Joachim Burser et les Alpes de la Suisse
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Joachim Burser et les Alpes de la Suisse

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Par G. R. de Beer

L' article de M. A. Becherer sur la « Flora Alpina » de N. N. Âmann, paru dans le numéro de mai 1946 de cette revue, et remarquable par son érudition aussi bien que par son intérêt, soulève plusieurs problèmes de topographie alpine. Je veux parler de l' expression « Loch altissimus mons Vallesiae » qui figure dans l' ouvrage d' Âmann comme nom de lieu spécialement signalé sous la rubrique « Rhaeticae Alpes », et qui est répétée en raccourci sous la forme de « Vallesiae Loch » comme habitat de la plante Arelia alpina. Le « Species plantarum » de Linné, auquel Amann a emprunté ce renseignement, contient la phrase « Habitat in Vallesiae monte Loch » en regard de cette plante.

M. Becherer suppose que le nom de cette localité, « Loch », aurait été donné à Linné par Albert de Haller dans sa correspondance privée avec Linné, puisqu' il ne figure dans aucun des ouvrages publiés par Haller. M. Becherer cite ensuite l' hypothèse du professeur J. U. Hubschmied d' après laquelle « Loch » représenterait « Lochberg », ce qui à son tour serait une contraction de « Lochmattenberg », lequel signifierait le Col de St-Théodule. B. Studer ( « Geschichte der physischen Geographie der Schweiz bis 1815 », Bern & Zurich 1863 ) s' était aussi dans son temps occupé de ce problème et n' hésita pas à identifier « Loch » avec le Lötschenpass.

Diverses pièces conservées dans les collections de la Société Linnéenne de Londres, dont j' ai l' honneur d' être président, m' obligent à repousser toutes ces hypothèses et m' ont permis de résoudre ce petit problème.

D' abord, ce n' est pas chez Haller que Linné ( et, partant, Amann ) a trouvé l' expression « Loch », mais dans l' herbier de Joachim Burser. Ce dernier, natif de Camenz en Haute-Lusace où il naquit en 1583, devint élève de l' illustre botaniste bâlois Caspar Bauhin pour lequel il voyagea en quête de plantes par la Suisse, l' Autriche et le Midi de la France. Dans la préface de son « Species plantarum », Linné cite l' herbier de Burser en tête de la liste de ceux qu' il avait consultés. Haller, dans la préface de son « Historia stirpium indigenarum Helvetiae inchoata » ( Bern 1768 ), signale les voyages alpestres de Burser comme suit: « Burserus Badam [Baden], Fabarias Thermas [Pfäfers], Vallem Disentiam, Gotthardum, Gemmiam, montem Gletscherberg [St-Théodule], Bernhardum montem, & Fradum [Pilatus] adiit. » L' identité entre le Gletscherberg et le St-Théodule est établi hors conteste par Tschudi ( « Die uralt warhafftig Alpisch Rhaetia », Basle 1538 ).

Les voyages de Burser ne sont pas datés, mais ils durent avoir eu lieu vers 1620 puisque Caspar Bauhin mourut en 1624. Burser monta aussi un herbier à lui, qu' il emporta à Sora au Danemark où il devint professeur de médecine. A la suite de la guerre entre le Danemark et la Suède, l' herbier de Burser fut emporté par les vainqueurs à Upsala où, plus tard, il fut étudié par Linné.

Nous sommes très bien renseignés à ce sujet par la copie que fit Linné des noms des plantes de l' herbier de Burser avec de brèves indications des lieux de leur provenance. Ce document manuscrit qui est conservé dans les archives de la Société Linéenne de Londres, a été publié par M. S. Savage ( « Caroli Linnaei determinationes in hortum siccum Joachimi Burseri », dans « Catalogue of the manuscripts in the Library of the Linnean Society of London », Part II, 1937 ). On y trouve les noms de plusieurs localités intéressantes en plus de celles citées par Haller; par exemple ( modernisés ): Sion, Einsiedeln, Leukerbad, Passwang, Coire, Lucerne, Altdorf, les Mythen, Schindellegi et Wallenstadt, qui témoignent de voyages étendus dans les Alpes et le Jura de la part de Burser. De plus, on y trouve à plusieurs reprises « Gletscherberg Helvetiae », « Vallesiae Glitscherberg », « mons Gletzscherberg a perpetua glacie », c'est-à-dire le St-Théodule, ainsi que « Vallesia non procul ab oppido s. Niclas unde C. Bauhino attuli ». Et finalement on y trouve aussi « Loch Vallesiae » comme habitat de VAretia alpina. Il ne peut donc y avoir aucun doute que c' est de cette source que Linné a tiré son renseignement.

Quoiqu' on ne fût encore qu' au début du dix-septième siècle, Burser connaissait donc bien la vallée de Zermatt, et quand il voulait désigner le St-Théo-dule il écrivait « Gletscherberg » et non pas « Loch ». Ce qui le prouve sans conteste, c' est encore l' herbier de Burser dont le texte a été publié par H. O. Juel ( « Symbolae botanicae Upsalienses », II: 1, 1936 ). Plus ample en détails de localités que la copie abrégée qu' en fit Linné, l' herbier de Burser porte en regard de VAretia alpina « In altissimo Vallesiae monte, im Loch dicto ». Cette localité est bien connue. Dans ses « Itinera Alpina » ( Leyde 1723 ), J. J. Scheuchzer écrivit: « Ad laevam Rhodani e regione fere Ulricae quondam Coenobium Die Alpen - 1947 - Les Alpes4 Monacharum eroi ( Im Loch nunc appellai! testatur Stumpf).* Et Stumpf ( « Schweytzer Chronick », Zurich 1608 ) précise: « Zwûschen den jetztbenenten dörffern / Gestelen und Münster / vor Ulrichen ober / auf der lincken seyten gegen Mittag / ist gelegen ein Frauwenclösterlin / jetzt gênent im Loch / ein Schwesterhausz j nit grosses wesens / ist in der zeit vergangen ausz mangel der personen / auch notturfftiger narung / und von wegen der wilden gelegenheit. » Aux seizième et dix-septième siècles, l' ouvrage de Stumpf faisait autorité en matière de géographie suisse et surtout du Valais que Stumpf avait parcouru en personne d' un bout à l' autre. Si Burser avait eu besoin d' un « guide » pour se renseigner sur les noms des endroits qu' il avait parcourus, c' est de Stumpf qu' il se serait servi.

« Loch Vallesiae » est par conséquent à l' entrée de l' Eginental, lieu autrefois assez fréquenté sur la-route des cols de Gries et de Nufenen, et qui, jourd' hui encore, porte le nom de « Zum Loch ».

Deux points méritent encore une explication. Il est curieux qu' une désignation de lieu de basse altitude comme « Im Loch » soit qualifiée par Burser de « très haute montagne ». Il me semble que Burser a voulu dire que Im Loch était un endroit dans le Haut-Valais, mais qu' un lapsus l' a fait décrire comme un endroit très élevé dans le Valais.

Puis, on se demande pourquoi dans l' ouvrage d' Amann, Loch figure parmi les « Rhaeticae Alpes ». Je suis porté à croire que c' est également dans l' her de Burser qu' il faut en chercher l' explication. En effet, chaque fois que Burser cite le Gothard, il le qualifie de « Rhaetiae ». L' Eginental ou se trouve Im Loch est à la limite occidentale du massif du Gothard, et Linné avec Amann, peu forts en géographie alpine, auront cru que ce lieu dépendait également de la Rhétie.

Le nom de Joachim Burser est presque oublié. Il mériterait cependant qu' on s' en souvienne, non seulement à cause de ses voyages alpestres à une époque où il était rare de trouver des visiteurs dans les vallées reculées telles que celle de Zermatt, mais aussi parce qu' il servit de lien entre Caspar Bauhin et Linné. L' herbier de Burser était classé selon le système de Bauhin, et c' est par son intermédiaire que l' œuvre du grand botaniste suisse put servir de base pour le travail du grand Suédois.

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