription des noms et dates qui furent places dans une boîte à film vide, médaille de la Vierge, etc. Il faisait si chaud qu' ils purent rester une heure au sommet et même enlever l' anorak. Le temps était splendide; la vue claire jusqu' aux plus lointains horizons.

La descente fut rapide et sans histoire. Bien qu' il se soit remis à neiger vers le soir, à 19 h. 30 ils étaient de retour au camp III, 7150 m. Le 8 juillet, au camp II, ils furent accueillis avec effusion et bruyamment fêtes par les porteurs. Il est très réjouissant de constater qu' il y a maintenant, à part les célèbres sherpas et aussi quelques vraiment bons Hunzas, des hommes parmi les Baltis qui montrent des qualités de vrais alpinistes et promettent de devenir des « tigres ».

Le Gasherbrum II est le troisième « 8000 » que les Autrichiens inscrivent à leur tableau: Nanga Parbat, Cho Oyu, Gasherbrum. Ces magnifiques succès, il faut l' espérer, consoleront la Société autrichienne de l' Himalaya d' une assez amère désillusion éprouvée d' autre part.

Douze jours après la conquête du Gasherbrum II, soit le 19 juillet 1956, trois des participants à l' expédition autrichienne à l' Himalaya 1956 - Hans Ratay, Heinrich Roiss et le Dr Georg Weiler -faisaient encore la deuxième ascension du sommet ouest du Sia Kangri, environ 7315 m. La première ascension de cette montagne avait été accomplie le 3 août 1934 par quatre membres de l' expédition internationale himalayenne 1934: Hans Erti, Albert Höcht, Mme Hettie Dyhrenfurth et G.O. Dyhrenfurth. Cette course décrite dans deux livres ( voir ci-dessous ), souvent mentionnée dans la littérature alpine, est bien connue. Elle avait en son temps établi le record d' altitude de l' alpinisme féminin. J' aimerais pouvoir - après 22 ans - féliciter cordialement nos successeurs de leur réussite, mais... ils ont malheureusement cru avoir gravi un sommet de 7729 m tout à fait inconnu qu' ils ont baptisé « Austria Peak ». Ils ont publié dans l' Oesterreichische Touristen-Zeitung de janvier 1957 un article contenant de nombreuses erreurs de tous genres, et qui exige rectification:

1° Comment cette cote de 7729 m, qui prend un air de précision exacte, a-t-elle été obtenue? En exprimant en mètres - et encore le calcul n' est pas tout à fait juste - le chiffre de 25 350 pieds. Or la cote qui depuis 1917 figure sur toutes les cartes du Karakorum est de 24 350 pieds, soit 7422 m, qui est justement l' altitude du « Queen Mary Peak », lequel, depuis 1937, s' appelle officiellement Sia Kangri.

2° La cote 7422 m a été fixée trigonométriquement par le topographe C. Grant Peterkin ( Expédition Bullock-Workman 1912 ) et se rapporte vraisemblablement au point culminant du groupe du Sia Kangri qui a quatre sommets Par souci d' exactitude, l' E. 1934 les a gravis les quatre. Le sommet ouest a bien 100 m de moins que le sommet principal, soit 7315 m. C' est ce point-là que les Autrichiens ont gravi lors de leur deuxième ascension.

3° II va sans dire qu' une montagne connue et gravie depuis des décennies, et laquelle la Conférence du Karakorum a officiellement conféré le nom de Sia Kangri, ne peut être tout à coup rebaptisée sans raison valable. Le nom d'« Austria Peak » doit donc disparaître au plus tôt, même si le chef de l' Etat Iskander Mirza, trompé par des suppositions erronées, a confirmé cette appellation.

4° Le large ensellement qui s' ouvre entre le Baltoro Kangri ( ancien « Golden Throne », 7312 m ) et le Sia Kangri est le Conway Saddle, 6300 m, bien connu depuis un demi-siècle, qui fut atteint et mesuré à nouveau par l' expédition italienne au Karakorum 1929 ( duc de Spoleto—Prof. A. Desio ). L' E. 1934 y eut même son camp de base supérieur, d' où elle a gravi tous les sommets du Sia Kangri et le sommet SE du Baltoro Kangri. Cela donc prête à rire lorsque trois touristes parfaitement ignorants de tout cela viennent affirmer avec aplomb qu' ils furent les premiers à atteindre ce col. Le nouveau nom de « Vienna-Sattel » qu' ils prétendent lui donner est absolument inadmissible. Au surplus, le Conway Saddle n' est pas entre le Baltoro et le Siachen, mais entre le Baltoro et le glacier de Kondus. C' est sur ce dernier que plonge le regard lorsqu' on est sur le col. Le glacier de Siachen est situé plus à l' est, comme il est indiqué sur toutes les cartes du Karakorum.

La seule chose nouvelle, c' est la voie suivie par les Autrichiens, qui n' est pas la nervure médiane relativement sûre parcourue par l' E en 1934. Ils sont montés plus à gauche dans le flanc abrupt de la montagne, en surmontant plusieurs bosses de glace, inaugurant par là une Variante dangereuse au sommet ouest du Sia Kangri. Tout en reconnaissant la valeur de cette performance, on ne peut que s' étonner de leur totale ignorance de la littérature correspondante.

Bibliographie: O. Dyhrenfurth, Dämon Himalaya. Benno Schwabe, Basel 1935. O. Dyhrenfurth, Baltoro. Benno Schwabe, Basel 1939. H. Roiss, Erste Besteigung des Austria Peak, 7729 m. Oesterr. Touristen-Zeitung, O. Jahrgang, Folge 1. Wien 1957.

Le Rakaposhi ( Queue du Dragon ), 7788 m, se dresse non loin de Gilgit, où il y a un aérodrome. Cette facilité d' accès explique pourquoi cette belle sommité, à la frontière du-pays Hunza, a été l' objet de si nombreuses tentatives, vaines jusqu' à ce jour. Aucun autre « 7000 » n' en a subi autant. En 1956, une expédition anglo-américaine sous la conduite du capt. M. E. B. Banks s' y attaqua de nouveau, mais ces quatre hommes ne dépassèrent pas les 7000 m. Le Rakaposhi n' est pas facile, et les conditions météorologiques semblent avoir été particulièrement mauvaises.

20. Le Muztagh Ata ( Père des Glaces ), 7433 m, est une coupole glaciaire dans la partie chinoise du Pamir. Techniquement, son ascension ne présente pas de difficultés. Après les stériles tentatives de Sven Hedin - qui n' était pas montagnard - en 1894, ce facile « 7000 » fut laissé longtemps en repos. Ce n' est qu' en 1947 que W. Tilman et E. Shipton s' en occupèrent. Ils parvinrent sur la calotte sommitale, mais ne purent aller jusqu' au point culminant, encore très éloigné horizontalement. Celui-ci fut atteint le 26 juillet 1956 par une grande expédition sino-soviétique sous la direction de M. Beletski. Cinq camps furent installés au cours de l' entreprise, le dernier à 7200 m environ.

18. Au nord du Muztagh Ata, également à la lisière orientale du Plateau du Pamir, se dresse le Kongur Débé, 7681 m, qui domine toutes les autres montagnes loin à la ronde. C' est une sommité imposante de caractère himalayen, pourvue d' un abondant système glaciaire, et qui semble être beaucoup plus difficile que son débonnaire voisin le Muztagh Ata. Elle a été gravie le 19 août 1956 par une équipe de six alpinistes russes et deux chinois, à l' aide de tous les moyens techniques de l' alpinisme moderne, y compris l' oxygène. On ne possède pas encore de récit circonstancié de cette expédition.

22. Nous avons déjà quitté les domaines de l' Himalaya et du Karakorum; jetons encore un coup d' oeil sur les plus hautes montagnes des territoires de l' URSS:

Pik Lenin ( ancien Pic Kaufmann ), 7134 m, dans le Transalaï; première ascension en 1928 par E. Allwein, E. Schneider et K. Wien; souvent visités depuis par les alpinistes soviétiques. Pas de difficultés notables.

Khan Tengri ( Prince des Esprits ), 6995 m, d' après les mesures les plus récentes ( n' appartient donc plus à la catégorie des « 7000 » ), dans le Tian Chan ( Monts Célestes ); première ascension en 1931 par T. Pogrebezki, F. Sauberer et B. Tjurin; gravi plusieurs fois depuis, nommément en 1936 par le Bâlois Lorenz Saladin.

Pik Stalin ( ancien Garmo ), 7495 m, dans l' Ala! Pamir; première ascension en 1933 par E. M. Abalakow. Souvent visité depuis.

Pik Korzhenewskaya, 7105 m, dans l' Ala! Pamir, à 15 km du Pik Stalin; accès difficile; n' a été gravi qu' en 1953.

Le point culminant des Monts Tian Chan et apparemment la deuxième montagne de l' URSS par rang d' altitude est le Pik Pobjeda ( Pic de la Victoire ), 7439 m, découvert et mesuré en 1943 seulement. Cette cime, pour nous Occidentaux quelque peu mystérieuse, est encore intacte; les tentatives faites jusqu' ici n' ont pas dépassé 7000 m.

Bibliographie: E. Beletski, Mountaineering in USSR. The Alpine Journal, n° 293 ( Nov. 1956, p. 310-329 ).

Considérons encore une fois la liste et l' état actuel des « 8000 ». Ont été gravis jusqu' à ce jour:

1. 1950: Annapurna I, 8078 m. Chef de l' expédition M. Herzog; équipe du sommet M. Herzog et L. Lachenal.

2. 1953: Mount Everest, 8848 m. Chef J. Hunt; équipe du sommet E. P. Hillary et Tenzing Norkay.

3.Nanga Parbat, 8125 m. Chef K. Herrligkoffer; H. Buhl a atteint le sommet en solitaire.

vv ' .;,. 4. 1954: K 2, 8611 m. Chef A. Desio; équipe du sommet A. Compagnoni et L. Lacedelli.

5.Cho Oyu, 8189 m. Chef H. Tichy; équipe du sommet H. Tichy, S. Jöchler et Pasang Dawa Lama.

6. 1955: Makalu, 8481 m. Chef J. Franco; équipes du sommet J. Couzy, J.Franco- G.Magnone-Gyalzen Norbu, P. Leroux et A. Vialatte.

7.Kangchenjunga, environ 8597 m. Chef Ch.Evans; équipes du sommet G.Band-J. Brown, N. Hardie-T. Streather.

8. 1956: Lhotsé, environ 8510 m. Chef A. Eggler; équipe du sommet E. Reiss-F. Luchsinger.

Ensuite Mont Everest; au sommet E. Schmied, H. von A. Reist.

9.Manaslu, 8125 m. Chef Y. Maki; équipes du sommet Imanishi-Gyalzen, Kato-Higeta. 10.Gasherbrum II, 8035 m. Chef F. Morawec; équipe du sommet H. Larch-F. Morawec- H. Willenpart.

Il ne reste donc plus que quatre « 8000 » à gravir, soit le Dhaulagiri, 8222 m, au Népal, le Shisha Pangma ou Gosainthan, 8013 m, au Tibet, le Hidden Peak, 8068 m, et le Broad Peak, 8047 m, dans le Karakorum pakistanais ( région du Baltoro ). Le Shisha Pangma se trouve au delà du rideau de fer et ne sera peut-être pas inquiété de quelque temps; mais la course aux trois autres a déclanché une formidable offensive politique: il s' agit de s' assurer les autorisations pour 1957, ou au moins pour 1958. Je souhaite de tout cœur que cette mise aux enchères des « 8000 » soit bientôt achevée, afin que les ambitions et amours-propres nationaux baissent le ton, pour le plus grand bien de l' alpinisme et du paisible travail scientifique. « Chanson politique - Vilaine chanson! » - Les nouvelles prescriptions du Gouvernement népalais pour les expéditions étrangères - arrivées tout récemment de Kathmandou - scrupuleusement traduites, disent ceci:

1. Les expéditions doivent prendre un officier de liaison qui leur sera attribué par le Gouvernement du Népal.

2. L' expédition payera à l' officier de liaison un salaire mensuel de 200 roupies indiennes ( 180 francs suisses ). En outre elle assurera son entretien complet et lui fournira sac de couchage et tout l' équipe pendant la durée de l' expédition.

3. Tous les frais de voyage de l' officier de liaison, à partir de Kathmandou et retour sont à la charge de l' expédition.

4. L' expédition bornera son programme d' activité à la montagne ou à la région pour lesquelles l' autorisation a été accordée.

5. Le Gouvernement népalais peut en tout temps retirer son autorisation s' il estime que le comportement ou l' activité de l' expédition sont indésirables.

6. A son retour, l' expédition doit remettre au Gouvernement du Népal un rapport exact sur son activité.

7. L' expédition doit préalablement présenter un plan précis indiquant les routes népalaises qui seront suivies. Elle s' en tiendra strictement, à l' aller et au retour, aux routes fixées.

8. Il est interdit aux expéditions d' emporter des appareils de transmission, armes, munitions, explosifs, sauf permission spéciale du Gouvernement népalais pour des buts particuliers.

9. L' expédition évitera de rien faire ou permettre qui pourrait blesser le sentiment religieux, offenser les mœurs et usages des populations autochtones.

10. En cas d' accident, l' expédition doit verser au blessé ou à la famille du défunt une indemnité proportionnelle aux circonstances. Une assurance-accidents est à l' étude. En attendant, l' in âjJi.ïïJïW. .:-,. .1* demnité normale à payer sera: pour un officier de liaison 5000 roupies népalaises; pour un porteur 2000 roupies.

11. Tout ce qui aura été recueilli au cours de l' expédition doit être présenté au Gouvernement népalais avant que l' expédition soit autorisée à quitter le pays. Copies de toutes les photographies prises au cours de l' expédition doivent être soumises au Gouvernement avant qu' aucune ne soit publiée.

12. Un dépôt de 500 à 3000 roupies indiennes ( soit jusqu' à 2700 francs suisses ) doit être versé au Gouvernement en adressant la demande d' autorisation pour une expédition.

13. Les nouvelles sur l' activité de l' expédition ( par exemple succès, échecs, accidents, etc. ) ne peuvent bénéficier du copyright. Tout doit être soumis au Gouvernement népalais avant d' être publié où que ce soit. Seuls sont libres les renseignements personnels.

14. Toutes les demandes d' autorisation pour une expédition dans l' Himalaya népalais doivent être légalisées par le Gouvernement de l' impétrant avant d' être présentées au Gouvernement du Népal.

Ces nouvelles prescriptions sont déjà en vigueur. On a même annoncé qu' une zone de 50 milles de largeur ( 76 km ) tout le long de la frontière tibéto-népalaise, côté Népal, devait être fermée. Cette « zone interdite » inclurait presque toutes les hautes montagnes népalaises, ce qui, pratiquement, enlèverait tout sens aux expéditions himalayennes à travers le Népal. Cette nouvelle alarmante n' a toutefois pas été confirmée et ne le sera vraisemblablement pas, car le Gouvernement népalais est intéressé à 1'«industrie des étrangers », et sait très exactement que chaque expédition himalayenne apporte de l' argent et des valeurs tangibles dans le pays. Toujours est-il que les nouvelles conditions, qui ont été attestées à plusieurs reprises, sont très dures. Les articles 11 et 13 en particulier risquent d' être un lourd sabot. Le chef responsable d' une expédition devra-t-il, au retour de la course, demeurer à Kathmandou pour y faire développer les milliers de photos ( en noir et blanc et en couleurs ) et ses rouleaux de films ( images et sons ), faire tirer des copies des premières, les soumettre à la censure des autorités, avant de recevoir son visa de départ? Chacun n' est pas disposé à signer un contrat qui vous lie les mains et qui est, au surplus, irréalisable en fait. « Corde trop tendue casse. » Lorsque le Dhaulagiri, dernier « 8000 » népalais, aura été gravi, c' est le Karakorum qui attirera les grimpeurs, et le Gouvernement pakistanais, qui n' a pas à tenir compte des vœux de l' Inde ou de la Chine rouge, a montré ces dernières années beaucoup de compréhension et de bonne volonté à l' égard de maintes expéditions.Traduit par L. S. )

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