Hors des chemins battus
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Hors des chemins battus

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PAR ERNST REISS, BÂLE

« A notre âge, les étés deviennent toujours plus courts, les souvenirs ne sont plus que des envies nostalgiques, mais l' aventure vécue signifie bonheur.»Oscar Eberle ( f ) Lorsqu' une année est près de s' achever et que les longues ombres de l' automne annoncent la saison suivante, nous songeons à l' été qui n' a peut-être pas répondu pleinement à notre attente. Nous sommes cependant certains d' une chose: nous reviendrons, et nous nous appellerons de nouveau les uns les autres, entre amis les plus intimes. Mais un bon camarade vient-il à nous quitter brusquement, son départ nous plonge alors dans de profondes réflexions qui nous laissent perplexes et muets, quand bien même nous attendons une réponse à toutes nos questions.

J' ai eu de nombreux compagnons de cordée; avec une quarantaine d' entre eux, j' ai gravi, à plus d' une reprise, les sommets des Alpes et des autres massifs montagneux du monde.

L' un de mes amis, grand travailleur, mais qui rêvait d' une longue période de vacances, ne manquait jamais de m' écrire une gentille lettre au retour d' une course réussie. C' était vraiment un homme différent des autres, un véritable ami pour ses camarades de travail et ceux qu' il côtoyait tous les jours, aimable et compréhensif envers les inconnus et les faibles. Apropos de notre course « Hors des chemins battus », il se plaisait à dire: « Je pense toujours à cette aventure inoubliable et qui fut, pour moi, la dernière course dans le massif de la Jungfrau. Je revois, en de brefs instants, quelques images de cette expédition. D' un côté, je m' en veux de ne pas avoir été mieux entraîné, de l' autre, la découverte de ces itinéraires peu parcourus et très raides dans la glace m' a procuré une joie immense. Maintenant, au terme de ma courte carrière alpine, je reste là, comme fasciné. Ne crois-tu pas que de telles courses, dans ces grands espaces, sont bien dignes d' alpinistes de notre âge ?» Je ne trouvai d' abord aucune réponse à donner à mon ami, mais je crois que toute nouvelle région, et en particulier tout site grandiose où règne la grande tranquillité de la montagne, restent plus profondément gravés dans notre mémoire. Les itinéraires « Hors des chemins battus » nous délivrent de la foule, nous enlèvent toute hâte. Puissent ceux qui croient avoir perdu à tout jamais le chemin des contrées inexplorées se persuader du contraire par la lecture de semblables récits de courses!

Début d' octobre 1966. Cette fin de semaine d' arrière devait nous apporter, dès le début, beaucoup d' imprévus. Peu avant le départ, je reçus deux coups de téléphone: l' un d' Oscar qui, de l' aéroport de Kloten, me communiquait qu' il devait attendre l' arrivée fortement retardée d' un avion ramenant sa fille; l' autre de Georges, le médecin, qui m' annonçait un retard d' une demi-heure. Ces contretemps me permirent peut-être d' exercer ma patience; il n' en reste pas moins que nous arriverons trop tard pour atteindre le petit train de l' après conduisant de Lauterbrunnen au pied des géants de l' Oberland bernois. Peter, le quatrième du groupe, ne s' est guère soucié du maigre repas de midi; sa jeunesse et sa vitalité lui permettent de surmonter toutes les marches nocturnes. N' a pas à son actif un nombre impressionnant de grandes parois et la plus importante traversée d' arêtes des Alpes?

Quelque part, en ville, nous rencontrons Georges et nous nous entassons, à côté des énormes sacs, dans sa voiture de sport. Au bord du lac de Hallwil - itinéraire modifié - Oski nous attend dans sa voiture plus rapide; celle-ci ne peut combler cependant notre retard. Il nous avoue avoir travaillé le matin même, à 5 heures, au bétonnage du mur de son jardin. Certes, il voudrait bien se payer un vrai repas avant le départ du train pour Wengen. Néanmoins, nous venons tous de quitter notre travail quotidien, et la fin de semaine qui s' approche nous apportera plus de réconfort psychique que physique. Dans nos années de pleine force, c' était plutôt le contraire.

A la Wengernalp, notre voyage en wagon confortable prend fin brusquement. Nous restons là, émerveillés, comme si nous n' avions jamais aperçu le coucher du soleil derrière le majestueux trio des Alpes bernoises. Nous avons renoncé à notre projet d' escalader la haute paroi nord du Mönch, à cause de l' heure tardive, et cependant une impatience tout aussi grande s' empare de nous à la pensée d' un itinéraire moins connu.

Les alpinistes qui montent des torrents de Trümmelbach vers la cabane du Silberhorn ( 2663 m ) sont chaque année moins nombreux; cet itinéraire emprunte des névés et des glaciers peu fréquentés.

La descente vers la Biglenalp nous fait perdre malheureusement de l' altitude, et les quatre heures de marche que nous promet la montée à la petite cabane ( elle ne contient que douze places ) se termineront par un exercice nocturne. Il s' agit avant tout de repérer un itinéraire mal balisé. Désireux de profiter des dernières lueurs du jour, nous « enclenchons une vitesse supérieure » et accélérons notre rythme.

Nous avançons, sautant d' un bloc à l' autre, sur les débris du Glacier de Giessen, suspendu bien haut, au-dessus de nos têtes. Après avoir longuement cheminé sur un sentier qui disparaît à tout moment, envahi par l' herbe, nous utilisons les tiges de fer, fixées dans le rocher, pour nous élever dans la paroi abrupte. Avec le crépuscule, les masses sombres deviennent plus nombreuses. Nous devinons à peine le sentier. Seuls, les bruits de pas, le frottement des vêtements et la respiration rapide des camarades devant nous fournissent des indications sur l' itinéraire à suivre. Nous atteignons bientôt l' arête qui s' élève plus doucement et conduit à un grand névé dont la clarté attire nos regards. Il est plus aisé de le franchir dans les conditions actuelles, avec la neige fraîche, qu' en été, lorsque la langue de glace est découverte. Nous nous heurtons au dernier ressaut de rochers, que nous escaladons à bonne allure, mais nous devons bientôt nous accorder une halte pour nous sustenter. Peu après la reprise de la montée, nous constatons que nous nous sommes quelque peu trompés; nous atteignons néanmoins, un instant plus tard, le Silbersattel.

Un clair de lune de rêve inonde d' un coup le Rotbrettgrat, réveille les rochers gris et froids, et confère au paysage une dimension et un calme irréels. L' approche du petit refuge, qui estapparu soudain, renforce cette impression que l'on aborde un monde de paix et de grande tranquillité. Les charnières rouillées de la vieille double porte grincent. La première étincelle de lumière répand dans ce lieu isolé et froid ce sentiment de confort et de chaleur que tout alpiniste aime trouver après plusieurs heures d' efforts.

Là-haut, sur les plaques délitées de couleur gris-blanc, un ruisselet, qui excite notre soif, brille au clair de lune. Pendant que Georges prépare le feu dans le foyer, Peter et moi essayons de canaliser le précieux liquide et de le recueillir dans un seau. Durant de longues minutes, nous tenons nos bras nus sur le rocher froid, afin de créer une minuscule gouttière à l' extrémité des doigts ou au coude. qu' il s' agit de transporter le seau, nous avons peine à mouvoir nos bras refroidis; en revanche, nous avons joui pendant ce laps de temps d' un clair de lune que seule la montagne peut offrir.

Nous regrettons qu' Oski, à l' ordinaire si exubérant, ne puisse jouir de cette soirée inoubliable. Epuisé par son travail journalier, il va se cacher sous ses couvertures sans un mot de récrimination. La situation nous oblige à ne pas fixer la diane à une heure trop matinale.

Néanmoins, en songeant au chemin qui nous attend, je me glisse furtivement, à 5 heures déjà, vers le foyer rudimentaire. Nous devrions partir une heure plus tard, autrement dit de nuit. Nous avons compté cependant sans notre « professeur oublieux »! Georgio ne parvient pas, avec la meilleure volonté, à nouer ses crampons habituels sur ses souliers d' expédition plus grands de deux numéros. Chacun de nous, anciens spécialistes, improvisera néanmoins la solution la plus extravagante pour arriver à modifier la forme de cet acier. Dommage seulement pour le temps que nous y avons perdu, car il nous fera grandement défaut!

A 200 mètres de la cabane déjà, en plein jour, nous pouvons fixer nos crampons. Nous trouvons, ici et là, dans la longue traversée sous I' arête nord du Grand Silberhorn, de la glace vive sous l' épaisse couche de la neige. Il nous importe peu de savoir si cette paroi de glace ou de neige, haute de presque mille mètres, a déjà été gravie une ou plusieurs fois. Nous sommes simplement contents que Oski aille de nouveau bien, et que la paire de crampons tienne encore, malgré le travail de « forge à froid » que nous lui avons fait subir. Alors que l' abîme se creuse sous nos pieds, la glace vive succède à la neige, et la pente atteint ici 50 degrés. Sur ce revers, il fait, bien sûr, plutôt froid, mais cette température garantit une neige de bonne qualité. Un clocheton de glace vertical, à notre gauche, confère à cette escalade une certaine « classe », et la vue plongeante dont nous jouissons sur la station Eigergletscher et les pâturages ensoleillés de la Wengernalp accroche le regard. Une heure avant midi, l' arête sommitale du Silberhorn est atteinte par une lumière étonnamment claire, et le calme total de l' air nous invite à faire un long arrêt, dans une petite dépression de l' arête.

Il est tout à fait inhabituel de voir d' en haut la tête tourmentée et burinée du Schwarz Mönch, alors que les vertes prairies de la Vallée de Lauterbrunnen nous saluent de tout en bas. Les grands seigneurs de l' Oberland bernois couvrent de leurs ombres les torrents de Schmadri. A travers les couches bleues de l' atmosphère, particulièrement limpide en cette journée d' automne, notre regard flotte du groupe de la Blümlisalp au trône lointain du Mont Blanc.

Le passage au sommet du Grand Silberhorn, par l' arête antérieure, est aussi merveilleux que celui de la célèbre Aiguille Blanche. Nous ressentons un peu nos mollets, et nous nous mettons de nouveau à contempler longuement les sommets avoisinants, nous accordant une nouvelle halte, malgré l' heure qui avance. Nous avons déjà renoncé à l' itinéraire du Jungfraujoch par le sommet de la Jungfrau, et nous nous sommes engagés dans la descente par la voie Guggi qui, en automne, pose quelques problèmes. Oui, il y a environ vingt ans, j' ai passé par ici deux ou trois fois, mais au début de l' été, il faut le préciser. Aujourd'hui, nous rencontrons, sur le haut plateau glaciaire, une couche de neige dans laquelle nous enfonçons jusqu' aux genoux, et nulle trace ne nous signale cet itinéraire pourtant classique. Les passages délicats se trouvent avant tout au Schneehorn et aux séracs de' Kühlaui.

15 h 30. En traçant notre chemin, nous enfonçons jusqu' aux genoux dans la neige poudreuse. Il nous faut descendre. Les cordes ne suffisent pas pour glisser en un seul rappel le long de cette pente abrupte, jusqu' au pied de la paroi nord du Schneehorn. Georges demande un arrêt-boisson, bien qu' il sache que son sac ne renferme aucune goutte de liquide. t' insiste pour monter au sommet du Schneehorn. Pendant que nous fixons le premier piton à rappel, je trouve un moment pour extraire de mon sac le dernier jus de fruits.

Une nouvelle heure s' écoule à opérer trois rappels de quarante mètres. Que vont nous apporter les séracs si redoutés de Kiihlaui? Des barrières de glace de la hauteur d' une maison, par places en surplomb, des séracs écroulés, mais aucun signe trahissant le passage d' un être vivant par là, au cours de ces dernières semaines. Cela me rappelle la grande cataracte de glace du bassin de Khumbu. Nous disposions alors de plus de temps; ici, nous aurons la nuit dans une heure. Rappels improvisés, sauts osés avec les douze pointes, et nous nous trouvons de nouveau Gros-Jean comme devant. Halte-là! une arête de glace tranchante et, à gauche et à droite, une crevasse! Ramper dix mètres sur un pont de neige précaire et, oh! miracle, sur le dernier palier presque vertical, nous trouvons une suite d' anciennes marches bien marquées. Nos prédécesseurs firent ici un hâtif retour sur leurs pas. Nous, nous en sommes à une rentrée tardive! Le crépuscule tombe.

- Ere, tu dois pourtant savoir le chemin!

- Bien sûr, mais il y a vingt ans de cela, et c' était au début de l' été. L' itinéraire le plus sûr serait celui qui passe par le Guggiband et monte ensuite à la cabane; cependant les deux cents mètres de montée seront une rude épreuve pour nos jambes fatiguées.

- Alors, vous avez choisi!

- Mais il n' est pas certain que nous sortions sans bivouac de ce glacier tourmenté! C' est bientôt dit. En réalité, nous devons tous être au travail lundi matin.

La course commence: en haut, en bas, en avant, en arrière. Nous transpirons tous, l' un jure doucement.

- Ere, comment était-ce en 1945?

- Pas aussi accidenté, pas autant de boue morainique, et il faisait clair!

Haletants, nous poursuivons notre chemin. Deux pointes de crampons volent en éclat lors d' un saut désespéré.

- Au fond, où se trouve l' emplacement de l' ancienne cabane?

- Vingt ans plus tôt... non! vingt mètres plus haut, un peu au-dessus de la paroi noire, vers la droite, là dans la nuit impénétrable!

19 h 30. Nous avons trouvé la maille. A 21 heures, nous sommes devant l' hôtel de la Petite Scheidegg. En deux heures, vers minuit, nous devrions atteindre Lauterbrunnen. Comme les vallées situées à basse altitude sont en partie envahies par le brouillard, il nous faudra encore passablement de temps et d' efforts pour parvenir à Bâle.

Je n' oublierai jamais les dernières impressions de notre course « Hors des chemins battus », les petits chalets de vacances, brunis par le soleil, avec leurs minuscules jardins pleins de dahlias lumineux, les grillons qui chantent dans la nuit tiède, réminiscence de la grandeur d' un été passé; les vieux érables jaune or bordant le chemin escarpé de Lauterbrunnen et scintillant à la lumière grêle de la lune qui venait d' apparaître au-dessus de la coupole de glace de la Jungfrau.

Mais notre pensée va à un camarade qui, bien que réservé de nature, était parmi nous: il continue à vivre dans notre souvenir par cette aventure commune, et un lien persiste entre lui et nous...

( Traduit de l' allemand par Ch. Neuhaus )

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