Expédition au Groenland du nord-ouest
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Expédition au Groenland du nord-ouest

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PAR PIERO GHIGLIONEt

( DU 14 JUILLET AU 15 AOÛT 1960 ) Avec 3 illustrations ( 44-46 ) Depuis que le Groenland est incorporé au Danemark et que ce dernier lui envoie un nombre croissant d' immigrants, la grande île du nord devient de plus en plus accessible aux explorateurs et aux alpinistes 1. C' est ainsi que Ton a ouvert jusque dans les petits villages ( encore peu nombreux, il faut le dire !) des magasins organisés selon le système coopératif, et dans lesquels on trouve tout ce qui est indispensable à la vie: des tissus, des chaussures, des ustensiles de cuisine, de la papeterie... et naturellement de l' alimentation. Sur ce dernier point ces boutiques sont spécialement bien fournies.

Les navires qui traversent du Danemark au Groenland ne sont malheureusement pas nombreux à proportion de ce développement; aussi, à mon humble avis, l' avion constitue-t-il le meilleur moyen d' accès. Non seulement il rend le voyage plus court, mais il vous épargne les tempêtes assez fréquentes dans l' Atlantique nord, et tout particulièrement au-dessous du cap Farvell, le promontoire sud de la grande île - la plus vaste de notre globe, comme chacun sait.

Des montagnes, il s' en trouve au Groenland sur toute la côte. Les plus hauts sommets se situent sur celle de l' est, à la latitude de 71° environ, soit vers le milieu de cette rive. Mais il n' est pas toujours facile de pénétrer dans les fjords, de ce côté-là, à cause des masses de glace qui en bloquent l' entrée. La région du cap Farvell offre pour sa part de belles sommités de roche cristalline; mais le temps y est fréquemment orageux, en dépit des promesses que semble contenir le nom réconfortant de l' endroit. En 1956 une expédition française dont faisait partie Claude Kogan y fit un séjour en août et septembre, c'est-à-dire un peu trop tard dans l' année d' Islande, cette expédition eut une mer tempétueuse pour sa traversée. Néanmoins, grâce aux très forts alpinistes qui la constituaient, elle réussit des sommets de 2000 m, en dépit du froid et du mauvais temps.

La côte ouest du Groenland est sous l' influence du courant chaud du Gulfstream, qui libère les fjords de leurs glaces pendant quatre ou cinq mois, soit à peu près de la fin du printemps au début de l' automne. Un peu au nord du cap Farvell, sur cette côte, se dressent des pics de granit hardis et intéressants, sur les bords du long fjord de Sukkertoppen. Toutefois, cette région a été exploitée par différentes expéditions alpines danoises, et une franco-suisse, en 1958. Cette dernière comprenait des alpinistes de grande classe comme Dittert et Gréloz. En juillet-août 1960 une expédition danoise, conduite par E. Hoff, président du Danske Bjerg Klub, se trouvait précisément dans la zone de Sukkertoppen et y escalada un bon nombre de sommets.

Depuis quelques mois j' étais en correspondance avec des personnes fixées depuis des années là-bas, dans l' extrême Nord. C' est ainsi que j' appris d' elles que le climat s' y montrait, dans les mois d' été, tout à fait saharien! Il n' y pleut, de toute cette saison, que durant quatre ou cinq jours. Cette raison, jointe aux précédentes, me décidèrent à explorer les régions plus nordiques, c'est-à-dire à peu près entre le 71e et le 73e parallèles, mais toujours sur ce versant ouest du Groenland. Je me rendais donc là-bas comme à coup sûr. Néanmoins, en zone alpine inconnue, tant qu' on n' est pas sur les lieux, on demeure quelque peu sceptique.

1 Quelques semaines avant sa mort accidentelle sur une route italienne, l' ingénieur Piero Ghiglione nous adressait cet article, daté du 30 septembre 1960. C' est avec émotion qu' on lira les pages du grand alpiniste disparu.

Mes compagnons d' expédition étaient le Dr Giorgio Gualco et le guide Carlo Mauri. Le premier m' avait accompagné au Ruvenzori en 1956. Nous avions fait, le 25 mars, la voie directe par l' ouest ( Congo ) de la Pointe Marguerite ( 5125 m ) avec le guide E. Frachey. Le Dr Gualco a accompli pour sa part, en 1957-1958, des escalades dans le Hoggar et au Kilimandjaro, ainsi qu' au Mont Kenya et au Ruvenzori par l' est ( Uganda ). Quant à Carlo Mauri, il était avec moi dans l' hiver 1960 au Ruvenzori. Nous réussîmes le 25 janvier, avec B. Ferraio, la voie directe, par le Congo, de la Pointe Alexandra ( 5098 m)1. Mes deux compagnons étaient âgés l' un et l' autre de 30 ans.

Trois vols d' avion nous conduisirent de Milan au Groenland. Le premier nous fit atteindre en deux heures Copenhague, sur un jet de la SAS. Le deuxième, en sept heures, nous déposait sur la côte groenlandaise, à Söndre Strömfjord, sur un appareil de la SAS également. De là, le troisième vol nous amenait environ 400 km plus au nord, à Egedesminde, en 1 h. ¼. J' avais pu m' as par correspondance qu' un petit canot à moteur serait mis à notre disposition dans ce dernier endroit. Il fallut néanmoins discuter encore sur place les derniers prix, qui sont en général assez élevés. Par chance nous avions pour intermédiaire le « manager » du Gronlandske Kongelige Handel. Il est bon de savoir que ces canots sont difficiles à obtenir en plein été, étant très occupés alors pour la saison de pêche.

Nous transbordâmes nos cent quatre-vingts kilos de bagages dans le canot à moteur et quittâmes Egedesminde le 20 juillet, voguant vers la grande île de Disko. Notre but était de gravir les plus hauts sommets des principales les et péninsules de cette côte NW du Groenland, entre le 71e et le 72e parallèles. S' il existe un service local de bateaux entre les différents villages dans les mois de mai à septembre, il est assez peu fréquent et ne comporte que quelques heures d' arrêt dans les ports principaux. Un petit canot de louage permet à l' alpiniste de s' arrêter où il veut, c'est-à-dire au pied des montagnes qui lui paraissent tentantes. Tel a été notre procédé, et notre première escale s' est située dans une petite baie à 12 km environ au nord de Qutdligssaat, un modeste centre de mines de charbon sur la côte NE de la grande île de Disko. La carte géographique de la région, au 1:250 000e, indiquait que la plus haute montagne, le Pyramiden, s' éle à l' intérieur de l' île à 1904 m.

C' est par l' escalade de cette montagne que nous avons commence. Il y a lieu de remarquer que les escalades du Groenland nécessitent de longues heures de marche et de montée, à partir du niveau de la mer. On est d' abord en terrain mou et parfois humide d' épiphytes et de bruyères, puis sur des moraines très pierreuses, enfin sur de vastes glaciers. Au milieu de ces fleuves de glace, nous avons remarqué des ruisseaux fort minces et fort sinueux tels que je n' en ai vu nulle part ailleurs au monde. Sur l' arête terminale du Pyramiden, nous enfonçâmes dans vingt centimètres de neige fraîche. L' ayant quittée pour passer sur le versant sud de la montagne, nous eûmes pour finir une longue arête de corniches formées de roche volcanique ( trachidolerite ).

Au Groenland, deux mille mètres de différence de niveau comportent en général, retour compris, 15 km et plus de marche et d' escalade. Il est fréquent que les glaciers atteignent la mer. Quant à la vue du sommet, celle du Pyramiden était incomparable: jusqu' à l' horizon, c' étaient des centaines de sommets rocheux ou plus souvent neigeux. Ainsi, le 22 juillet, septième jour à dater de 1 Le récit de cette ascension, par Piero Ghiglione, a paru dans Les Alpes 1960, p. 147.

notre départ de Milan, le premier objectif de notre expédition était atteint. Il est juste de remarquer que deux facteurs essentiels assurent la réussite presque certaine des escalades à cette saison, au Groenland. Ce sont d' abord les vingt-quatre heures de clarté dont on jouit, à la faveur de l' été polaire. C' est ensuite la sérénité de l' atmosphère, le beau temps à peu près garanti.

Nous avions quitté notre canot, le matin du Pyramiden, à 9 h. ¼, le 22 juillet. Nous y fîmes retour à 22 h. 30, soit après 13 heures ¼ d' absence. Nous dînâmes dans le canot à la lumière du soleil encore haut sur l' horizon.

Le lendemain la navigation continua sur les fjords et, après un jour et une nuit, nous entrions dans le petit port de Umanak, au sud de file du même nom. Umanak ( « La montagne en forme de cœur » ) est située dans le grand golfe homonyme, que l'on dit le plus beau de tout le Groenland. En effet, une quantité d' îles émergent et s' élèvent dans cette rade merveilleuse, une quantité de péninsules y pénètrent. Innombrables, des pics rocheux et des calottes neigeuses regardent d' en haut ce fjord extraordinaire, tandis que d' énormes glaciers s' effondrent dans ses eaux.

J' avais des adresses à Umanak et nous passâmes ce même soir chez le chef du bureau météorologique, où se trouvaient encore le directeur de la navigation danoise et d' autres personnalités. Il faisait chaud dans le petit salon de la maison, et je m' imaginais que le central était en fonction. Nullement! Le soleil seul produisait cette température.

Je rendis visite le lendemain au chef de la police, auquel j' avais écrit d' Italie. Nous visitâmes avec lui le nouveau canot à moteur qu' il avait gentiment cherché pour nous. 11 était plus petit que l' autre, mais son équipage nous était nécessaire à cause de sa connaissance des fjords situés au nord d' Umanak, où précisément nous voulions pénétrer.

Nous quittâmes Umanak le 25 juillet et dressâmes notre tente le soir de ce jour dans le fjord d' Inukavsait, à 100 km plus au nord. Le lendemain nous poursuivîmes presque jusqu' au fond du fjord de Kangerdlugssuaq. Rien de plus extraordinaire que la navigation dans ces fjords enchanteurs entourés de montagnes splendides et fort élevées, d' où les glaciers plongent dans les eaux, semant au loin des flottilles d' icebergs éclatants de blancheur. Tant de merveilles nous laissaient éblouis et convaincus d' avoir vu les plus beaux paysages marins du monde.

Sur la foi de la carte, nous jetâmes l' ancre fort près de deux grands glaciers qui descendaient d' une longue vallée. Là précisément émergeait « notre » haut sommet de 2310 m.

Le 27 juillet nous quittons les tentes à 9 heures, laissant le paysage idyllique du bord de la mer pour remonter la vallée. Nous foulons d' abord des mousses et des espèces de saxifrages, puis une très longue moraine.Viennent des pentes toujours plus raides avec des ressauts et des tours de basalte. C' est ainsi que nous gagnons en quelques heures le premier sommet à 800 m seulement! De là nous suivons une arête très élevée de roche et de neige qui donne accès à la paroi finale conduisant au glacier. Restaient à surmonter des débris abrupts et des tours de dolerite jusqu' à une pente de décombres de schiste et de grès. Tout cela faisait une ascension assez pénible et même dangereuse, des pierres se détachant à tout moment d' en haut et sifflant sur nos têtes.

A 1650 m nous abordons un mur de glace vive qui nous domine de toute sa hauteur. Nous chaussons les campons, ceignons la corde. Mauri monte prudemment en tête, fixant quelques « clous » qui se décident mal à tenir. Plusieurs longueurs de corde nous font gagner de cette manière le grand col terminal. De là il reste environ 500 m jusqu' au sommet Il fallut encore surmonter de raides pentes de glace et franchir des crevasses dont la lèvre supérieure approchait de la verticale. La dernière était même surplombante et nous dûmes la longer jusqu' à un passage moins aléatoire.

Il était 8 heures du soir ( mais le mot est-il encore juste lorsqu' il fait grand soleilquand nous atteignîmes le comble glacé de notre pointe. L' altimètre indiquait 2310 m. Ici encore la vue se révélait extraordinaire: des glaciers, des glaciers encore, à perte de vue, semblaient descendre du ciel même jusqu' à la mer. Impressionnant aussi, l' isolement prodigieux de cette région!

Nous baptisâmes Italia ce sommet gravi par nous pour la première fois. Puis, ayant mangé un morceau, fait un peu de film et des photos, nous entreprîmes la descente. Il fallut s' y montrer plus prudents encore dans la glace de la muraille sur laquelle avaient agi les rayons constants du soleil. Mauri sculpta un gros « champignon » dans la dernière et la plus raide partie pour se laisser descendre à la double corde. Dans les roches pourries nous restâmes encordés, marchant parallèlement. Des pierres continuaient à siffler autour de nous. Par moments il semblait que toute la montagne allait dégringoler avec nous.

Il était 4 heures du matin, nous marchions depuis 18 heures, quand nous arrivâmes à nos tentes. Mauri, qui se rendait au bord de la mer pour y recueillir un morceau de glace propre à la cuisine, y vit tout près un phoque splendide et avertit aussitôt les hommes du canot. Tandis que nous nous occupions à cuire notre petit déjeuner, ils firent la chasse au mammifère. Je voulais en prendre des photos, mais j' eus le tort de penser d' abord à finir mon repas. Quand je fus prêt, le phoque était non seulement écorché, mais encore dépecé, avec le sang mis à part dans un seau.

Sur le chemin du retour à Umanak, le lendemain, nous nous arrêtâmes dans une petite baie pour faire une reconnaissance dans un groupe de pics d' allure tout à fait dolomitique. C' eût été l' affaire d' une journée; mais le pilote du bateau fit remarquer qu' il devait aller se procurer du carburant au prochain village, soit à 20 km, en traversant deux fjords. Il assurait toutefois qu' il serait de retour le lendemain, que cela ne faisait pas un doute.

Cinq jours plus tard, nous n' avions pas encore eu la moindre nouvelle du bateau. Il avait fallu se mettre à rationner les vivres, dans cette rade absolument déserte et située à 350 km du premier petit village, par voie de terre! La nuit du cinquième jour, à 2 heures, j' entendis enfin le bruit du moteur. « Rive los! » criait un des hommes de notre équipage ( « Partir! » ). J' aurais fait volontiers encore un petit somme. Pourquoi choisir cette heure précise de la nuit ( durant laquelle il faisait d' ailleurs du soleilMais l' homme continua: « Storm kommer » ( « Voici l' orage! » ). Nous eûmes bientôt embarqué avec tout notre bagage.

Rentrés à Umanak, nous décidâmes d' escalader encore le groupe du Tunulia ( 2150 m ), le plus élevé de la grande péninsule de Nugssuaq. Cette montagne se présentait, vue d' Umanak, comme un grand château de roche et de glace aux parois abruptes, et il me rappelait beaucoup l' Allincca ( 5850 m ), dans le sud-est du Pérou.

C' était le 4 août. Comme j' avais réservé pour le 7 trois places dans le Julius Thomsen pour retourner avec ce navire à Egedesminde - et de là par avion en Europe -, il ne restait guère que trois jours et demi à disposition pour notre escalade.

Le lendemain nous quittons Umanak dans le même petit canot, traversons le fjord homonyme et prenons terre dans le petit golfe de Sarfafik, où les eaux glaciaires du groupe du Tunulia se jettent dans la mer. Trois hommes du canot nous accompagnent durant trois ou quatre heures à l' intérieur de la vallée, avec les bagages indispensables. A 6 km environ et à 600 m d' altitude, sur la moraine, nous fixons une grande tente. Par l' intermédiaire du chef de la police ( mon interprète dans la très langue à longues labiales des indigènes ), j' ai fait entendre à ces hommes qu' ils ont à retourner au canot, puis à revenir le 6 au matin, soit deux jours plus tard, reprendre ici leur charge.

Le 5 août, nous quittons la tente à 8 heures du matin. Nous remontons la moraine de gros blocs, puis deux glaciers, pour en traverser ensuite un troisième ( le nord-ouest ) et atteindre ainsi l' éperon nord, rocheux, du groupe du Tunulia. Cet éperon s' élève en ressauts et tours de dolerite, que nous gravissons sous les embruns de plusieurs chutes d' eaux de fonte.Vient un petit glacier suspendu qu' il s' agit d' escalader jusqu' à sa partie supérieure vaste et crevassée, pour atteindre le dernier col. Il est midi passé quand nous nous arrêtons quelques pas en contrebas du col, sur son versant abrité du vent froid, pour nous mettre quelque chose sous la dent.

De ce point nous attaquons le glacier terminal, long, crevassé et pour finir très redressé, aboutissant au sommet nord du Tunulia. A 14 h. 45 nous sommes réunis sur la cime neigeuse, après avoir franchi la dernière crevasse à quatre pattes. L' altimètre indique 2100 m, mais comme nous apercevons, dans la mer des sommets, deux pointes qui semblaient un peu plus hautes que la nôtre, nous décidons de nous y rendre.

Il fallut redescendre à 1600 m dans une grande vallée pour remonter sur l' autre versant jusqu' à une pointe où notre altimètre indiqua en effet 2138 m. Il était 17 heures. Nous passâmes trente minutes à filmer et photographier; puis, évitant de reprendre le chemin de montée, nous descendîmes au sud-est, très rapidement, par de raides pentes d' éboulis. Elles nous conduisirent au grand glacier sud-est, long de 15 km, que nous suivîmes jusqu' à sa jonction avec quatre autres glaciers. Il y eut à sauter plusieurs larges crevasses; mais j' étais sans inquiétude: les bras de mes amis Mauri et Gualco m' attendaient de l' autre côté des abîmes.

Ainsi nous avions fait le périple de toute la zone glaciaire du Tunulia. Il était 22 heures et demie quand nous débouchâmes devant notre tente... pour y trouver, à notre grand étonnement, nos trois porteurs. Ils auraient aimé démonter la tente tout de suite et descendre aussitôt au bord de la mer. C' était beaucoup exiger de nous, après nos 14 heures et demie de course! Nous leur donnâmes des vivres et mon grand sac de bivouac, et ils furent enchantés de passer là-haut une bonne nuit.

Le lendemain à 11 heures, nous étions tous au nord du fjord; mais le canot, à cause de la haute mer, arriva à 17 heures seulement.

... Le 7 août nous quittions Umanak à bord du Julius Thomsen. Sur le bateau il faisait, sous le vent, une chaleur estivale. Heureux Groenland du nord-ouest, terre de soleil, de lumière, de chaleur!... Terre marine et montagnarde faite d' une harmonie de roche, de glace et d' eaux bleues!

( Rédigé par E. Px. d' après un récit et des notes de l' auteur )

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