Croquis de la Vanoise fleurie
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Croquis de la Vanoise fleurie

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Par Gustave Beauverd.

Le massif de la Vanoise, en Savoie, présente un diadème de frimas qui, sur plus de quarante kilomètres ( du glacier de la Grande Motte à ceux de Polset ), brille au front de la haute citadelle déterminant la frontière entre la Tarentaise et la Maurienne.

Il fait partie d' une entité géographique essentiellement alpine1 ), ordonnée par des réalités naturelles telles que le climat, la topographie, la flore et la faune. Dans son ensemble, cette entité nous offre l' exemple d' une « province internationale », celle des « Alpes Graies-Pennines », répartie entre trois pays: le Valais pour la Suisse, la vallée d' Aoste pour l' Italie, la Tarentaise et la Maurienne pour la France. Résumons comme suit les principaux caractères constitutifs de cette entité géographique.

I. Unité de climat. Dans toutes ces contrées, il s' agit du « climat continental alpin », aux transitions parfois violentes, sec et chaud en été, très froid en hiver, tandis que les plus grandes chutes de pluie succèdent de près aux équinoxes. Des courants diurnes réguliers modèrent l' action calorique du soleil tout en exagérant la siccité de l' air. Les chutes de neige, souvent considérables au cours de l' hiver, favorisent la saison du repos végétal en atténuant de beaucoup l' action nocive des grands froids dans les profondeurs du sol: de là une tendance bien marquée à héberger une végétation méridionale plus ou moins x ) Déjà reconnue des Romains au temps d' Auguste, qui avait créé la province des « Alpes Grées » ( ou plus exactement « Graies »: Alpes Graia; ou Pceninse ), comprenant tout le haut Rhône valaisan et les deux versants des Alpes chevauchant sur la Doire Baltée et la haute Isère; principales villes: Octodurum ( Marti gny ) et Darantasia ( Moûtiers ). Cette province qui fut un certain temps dépendante de la Rhétie, était distincte entre autres de sa voisine du sud, les »Alpes Cotiennse » comprenant la vallée de Suse et le Briançonnais, et s' étendit plus tard jusqu' à Gênes.

steppique et une faune analogue qui, sous les mêmes latitudes, manquent aux autres climats. Enfin, à titre de comparaison, observons que les limites climatologiques de cette province naturelle sont déterminées à l' ouest par le « climat subatlantique », plus humide et plus frais, de l' axe Grésivaudan—Chamo-nix—cluse de St-Maurice; au nord, par le « climat septentrional » des Alpes suisses, franchement frais et humide; à l' est, par le « climat insubrien », humide et chaud et à luminosité estivale intense; enfin au sud, par le climat méridional et lumineux de la plaine du Pô, un peu humide, ou celui de Provence, plus sec et tout aussi chaud, tous deux favorables à l' élevage du ver à soie.

II. Unitétopographique. Le cours supérieur du Rhône, celui de la Doire Baltée, ceux de l' Isère et de l' Arc constituent autant de profondes et larges vallées orientées dans le sens latitudinal, c'est-à-dire de l' est à l' ouest ou vice versa, tandis que leurs affluents directs, à l' exception du Doron de Brides, sculptent des voies d' accès perpendiculaires, c'est-à-dire orientées dans le sens longitudinal ( soit nord-sud, ou vice versa ).

Dès que l' écoulement de la rivière principale prend à son tour une orientation générale dans le sens de la longitude, la contrée change d' aspect par l' effet du climat qui se répercute sur le tapis végétal. L'on aborde alors les lisières de transition si caractéristiques pour le district des cluses, ou « zone axiale cristallophylienne » des géologues ( par exemple la cluse de Pontamafrey en Maurienne, la cluse de Cevins en Tarentaise, la cluse de St-Maurice en Valais ). Tout aussi typique est la cluse de la Doire à partir du Fort de Bard, localité connue pour marquer la limite du climat insubrien à l' est de la vallée d' Aoste.

Ce dispositif topographique propre à quatre bassins valléculaires fermés, mais contigus, leur imprime un cachet d' unité qu' il ne faut pas confondre avec de la monotonie: les hautes cloisons qui le délimitent, loin d' être étanches, sont agrémentées de brèches qui favorisent à leur manière une application du « principe des vases communicants », que nous aurons l' occasion de retrouver au cours de notre étude.

III. Unité de la flore. Tout comme pour la topographie, ce caractère d' unité est bien loin de confiner à l' uniformité. En harmonie avec le « principe des vases communicants », il existe d' heureux dispositifs géologiques ou minéralogiques éliminant l' invasion de plantes triviales au profit de la colonisation d' espèces plus distinguées. Celles-ci, toutefois, manifestent des préférences pour tels bassins valléculaires à l' exclusion de tels autres; c' est ainsi que les Pulsatilles foisonnant au Valais, dans la vallée d' Aoste ou dans celle de Suse, font défaut en Maurienne et en Tarentaise, tandis que les Coriusa de Savoie et d' Italie manquent au Valais avec quelques autres végétaux typiques. Mais dans leur ensemble, ces cas de localisation revêtent une livrée commune qui les distingue nettement du tapis végétal des provinces voisines1 ). Au surplus, la singularité du territoire n' exclut pas la présence de plantes appartenant au fonds de la flore alpine, dont le rôle est de souligner l' unité supérieure du vaste domaine floristique des Alpes auquel se rattache notre « province ».

Mais ce sont précisément les minorités étrangères à ce fonds qui, par la prospérité de leurs colonies, impriment le cachet spécial donnant le grand intérêt de la région.

IV. Unité de la faune. En étroite corrélation avec la flore, ce règne supérieur d' êtres vivants, malgré leur liberté relative, ne saurait échapper aux lois que nous venons de formuler pour le règne végétal; aussi n' insisterons pas sur ce sujet qui peut être étudié par la consultation d' une bibliographie très touffue indépendamment des périodiques mentionnés en note 2 ).

Si nous n' annexons pas à cette place une cinquième partie sur Y unité ethnologique, c' est que non seulement notre incompétence nous accule à la récusa-tion, mais c' est encore parce que nous estimons que les actes de volonté presque illimités qui sont l' apanage des humains forcent la limite des réalités naturelles.

Nous nous bornerons donc, sur ce chapitre, à rappeler le rôle aussi pittoresque que caractéristique de l' architecture autochtone que nous avons eu l' occasion d' étudier dans l'«Echo des Alpes » de 1923, vol. 60, p. 365, où nous avons établi une comparaison entre différentes constructions de la Haute-Savoie et du Valais.

Pour en revenir à la Vanoise, qui culmine à 3886 m. au SW des « Alpes Graies-Pennines », nous allons en tracer quelques croquis sommaires où la mention d' autres lieux dépendant des vallées de la Doire ou du Rhône n' appa qu' à titre de comparaison.

Dès 1854, ce fut Elisée Reclus, un collaborateur très apprécié des « Guides Joanne », qui révéla et mit en évidence les avantages offerts par le village de Pralognan comme quartier général des explorations au cœur de la Vanoise; il ajoutait ces mots aux renseignements qu' il venait de fournir:

« Le jour n' est pas loin, où cette localité sera citée comme un lieu vraiment auguste, consacré par l' admiration des hommes... » A cette lointaine époque, bien avant la vulgarisation des sites par le chemin de fer et surtout par l' auto, l' accès de Pralognan comportait trois voies principales: deux d' entre elles, d' un type resté primitif, venaient de Maurienne, pour s' élever jusqu' au plateau de la Vanoise ( 2527 m .) ou jusqu' à l' étroit dos de chèvre du col de Chavière ( 2789 m .) avant le redescendre au village, à 1450 m. Ces deux chemins muletiers, impraticables durant la mau- Pralognan: le Signal de Villeneuve ( 2202 m .) et le hameau de Darbellay sur l' ancien chemin de Moûliers.

vaise saison, conservent encore, inaltéré, leur caractère vétusté, peut-être deux fois millénaire.

Mais tel n' est pas le cas de la troisième voie, le chemin carrossable, long de 26 km. à partir de la gare de Moûtiers, récemment aménagé en route à auto sinon spacieuse, du moins sûre et très pittoresque. Naguères, non loin de La Croix, elle franchissait le Doron sous le hameau des Granges et passait par celui de Darbellay ( voir le croquis ), avant d' aboutir à l' église paroissiale. Actuellement, les nécessités de l' automobilisme ont fait abandonner ce parcours pour suivre un large tracé vers le hameau du Plan, d' où un pont moderne le fait aboutir à l' ancien débouché, face à l' église.

Et, depuis lors, l' ère des constructions modernes sonne à toute volée le glas du vieux cachet villageois: une raison de plus pour nous hâter de fixer ce qu' il en reste...

Avec tant d' autres alpinistes et naturalistes, nous avons choisi Pralognan comme quartier général de nos explorations dans le massif de la Vanoise. L' espace nous manque pour dire tout le bien que nous pensons de cette contrée enchanteresse; aussi renverrons-nous les grimpeurs de race aux récits d' ascen publiés dans les organes du C.A.F. ou, plus rarement, dans ceux du C.A.S. pour se rendre compte des ressources infinies qu' offrent à leur amour des exploits les hautes cimes de ce pays.

Notre ambition n' est point ici d' ajouter une page d' impressions personnelles aux hauts faits de nos prédécesseurs, mais bien plutôt de fixer certains traits d' histoire naturelle liés à quelques souvenirs heureux dans le cadre des sites variés de cette grandiose nature: ce léger sacrifice à la déesse Vanité ne s' impose pas, si l'on constate qu' à Pralognan aussi, les belles choses du passé prennent un envol rapide vers les ténèbres de l' oubli?

La commune de Pralognan comprend plusieurs hameaux: « La Croix » et « Le Plan » bordent la route à autos, sur la rive gauche du Doron; ceux des « Granges » et de « Darbellay » longent le vieux chemin de jadis; tandis que Darbellay subsiste tel que nous le figurons sur notre croquis ( page 151 ), celui des Granges n' est plus qu' un souvenir depuis l' incendie qui l' anéantit entièrement au début de septembre 1930. L' énergique volonté de ses habitants et l' élan fraternel de solidarité qui s' est communiqué spontanément de ses concitoyens à ses admirateurs étrangers, le fera ressusciter tout amélioré de ses cendres. Il est à craindre, cependant, que les perfectionnements prévus pour la reconstruction risquent de faire oublier la pittoresque physionomie du vieux hameau dont nous donnons un croquis d' adieu, à la page 154, à titre de témoin du passé.

Pralognan compte d' autres hameaux groupés soit autour de l' église paroissiale, soit auprès de leurs propres chapelles: signalons, entre autres, « Le Barioz » qui est représenté tout au haut de notre première, planche hors texte; l' aperçu que l'on a de là sur les cimes avoisinantes nous engage à quitter ces lieux habités pour gagner les hauteurs fleuries...

Au nombre des belvédères justement réputés des alentours de Pralognan, celui du Signal de Villeneuve est particulièrement attirant par l' accès facile et ombragé de la majeure partie du parcours; il l' est davantage encore par le panorama des glaciers de Chasseforêt que le recul du sommet rend d' une majesté incomparable, les épicéas, les pins et les aroles qui, à 2200 m ., agrémentent de leurs bosquets les abords de la crête. Dans les Alpes françaises, ce cas est exceptionnel à pareille altitude; toutefois, il est encore plus accusé dans le voisinage où, sur le faîte de la Dent de Villard, vers 2300 m ., se pressent des aroles au dôme trapu et aux ramures convulsives, toutes palpitantes des réminiscences d' un passé de luttes contre les ouragans qui désolent ces solitudes. Chamois et marmottes, aigles et choucas, prennent leurs ébats jusqu' à la cime dont les pans verdoyants sont brutalement interrompus, au levant, par le précipice infernal où les rochers croulants ne font qu' un bond de 1000 m. jusqu' aux sinistres pierriers de Villeneuve ( voir la 3e vignette de la planche hors texte ).

Mais le plus heureux et le plus déchaîné des êtres dans ces parages est sans contredit le botaniste: soit qu' il s' acharne dans les rochers de La Croix assujettis au sceptre du lis orangé ( Lilium croceum ) ( p. 155 ), soit qu' il s' égare dans les toisons de rhododendrons où le pampre des atragènes étale ses constellations de cloches bleutées ( p. 159 ), soit enfin qu' il s' ébroue dans les prairies d' anémones ou les champs de paradisies qui prennent d' assaut le sommet avec mille autres corolles aux rutilantes couleurs, partout il est là dans son élément, capturant une égarée de Scandinavie en compagnie d' un héros du pays de Narcisse, sinon de la paroisse de Jocelyn... Car il existe en effet, en Savoie, de bien séduisants autochtones dans le règne végétal.

Le Bochor est une autre esplanade célèbre de Pralognan, disposée en écran récepteur au débouché du val de Chavière. Sa flore traduit quelque peu l' in du Midi qu' elle interroge: graminées des Alpes méridionales telles que Festuca spadicea ou Colobachne Gérardi; gracieuses fleurs du Littoral: Asphodèles ou narcisse des poètes; végétaux du Dauphiné, représentés par des silènes, des centaurées, des scabieuses veloutées.

D' ailleurs ces plantes arrivées du Sud vivent en excellents termes avec celles venues du Nord, de l' Est et de l' Ouest, comme le montre le Sabot de Vénus dont la retraite de prédilection dans les derniers épicéas, à 1800 m. environ, constitue le point le plus élevé d' Europe où cette belle orchidée sibérienne aurait été observée jusqu' à présent. De même, le Gregoria Vitaliana, une grande androsace dorée originaire de l' Himalaya, se complaît là-haut avec bien d' autres « Orientales », telles que le Dracocéphale de Ruysch, la Pulsatille du printemps et cette autre androsace, rose pâle, Y A. Chamaejasme, immigrée des régions arctiques, mais restée méconnue dans les Alpes françaises où elle avait été vaguement indiquée jadis aux sources de l' Arc, puis rayée du catalogueI — L' élément occidental est plus épars et comporte surtout la renoncule des Pyrénées dont les blanches étoiles poudrent d' un nouveau frimas les gazons d' anciens creux à neige; leurs feuilles elles-mêmes se confondent avec celles du plantain montagnard qui leur tient fidèle compagnie.

Mais comment rester muet devant l' océan de lis Martagons, d' anémones, de pigamons rosés, de paradisies ou d' achillées à feuilles de Tanaisie qui font la cour à la divine ancolie des Alpes, déesse d' azur qu' entourent les trolles d' or venus du septentrion pour exalter ses louanges dans un pays qui lui est propiceEt au delà de ces décors enchanteurs, l' imposant chaos des antres du Grand Marchais et des glaciers de la Vanoise élève ses bastions jusqu' au Dôme ( 3589 m .) et à l' Arpon ( 3619 m .), pour passer sans transition au profil du vallon de Chavière que ferme avec majesté la lointaine citadelle de Polset.

Tout près du spectateur, quelques granges isolées harmonisent leur délabrement avec celui des lointains croulants, tandis que le regard, pour achever ses investigations, se retourne et s' inspire à la source de paix sereine qui VU12 s' étend des pelouses fleuries dont les ondulations baignées de lumière partent de là pour gagner l' infini des cieux.

Il y aurait bien des manières de concevoir une exploration du vallon de Chavière, selon les préférences que l'on accorde aux sites panoramiques de son versant occidental, ou aux intimités de rocs et de neiges du précipice oriental, si ce n' était l' amour des fleurs qui fait louvoyer entre les deux. Après avoir Pralognan: le Dôme de Chasseforêt ( 3597 m .) vu des « Granges » ( ce hameau, depuis lors, a été entièrement incendié au début de septembre 1930 ).

gravi en diagonale la romantique forêt d' Isertan et franchi les pierrailles gazonnées qui aboutissent vers le Pas de l' Ane où s' accrochent quelques aroles ( fig. 5 ), il convient de visiter les combes sauvages du Grand et du Petit Marchais, toutes retentissantes du fracas des cascades et de l' écroulement des névés. Au passage, répondons au salut de l' auricule, de l' ancolie des Alpes, de l' armerie et surtout de deux plantes aussi rares que décoratives, le Callian-themum rufsefolium et le Pedicularis reculila qui, de plus, consolident ce lien d' unité précédemment signalé entre la Tarentaise, la Maurienne, la vallée d' Aoste et le Valais.

Pour varier le chemin du retour, visitons la combe des Lacs, sauvage et désolée, d' où, mille mètres plus haut, l'on atteint le sommet du Dôme de Chasse- forêt par une langue de glacier qui permet d' éviter la muraille de séracs fran-geant le zénith.

Puis nous redescendons la combe des Nants où les primevères violettes ( Primula graveolens ), les Phy' euma pedemontana, de même que les adénostyles hybrides et maintes autres raretés soulignent le caractère d' unité floristique de la province pennine. La flore des Prioux, déclivités sauvages que nous touchons au fond du val, renforce cette note par la présence de l' Hugueninia tanacelifolia, de VOnonis retundifolia, de l' Oxytropis Halleri et de plusieurs autres herbes caractéristiques. A travers les alpages des Plans, moisson de « chardons bleus » ( Eryngium alpinum ), de rhapontics géants et de « fleurs de Jupiter » ( Lychnis flos Jovis )...

Botanistes, mes frères; peintres, musiciens ou poètes, mes amis, ne parcourez pas le vallon de Chavière sans visiter le glacier du Genépyl — Que vous l' abordiez par les hauts défilés de Montaimont, que vous fassiez halte aux chalets de la Motte, son apparition est un d' œuvre de majesté et d' harmonie, un poème achevé. Emu par cette vision, si grandiose que nous ne pourrions l' exprimer, nous devons nous borner en toute humilité à énumérer quelques noms de fleurettes qui, jusqu' à 2800, voire 3000 m ., ornent ses moraines hospitalières et opposent leurs radieux coloris aux blancheurs étincelantes rehaussées par les bleutés cristallins des crevasses béantes du glacier.

Les deux génépis ( Artemisia Mulellina et A.spicata ), en livrée grisaille, parfument son lit de galets, décoré à l' envi de saxifrages de toutes dénominations et de toutes nuances, côtoyant de candides androsaces, de multiflores linaires, des silènes au carmin ardent qui avantage si bien le bleu insondable des légions de gentianes sillonnant cette mosaïque ( voir le dessin d' une nouvelle espèce à la page 160 ). Ailleurs, des joubarbes aux étoiles de pourpre rappellent l' inaltérable unité de flore de la « province pennine », aidées des séneçons d' or, des Viscaria alpina rosés, des primevères violettes, sans mépriser le Polygala alpina au saphir indécis. Et, répondant aux clochettes des soldanelles et des campanules cenisiennes, le quintuple carillon de l' ancolie des Alpes ( p. 149 ) évoque la divinité alpestre que mille voix des torrents glaciaires célèbrent dans cette auguste solennité. Oh! les réconfortantes heures vécues dans cette gloire austère 1 II resterait bien des choses à dire sur ce val de Chavière. ne fût-ce que les ressources offertes à l' alpiniste par le refuge de Péclet ( 2500 m. ). Mais il nous reste à voir d' autres aspects du massif.

Pour franchir la grande chaîne et explorer son revers mauriennais, gagnons le col de la Vanoise en remarquant, au début de la montée, la combe de l' Arcellin où s' abattent les avalanches, et celle du Vallonnet avec son glacier miniature, qui annonce modestement des sommets plus fiers, tels que le Grand Bec ( 3403 m .) et les Glières ( 3386 m .) aux glaciers suspendus, près desquels gîte la « reine des Alpes » ( Eritrichium nanum ). Si l'on visite l' Aiguille de la Vanoise ( 2812 m .) du côté ouest, l'on y trouve des trésors botaniques, dont une nouvelle espèce d' ombellifère ( Bunium pygmxum ) restée inédite jusqu' en 1929; et en abordant la Grande Casse, la formidable moraine de son glacier nous fournira un contingent de végétaux remarquables, au nombre desquels les Senecio uniflorus, Pulsatilla vernalis, Eritrichium nanum et Crépis jubata marqueront une fois de plus l' unité floristique des vallées graies-pennines, tandis que deux nouvelles plantes inconnues, les Sempervivum Allobrogorum et Gentiana dimorphoclada ( p. 160 ) clament le pouvoir créateur de ce riche domaine. Au Lac des Assiettes ( fig. 8 ), avant d' aborder le glacier de la Réchasse, nous céderons une heure de repos aux séductions des hautes solitudes.

Puis c' est l' arrivée aux tourbières des Ouilles, qui recèlent un pissenlit nouveau ( Taraxacum graminifolium ) se dérobant aux regards du profane, avec la complicité du Carex microglochin et du Carex bicolor. De là, plongée sur le pont de la Croix Vie ( 2100 m .), en continuant de recenser des témoins de l' union graie-pennine.

L'on remonte enfin l' interminable vallon désert, avenue chaotique, s' élevant jusqu' à 2800 m. au col de la Leisse, sous le glacier de la Grande Motte ( 3663 m. ). Là encore, quelques intrépides représentants du monde des fleurs scellent l' alliance des Alpes graies-pennines: Crépis jubata, Petrocallis pyrenaica, Sieversia reptans, Pedicularis reculita, etc., etc., ainsi qu' une vergerette nouvelle, YErigeron Allobrogorum, très proche parente de celle de la Sierra Nevada, en Espagne ( Erigeron nevadensis Boissier ).

Enfin, après une dernière traversée, celle du col de la Fresse ( 2589 m .), capture d' un potamot marin ( Polamogeton marinum )... dans un petit lac glaciaire, avant d' arriver à Val d' Isère ( 1849 m .), essouflés, rompus, juste à temps cependant pour atteindre le dernier car de Pralognan, après avoir admiré en 15 heures de marche les 53 kilomètres séparant Pralognan du versant oriental du massif de la Vanoise, aux confins de l' Iseran. Et cela, non sans lui avoir surpris d' intéressants secrets sur ses populations végétales... Superbe, cette rude journée!

Malgré l' exposé forcément abrégé de la présente documentation, serait-il permis de résumer quelques-unes des impressions qui se dégagent de l' étude de cette flore montagnarde?

Deux ordres de faits, combinés entre eux, s' imposent à l' attention: 1° ceux qui dépendent du climat et que nous avons mentionnés dans notre introduction ( page 148 ); 2° ceux d' ordre topographique, exposés à la page 149 de ce travail et que la lecture de la carte ( page 158 ) permettra de mieux comprendre.

Pour ne pas abuser de l' espace qui nous est concédé, nous n' insisterons pas autrement sur la climatologie qu' en la complétant par la constatation suivante. Dans un de ses ouvrages1 ), M. Mathey, de Grenoble, une autorité en matière d' économie forestière, a opposé le terme d'«Alpes vertes»qui désigne la végétation alpine sous l' aspect qu' elle revêt du Léman à la Tarentaise — à l' expression d'« Alpes sèches » réservée aux Alpes méridionales à partir de la Maurienne. D' accord avec cette terminologie heureuse, nous lui proposons cependant un amendement dicté par l' expérience, en introduisant la dénomination d'«Alpes de transition » pour l' ensemble des montagnes de la Tarentaise, de la Maurienne, de la vallée d' Aoste et du Valais, dont le tapis végétal, tout comme l' architecture populaire, ne cadre ni avec celui des « Alpes vertes », ni avec celui des « Alpes sèches », mais les relie plutôt par des caractères transitoires. A l' appui de cette proposition, il convient d' indiquer ce qu' offrent de particulier celles des plantes signalées nouvelles au cours de ces notes, ainsi que d' autres qui ont fait ailleurs l' objet d' un travail spécial2 ).

Quant aux faits d' ordre topographique, il faut leur reconnaître des caractères externes et des caractères internes. Les premiers nous montrent que les limites botaniques des Alpes graies-pennines ne s' identifient pas toujours aux lignes de faîte de la périphérie, mais qu' à l' est ( vallée d' Aoste ) et surtout à l' ouest ( Grésivaudan et Haute-Savoie ), cette limite est constituée par une zone de neutralisation, sorte de lisière-tampon due à un fait d' ordre géologique: nous l' avons déjà énoncé sous le nom de « zone axiale cristallophylienne » proposé par les géologues. Le grisé par lequel nous avons figuré cette zone sur la carte, correspond d' ailleurs assez bien avec un régime météorologique caractérisé par une nébulosité et des précipitations atmosphériques bien supérieures à celles des climats circonvoisins, conditions qui contribuent toutes à expliquer la grande monotonie et l' excessive pauvreté de cette flore cristallophylienne. Cette zone neutre n' est en effet peuplée ni par les bonnes plantes de la province graie-pennine, ni par celles des provinces étrangères, à de rares exceptions près; les plantes triviales seules y colonisent copieusement.

Il en est à peu près de même de la zone orientale de neutralisation, entre la vallée d' Aoste et les provinces insubriennes, zone où la luxuriance du 15Ô châtaignier donne le ton au paysage; mais nous ne poursuivons pas davantage dans cette direction, pour ne pas nous éloigner trop de la Vanoise.

Pour mieux saisir les « caractères internes », il suffit de consulter la carte pour y constater:

a ) la succession de quatre bassins nettement cloisonnés entre eux par de très hautes lignes de faîte ( glaciers ), dont la continuité n' est nulle part interrompue au-dessous de 2000 m .; b ) l' orientation moyenne du cours d' eau principal dans le sens latitudinal jusqu' à la zone des cluses, d' où brusque incurvation dans le sens longitudinal ( Arc, Doron de Bozel, haute Isère, Doire Baltée, Rhône valaisan ); c ) l' orientation moyenne des cours d' eau secondaires dans le sens longitudinal; dl' accès principal des voies d' invasion septentrionales des végétaux obturé par le massif du Mont Blanc ( 4810 m .; et celui des Alpes bernoises ( 4275 m .), avec brèches de faible importance au sud du bassin de Beaufort ( Cormet d' Arèche: 2135 m.; Cormet de Roselend :2070 m ., etc. ) et celles des cols tortueux du Sanetsch, du Rawil, de la Gemmi et du Grimsel vers le bassin de l' Aar; eaccès principal des voies d' invasion méridionales obturé par le massif du Grand Paradis ( 4061 m .) et ceux de Roche Melon au Mont Tabor ( 3548 et 3182 m .), avec brèches significatives au Cenis ( 2091 m .) vers le bassin du Pô, et au Galibier vers le bassin de la Romanche.

Les sinuosités de toutes ces voies d' accès externes sont favorables à l' élimination, ou tout au moins à la sélection des espèces triviales, tandis qu' à l' intérieur du territoire, le grand développement des talwegs latitu-dinaux facilite la colonisation des plantes rares en constituant des lisières de stabilisation.

D' autre part, le dispositif des vallons secondaires longitudinaux favorise le jeu des lisières d' immigration locale dont nous avons décrit le rôle dans un travail spécial x ).

Constatant que l' action combinée de ces lisières de stabilisation et d' im, en s' exerçant sur les hauts massifs intérieurs, transforme leur rôle de « cloison étanche » en celui de « massifs de refuge », il ne nous reste plus qu' à signaler une troisième catégorie de lisière qui renforce cette action avantageuse. C' est celle des « lisières diagonales », qui, en harmonie avec les propriétés physico-chimiques du sous-sol, participent aux avantages des deux précédentes et paraissent propices, en outre, à la formation de ces foyers de création qui, sous les noms de « polymorphisme » ou de « mutation » se manifestent avec tant de charme soit dans le massif de la Vanoise, soit dans ceux du Grand Paradis ou des Alpes pennines valaisannes.

Il reste évidemment un voile de mystère à dissiper; mais c' est précisément là le secret des satisfactions intimes réservées à l' explorateur: passer de l' in au mieux connu par la mise en action de tout ce qui peut aboutir à l' effort victorieux.

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