Johann Jacob Dick et les Alpes de la Suisse
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Johann Jacob Dick et les Alpes de la Suisse

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Par G. R. de Beer

Le dictionnaire biographique des botanistes anglais et irlandais paru en 1893 cite le nom de « James Dick », décrit comme « élève de Haller»1. On n' a jamais expliqué comment cette erreur s' est produite, et l'on s' est borné tout simplemeit à exclure le nom de Dick des éditions suivantes du dictionnaire. Mène en admettant que c' eût été un bienfait que de décerner la bourgeoisie botanique anglaise à ce modeste pasteur bernois, il n' en resterait pas moins vrai que ce serait offense que de la lui retirer. J' estime donc de mon devoir de dédommager la mémoire de Dick pour le traitement cavalier qu' elle a subi de la main de mes compatriotes.

Dick naquit en 1742 d' une famille qui avait déjà fourni plusieurs pasteurs au canton de Berne. De bonne heure, il entra en relations avec la famille 1 A Biographical Index of British and Irish Botanists. J. Britten & G. S. Boulger. London, 1893 ( 3rd Supplement ).

de Albert de Haller, car en 1758 le grand homme attacha Dick à son ménage comme précepteur de ses enfants. C' est ainsi que Dick habita avec Haller à Roche près d' Aigle lorsque Haller remplissait la charge de Directeur des Salines.

L' écart est grand entre ce modeste aspirant au pastorat et le fameux aventurier Casanova, mais il n' est pas moins vrai que Dick figure dans les Mémoires et, qui plus est, à son honneur \ Casanova était en visite à Roche en 1760 et décrivit sa rencontre avec Dick. On peut sans risque lui confier ici la parole:

« II [Haller] avait une fille charmante d' environ dix-huit ans, d' une tournure modeste, et qui n' ouvrit la bouche à table que pour parler quelquefois à voix basse à un jeune homme assis à côté d' elle. Après dîner, me trouvant seul avec M. Haller, je lui demandai qui était ce jeune homme. Il me dit que c' était le précepteur de sa fille.

,Un pareil précepteur et une élève aussi jolie pourraient facilement devenir deux amants. ' ,Plût à Dieu! ' Cette réponse socratique me fit sentir combien ma réflexion avait été déplacée, et j' en éprouvai quelque confusion. » A Roche Dick fit plus que compléter l' éducation de Mlle de Haller; il apprit la botanique de son père et devint un de ses meilleurs collaborateurs en parcourant les Alpes pour lui procurer des plantes. Dans la préface de son grand ouvrage 2, Haller parle de Dick comme suit:

« Ainsi M. Dick, Ministre du Saint Evangile, fit à mes frais avec Abraham Thomas, conservateur des forêts, un voyage au cours duquel il visita Coire, le Col de Splügen, Chiavenna, la Valtelline, le Col d' Umbrail, les vallées de Trône et de Fraele, la Bernina, le Col très élevé du Septimer, et de là revint à Roche en passant par la Forcellina, la vallée de Mesocco, Bellinzona, les Alpes de Gries, et le Valais, chargé de plusieurs plantes très rares. » La date de ce voyage se fixe en 1763, ainsi qu' il ressort de la correspondance entre Haller et Johann Gessner. Ce dernier écrivit de Zurich le 8 mai 1763 3:

« Le gentil Dick a apporté votre gracieuse lettre. Je reconnais en lui un homme des plus consciencieux et de grande valeur, très instruit en botanique et sur la flore suisse.Vous tirerez, et tous les amateurs de botanique tireront de son voyage de précieux avantages. C' est avec le plus grand plaisir que j' ai mis à sa disposition tous les services qui dépendaient de moi. Je lui ai donné des lettres pour Coire. Comme compagnon de voyage il s' est adjoint le jeune Fuessli, fils du peintre, homme plein d' avenir qui depuis quelque temps s' est adonné à l' étude de la médecine et qui, très fidèle à son travail et curieux de pénétrer les secrets de la nature, s' est acquis une profonde con- 1 Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt. Edition Garnier, Paris, tome 4, p. 422.

2 Hisloria Stirpium Heloeliœ Indigenarum Inchoata, Bern, 1768.

3 Epistolarum ab erudilis vins ad Alb. Hallerum scriptarum, Pars I. Bern, 1774. Tome 5, p. 141.

naissance dans l' étude des insectes 1. Le noble Meisius2, ami intime de Fuessli, est de la partie, et de cette façon les trois amis pourront s' entr. M. Dick souffre d' une enflure de l' œil qui l' incommode quelque peu. Il a fait usage de la scarification sans toutefois bénéficier beaucoup de ce remède. Il a néanmoins tenu à se mettre en route, ne voulant pas retarder l' entreprise. » Les voilé donc partis. De Zurich ils gagnent Coire, franchissent le Col de Splügen, passent par Chiavenna et remontent la Valtelline jusqu' à Bormio. Puis ils franc' issent le Col d' Umbrail, parcourent le Val da Fraele et reviennent sur le Col de la Bernina, soit par le Passo di Livigno, soit par celui de Val Viola. Plus tard 3 Dick parlera d' une plante qu' il trouva au sommet du Col de la Bernina. De l' Engadine ils gagnent le Col du Septimer et redescendent par la Forcellina sur la Vallée d' Avers; ils passent à Splügen, franchissent le San Bernardino et, par Mesocco, gagnent Bellinzone. De là, leur itinéraire est incertain. Le Dr Dübi qui l' a étudié 4, pense qu' il se poursuivit par la Léventine. J' estime au contraire qu' ils ont dû gagner le Col de Gries en passant par le Val Formazza parce que dans une lettre que Dick écrivit plus tard à Haller 6, il fait allusion à une plante qu' il trouva « non loin du village de Formazza ». C' est donc probablement par le Val Maggia et la Criner Furka ou Guriner Furka qu' ils l' atteignirent.

C' était u voyage réussi, et le 16 juillet 1763 Johann Gessner écrivit de nouveau à Haller:

« Fuessli et Meisius sont revenus enchantés de leur tournée et se félicitent chaleureusement des bontés du savant Dick. J' ai également reçu de ce dernier une lettre pleine de gentillesse et de reconnaissance. Je n' ai pas encore étudié toutes les plantes recueillies au cours de ce voyage; il y en a cependant d' assez rares que je n' avais pas encore vues... 6 » Quand il en eut achevé l' étude, Johann Gessner s' empressa d' en dresser une liste et, le 14 novembre 1763, de l' envoyer à Linné7.

Ce dut être pendant son séjour à Roche que Dick parcourut les Alpes du Bas-Valais, air si qu' il ressort de la préface de Haller: «... Puis il visita les Alpes Valaisannes, Salanfe, les Herbagères, la Combe de Martigny et Vallorsine... 8 » En 1764 Haller quitta Roche et Dick fut nommé pasteur à Spiez d' où, continue Haller: « il parcourut avec avantage la vallée de Gastern et les vallées du Kienthal ainsi que es environs de Spiez au pied des Alpes... 8 » C' est alors que commença sa correspondance avec Haller qui contient de précieux renseignements.

1 Johann C îspar Fuessli, 1745-1786, troisième fils du peintre Johann Caspar Fuessli, auteur du Verzei~hniss der ihm bekannten schweizerischen Inseclcn, Zürich, 1775, et de plusieurs autres oui rages.

2 Hans-Ludwig von Meiss, 1745-1795, Conseiller de Zurich.

3 Epislolarum lettre du 29 janvier 1767. Tome 5, p. 314.

1 « Albrecht Haller und die Alpen », Deutsche Alpenzeitung, 8, 1908.

6 Epistolarum lettre du 10 avril 1767. Tome 5, p. 317.

* Epistolarun tome 5, p. 148.

.'Conservée dans les archives de la Société Linnéenne de Londres.

8 « Porro alpes Valesiacas Salanfe, Herbagere, Combe de Martigny & Valorsin montem. Inde alpes vallis Gastern, aliasque impositas valli Kienthal, & regionem subalpins= circa Spiez utiliter perjgravit. » Les excursions de Dick dans les Alpes du Kiental sont intéressantes non seulement du point de vue botanique, mais aussi comme contribution à l' étude de la topographie alpine. On sait qu' en 1742 le doyen Polier de Bottens se rendit de Kandersteg à Lauterbrunnen par une traversée dont la relation fantaisiste fut publiée plus tard par Bourrit 1. La tradition voulait que cette traversée ait eu lieu par le Tschingelpass, mais Haller se doutait bien quelle avait été effectuée en réalité par le Hohtiirlipass, le Kiental et la Sefinenfurke.

« Quelques années plus tard », Bourrit fait dire à Bottens, « ayant parlé à feu l' illustre M. Haller, mon bon & ancien ami, de cette course extraordinaire, il voulut engager de(s ) jeunes gens qu' il envoyoit herboriser, d' aller sur nos traces reconnoitre des choses si dignes d' être observées; et sur leur rapport, il m' écrivit une charmante lettre pour me témoigner que j' avois mis dans ma relation un peu de cette emphase orientale, qu' il falloit prendre au rabais. Je fus piqué de cette raillerie, & ayant eu occasion de le voir à Lausanne, je lui fis connoître que j' en étois affecté, & ayant sous les yeux la grande carte de M. Scheuizer de Zurich, je lui montrai notre route, je lui parlai du Schulmeister du Kandel-Steig, &c. Il prit note de tout sur ses tablettes, & à la faveur de ces nouveaux renseignemens, il envoya des gens plus hardis & plus entreprenans que les premiers, qui trouvèrent tout ce que j' avois annoncé2. » Les « gens plus entreprenans », c' était Dick, et ce qui rend ses voyages encore plus intéressants, c' est que ses renseignements permirent à Haller de se fixer définitivement sur les noms des cimes que Jacques Barthélémy Michèli du Cret avait donnés dans son panorama de l' Oberland bernois, vu de sa prison à Aarbourg 3. Déjà en 1755 Haller avait écrit à Michèli qu' il n' était pas d' accord avec lui sur les noms des montagnes autour de Lauterbrunnen, et « qu' il y a entre le Lauterbrunn et Gastern des terres australes, inconnues et inabordables, et que pour les reconnoitre il faut que quelqu'un monte sur les hautes montagnes du Kienthal4 ».

Dans une lettre à Haller datée de Spiez le 4 septembre 1766, Dick rend compte de ses dernières excursions et dit: « Je fus pour la première fois le 21 juillet dans la vallée de Kienthal et ses diverses recoins tels que Margofel-alpen, Hohkien, Sauss, Rothhorn, Sulsalpen, Glütsch, Eggalpen, Lattreien-alpen, et Suld; j' ai trouvé dans ces régions plusieurs petites plantes élégantes mais rien de nouveau. » II est donc évident que Dick a parcouru les fonds des vallées de Spiggengrund, du Suldtal et du Saustal. Puis, Dick continue et donne un renseignement important pour l' histoire de Zermatt, car il demande à Haller:

1 Description des Alpes Pennines et Rhétiennes. Genève, 1781.

2 Bourrit, loc. cit. Tome 1, p. 170.

8 Prospect géométrique des Montagnes neigées, dittes Gletscher, telles qu' on les découvre en temps favorable, depuis le Chateau d' Aarbourg Augsburg, 1755.

* Das Leben und Wirken des Physikers und Geodäten Jacques Barthélémy Michel du Crest, J. H. Graf, Bern, 1890.

6 Epistolarum tome 5, p. 284.

Les connaissances approfondies que Dick possédait en botanique et aussi des cor ditions économiques de la vie sur les Alpes lui permirent de contribuer d importants mémoires à la Société Oeconomique de Berne. On a de lui un Catalogue des plantes de la Suisse, qui servent à la nourriture du bétaili », dressé à dessein d' homologuer les noms des plantes dans les divers patois des Alpes. Puis il y eut le « Mémoire sur l' économie des Alpes qui a remporté le Prix en 1771 par M. Jean Jacques Dick, Pasteur de l' église de Bolligue5». lin effet, Dick avait quitté Spiez pour Bolligen en 1770. Ce mémoire s' occupe des réponses aux questions suivantes: « Quels sont l' état actuel, les défauts et le perfectionnement de l' œconomie de nos Alpes et Montagnes et de la Fruiterie en dépendante? » Dick y traite de la conversion des alpages er prés; de l' extirpation des plantes nuisibles, et de la propagation des plantes uüles sur les alpes; des soins à donner aux eaux; de l' usage qu' on peut encore faire des pierres superflues sur les Alpes ( il en préconise l' emploi pour la construction du soubassement des bâtiments ); des précautions contre les éboulements; de l' épargne du bois ( les clôtures en bois devraient être remplacées pî.r des murs en pierres sèches ); doit-on traire les vaches trois fois par jour? Est-il plus profitable de faire du fromage que du beurre? Doit-on saler le beurre? ( non !) Dick écrivit aussi le « Verzeichnis derjenigen seltenen Pflanzen, welche in der Herrschaft Spiez freiwillig wachsen 6 », et il avait rédigé un ouvrage sur les roses dont le manuscrit passa avec les papiers de Haller entre les mains du Dr Tribolct, mais ne fut pas publié7.

La valeur de Dick comme botaniste ressort également du fait que l' her de Linné ne contient pas moins de 30 allusions à Dick 8. Ce fut donc une grande perte pour la botanique suisse, quand Dick mourut en 1775, âgé de 1 Epistolarvm tome 5, p. 290. « Si per otium fasciculum anni 1765 ex Praborgne, et valle St. Nicolas &c quibus hucusque careo, et etiamhujus anni seligere velles, gratissimum mihi donum facsres... » 2 « Un cun alsacien à Zermatt », C.E. Engel, Les Alpes ( partie administrative ), 1945, p. 182.

8 Bex et ses environs, E. Rambert. Lausanne, 1871, p. 34.

4 Mémoires et Observations recueillies par la Société Oeconomique de Berne, 1774, Seconde Partie, p. 151—185.

5 Ibid. 1771, p. 59—114.

9 Berneriscles Magazin der Natur, Kunst, und Wissenschaften, 3, 1779.

7 Lettre manuscrite de J.S. Wyttenbach à E. Davall, dans les archives de la Société Linnéenne de Londres.

8 Catalogue of the Linnaean Herbarium. S. Savage, London, 1945.

33 ans seulement. Le botaniste distingué Werner von Lachenal de Bâle en fut particulièrement désolé1.

Dick avait réuni un important herbier qui fut acheté par Sir Joseph Banks, président de la Société Royale de Londres, dans les conditions suivantes a:

« En 1775 un correspondant en Suisse offrit au Dr Pitcairne l' achat d' un riche herbier dont le collectionneur était mort, cette vente se faisant au profit de sa veuve. Comme le docteur ne faisait pas collection de plantes desséchées, il me la proposa. J' y consentis volontiers et répondis par une lettre en disant que si le prix était raisonnable je désirais l' acheter et qu' on me l' envoyât directement. La collection arriva donc, sous forme de 29 étuis en carton remplis de plantes montées sur feuilles de papier; le prix et les frais de transport et de douane revinrent à £ 39. Je n' ai pas encore réussi à découvrir le nom de celui qui l' avait réuni. » A ces mots de Sir Joseph Banks, Jonas Dryander, le bibliothécaire de la Société Royale, ajouta: « Ce fut Dick. » Je me permets ici une hypothèse. Le Dr Pitcairne mentionné par Banks était celui qui, avec le Dr Fothergill, envoya en Suisse un botaniste pour y récolter des plantes. Le nom de celui qu' il envoya est resté inconnu jusqu' en ces derniers temps: c' était Thomas Blaikie dont la relation a été très soigneusement traduite par le professeur L. Seylaz 3. Les rédacteurs du dictionnaire biographique des botanistes anglais ignorèrent son nom. Mais, d' autre part, on savait qu' une collection de plantes suisses fut offerte au Dr Pitcairne et que le collectionneur était Dick. Il est possible que de la juxtaposition de ces deux faits on ait tiré la conclusion que ce fut Dick que Pitcairne et Fothergill envoyèrent en Suisse, et que par conséquent « James Dick » était Anglais.

Quoiqu' il en soit, l' herbier de Dick repose actuellement au Musée Britannique d' Histoire Naturelle, faisant partie du legs Banks qui servit de base aux collections botaniques du musée.

1 Extraits de lettres à Haller, publiés par R. Wolf, Mitlheilungen der Naturforschenden Gesellschaft in Bern, 1847.

2 « Notes on the Banksian Herbarium », Journal of Botany, vol.40, 1902, p. 388. « In the year 1775, Dr. Pitcairne was by a correspondant in Switzerland offered the purchase of a large herbarium, the collector of which was dead, and the whole to be sold for the benefit of the widow. As the Dr. made no collection of dried plants he proposed it to me. I readily agreed, and a letter was returned desiring that if the price asked for it was reasonable it might be purchased and forwarded directly to me. It accordingly arrived consisting of 29 large paste-board covers filled with plants loose on sheets of paper; the purchase money, charges of carriage, duty, etc. of which amounted to £ 39. As yet however I have not been able to have the name of the person who collected it. » To this Brown adds: « So far Sir Joseph: in Dryander's hand in pencil follows, ,It was Dick. ' » The above was taken from a Memorandum in Robert Brown's handwriting, a copy made by him from Sir Joseph Bank's notes.

» Journal de Thomas Blaikie. Neuchâtel: aux Editions de la Baconnière, 1935.

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