La forêt et son rôle protecteur en montagne
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La forêt et son rôle protecteur en montagne

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Par Jean Vodoz

ing.forestier En Suisse, comme partout ailleurs, la forêt a dû peu à peu faire place à l' agriculture. D' importantes superficies furent défrichées au fur et à mesure que la population augmentait et que la colonisation se développait. Le recul de la forêt était indispensable au développement du pays, mais on alla trop loin. Les exploitations abusives et les coupes rases eurent des conséquences parfois désastreuses, en montagne surtout, où le manque de moyens de dévestiture incitait les propriétaires à concentrer les exploitations afin que le rendement en fût suffisant pour justifier l' établissement de chemins et de châbles. Le résultat de ces grandes coupes fut l' appauvrissement du sol, le ravinement et parfois même la formation de torrents dangereux. Le parcours du bétail en forêt et le ramassage de la litière occasionnèrent de grands dégâts, d' autant plus graves que les soins culturaux étaient presque totalement négligés.

Ce n' est que vers la fin du siècle passé qu' un revirement en faveur de la forêt commence à se manifester. C' est alors que l'on passa de la destruction à la reconstitution et à la conservation de la forêt. Il était temps. Car on ne sait que trop, par de très nombreux exemples, que, dans tous les pays déboisés à l' excès, ce fut petit à petit la ruine de l' agriculture. Et ce qui est vrai pour des pays plats et peu accidentés, l' est encore davantage dans un pays montagneux comme le nôtre où les dégâts dus aux torrents, aux inondations, aux avalanches, au climat qui devient plus rude, rongent le pays comme un ulcère, rendant la vie de plus en plus difficile. Et plus le mal est grand, plus la lutte devient ardue et onéreuse.

Depuis environ un siècle, la science s' efforce de déterminer avec quelque précision jusqu' à quel point la forêt exerce l' effet protecteur qu' on lui avait attribué en quelque sorte par empirisme. Malheureusement ces expériences se heurtent à de grosses difficultés. Non seulement toutes les mesures météorologiques et hydrologiques doivent se faire pendant des périodes relativement longues, mais encore il est pratiquement impossible de trouver deux régions absolument semblables, dont l' une serait boisée tandis que l' autre ne le serait pas, ce qui permettrait de déterminer exactement l' influence de la forêt sur le climat ou sur le régime des eaux. Malgré cela, toutes ces expériences, quoiqu' inachevées pour la plupart, ont tout de même donné quelques résultats fort intéressants qui prouvent non seulement l' existence de l' effet protecteur de la forêt, mais démontrent encore la grande importance de cette protection.

Voyons par exemple, l' action de la forêt sur le climat: La température de l' air moyenne de l' année est plus basse en forêt qu' en terrain découvert; cette différence ne dépasse cependant pas un degré. D' une façon générale, la forêt exerce une action réfrigérante qui varie suivant l' essence, l' âge et l' état des peuplements mais qui reste toujours relativement faible. D' autre part, la forêt atténue les températures extrêmes et exerce ainsi une action directe sur les gels précoces et tardifs.

La température du sol subit la même influence que la température de l' air, c'est-à-dire qu' en été, le sol forestier est plus frais que le sol en terrain découvert. Les mesures faites ont prouvé que l' influence de la forêt sur la température du sol était beaucoup plus marquée en montagne qu' en plaine. L' égalisation des extrêmes y est également plus prononcée.

L' humidité de l' air absolue ne subit aucune influence; quant à l' humidité relative, elle est toujours plus grande en forêt qu' en terrain découvert.

Les précipitations: des auteurs russes et français prétendent que les grandes étendues de forêts augmentent la pluviosité. En Suisse, les forêts sont trop morcelées pour permettre des travaux de ce genre. D' autre part, vu le caractère très accidenté du pays, il est extrêmement difficile de dire si c' est la forêt ou la montagne qui influence la pluviosité.

L' influence de la forêt sur les vents est, d' après les études du Dr Nägeli, importante. Les peuplements constitués en rideaux-abris diminuent la vitesse du vent jusqu à une distance égale à 25 à 30 fois la hauteur des arbres. C' est à 50 à 80 m. de la lisière en aval que la vitesse du vent est la plus réduite. Entre deux bandes de forêts distantes de 550 m. le vent n' atteint au maximum que le 86 % de sa vitesse en terrain découvert. Par son action sur le vent, la forêt diminue le desséchement du sol et empêche l' érosion éolienne. Elle aide ainsi à créer un milieu favorable à la vie des végétaux.

Les rideaux-abris ont déjà fait leurs preuves dans différentes vallées, comme par exemple dans les plaines du Rhône et du Rhin. En haute montagne, par contre, la création de rideaux-abris est encore limitée à des cas isolés. C' est ainsi que la commune de Davos se pose le problème de la création d' une bande de forêts de protection entre le lac et Frauenkirch. Il s' agirait de briser l' effet du vent de la vallée afin d' augmenter la prospérité de l' agriculture ainsi que d' assurer la protection des bâtiments et des chemins.

A l' échelle de l' homme, il semblerait que l' influence de la forêt sur le climat local est absolument insignifiante puisqu' elle n' exerce pour ainsi dire aucune action directe sur la vie humaine. Certains ont prétendu que la limite supérieure de la végétation forestière avait été abaissée par le climat devenu plus rude et plus froid. Ce sont plutôt les déboisements qui ont rompu l' équi et rendu certaines régions des Alpes stériles alors qu' elles étaient fertiles autrefois. En 1822, Kasthofer cite le cas de la vallée bernoise de Gadmen. L' administration des mines que l'on y exploitait rasa les forêts d' épicéas qui recouvraient les flancs de la vallée; le pacage des chèvres empêcha tout reboisement naturel. Le climat devint plus rude, les vents plus violents et les avalanches plus fréquentes. Certaines cultures ne prospérèrent plus comme auparavant. Les arbres fruitiers en souffrirent à tel point que des cerisiers, par exemple, qui fleurissaient régulièrement se mirent à dépérir.

En 1895, le forestier grison Eblin décrit des faits semblables pour la vallée supérieure d' Avers:

« Là où l'on cultivait du blé, du chanvre et du lin, il ne reste qu' un minuscule champ de pommes de terre. » Il prétend même qu' il faut remonter la vallée pendant une heure et demie depuis la limite de la végétation arborescente pour retrouver l' endroit où, il y a peu d' années encore, on rencontrait dans le sol marécageux les vestiges des forêts d' autrefois.

Hess cite le cas du village de Gerendorf situé anciennement à 1500 m. d' altitude à l' entrée du Gerental, dans une région qui était riche en cultures agricoles et en forêts. A la suite de déboisements, les pâturages et les cultures produisirent de moins en moins. Les avalanches rendirent la situation du village toujours plus dangereuse. Finalement le village de Gerendorf fut complètement abandonné et reconstruit dans la vallée sous le nom d' Unterwasser. Depuis lors, des travaux de reboisement ont été entrepris dans la région de l' ancien village. Petit à petit, la forêt reprend sa place, les pâturages reverdissent et quelques mazots se sont relevés des ruines.

Tous les déboisements en haute montagne ont eu les mêmes conséquences. Que l'on prenne le Lötschental, la vallée d' Urseren ( où il ne reste que 150 ha. des 2000 ha. de forêts d' autrefois ) ou n' importe quelle autre vallée des Alpes, la situation est en principe la même partout. Là où les déboisements en vue de gagner des pâturages ont diminué la surface boisée jusqu' à quelques pourcents de la surface totale, on subit tous les dégâts dus aux avalanches, aux crues des torrents, à la rudesse du climat, à tel point qu' il ne reste souvent plus aujourd'hui que quelques rares témoins de la prospérité passée. La vie n' est plus qu' une lutte de tous les instants contre les forces de la nature. Des villages prospères qui étaient situés dans des régions boisées et fertiles ne sont plus environnés que de pâturages dénudés. Quelques rares petits champs particulièrement bien abrités sont encore cultivés. Les habitants de ces régions n' y trouvent plus une subsistance suffisante et, après une longue lutte, s' en vont, découragés, malheureux de quitter la terre avec laquelle ils se sentaient intimement liés et cherchent une nouvelle existence à la plaine, à la ville, ou même à l' étranger.

La dépopulation des Alpes présente un grand danger pour la Suisse. Dans un petit pays comme le nôtre, il est absolument nécessaire que la moindre parcelle de terrain cultivable soit utilisée, et il est indispensable pour le bien du pays de lutter contre la désertion de nos vallées alpestres. On parle beaucoup de l' amélioration des conditions d' existence de la population montagnarde, des comités se sont formés, des collectes ont été faites à plusieurs reprises, des secours ont été accordés par la Confédération. Et cependant, un moyen très efficace quoique lent et coûteux reste: l' amélioration des conditions forestières car elle en fera bénéficier toute une région à la fois et pas seulement quelques individus privilégiés. Seuls des reboisements de grande envergure, combinés avec la reconstitution des forêts dégradées rendront à nos vallées alpestres toute leur fertilité et assureront des moyens d' existence suffisants à leur population.

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