Face nord-ouest de l'Aiguille Devant (Perrons)
Par Pierre Emonet
Avec 2 illustrations ( 89, 90 ) et 1 croquisMartigny ) L' Aiguille Devant ( ou moins exactement Aiguille de Van ) est le premier sommet de l' arête des Perrons, chaîne granitique qui se dresse à la frontière franco-suisse, entre le lac artificiel de Barberine et le village savoyard de Vallorcine. Soudain, à un tournant du chemin qui vient de la station du funiculaire en direction du lac de Barberine, vous découvrez sa face nord-ouest se dressant, au-dessus des pâturages d' Emosson, presque verticale, compacte, d' un seul jet, sombre et mystérieuse dans le jour finissant. La première ascension de cette paroi ne fut effectuée que le 21 septembre 1924 par E.R. Blanchet avec son guide habituel Kaspar Moser, et la première relation parut dans Les Alpes en avril 1928: « Perron I de Vallorcine. Des chalets d' Emosson elle semble un petit Dru. Rocher excellent avec prises petites. Très grande raideur. La voie d' ascension ( à part une déviation presque à angle droit à mi-hauteur ) conduit en ligne directe jusqu' à deux rochers ( Les Oreilles d' Ane ) que du pied de la paroi on prend pour le sommet. En réalité, il y a encore une vingtaine de mètres. C' est bien la plus belle partie de varappe que je connaisse. » Le guide de la chaîne frontière entre la Suisse et la Haute-Savoie, vol. II, dit: « Hauteur verticale de 300 mètres, à escalader en 4 heures. Rocher rugueux et solide, très difficile, raideur extraordinaire. » En 1947, G. Richon, déplorant comme nous le manque de précision des guides officiels sur cette voie directe, fait paraître dans Les Alpes une relation personnelle. Pourtant, malgré l' application qu' y met l' auteur, ses renseignements, précieux d' une part, manquent de précision sur d' autres points. En face de cette constatation, nous avons décidé de noter d' heure en heure, au fur et à mesure que se déroulait l' ascension, les détails du cheminement - qui peut comporter des variantes. Or, même là, certains éléments, qu' il fallut rappeler avec quelque effort de mémoire, faillirent nous échapper.
De plus, la cordée Richon effectua cette course par la pluie qui, comme chacun le sait, augmente sérieusement les difficultés. Ces conditions expliquent la qualification à notre avis trop sévère que notre camarade donne de cette escalade.
Quoi qu' il en soit, le jugement du guide de la chaîne: « Très difficile, raideur extraordinaire » n' est pas accordé à notre sentiment actuel. C' est ici qu' il est intéressant de constater l' évolution de l' alpinisme en 25 ans et, partant, la différence d' évaluation des difficultés.
A notre connaissance, cette escalade se fait rarement, bien que l' arête des Perrons soit très souvent visitée. Au fond, rien d' étonnant, car les récits précités ne sont guère engageants, et la silhouette farouche de ce petit Dru hante péniblement le sommeil qui précède la course.
Mais cette escalade est une classique ou mérite de le devenir, tant par la beauté du coup d' œil plongeant que par la variété des difficultés et la sûreté du rocher. Il faut la préférer et de loin à la traversée des Perrons où l' arête, s' aplatissant trop souvent, n' offre que peu cette griserie du vide et où la facilité émousse l' intérêt. Avec quelque entraînement, il est d' ailleurs possible de faire l' un et l' autre. Ce fut notre cas: partis d' Emosson à 5 heures du matin, nous pouvions reprendre le funiculaire de Barberine à 15 h. 30. Un seul inconvénient: après l' intérêt soutenu de la face, l' arête semble anodine; c' est le petit vin après la fine bouteille. Mais par un ciel serein, l' alpiniste a tout loisir de poser son regard émerveillé sur le massif tout proche du Mont Blanc ou, se tournant au nord, de rêver au-dessus du miroir paisible du lac alpestre. Et cela compte; ces joies ne sont-elles pas au cœur même de l' alpinisme?
Renseignements techniques Face nord-ouest de V' Aiguille Devant. Itinéraire très intéressant. AD sup. Beaux passages de III et IV. Raide, sans être très exposé.
On emprunte la vire oblique qui délimite très nettement la partie inférieure de la face. A 100 m. environ, au-delà d' un cairn ( le vieux pieu de bois semble disparu ), à l' endroit où la vire cesse d' être herbeuse, assez exactement à l' aplomb de la dalle triangulaire visible d' Emosson, mais invisible de ce point, on s' élève verticalement par un dièdre d' une quin- zaine de mètres ( III ), puis, se dirigeant à gauche, on suit une vire horizontale de gazon d' une trentaine de mètres. De là, le bord de la dalle - qu' on laisse à main droite -indique la direction générale. On atteint d' abord une sorte de petite niche ( III ), puis on monte légèrement vers la gauche par une suite de cheminées et de vires terreuses. Visant une encoche bien marquée à la hauteur du bord supérieur de la dalle, on y accède assez facilement pour terminer par un pas délicat d' où la partie est de la paroi devient visible. ( De l' attaque, 1 heure. ) Un dièdre de 3 m. mène à une dalle assez inclinée munie d' un piton. ( IV. ) Suit une cheminée précédant une vire facile de 15 m. Surmontant ensuite une dalle, on se trouve au pied d' une cheminée rouge verticale qu' on escalade directement pour sortir sur la droite par un feuillet. ( IV. Exposé. ) Par une vire oblique de 7-8 m. et un mur aux prises abondantes, on atteint sans difficultés les « Oreilles d' Ane », deux gros gendarmes saillants de la face. De là, un mur vertical et quelques rochers faciles conduisent au sommet. ( 1 heure. De l' attaque, 2 heures. ) Du sommet, on rejoint facilement l' itinéraire habituel des Perrons en gagnant la brèche au sud de l' Aiguille. 10 minutes.