Dans les Alpes japonaises et au Fujiyama
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Dans les Alpes japonaises et au Fujiyama

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Par Robert Etienne.

La célèbre montagne sainte du Nippon efface par sa réputation l' impor des autres montagnes du pays. Depuis le traité de Simonosaki qui donna Formose aux Japonais en 1895, le Fujiyama n' est plus la montagne la plus élevée de l' Empire du Soleil Levant, le Niitakayama ( « nouvelle plus haute montagne » ) sur l' île de Formose le dépassant de 600 m. environ. Ce fait ne l' empêche nullement d' être la montagne japonaise par excellence.

Avant de me rendre au Fuji, j' avais eu l' ocasion de parcourir en compagnie de deux amis suisses une région très intéressante bien que moins connue des étrangers: les Alpes japonaises du nord ( Kita Alps ). Ce massif est situé entre les 137e et 138e degrés de longitude est de Greenwich et entre les 35e et 37e degrés de latitude nord. Un autre massif, les Alpes du sud ( Minami Alps ), n' en est pas bien éloigné.

La conformation du terrain et la végétation même ont beaucoup d' affi avec les préalpes suisses. Il n' y a pas de glaciers et malgré les 3200 m. d' altitude maximum, la neige elle-même fait, pour ainsi dire, tout à fait défaut en été grâce au climat.

Les sources chaudes ne manquent pas non plus dans cette région. En de pareils endroits l'on trouve en général un hôtel et de nombreuses cabanes. Ce n' est donc pas une contrée perdue. Les chemins muletiers sont nombreux et les sentiers s' élevant jusque sur les sommets et parcourant les crêtes ne manquent pas.

Le samedi, 4 août 1928, le train nous emmenait de Kobe à Nagoya et de là à Matsumoto, ville d' environ 60,000 âmes, située entre les massifs des Kita Alps et des Minami Alps.

Un chemin de fer secondaire, puis un autobus permettent d' atteindre en peu de temps Shimajima, à 725 m. d' altitude, le point de départ de notre tour de quatre jours et demi: un joli petit village dont les chalets aux toits chargés de pierres — bien différents des maisons japonaises habituelles — rappellent le Valais. Les deux porteurs mobilisés par télégramme sont au rendez-vous. Le fait que l'on ne trouve pas de pain dans la région nous a obligés à en emporter de Kobe; nous en avions 21 ainsi que tout un magasin de conserves de viande, de lait et autres, des vêtements chauds, etc., bref, de quoi remplir amplement cinq sacs de montagne. L' absence de neige et de glace dispense d' emporter un piolet et, si l'on ne s' attaque pas à de la varappe trop sérieuse, la corde n' est pas nécessaire non plus.

Dès 8 heures, le dimanche matin nous cheminons le long du torrent de la vallée étroite de Shima aux pentes abondamment boisées. Nous avons une bonne journée de marche devant nous pour atteindre l'«onzen » ( source chaude ) de Kamikochi ( 1500 m .) en passant le col de Tokumoto ( 2132 m. ).

A mi-chemin du col, la pluie se met de la partie et là-haut c' est un vrai déluge. Pour se protéger de la pluie, le touriste japonais utilise du papier huilé: une grande feuille, formant pèlerine, couvre à la fois le sac et les épaules. On peut en obtenir dans les cabanes pour quelques sous. Les habitants de la montagne emportent en général une natte de paille dont ils se recouvrent les épaules. Les grands chapeaux de paille se portent également lorsqu' il pleut.

Nous descendons dans la belle vallée de l' Azusagawa. De courtes éclaircies dévoilent partiellement la chaîne dominant la rive droite, principalement le Hodakadake. Pendant une bonne heure nous longeons l' Azusagawa. Cette vallée large et verte aux pentes abruptes rappelle le Gasterntal près de Kandersteg. Des sapins blancs, des mélèzes, des bouleaux remplacent ici le pin qui est pourtant l' arbre du pays par excellence.

Gentiment reçus à l' hôtel de Kamikochi, nous nous plongeons dans un bain d' eau chaude naturelle, puis dégustons les excellentes truites de la rivière toute proche.

Kamikochi est dominé au sud-ouest par le Yakegatake ( 2450 m .), un volcan dont l' humeur n' est pas toujours calme. Les traces d' une éruption d' il y a quelques années sont encore visibles jusqu' au fond de la vallée d' Azusa. Le jour suivant nous montions au Yakegatake.

Des vapeurs sulfureuses s' échappent constamment du cratère, de forme plutôt cylindrique que conique. L' odeur empêche de s' y attarder. Ces vapeurs sortent en outre par de nombreux trous dans les flancs de la montagne.

Le 7 août nous quittons Kamikochi de bonne heure pour atteindre dans la soirée le Yarigatake ( 3180 m .), le plus beau et le plus haut sommet des Kita Alps. Pendant quatre heures et demie environ l'on parcourt les belles forêts qui ont poussé dans l' alluvion de l' Azusagawa, sans toutefois gagner de l' altitude. La montée a lieu au moment le plus chaud de la journée et, ce jour-là, le soleil ne manquait pas sur ces pentes dénudées. Plus haut ce sont des pierriers interminables parsemés de quelques taches de neige. C' est dans cette région que l'on trouve la perdrix des neiges.

Trois cabanes ont été construites à différentes hauteurs aux abords du Yarigatake ( « le pic en forme de pointe de lance » ), la plus élevée à 3000 m. d' altitude. Elles sont la propriété de particuliers. La montée au sommet est une jolie varappe sans difficulté; la roche est assez bonne. Du sommet, formé de gros blocs de granit et qui porte un temple en miniature construit en bois, la vue est de toute beauté. Le soir, entre 18 et 19 heures, s' étendait au loin une mer de nuages d' où émergeaient les sommets, tandis que le soleil plongeait à l' horizon. A l' est, des rayons bleus et rouges, par un effet extraordinaire, divergeaient du point diamétralement opposé au soleil. Quels beaux moments! Revivre, ici au loin, les belles impressions tant de fois vécues sur nos montagnes suisses!

Au pied de la descente, à quelque distance de la cabane, dans les rochers — excusez ce détail matérialiste — nous attend au frais une... bouteille de Neuchâtel, du blanc naturellement, du vrai. Il mousse en fonction de l' altitude et est apprécié en fonction de la distance de son lieu d' origine.

Dans la cabane une trentaine de touristes se glissent entre les « foutons » ( couvre-pieds ).

Le mercredi, 8 août, pendant huit heures environ, nous longeons les crêtes, passant d' une chaîne à une autre avec de fortes différences d' altitude. Le soleil intense ne nous quitte pas; pas un brin d' ombre et, durant six heures, pas une goutte d' eau. Le contenu des gourdes ( environ 1 litre par hommedu thé additionné d' un peu de cognac et de citron — est siroté avec componction.

A l' est du Yarigatake c' est l' Akaiwadake ( 2668 m .), puis continuant direction nord et nord-est, le Daitenjogatake ( 2922 m. ). De tous côtés la vue est magnifique, les chaînes voisines s' élèvent au-delà des vallées profondes. La cabane du Tsubakura ( environ 2600 m .) marque la fin de la course des crêtes. Cette cabane est fort bien aménagée et l'on n' y manque de rien. De là un chemin à travers la forêt conduit en deux heures environ à Nakabusa ( 1460 m .), endroit renommé par ses sources chaudes.

Nous voulons profiter de la baignoire commune très engageante, un carré de 2,50 m. de côté! Mais impossible, la température est trop élevée malgré l' addition d' eau froide. L' eau sort de terre à une température variant de 91 à 96° G. Des colonies de vacances animent ce petit endroit de villégiature qui est même pourvu d' une piscine de natation en plein air alimentée par les sources chaudes.

Le lendemain, 9 août, nous descendons la vallée très boisée: quatre heures de marche jusqu' à Ariake. Une conduite d' eau chaude, en bois, formée de gros rondins emboîtés les uns dans les autres, longe le chemin pour alimenter une succursale de Nakabusa au débouché de la vallée. De là une vieille Ford nous amène à la petite gare du chemin de fer électrique. Dans l' après nous arrivons à Matsumoto.

Nous nous quittons dans la soirée, mes camarades ayant terminé leurs vacances, tandis que je tiens à consacrer le reste de la semaine à l' ascension du Fujiyama.

De Matsumoto la ligne de Tokyo permet d' atteindre le pied du Fuji en six heures environ. L'on passe au nord des Minami Alps; 1e pays est très accidenté et nombreux sont les cols à franchir; nombreuses aussi les petites fabriques qu' a créées dans cette région l' industrie de la soie, spécialement aux environs du lac Suwa.

A Otsuki l'on s' embarque dans un petit chemin de fer électrique. Ses dimensions réduites le font ressembler plutôt à un jouet qu' à un moyen de locomotion. En deux heures l'on atteint Yoshida et de là en autobus Subashiri. Ce village, à quatre heures de Yokohama, est situé à environ 800 m. d' altitude et c' est l' un des points de départ préférés pour l' ascension du Fujiyama.

Les hôtels et les petits magasins alternent le long de la rue principale, animée vers le soir par les chevaux revenant de la montagne.

Le Fujiyama, qui se dresse solitaire, a une altitude de 3750 m. Sa forme régulière, au cône légèrement incurvé, au faite abîmé, est connue dans le monde entier. L'on ne peut penser au Japon sans évoquer les lignes douces et si caractéristiques de cette belle montagne, représentée sur tant d' objets provenant de ce pays.

Le samedi, 11 août, dès l' aube, je chevauche tranquillement le long de la route des pèlerins. L' ascension étant plutôt monotone, la partie inférieure est souvent faite à cheval. Le nom donné au premier refuge prouve que le cheval a déjà été utilisé dans les temps anciens, il signifie: « Renvoie le cheval. » Ce même nom se rencontre également sur les chemins montant par d' autres côtés. Actuellement, on peut utiliser une monture jusqu' à près de 600 m. du sommet, mais cela n' est guère à recommander, le chemin étant trop raide et trop long pour la même bête. Le parcours est divisé en dix zones, appelées « go », et chaque refuge porte le numéro de la zone dans laquelle il est situé. On peut y obtenir du thé, des vivres et y passer la nuit.

La partie inférieure du Fujiyama est recouverte de forêts où le pin, si répandu au Japon, n' est guère représenté; par contre le sapin le remplace.

Au-dessus de la zone des forêts, ce sont des pentes d' herbe et bientôt l'on se trouve dans la lave que l'on ne quitte plus jusqu' au sommet. Un brouillard épais recouvre les flancs de la montagne et la pluie commence.

Au Rokku-gome ( sixième refuge ), à près de 3000 m ., le temps est si peu engageant qu' il est tout à fait inutile de continuer. Il est 11 heures du matin. De nombreux touristes échouent dans cette cabane, revenant du sommet, trempés jusqu' à la peau. La seule chose à faire était d' attendre le lendemain pour continuer si le temps s' arrangeait, ou redescendre à Subashiri sous la pluie.

Pendant l' après, pluie, brouillard et vent persistent. « Le nuage qui frôlait les sommets de tant de montagnes s' accroche au pied du Fujiyama », dit un poème. En effet, il est rare de pouvoir contempler le Fuji longuement sans qu' un nuage vienne l' entrecouper. Le mauvais temps y est beaucoup plus fréquent qu' ailleurs et nombreux sont les touristes qui ont fait l' ex plusieurs fois avant d' être récompensés par une belle vue. La montagne n' est « ouverte » que du 15 juillet au 10 septembre.

Une demi-douzaine d' hommes forment l' équipe de la cabane. Bientôt leur patron m' invite à partager leur repas du soir se composant principalement de riz et d' " oudong », espèce de nouilles cuites dans un bouillon. Le « saké » ( vin de riz ) ne manque pas non plus. On converse autour du feu. Nous ne sommes que trois hôtes, dont un vieux pèlerin de 70 ans et un sous-officier, et l' équipe de la cabane fait tout son possible pour nous rendre la soirée agréable.

Le lendemain, à 4 heures, le temps est splendide et bientôt nous assistons au spectacle d' un merveilleux lever de soleil. Sous la lumière de plus en plus intense, au nord et au nord-est se révèlent les ravissants lacs Shoji, Kawaguchi, Yamanaka, celui-ci en forme de croissant, à l' ouest s' élèvent les Alpes que j' avais récemment visitées, tandis qu' au nord des chaînes successives s' étendent à perte de vue.

De nombreuses caravanes de pèlerins sorties des refuges supérieurs animent les zigzags du chemin. Leur accoutrement pittoresque contraste singulièrement avec la bouteille thermos qu' ils portent en bandoulière. Chacun d' eux porte à la ceinture une clochette. Tous sont chaussés de « waraji », sorte de sandales de paille, que l'on achète le plus souvent dans les cabanes.

A part la vue, le chemin est plutôt monotone. La lave poreuse qui recouvre les pentes est de couleur grise ou rouge et sous forme d' éboulis ou de roche solide. Par endroits elle est même à l' état de sable ce qui agrémente et abrège beaucoup la descente; on peut presque s' y laisser glisser.

Aux abords du sommet, ou plutôt de la périphérie du cratère, on passe le « torri » ( portail ) qui précède toujours les temples shintoïstes. On croit arriver dans un grand village. A la suite des temples, s' alignent un grand nombre de petites auberges bordant les deux côtés d' une rue. C' est très animé: quantité de pèlerins s' empressent autour des temples, non seulement pour y faire leurs dévotions, mais aussi pour faire étamper ou pyrograver le sceau du Fuji sur leurs bâtons.

Après les pluies de la veille, il est curieux de ne constater aucune trace d' eau; le terrain et le fond du cratère sont tout à fait secs. Il y a cependant des sources permanentes à proximité du sommet. La neige qui embellit tant le Fuji, spécialement au printemps, n' existe pour ainsi dire pas: une large tache dans le cratère et quelques-unes par ailleurs.

Le cratère est actuellement tout à fait fermé. La dernière éruption a eu lieu au commencement de 1708. Le Kengamine, le plus haut sommet du Fuji, ne dépasse pas suffisamment la circonférence du cratère ( son diamètre est de 600 m. environ ) pour permettre de jouir d' un seul point de la vue de tous côtés. En faisant le tour du cratère, on peut contempler successivement le beau panorama qu' ornent agréablement les nombreux lacs situés au nord du Fuji. A l' est et au sud s' étend la mer, coupée par la presqu'île d' Izu, où s' élève le massif volcanique des montagnes de Hakone.

Le temps ne pourrait pas être plus beau.

Au milieu du jour de gros nuages blancs aux formes admirables remontent les flancs de la montagne sans toutefois obstruer complètement la vue.

Mais l' heure avance; il faut songer au retour. La descente, que je fais par le côté par lequel je suis monté, s' effectue aisément en trois à quatre heures jusqu' à Subashiri tandis qu' il en faut environ huit à la montée.

A Subashiri, un bain chaud fort apprécié vous délasse en même temps qu' il vous débarrasse de certains parasites fort gênants récoltés parmi les « foutons » ( couvre-pieds ) de la cabane.

En écrivant ces lignes me revient à la mémoire ma première vision du Fujiyama. C' était il y a un peu plus d' une année. Un matin à 5 heures, le gong résonnant sur le paquebot nous prévenait du débarquement à Yokohama, après la traversée du Pacifique; je me précipitai au hublot de ma cabine: le Fujiyama dans toute sa beauté inoubliable s' offrit à mes regards — dix minutes plus tard, les buées du matin le rendaient invisible.

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