La forêt en montagne
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La forêt en montagne

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PAR LEO LIENERT, INSPECTEUR CANTONAL DES FORÊTS, SARNEN

Notre culture a commencé par détruire la forêt,Avec 4 illustrations ( 85-88 ) mais c' est en la sauvant qu' elle subsistera.

L' histoire de la forêt et de son exploitation commence avec celle de l' humanité. Dans les temps les plus reculés, notre pays était presque entièrement recouvert de forêts; seules les hautes chaînes de montagne émergeaient de cet océan de verdure. Les premières habitations, les premières terres cultivées et les premiers pâturages représentèrent autant de victoires sur la forêt. A l' aube de notre civilisation, il y eut donc la conquête du sol. L' agriculture naquit le jour où un colon s' arrêta dans une clairière, osa bouter le feu à la forêt environnante et l' attaquer à la hache pour y ouvrir, avec sa charrue primitive, les premiers sillons. Voilà pour l' agriculture - de sylviculture il n' était encore pas question. La forêt était un océan: qui songeait à en domestiquer les vagues? Il fallait au colon du bois de charpente et de feu: elle lui en fournissait à satiété. Tout ce qu' on lui demandait à part cela, c' était d' apporter sa contribution pour nourrir bêtes et gens et, au besoin, de leur prêter asile, en contrepartie de quoi on voulait bien la protéger. Terres cultivées et boisées étaient alors étroitement imbriquées; en dehors de l' agglomération du village ou du hameau, il n' y avait nulle part de limite bien tranchée. La forêt cédait du terrain à l' agriculture et s' en faisait la servante en temps normal, mais il suffisait qu' une guerre ou une épidémie vînt saigner à blanc les populations pour qu' elle reconquît aussitôt les territoires perdus. Le combat restait donc indécis; il ne devait s' apaiser qu' avec le temps, dans les endroits où la configuration du terrain ou la nature du sol assignaient des limites au développement des cultures, ou lorsque les besoins des populations indigènes étaient couverts et que, d' autre part, la conservation d' un minimum de surfaces boisées se révélait indispensable. Jusqu' au XVe siècle, nos forêts de montagne n' avaient connu d' autre ennemi que les éleveurs de bétail, qui les convertissait - souvent sans ménagements - en pâturages. La situation devait empirer lorsque l' accroissement de population lié, dans les villes surtout, au développement du commerce et de l' industrie, créa un fort appel de matières premières, au nombre desquelles se trouvait le bois, qui dès lors prenait une réelle valeur marchande et devenait l' objet d' un commerce florissant. Le branle une fois donné, les hommes s' attaquèrent à la forêt partout où ils purent, et « rien ne leur y fut ni trop chaud ni trop pesant ». Des endroits les plus reculés, des pentes les plus scabreuses, le précieux bois fut drainé vers les plaines en quantités sans cesse croissantes. Jusqu' à nos jours, l' absence d' un réseau de chemins forestiers adéquats a rendu difficile le transport du bois. En maints endroits, les troncs provenant des forêts alpestres devaient être acheminés par flottage. Ce procédé exigeait des débits considérables, que l'on obtenait en accumulant les eaux de fonte derrière des barrages construits au défilé des vallées, et dont on ouvrait les vannes par intermittence.

Jusqu' au siècle dernier, notre pays connut de véritables campagnes de déboisement, conduites sans ménagements, pour ne pas dire plus - et au cours desquelles toutes les forêts situées au débouché des vallées furent systématiquement rasées. Nous connaissons un exemple de ces actions de grand style où, avec une inconscience à peine croyable, on a abattu tout ce qui se pouvait abattre sous des pentes d' éboulis de toutes inclinaisons; même les gorges les plus encaissées, les défilés les plus périlleux ne sont pas restés à l' abri d' une telle frénésie destructrice. Cette inconscience n' avait d' ailleurs d' égal que la négligence dont on faisait preuve à l' égard des surfaces déboisées que personne ne songeait à repeupler, et qu' on abandonnait simplement à elles-mêmes. Dans cette région maintenant désertique, le ravinement et l' érosion diminuent chaque année la surface des terres récupérables. Le sol apauvri, dégénéré, doit être littéralement reconquis étape après étape: il faut le recouvrir de buissons et d' arbustes avant qu' il soit capable de supporter et de nourrir de hautes futaies. Il ne faut rien moins que l' inépuisable pouvoir de régénération que possède la forêt, allié à beaucoup de temps, pour réparer de tels dommages. Précisons qu' il ne s' agit nullement d' un cas isolé: il y a hélas! beaucoup de forêts qui pâtissent encore de ces déboisements inconsidérés.

Vers la fin du XVIe siècle, l' exploitation des ressources minières prit une vaste extension jusque dans les régions alpestres, et le tribut payé par nos forêts fut lourd, une fois de plus. En effet, les techniques nouvelles de la métallurgie exigeaient une énorme consommation de bois et de charbon de bois. Dans les cantons des Grisons, de St-Gall et d' Obwald, des vallées entières ont été déboisées pour les besoins de cette industrie. Il fallut attendre la naissance d' une législation forestière pour que cessât le massacre.

Il convient cependant de préciser que les déboisements qu' a connus notre pays - et Dieu sait s' ils furent nombreux et rondement menés - n' auraient à eux seuls pas suffi à dénuder les flancs de nos montagnes au point où ils le sont. C' est un fait connu que des surfaces déboisées et laissées à elles-mêmes retombent sous l' empire de la forêt, pour autant que les conditions ne soient pas trop défavorables. Mais cette tendance naturelle au repeuplement est, en montagne, constamment battue en brèche par d' autres agents de destruction qui sont les catastrophes naturelles, et surtout le bétail. Les bestiaux d' un pâturage ne sont pas seulement nuisibles aux jeunes plantations, ils représentent une menace constante pour des forêts d' arbres adultes qu' ils détruisent lentement, mais sûrement. On peut affirmer sans exagération que les pâturages de sous-bois nuisent à la forêt alpestre infiniment plus que toutes les dévastations voulues par nos ancêtres. Le piétinement des bestiaux détériore petit à petit la structure lâche du sol et provoque, surtout dans les terrains argileux, une véritable asphyxie des racines. Les animaux errant sous les futaies blessent aussi les racines qui courent à fleur de sol, et l' alimentation de l' arbre en eau et en constituants naturels s' en trouve perturbée. Ces écorchures servent enfin de porte d' entrée aux moisissures et aux champignons qui gangrènent le bois. L' épicéa, hôte habituel de nos forêts d' altitude, est particulièrement sensible à tous ces mauvais traitements; c' est pourquoi, dans les forêts ouvertes aux bestiaux, son bois présente fréquemment une couleur rousse de mauvais aloi. A tout cela il faut ajouter que le bétail écrase les jeunes pousses, entravant les processus de régénération naturelle - on observe effectivement que de telles forêts se régénèrent mal, ou même pas du tout dès que le sol devient trop tassé. Il semble que l'on est amplement renseigné, de nos jours, sur la valeur des pâturages de sous-bois: il n' est pas rare que leur herbe soit à l' origine de troubles digestifs ou de malformations osseuses, ce qui n' a rien d' étonnant lorsqu' on sait qu' un fourrage qui a crû à l' ombre des arbres possède une valeur nutritive dix fois moindre que l' herbe d' une prairie convenablement fumée et ensoleillée.

De tout temps, on a essayé de protéger les forêts. Au Moyen Age déjà, les plus éclairés de nos compatriotes avaient compris son importance comme moyen de protection contre les forces naturelles impossibles à contrôler. Les dommages volontaires causes à la forêt étaient frappés de lourdes amendes. Il y a ainsi plusieurs siècles que nos ancêtres, surtout ceux des hautes vallées alpestres, avaient reconnu qu' elle n' est pas seulement bonne à fournir du bois à ses propriétaires, mais qu' elles joue le rôle d' un bouclier protecteur pour tous les habitants d' une vallée - bref, qu' elle est un véritable bien communautaire. Ce qui explique qu' ils en vinrent très tôt au système des « bois de ban ».

Ces premières réserves naturelles se sont étendues avec le temps pour devenir, sur les flancs du Jura, des Préalpes et des Alpes une véritable ceinture de protection dont l' importance va croissant sans cesse, au fur et mesure que se développent nos voies de communications routières ou ferroviaires. Ce manteau protecteur recouvre les versants des vallées, du fond jusqu' à la limite supérieure des forêts; sans lui.il serait impensable de séjourner en altitude toute l' année; routes et voies de chemin de fer seraient constamment exposées aux pires dangers.

Il y a maintenant plus de six décennies que la première législation forestière régissant l' ensemble de notre territoire est entrée en vigueur. Elle prescrit expressément que les aires boisées doivent être conservées dans leur intégrité, que les destructions y doivent être compensées par des reboisements équivalents ou, le cas échéant, par des mesures d' assainissement propres à augmenter la rentabilité des surfaces restantes, et que la forêt doit être l' objet de soins constants.

Densité en arbres excessive, privilèges d' exploitation souvent préjudiciables, .pâturages sans limites bien assignées, gaspillage de bois pour les clôtures... à quoi s' ajoutent toutes les catastrophes imprévisibles, tels sont les maux qui, jusqu' à nos jours, ont anémié la substance vitale de nos forêts de montagne. Sans doute, personne n' ignore plus quelles importantes fonctions protectrices la forêt remplit en altitude, puisqu' elle stabilise les pentes d' éboulis, ralentit les processus d' érosion et neutralise les effets dévastateurs des eaux et des avalanches. Mais l' importance qu' elle prend à grande échelle, son rôle capital pour la stabilité d' une région géographique, n' ont été reconnus que tout récemment. L' opinion, solidement enracinée dans le public, qu' il convient de conserver les forêts a, en dernière analyse, des racines sentimentales. Les appels pathétiques à l' amour des bois n' ont jamais manqué lorsque l' appétit du lucre ou l' intérêt général exigeaient de nouveaux déboisements. Nos pères ont fréquemment pris la plume ou la parole en faveur du maintien des forêts. Mais ce n' est plus de cela qu' il s' agit, puisque nul ne songe à remettre le principe en question. C' est la défense de la forêt qui est maintenant à l' ordre du jour, et en montagne autant que partout ailleurs. L' intérêt de la technique et du trafic prédomine maintenant, semble-t-il, et il arrive quelquefois que l'on préfère au bien de tous le bien de quelques privilégiés. On n' hésite pas à sacrifier de vastes aires de forêts pour aménager de grandes artères ou des pistes de ski, ou encore pour agrandir nos stations touristiques, mais nul ne songe apparemment aux conséquences fâcheuses qui pourraient en résulter. De nos centrales électriques rayonne un vaste réseau de conduites à ciel ouvert. Pour leur livrer passage, on taille de larges couloirs au cœur des plus belles forêts alpestres, quitte à entamer les boucliers de protection de nos vallées—au prix coûtant, qui n' est hélas! pas toujours celui d' argent. On a même créé de vastes bassins d' accumulation dans des vallées où la tendance à l' ensablement et à l' envasement met constamment en échec les efforts humains. S' il est un sentiment bien ancré au cœur de chaque Suisse depuis les temps les plus reculés, c' est bien celui que la forêt fait partie intégrante de son patrimoine. Plus nos paysages perdent leur naturel pour prendre l' allure de steppes cultivées, plus ce sentiment s' affirme. C' est devenu une vérité incontestable que la protection des sites alpestres, des eaux et des forêts est une exigence sociale de première urgence. Les montagnes, les bois, les eaux, ce sont là les éléments premiers de notre sol natal. Notre culture leur est intimement liée et tout notre sentiment de la nature se réclame d' eux. Demandez à tous ceux qui ne possèdent pas en propre un lopin de terre, et pour lesquels « la maison » n' est que la caserne locative d' une grande ville, ce que signifie le mot « patrie ». Ils vous diront que la patrie, c' est les montagnes, les bois, les lacs et les rivières, tels que les a faits la nature.

La protection des eaux répond à une exigence imperative de nos lois, et le rétablissement, dans ce secteur, de conditions saines est une des grandes tâches dévolues à notre génération. En revanche, l' absence d' une législation adéquate pour la protection des sites alpestres se fait cruellement sentir. Certes, les amis de la nature déploient de louables efforts afin que la frénésie des affaires et l' appétit du gain n' aillent pas accrocher un téléphérique au dernier sommet encore vierge, pour qu' en montagne au moins subsistent des oasis de tranquillité et pour que le dernier torrent ne soit pas obligatoirement détourné de son cours ou emprisonné derrière un barrage. Mais ils s' opposent à trop d' intérêts privés. Une législation efficace est donc absolument indispensable, et la protection des forêts, de leur limite supérieure à la plaine, pourrait fort bien faire l' objet du premier paragraphe. Admettons qu' un pas est déjà fait, puisque la loi prescrit le maintien d' une surface boisée constante et qu' elle soumet les déboisements à des autorisations spéciales. Mais l' aménagement de notre réseau routier et le développement des stations touristiques impliquent, en montagne aussi, de tels gaspillages de terrain que de tous côtés on en vient à se demander si la forêt ne devra pas un jour ou l' autre payer son tribut. A Dieu ne plaise! Ce serait oublier qu' au fur et à mesure que s' agrandissent nos cités et que s' élargissent nos routes, la nécessité de maintenir de vastes zones de calme et de repos se fait plus impérieuse. Et c' est évidemment la forêt qui répond le mieux à ce besoin. Au point où nous en sommes, il convient donc d' élargir considérablement la notion de « forêt protectrice ». Se soustraire aux effets les moins bénéfiques de la technique est pour le moins aussi important que se mettre à l' abri des chutes de pierres, des avalanches, des torrents et des dégradations du sol. De plus en plus, la forêt est appelée à nous protéger contre le bruit, la poussière, les gaz de combustion et les dangers de la route. Mais les divergences entre les intérêts privés et ceux de la communauté s' accusent aussi de plus en plus. Et c' est une hérésie de donner à priori moins de poids aux exigences de l' hygiène et du sentiment qu' à celles de l' économie. Une fois défini le rôle de nos forêts dans la société moderne, l' obligation de les protéger en découle logiquement.

La protection des forêts tend aussi à assurer à la faune un espace vital suffisant: elle est synonyme de « protection des animaux » au meilleur sens de l' expression. Il ne s' agit en l' occurence pas de maintenir quelques îlots de verdure, mais bien de vastes étendues boisées avec leurs clairières, leurs marécages, leurs prairies et leurs lacs: car c' est là ce qu' il faut à nos oiseaux et à notre gibier. Les nouvelles dispositions constitutionnelles votées par le peuple en décembre 1961 ( art. 24, al. 6 ), concernant la protection de la nature et des sites historiques, représentent déjà un progrès en ce sens. Cet article précise d' abord que cette protection est du ressort des cantons, et prescrit ensuite que la Confédération, dans l' accomplissement des tâches qui lui sont dévolues, doit s' efforcer de ne pas altérer le visage de la patrie, mais d' en protéger les sites historiques, les beautés naturelles et les trésors artistiques, et même de les conserver intacts si l' intérêt général l' exige. Elle peut aussi, aux termes de cet article, soutenir financièrement les efforts visant à protéger la nature, de même qu' elle peut acquérir par voie d' expropriation des réserves naturelles, des sites historiques et des monuments ayant une valeur culturelle. Elle est enfin habilitée à promulguer des ordonnances en vue de protéger la faune et la flore. L' arrêté d' exécution en est au stade des discussions parlementaires, et l'on peut souhaiter qu' il entrera en vigueur assez tôt, et qu' il sera suffisamment incisif pour sauver des trésors irremplaçables, pour conserver intactes, à l' intention des générations futures, quelques portions de notre territoire national, et pour assurer à notre faune et à notre flore un espace vital suffisant.

En montagne comme en plaine, la nécessité d' un aménagement du territoire à l' échelle régionale se fait sentir avec une acuité sans cesse croissante. Ce dont il s' agit, en quelques mots, c' est de planifier l' ensemble des initiatives visant à utiliser le sol pour satisfaire les divers besoins des populations, de l' économie et du trafic. Le but d' un tel aménagement est de susciter ces initiatives, ou de les

La forêt de montagne

85La destruction des forêts par le déboisement irréfléchi et la transformation en pâturages de terrains alpins est la cause de dommages provoqués par les avalanches et les torrents. Région tourmentée par les avalanches: le Matthorn au-dessus d' AlpnachstadPhoio. Sachseln 86La route du Kleinteilerberg ( Giswil-Sörenberg ) donne accès à une magnifique région d' excursions en montagne et forêt Photo Josef Reinhard, Sachseln orienter de telle façon que l' ordre créé soit le meilleur possible, celui qui répond aux exigences de la vie sociale aussi bien qu' aux aspirations de l' individu. Sa première tâche est de procéder à une répartition du territoire en zones construites et zones non construites ( terrains agricoles, forêts, aires de repos, etc. ).

A l' intérieur d' un projet d' ensemble groupant les diverses études relatives aux zones d' habitations, aux transports et communications, à l' approvisionnement, à la mise en valeur des terres cultivables et aux constructions d' intérêt régional, il est un plan qui prend une importance toute particulière: c' est celui qui définit dans ses grandes lignes le visage futur de la région. Il délimite les aires « réservées » pour diverses raisons: protection du paysage, décentralisation des lieux habités, aménagement des agglomérations, création de zones vertes, etc.; il désigne les portions de territoire où la construction doit être réglementée, en raison de leur situation particulière; celles enfin qui restent destinées à l' agriculture et à la sylviculture. Il dresse aussi l' inventaire des sites naturels et des trésors artistiques qui doivent être protégés. L' aménagement du territoire ne s' impose, dit-on couramment, que là où le rythme accéléré de la construction exige précisément que l'on regarde les choses de plus haut. Ce n' est vrai qu' en partie. En réalité, les problèmes sont aussi urgents en montagne qu' en plaine, et presque toujours ils y sont plus difficiles à résoudre. S' y attaquer avec coin et compétence, ce serait apporter à nos montagnes l' aide efficace dont elles ont besoin. Jusqu' à présent, on s' est contenté de conserver, et de replâtrer au besoin. Cela ne suffit plus. Le rétablissement d' une situation saine à tous points de vue nécessite que l'on y crée des conditions de vie entièrement neuves. Vu l' importance de la forêt en montagne, il semble que ceux qui la connaissent le mieux - puisque leur tâche est de la servir - devraient collaborer à cette vaste entreprise qu' est l' aménagement d' une région.

Au niveau des réalités pratiques, le travail consistera souvent à délimiter nettement forêts et pâturages, à reboiser des surfaces de maigre rapport et à fortifier les terrains ouverts aux avalanches ou aux torrents. Mais voilà que se pose le problème du financement; problème redoutable, parce que les moyens dont disposent nos montagnards sont insuffisants - ils permettent tout au plus d' entre les ouvrages existants, et encore. Une aide accrue de la Confédération et des cantons est nécessaire. Dans le plan d' aménagement d' une région alpestre, la forêt vient en première place, et ses propriétaires doivent plus que jamais tenir compte des exigences de la communauté. Ce que l'on veut, c' est un accès aisé à la forêt, et surtout le calme et l' impression de naturel, tant il est vrai que dans un pays qui s' urbanise, la forêt est une oasis pour tous les amis de la nature.

Ces exigences auront leurs répercussions sur tous les secteurs de l' économie forestière, qu' il s' agisse du développement, de l' exploitation ou de la culture du bois. En montagne comme en plaine, le principal effort vise à améliorer le rendement forestier. A ce point de vue, nos forêts d' altitude ont des atouts majeurs: elles produisent des bois facilement utilisables, notamment le sapin, et les conditions climatiques permettent d' obtenir des spécimens de haute valeur. L' amélioration du rendement est, au départ, une question de méthodes de culture. Mais voilà: il ne peut y avoir de véritable sylviculture que là où la forêt est exploitée et entretenue - c'est-à-dire là où il est possible d' y accéder par des chemins. L' aménagement des voies d' accès apparaît donc comme la condition première à tout progrès futur. Il est naturellement possible de transporter du bois par téléphérique, c' est même indispensable dans des terrains trop scabreux; mais si l' objectif numéro un est d' amélio le rendement grâce à des modes de culture adéquats, on ne peut pas se contenter de résoudre les problèmes d' évacuation: domestiquer le sol, le mettre en exploitation, voilà les tâches qui nous attendent.

Ce problème des voies d' accès a des incidences culturelles et sociales. C' est au départ l' économie forestière qui est en cause, mais il y a aussi le tourisme, et surtout toute une population assoiffée 13 LesAlpes-1966 -Die Alpen193 de calme. Ce ne sont donc pas uniquement les gardes forestiers et les marchands de bois que concernent l' étude, le financement et l' aménagement des chemins. Tout le monde peut y trouver son compte. Le développement de notre réseau routier intéresse l' ensemble de la population: voilà un fait que nul ne songe à remettre en question. En revanche, l' entretien des forêts incombe presque exclusivement à leurs propriétaires; si ceux-ci ne se laissent guider que par des considérations d' ordre économique et financier, il n' y a pas lieu de s' en étonner - ce n' est que justice.

Le manque de d' œuvre et le désir de réduire les frais d' exploitation motivent l' emploi généralisé des moteurs et des machines; c' est une évolution irréversible. Il faut cependant que les effets de la motorisation - entre autres le bruit - restent dans les limites du supportable. Le calme et la détente sont devenus pour tout le monde des besoins si impérieux qu' on ne peut pas les traiter par-dessous la jambe.

Concilier les exigences économiques et sociales ne paraît pas a priori impossible. Ainsi, ce que l'on exige d' une forêt productrice n' est pas en soi différent de ce que l'on attend d' une forêt destinée aux promeneurs, et s' obtient par les mêmes moyens. La sylviculture moderne s' efforce toujours de choisir les variétés d' arbres les mieux adaptées aux conditions locales, tout en faisant une large place aux espèces indigènes. La théorie des sociétés naturelles de plantes est un de ses fondements. Ainsi, des espèces manquantes peuvent être introduites dans une région si les conditions s' y prêtent, mais elles n' y jouissent que d' un droit d' asile. C' est dire que la forêt d' exploitation idéale peut être sensiblement différente par sa composition de ce qu' elle était à l' origine; ce que l'on recherche en tous cas, c' est de créer une communauté d' arbres parfaitement adaptée au sol et au climat, et capable de subsister par ses propres moyens. De même, la façon dont une forêt cultivée se constitue au cours du temps ne va pas à l' encontre de ses tendances naturelles. Ce qui ne signifie nullement que l'on cherche à imiter en tous points la forêt vierge, où la poussée du bois vers le haut n' est que l' expression d' une lutte pour la vie, et où le rythme de croissance ne se règle pas selon les besoins de notre économie. Dans notre cas, il s' agit bien de cultiver, de guider pour parvenir à nos fins. En montagne, la sylviculture connaît aussi ces deux types d' impératifs: biologiques et économiques. Elle est d' ailleurs parvenue à les concilier en créant des forêts qui, par leur force vitale, ne le cèdent en rien à la forêt vierge, mais qui satisfont les besoins de notre économie.

Son histoire a parcouru toute une série d' étapes: de l' état de nature, on passe à la destruction par le fer et le feu, puis à la culture du sol limitée à de petits espaces dégagés; on en vient plus tard à la « récolte » à grande échelle - synonyme de déboisement, pour aboutir enfin aux méthodes raffinées d' entretien et d' exploitation. Une telle évolution ne peut que réjouir tous les amis de la forêt, qu' il n' y a plus nécessairement opposition entre les besoins de l' économie et ceux de la nature, pas plus qu' il n' y en a aujourd'hui entre les notions de « forêt protectrice », « forêt productrice » et « forêt d' agrément ». Dans presque tous les domaines, le progrès technique débouche sur ce tragique dualisme où l'on voit l' homme s' opposer à la nature; au contraire, la recherche et l' expérience ont fait évoluer la sylviculture vers une synthèse toujours plus achevée du naturel et de l' artificiel. Constatation réconfortante! Puisqu' il est un secteur en tous cas où le progrès technique n' exclut nullement le retour à la nature. Principes et méthodes de la sylviculture moderne s' harmonisent au mieux avec les besoins de la vie sociale, de l' hygiène et du cœur. Conserver et soigner les forêts: on comprend dès lors qu' une telle vocation puisse susciter des enthousiasmes!

En matière d' économie forestière, les droits de la communauté représentent cependant une servitude dont il n' est pas toujours aisé de s' accommoder. A ce propos, il importe que le public soit conscient du fait que les possesseurs de forêts sont soumis à des restrictions et obligations que les autres propriétaires fonciers ne connaissent pas. Ainsi, l' exploitant d' une forêt alpestre ne doit jamais oublier qu' elle a pour mission première de protéger la vallée. Toutes les activités doivent s' y ordonner en fonction de ce but: c' est dire qu' il est contraint d' agir avec ménagements. Il ne peut espérer tirer parti de la conjoncture, pas plus qu' il ne lui est possible de se livrer à la spéculation, puisque son terrain ne peut être affecté à un autre emploi. En période de crise, on exigera même de lui qu' il soumette sa forêt à une exploitation plus intensive. Ajoutons enfin qu' elle est en tous temps accessible à chacun. Quand on regarde l' autre plateau de la balance, on doit bien constater que la protection économique et le soutien financier dont jouissent les propriétaires de forêts, de la part des pouvoirs publics, sont dérisoires.

Cette situation nettement défavorable de l' économie forestière, lorsqu' on la compare, par exemple, à l' agriculture montagnarde, rend indispensable l' intervention de l' Etat sous forme de garanties et de subventions. Ce secteur n' a jusqu' ici guère obtenu que la portion congrue, sans doute parce qu' il n' intéresse aucun trust, que les perspectives d' y récolter des lauriers politiques sont maigres, et que les forêts appartiennent en majeure partie à l' Etat, aux communes et à d' autres associations de caractère public. S' il est une idée qui doit faire son chemin, et le plus vite sera le mieux, c' est que l' économie forestière concerne la communauté tout entière, et que chacun y porte une part de responsabilités. Lorsqu' on songe à tout ce que cette communauté attend de nos forêts de montagne, on en vient à se demander s' il ne serait pas possible et souhaitable de décharger leurs propriétaires de tous les investissements infrastructurels, et même de certains frais d' entretien.

Par investissements infrastructurels, on entend habituellement les dépenses consenties par les pouvoirs publics en faveur de la communauté et de l' économie ( écoles, hôpitaux, voies de communication, voirie, adduction et épuration des eaux, etc. ). En ce sens la forêt, par le caractère éminemment social de ses fonctions essentielles ( protection, repos, etc. ), fait partie de l' infrastructure, et par là même a droit au soutien des finances publiques. En pratique, cela signifie que tous les travaux de protection contre les fléaux naturels, le reboisement des couloirs d' avalanches ou des ravins torrentiels, de même que l' aménagement des chemins forestiers, devraient s' effectuer sans que les propriétaires aient à en supporter les frais, ainsi que le veut une tradition ancienne, donc apparemment vénérable. Ce serait d' autant plus juste que la rentabilité de la forêt montagnarde reste médiocre, quoi qu' on fasse. Les travaux de protection contre les avalanches et les eaux torrentielles ne visent que rarement à protéger la forêt elle-même, les intérêts enjeu vont bien au-delà; ils touchent précisément à notre infrastructure. Aucune exploitation ou entreprise ne paie de contributions directes aux écoles et aux routes; elle le fait par le truchement de l' impôt. Or, il se trouve que les propriétaires de forêts paient aussi leurs impôts - qu' ils contribuent donc aux investissements infrastructurels. Pourquoi donc les astreindre, eux seuls, à des contributions directes? N' auraient pas le droit d' être mis au même tarif que toute autre entreprise?

Nos forêts de montagne posent donc quantité de problèmes qui devront tous trouver leur solution à plus ou moins brève échéance. Espérons qu' ils seront résolus dans l' esprit même où l'on envisage actuellement ceux de l' agriculture, du tourisme et du trafic montagnards, avec lesquels ils ont d' ailleurs partie liée. Dans tout ce qui touche de près ou de loin nos forêts - qu' il s' agisse de reboisement, de protection, de nouveaux chemins - il faut commencer par une planification à grande échelle. Comme nous l' avons vu, la vie en montagne est soumise à un certain nombre de conditions élémentaires: les hommes, leurs demeures, leur sol arable et leurs cultures doivent être à l' abri des avalanches, des chutes de pierres, des torrents, des glissements de terrain et de l' érosion. La forêt contribue très largement à ce que ces conditions soient réalisées en permanence, et c' est à ce titre qu' elle mérite tous nos soins. Il serait bien sûr exagéré d' affirmer qu' on l' a négligée jusqu' ici, mais force nous est de reconnaître que l'on n' a jamais su œuvrer en s' inspirant d' un plan d' ensemble. Par crainte de dépenses excessives sans doute, mais aussi parce que l'on se refusait à quitter l' ornière des habitudes. L' établissement d' un cadastre des torrents et des terrains d' avalanches, la mise sur pied d' un programme de reboisements et de travaux de protection - voilà des objectifs valables pour notre aide nationale aux montagnards; ils représenteraient des réalités concrètes aussi bien pour nos parlementaires que pour l' ensemble de la population.

Bien sûr, il n' est pas question de partir à zéro, mais bien plutôt de poursuivre étape après étape une œuvre déjà esquissée. En nous souvenant qu' il ne s' agit pas seulement de préserver des montagnes et des vallées, mais surtout d' y maintenir une population dont on connaît la santé et l' attachement à sa terre. La forêt montagnarde représente une portion appréciable de notre territoire national; elle est aussi un héritage que nous devons conserver et faire fructifier, un héritage dont nous sommes tous responsables.Traduit de l' allemand par R. Durussel )

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