Gorges du Verdon. Paroi du Duc
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Gorges du Verdon. Paroi du Duc

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Michel Pétermann, Clarens

Paroi du Duc: Voie des Enragés NOVEMBRE 1973 D' un coup d' œil j' en prends possession. A la fois sinistre, lourde et élégante, la paroi lance son défi. A ses pieds, le ronflement du torrent sauvage ajoute quelque chose d' insondable, de préhistorique, à ce paysage qui désarçonne mon imagination. Archives naturelles, la forêt abondante et désordonnée vient mourir sur le flanc de cet immense bouclier immobile aux portes du couloir Samson.

Au fond de la gorge encore sombre, l' air est froid et humide, mais nous savons que le soleil, là-haut, demain nous ramènera, calmes et tranquilles, dans le monde de la vie champêtre qui, à nouveau, éveillera en moi le sentiment pénible de me nourrir d' oisiveté.

Personnellement je ne sais pas grand-chose de cette voie, sinon qu' elle est pratiquement dés-équipée, et considérée par les meilleurs grimpeurs d' aujourd parmi les plus sévères des Préalpes françaises. L' itinéraire y est discret et audacieux.

Malgré les expériences parfois amères que l'on peut faire en compagnie d' un inconnu, Christian et moi sommes convaincus que tout ira bien. Aujourd'hui je puis même avouer que c' est son acharnement qui m' a donne confiance en lui. C' est un grand garçon sans âge. Son flegme et sa nonchalance — ainsi que sa grande barbe noire — caractérisent sa personnalité peu riante, mais attachante.

Le jour se fait plus limpide lorsque le matériel est réparti: Christian se charge du sac bourré de victuailles, d' eau, de pitons et du matériel de bivouac. Quant à moi, avec mes 80 mètres de corde, un baudrier, une cinquantaine de mousquetons, quelques pitons, sangles, étriers, mon 83 Dans la voie du Roumagaou ( Gorges du VerdonLa fissure des Barjots 84 Le Verdon ( France ): Falaise de l' Escales87 Voie de la Luna-Bong. Au fond: le Verdon 85 Le Verdon.voie del' ORMI ( Objet rampant non identifié !) 88 Voie du Triomphe d' Eros: la Dülfer de VI 89 Au Pilier des Ecureuils: la longueur des « gouttes d' eau » casque... on doit se demander ce qui reste là-des-sous du grimpeur.

Sur le sentier tortueux qui nous conduit sur la rive gauche du Verdon, très vite mon compagnon m' impose un rythme que mon harnachement rend étouffant. Une demi-heure de calvaire s' écoule lorsque enfin il s' étale sur une racine visqueuse. Je passe devant lui et peux ainsi, imposer mon pas. Trente minutes plus tard, les premières prises sont à portée de main.

L' ambiance est presque lugubre. Nos cœurs ayant repris la vitesse de croisière, j' aborde la première longueur, puis, immédiatement après, la deuxième, assez courte. C' est la troisième qui a été, chaque fois, à l' origine des échecs de mon compagnon. Ainsi, m' a raconté, un de ses coéquipiers avait abandonné à la seule vue de ces dalles, sans même les avoir touchées. Un autre, après quelques pas, était revenu au relais, convaincu... Le troisième, je crois, avait fait relais plus bas.

Christian me demande de faire tout particulièrement attention, et je perçois alors son anxiété. Malgré un retour sur ses pas — que dis-je, sur ses griffesla seconde tentative est la bonne, qu' il « mousquetonne » un piton planté tant bien que mal, mais suffisant pour reprendre haleine. Un deuxième clou pour l' assurage marque le départ d' une escalade certes très difficile, mais sûre.

La goutte au nez et claquant des dents, j' en la voix étouffée d' un homme invisible qui m' invite au départ.

Après avoir récupéré le tout parmi ces dalles piquées de grattons intérieurs, mes doigts me confirment la sévérité de notre objectif. A elle seule, la technique ne semble pas suffire pour venir à bout de certains passages, et pourtant tout va bien.

Nos regards se croisent; la cordée du hasard est à sa place.

Le temps de soigner ma tenue et je suis prêt pour relayer. Energiquement je tire sur ma cigarette, qu' une dextérité acquise par des années de vice expédie élégamment dans le vide. La concentration atténue mon mal de dents. Huit mètres très chers et je puis planter un petit — mais bon — piton. Cinq à six mètres plus haut, un « clou » en place, chose rare, attire mon attention. Par opposition, en deux ou trois mouvements, je m' élève de deux mètres. Une marque de pitonnage... J' es. Mon audace, excitée par une « forme » qui grandit et s' améliore, ne suffit pas cependant pour m' aider à franchir l' ultime passage.

La rencontre de la témérité et de l' expérience me conseille de pitonner. Je dois coupler deux « U»pour progresser dans cette large fissure. Mon couple entre trop facilement, mais suffira pour ce pas. Un pied sur la dernière marche d' un étrier, l' autre sur une prise comme une groseille, je m' élève au maximum; un verrou et je « mousquetonne » un second étrier au piton en place, mais planté la tête en bas...

Lorsque je me balance avec trois pitons et deux étriers sur le ventre, le torrent s' est rapproché de quinze mètres.

- Bien joué, Christian!

Peut-être encore plus impressionné que moi, mon compagnon se propose pour prendre la tête. Je le convaincs que tout ira bien. Muni cette fois d' un « Bong » moyen, je reprends la direction des opérations. Vingt minutes d' une rude bataille me déposent au quatrième relais, d' où j' assure Christian qui récupère tout le matériel.

Machinalement, sans un mot, il équipe la longueur suivante, dont le travail s' avère de plus en plus délicat.

A mon tour, littéralement pendu dans les cordes, je déséquipe les passages d' un artif classique, mais très exposé. Après avoir récupéré notre sac, nous nous accordons dix minutes de pause.

Je relaie. Dix mètres plus haut, je découvre deux pitons relativement rapprochés. Je sors un étrier. Mon rythme est cassé; ça ne va pas...

- Tu ne vas tout de même pas pinailler dans du IV+?...

- Ah!... mais ily a deux pitons!...

83 " i,

I'-1

90 Profil de l' Eperon Sublime 91 A l' Eperon Sublime: la traversée

Couloirs terminaux

Bombement aux qolots

.5x +

P

Qr?nde c?verne

92 L' Estemporanée: voie parcourue « en libre », où la progression par coincements est particulièrement difficile Photos: Claude Rcmy. Bossière ( VD ) 93 Paroi du Duc: voie des Enragés Pholo: Michrl Pélcrmann, Clarens

PAROI DU DUC Voie des enrages

I Rampe rj Dalle arise compacte.

I Jpitonnmpossiblesur 10 metresJ

BIVOUAC PEU CONFORTABLE

. dalle inclinée

( Conseillé d' y arriver )

E

*

L' étrier au baudrier, allègrement je savoure la longueur la plus facile depuis ce matin, si je fais exception de la première.

La « forme » est excellente, mais mon genou irradie une vive douleur dans la jambe à tel point que je n' arrive pas à maîtriser de vigoureux tremblements. Mes mains déjà meurties par le halage du sac me font un peu souffrir aussi.

Dans les longueurs suivantes, dont certains passages correspondent à des défis successifs d' école d' escalade, la joie de grimper atteint son paroxysme. Du VI marseillais!

Lorsqu' un vent frais m' invite à rentrer ma chemise dans mon pantalon, je repense à la traversée qui nous déposa au neuvième relais:

Lentement Christian, contre cette roche aujourd'hui mouillée et noire, progresse pour disparaître derrière un éperon vertical que le vide rend encore plus visqueux. Brutalement, presque avant que j' y pense, mon cœur s' arrête.

- Christ! t' as oublié la cordelette pour tirer le sac!

Le bruit sourd du torrent, qui durant toute cette journée nous a usé les oreilles, empêche presque tout dialogue.

Le « Prusik » coulisse bien, et j' ai beau ruminer, la situation est claire: il faudra porter le sac. Christian est déjà là-haut, derrière cette roche sans couleur.

Mon cœur bat; quelque chose me gêne dans la gorge. Je me parle pour être moins seul.

A deux reprises, mon lourd fardeau m' échappe. Lorsque, enfin, il est à sa place, sur moi, plus rien n' y est: ma chemise est sortie, et mes étriers, entre mon dos et le sac, me poignardent le corps. Le baudrier me gêne beaucoup dans mes mouvements, et le col de mon pull étiré m' étrangle. Mon pantalon, qui ne tient plus que par le dernier bouton de la braguette, ajoute un agrément supplémentaire à la situation.

- Michel!... la nuit va arriver!...

- Si j' y pense, ça ne suffit pas?...

Saisissant un des rares pitons, je constate que la suite ne passerait pas avec le sac au dos.

— Tire pas!...

Par des contorsions pénibles, je cherche à désarçonner mon cavalier. Brusquement mes pieds glissent sur la dalle mouillée, et c' est la tête en bas que je récupère mon pesant fardeau par une bretelle. Bien qu' il soit assuré à ma ceinture, je ne tiens pas du tout à I' arrêter avec mes hanches, déjà suffisamment meurtries par son armature cassée. Délicatement je confie ce poids à mon baudrier. Ainsi, le sac pendu devant moi et à hauteur de mes pieds, je traverse cinq mètres de V + gluant, avec la tentation quasi irrésistible de monter sur mon balluchon pour m' y reposer. Ouf!...

Si ceux qui attachent tant d' importance à ma tenue vestimentaire me voyaient...

Avec la nuit qui envahit les gorges, nos pieds se posent sur autre chose que le vide.

Alors l' atmosphère se transforme: tout se remet à vivre différemment à la seule apparition des petites flammes de deux bougies dont les reflets dansent maintenant sur cette roche plus clémente.

Chacun se détend comme il peut et trouve son bien-être dans un copieux repas. Quelques frissons, balayés par de vigoureux mouvements, nous invitent à nous emballer dans nos sacs de bivouac après un amarrage plus astucieux que commode.

Du temps où je vivais à la limite de l' honnêteté jusqu' aux conseils les plus nobles que je prodigue à mon « fiston », mes pensées vagabondent pour sombrer dans un sommeil sans rêve.

Le présent s' efface lorsque, à notre réveil, la paroi présente son visage crépi de givre. Le jour point.

Même en pleine paroi du Grand Capucin, la bourrasque implacable n' a pas éveillé en moi le sentiment de solitude, d' abandon.

Quelle beauté quand on la décrit! Et pourtant je ne crois pas mentir en disant que la surprise et la crainte n' ont pas atténué totalement notre admiration devant ce paysage si propre.

Au-dessous, c' est le gouffre; au-dessus, à l' extré de ses surplombs, le « Duc » se perd dans une mate lueur claire. Le rugissement dévastateur du « Verdon » s' intègre on ne peut mieux à ce cadre extraordinaire.

Le froid humide et mordant mouille nos yeux encore endormis et pique le fond de nos nez, où la goutte perle. Engourdi par un sommeil profond que les cordes n' ont pas pu interrompre, très délicatement je progresse dans une traversée exposée, aujourd'hui hivernale. Sous mon pied le givre devient verglas. Avec le sac allégé, Christian me rejoint, la barbe vieillie d' un demi-siècle.

Dans la longueur suivante, avare de mouvement, il s' évertue en artif pour se perdre derrière l' horizon surplombant.

Un quart d' heure plus tard, le temps de le voir disparaître, le sac retient mon souffle lorsqu' il oscille à plusieurs mètres de la paroi.

J' ai froid, mais là-haut la brume se dissipe pour faire place au bleu légendaire de Provence. De givre en taches humides, nos corps s' échauffent dans cette longueur dont le vide me donne la nausée. Le Verdon, qui laisse maintenant entrevoir sa gorge profonde m' impressionne et me fait penser à une gueule affamée, prête à m' engloutir. J' en éprouve des sueurs froides. Un rien m' em d' être oiseau. Je grimpe encore sur cette échelle de gollots qui n' en finit pas. Je dois repousser le matériel afin de voir où poser mes bouts de pieds pour négocier cette longueur.

Comme en refermant derrière soi la lourde porte d' une cathédrale, ici tous bruits se sont éteints. Depuis cinq ans à peine l' homme a noirci ces pierres et retrouvé, comme nous, l' élan nécessaire pour affronter les dernières difficultés.

Christian disparaît. Dans cette solitude qui maintenant m' appartient, le sentiment de l' ex m' habite. En ces lieux, la paroi me semble plus vaste et moins redoutable. Malgré ce soulagement je songe: ouvrir un itinéraire pareil doit tenir davantage à un état d' esprit qu' à la simple application d' une technique certes très raffinée.

Sans rythme, dans mes mains usées les cordes glissent. Plus que quelques mètres; le relais doit être proche...

Par-dessus des branchages osseux et sans vie, je m' avance à l' extrême bord du gouffre. J' avertis mon compagnon de tendre au maximum la cordelette qui le lie au sac. Dans un bruissement déchirant, celui-ci disparaît dans la brume montante. Je n' en crois pas mes yeux lorsque notre « troisième de cordée » se décide à revenir après un pendule de cinquante mètres en se balançant librement dans le vide. Un instant j' ai cru ce balluchon de matériel aussi vivant que nous, tant il semblait vouloir goûter aux joies du sommet.

Au carrefour de l' angoisse et de la jouissance, je prends le départ...

Ainsi, mais un peu tard, je constate que j' ai oublié mes étriers au relais qui paraît pourtant si simple à rejoindre. Par bonheur j' en ai encore un à ma ceinture. Malgré des efforts proches de l' im, je dois également l' abandonner dans cette traversée humide que je liquide en « tire-clous ». Dommage, je les aimais bien ces petites pédales que j' avais raffinées au plus haut point sur mes poignées de porte, ce qui avait inspiré à mes proches des propos que mon indifférence rendait parfois peu plaisants. La suite, si on retient son souffle, ne pose pas de problème. Je ne suis pas fier, mais je suis au relais.

A deux cette fois, nous halons notre « ami fidèle ».

En même temps que mon mal de nuque, les chaussures de Christian disparaissent dix mètres plus haut.

Lorsque j' arrive au relais, même en second, je suis encore éprouvé par ce passage dit clé: huit à dix mètres sans aucune possibilité de pitonnage, le tout au-dessus d' un surplomb d' une avancée d' au moins cinq mètres. D' où nous sommes, trois cents mètres de corde ne suffiraient probablement pas pour toucher la paroi.

- Bravo, Christian!... maintenant je sais que tu n' es pas qu' un grimpeur.

Nous ne parlons pas, nous restons silencieux devant ce décor impressionnant: trois cent cinquante mètres plus bas, le torrent roule ses eaux tumultueuses; là-haut le feuillage frétillant sous la brise prend vie dans ce ciel bleu d' arrière. Le soleil est chaud; sans mesure, le temps s' écoule. Juste l' instant d' immobiliser mes vagues pensées, de les concentrersur notre objectif, et je constate que ce n' est pas termine. Une main rude se pose sur mon épaule: elle m' invite à affronter la réalité.

Une vire, exposée on ne peut davantage, offre une escalade de premier choix.

Après quinze mètres, Christian manifeste: -Michel!... c' est pas l' moment, plante un clou.

Deux petits grattons, cinquante centimètres plus bas, et ma position est propice à « planter » dans une fissure fatiguée par le dépitonnage d' un prédécesseur. Dix mètres plus haut, un bombement prononcé coiffe la vire. Prudemment je l' at et, du même coup, le haut de la rampe. Je découvre deux pitons en place dont un merveilleux « Bong ». Etriers mal dimensionnés pour moi, mousquetons, sangles, halètements, rétablissement athlétique, et ma position est relativement confortable. Le second piton est très haut. Lorsque je l' ai à portée de main j' ai quitté les étriers et ma position m' interdit de « mousquetonner ». Mes doigts transpirent, ma jambe droite tremble; je demande grâce à ce passage, mais rien à faire. « C' est pas l' moment », comme disait Christian tout à l' heure. Par une feinte que la crainte m' inspire, je peux enfin toucher aisément le « Bong », mais j' ai beau faire: le mousqueton n' entre pas. La seule solution qui m' est offerte, c' est de passer la cordelette de mon marteau dans « l' œil » du piton. Ainsi suspendu à mon marteau, je peux introduire un anneau indépendant. C' était l' moment!

Enfin le quatorzième relais. Christian me rejoint après avoir récupéré le matériel ainsi que « l' œil ».

La suite, beaucoup moins exposée, n' est plus qu' une escalade relativement simple qui nous conduira au terme de ce plaisir difficile.

Parmi les pins et l' odeur des hauts plateaux de Provence, Christian est là. Sa lourde et puissante main emprisonne la mienne lorsqu' il laisse tomber ces mots:

-Je suis content de l' avoir fait avec toi.

Et je secoue mon bras droit pour lui faire comprendre que, moi aussi, je lui serre la main.

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