La Grande Ruine
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La Grande Ruine

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( Nouvelle route de montée à skis à la cabane Adèle Planchard. Par R. Stahel et J. Buffle.

Quel est l' alpiniste qui n' a pas désiré au moins une fois dans sa vie parcourir le Dauphiné? Ce pays nous semble plein de rêve et de mystère et, suivant un phénomène bien connu, il nous paraît d' autant plus merveilleux qu' il est plus éloigné de nous. Malheureusement les rares skieurs qui ont exploré cette région étaient des gens peu loquaces et n' ont laissé que des récits de course assez fragmentaires. Aussi le Club Alpin Académique de Genève, dont nous faisons partie, hésita-t-il longtemps avant de se lancer à la découverte de cette « terra incognita ».

Il n' est guère facile de trouver les renseignements nécessaires sur cette contrée. La plupart des touristes n' y vont qu' en été et les cartes de la région sont trop imprécises pour qu' on puisse s' y her aveuglément.

Heureusement qu' au début de l' hiver passé l' un d' entre nous fit la connaissance de M. Kussmaul, de Zurich, lequel avait fait de nombreuses excursions à skis dans le massif de la Meije et de la Barre des Ecrins. Il nous donna quelques indications orales et surtout un petit croquis de la Grande Ruine ( 3754 m .) et nous recommanda cette sommité comme particulièrement intéressante, étant située au centre de cet important massif.

Le 23 mai 1931, veille de Pentecôte, notre caravane — Lacour, Weibel, C. Buffle, Perez, Stahel et J. Buffle — se mit donc en route pour le Grésivaudan et le col du Lautaret. Nous nous répartissons dans deux voitures dont les ressorts sont soumis à dure épreuve.

Weibel et Stahel partent le matin déjà.

Le reste de la bande part à 14 heures 10 du Rond-point de Plainpalais. Trois heures plus tard nous sommes à Grenoble. Nous nous arrêtons quelques instants dans cette ville. Il s' agit ensuite d' en sortir. Nous recommandons vivement cette opération à ceux qui sont pressés; ils auront là l' occasion d' exercer leur patience. Enfin, après bien des tours et détours, nous réussissons à prendre la route du Lautaret.

Cette vallée sauvage et déserte à souhait, surtout dans sa partie supérieure, est malheureusement gâtée et empuantie par de trop nombreuses usines. Enfin, après avoir traversé beaucoup de tunnels et de ponts, nous arrivons à Villar d' Arène à 18 heures 45. Weibel et Stahel sont déjà là et nous remisons la voiture dans une écurie, seul garage de la région.

Nous complétons nos provisions et nous nous mettons en route pour le chalet de l' Alpe. Le sentier traverse des champs de narcisses et reste horizontal pendant longtemps. La vallée de la Haute-Romanche se resserre au fur et à mesure que nous la remontons; nous quittons bientôt les derniers arbrisseaux rabougris.

LA GRANDE RUINE.

Les parois de rochers se sont rapprochées au point de former un défilé au fond duquel bouillonne la Romanche. En hiver, au moment des avalanches, cet endroit doit être particulièrement dangereux.

La nuit descend peu à peu et, pour tromper la longueur du chemin, nous nous lançons dans de subtiles discussions sur des sujets variés.

Tout à coup la vallée est fermée par une pente très raide que le chemin remonte en faisant de nombreux lacets. Arrivé en haut de ce ressaut, nous continuons de nouveau à plat. ( Point 2067 de la carte E. M. ) D' après la carte de l' état français, le sentier semble monter en pente douce jusqu' au chalet de l' Alpe. En réalité la déclivité est beaucoup plus forte que cela n' est indiqué.

Si nous décrivons en détail cette première partie de la course bien qu' elle ne présente pas un très grand intérêt, c' est que l'on peut se tromper assez facilement si l'on ne se fie qu' à la carte.

A 22 heures nous retrouvons au chalet de l' Alpe Weibel et Stahel qui nous ont réserve des lits. Cette cabane est à 2118 m .: elle appartient au Club Alpin Français. Elle n' est ouverte que si le gardien s' y trouve. Ce dernier monte en hiver si on lui en fait la demande expresse, mais ne donne pas les clefs. Pour tous renseignements concernant le refuge de l' Alpe s' adresser à M. Camille Ranque à la Grave, Isère.

Nous mangeons ou plutôt nous essayons de manger au milieu de la cohue extraordinaire qui occupe la cabane. Puis nous nous retirons dans nos appartements privés, non sans avoir préalablement désigné Micha par tirage au sort pour aller coucher seul dans une chambre voisine, les nôtres étant pleines à craquer.

Le matin, réveil à 4 heures et départ à 5, par un temps splendide. Le gardien nous affirme que notre croquis indique bien la bonne route. Nous nous apercevrons bientôt, assure-t-il, que nous serons les seuls à emprunter cet itinéraire, tandis que les autres skieurs suivront le fond du glacier de la Plate des Agneaux.

Nous chaussons les skis et avançons dans le val Fourche sur de la neige très tôlée. Nous sommes tentés à ce moment-là de remonter vers le glacier du Clot des Cavales qui se dresse devant nous et qui a l' air bien plus praticable, surtout à skis, que les parois de rochers indiquées par le croquis; nous y renonçons cependant et nous nous féliciterons plus tard de n' avoir pas donne suite à ce projet.

La cabane Adèle Planchard doit se trouver, autant que nous en pouvons juger d' où nous sommes, dans un petit col de l' arête sud qui descend des Jumeaux. ( Pics est de la chaîne de Roche Méane. ) D' après les indications de Kussmaul on doit tirer vers l' ouest à la hauteur du Pic d' Arsine pour atteindre la cabane en quatre heures. Mais où est le Pic d' Arsine? On ne le trouve pas sur la carte, car trois sommets sont marqués là où il ne devrait y en avoir qu' un seul.

Les touristes auprès desquels nous nous renseignons nous indiquent une autre sommité que celle qui d' après le croquis est le Pic d' Arsine. Nous avançons quand même. Stahel cherche un endroit favorable pour franchir LA GRANDE RUINE.

la paroi de rochers, mais rien de convenable ne se présente. Nous traversons bientôt la moraine frontale du glacier de la Plate des Agneaux sur sa rive gauche. Cette moraine, très accidentée, est formée d' une succession de monticules séparés les uns des autres par des trous plus ou moins profonds. Environ 500 mètres plus loin le glacier s' infléchit en une vaste courbe dirigée vers l' ouest et contournant l' arête sud qui descend des Jumeaux. Notre route doit se trouver de ce côté, mais nous n' avons toujours pas trouvé le passage qui nous permettra d' escalader la paroi.

l Vil/äryA Rcdesfc Gl. du Clôt Caroles Tèïe de \ Charrière Tète de la Somme yArène „ he del' Alpe ufc Ur Chamoissière nsine?

FicV' Arsine?

Rede Neige Cordier Roche Raurio Echelle V-80000 Légende :oArête avec sommet et colV Glaciers et ruisseaux11 Rocher ( dessiné où cela est nécessaire ) R. SrahelNotre routeRoute de M. Kussmaul Tout à coup un large couloir s' ouvre devant nous en direction nord-ouest. Après une cinquantaine de mètres il se bifurque. La branche ouest semble praticable, bien qu' assez raide par endroits. ( Voir croquis. ) A notre gauche toutes les caravanes nous dépassent un peu plus bas, au fond du glacier. Notre chemin nous semble bien bizarre et Stahel a grand' peine à nous décider à monter dans ce couloir peu sympathique au premier abord. Les mots aimables que les caravanes nous envoient d' en bas, en nous voyant grimper là, ne sont pas faits pour augmenter notre confiance. Les skis sur le dos nous avançons très lentement et prudemment; on n' enfonce heureusement pas trop dans la neige durcie provenant des avalanches qui sont descendues par l' autre branche du couloir.

tlOLA GRANDE RUINE.

Nous montons dans la branche ouest ( gauche en regardant le couloir ). Après quelques mètres assez raides et étroits, nous débouchons sur de grands névés ce qui nous permet de remettre les skis.

La confiance est revenue et nous montons allègrement en zigzag. Nous allons un peu au hasard, car nous ne savons pas du tout où peut bien se trouver notre cabane. Deux clubistes français qui se sont joints à nous possèdent une carte Duhamel. Nous la consultons ainsi que tous les documents que nous possédons: carte de l' état, croquis Kussmaul, Dauphiné-Führer des österreichischen Alpenklubs, etc.; nous faisons alors la constatation que nous sommes montés trop au sud. Notre pente se trouve vis-à-vis du glacier de Roche Faurio, tandis que celle du croquis regarde le chalet de l' Alpe.

Pour rejoindre la bonne route il faudrait contourner une arête qui se dirige vers l' est. Des pentes à avalanches ( il est 8 heures et la neige est molle ) nous enlèvent cette possibilité. Nous pourrions bien traverser l' arête rocheuse qui se trouve au-dessus de nous, mais comme il faudrait porter nos skis, nous renonçons à cet exercice éminemment fatigant.

Nous continuons alors vers l' ouest: c' est la seule issue qui nous reste. La carte indique bien une paroi de rochers dans cette direction, mais comme nous n' avons pas l' embarras du choix nous allons essayer tout de même de passer. La carte de l' état nous ayant déjà réservé quelques surprises, nous voulons espérer que cette fois nous serons trompés en bien.

Pendant que nous nous reposons quelques instants, Stahel part en exploration. Il traverse une pente de neige et s' approche d' un épaulement de l' arête; là une grande surprise l' attend: un névé peu incliné, menant directement à la cabane, s' étale devant ses yeux. Une joyeuse youtsée nous fait part de l' heureux résultat de son entreprise.

A ce moment nous nous retournons et voyons tout en bas les caravanes qui ont suivi le chemin habituel. Ce ne sont que des points minuscules. Pendant que nous les contemplons, des coups de vent accompagnés de grêlons nous tombent dessus. Cela nous ramène à la réalité; nous nous hâtons de partir pour la cabane. ( Sur la photo: « vue de l' épaule », la cabane est située juste au pied du couloir neigeux qui descend à gauche des Jumeaux lorsqu' on les regarde en face. On peut voir de l' épaule le mât planté sur un grand rocher qui cache la cabane. Le rocher est visible sur la photo; il se confond en partie avec les Jumeaux. ) Le refuge nous semble près à pouvoir le toucher. Nous mettrons encore cependant près d' une heure et demie avant de l' atteindre. Enfin, vers 10 heures, deux d' entre nous, Buffle junior et Perez, laissent tomber leurs sacs devant l' objet de nos convoitises.

Nous avons mis cinq heures et demie depuis le refuge de l' Alpe, mais en défalquant tout le temps que nous avons perdu à chercher le chemin, il doit être possible de faire le trajet en quatre heures et demie. La cabane Adèle Planchard est une construction ( légère comme vous vous en rendrez compte plus loin ) en bois, recouverte de tôle ondulée. Elle est située à 3200 m. et appartient à la Société des Touristes du Dauphiné. Elle peut contenir vingt-cinq personnes.

Nous essayons d' entrer: impossible! La porte est bloquée par quarante centimètres de glace compacte. Heureusement que cette même porte est formée de deux parties et que le volet supérieur est mal fermé. Nous pénétrons par cette ouverture et nous nous mettons aussitôt à l' ouvrage pour déblayer l' intérieur du refuge de la neige et de la glace qui l' encombrent. Tous les instruments que nous possédons: piolets, pelles, haches, pique-feu, sont utilisés à cet effet, mais ce n' est qu' après plus de deux heures d' efforts ininterrompus que la cabane devient tant soit peu présentable. Heureusement que les couvertures et les matelas sont secs, ou peu s' en faut.

Nous nous mettons alors à table pendant que les premières caravanes, qui ont pris l' itinéraire normal par le fond du glacier, arrivent seulement. Nous récapitulons ce que nous avons fait le matin et arrivons aux conclusions suivantes:

Notre chemin est un peu plus long que celui de M. Kussmaul, mais en tout cas beaucoup plus court que la route habituelle ( au moins deux heures ). Il présente en outre l' avantage sur l' itinéraire de M. Kussmaul d' éviter les pentes de neige très raides situées en dessus des parois de rochers dominant le lac de l' Etoile.

Vers 16 heures le ciel se découvre; nous en profitons pour sortir et contempler le magnifique panorama qui se déroule devant nos yeux. Nous sommes au centre d' un cirque dont la circonférence est marquée de pointes abruptes et présentant un caractère beaucoup plus sauvage que celui de nos sommets suisses en général. Dans la profondeur, le glacier de la Plate des Agneaux est noyé dans une lumière livide. En allant du sud-est au sud-ouest, nous repérons quelques sommets connus, le Pic de neige Cordier, Roche Faurio, Roche d' Alvau, Tête de la Somme et, couronnant le tout, l' immaculée Barre des Ecrins.

En nous retournant, nous pouvons admirer tout à loisir le but de notre course: la Grande Ruine, éclairée en plein par les rayons du soleil qui décline. Perez et Stahel, qui sont très friands de couchers de soleil, partent à 17 heures pour la Grande Ruine. Les autres, pressés par le froid qui monte de la vallée, et sans doute aussi par le désir de se réserver des places pour la nuit, rentrent dans la cabane. Ils y font un bridge ou essayent de retrouver leurs effets dans l' effroyable désordre causé par les cinquante touristes ( la cabane peut en contenir vingt-cinq !).

Après quoi nous soupons, puis nous essayons de dormir. Juste à ce moment nos deux transfuges font irruption ( c' est là une image commode, étant donné qu' il n' y a plus un centimètre carré de libre dans le refuge ). Avant même de songer à se restaurer, ils se lancent dans de vastes descriptions sur ce qu' ils ont vu de là-haut. Laissons Stahel nous conter ses impressions:

« Ce fut sans doute une de mes plus belles courses. A la Brèche Giraud Lézin nous plantons les skis et suivons l' arrête nord-est vers le sommet. La montagne mérite vraiment son nom: c' est une grande ruine.

Arrivé au sommet ( deux heures et quart depuis la cabane ), le vent cesse comme par enchantement. La vue plonge dans la vallée des Etançons et remonte le long de la Meije, pour s' y arrêter longuement. Tout autour, des sommets et encore des sommets. Toutes ces aiguilles et arêtes, éclairées par les derniers rayons du soleil couchant, se détachent sur le ciel avec une prodigieuse netteté. Nous sommes assis là, tout seuls, à jouir de cette splendeur.

Peu à peu le froid nous pénètre, nous redescendons, en suivant cette fois l' arête sud-est, recouverte tout le long d' une bonne neige dure. C' est bien là le bon chemin, mais cet itinéraire est moins impressionnant que l' arête par laquelle nous sommes montés.

Une glissade fatigante dans la neige croûtée nous amène à la cabane. Toute description de ces jeux de lumière et d' ombre serait vaine. Tout ce que je puis vous dire, c' est d' y aller vous-mêmes; vous ne le regretterez pas. » Tous ceux qui sont restés à la cabane sont parfaitement d' accord avec ces paroles, mais comme l' heure est avancée nous préférons remettre la chose au lendemain. Derechef nous essayons de dormir.

Encore quelques récriminations et bientôt tout le monde est casé, qui sur les paillasses, qui sur les chaises ou la table, qui sur le plancher. Ces derniers ne sont sans doute pas le plus mal lotis.

Et les rêves de commencer...

Des cris d' épouvanté, une fuite éperdue, des couvertures lancées au hasard, une bousculade effroyable dans l' obscurité. Ça y est! les pessimistes ont eu raison. Les couchettes supérieures ont cédé sous l' énorme surcharge qui leur était imposée. La nuit est complète, les femmes crient. Enfin la lumière se fait. Nous pouvons alors réparer le désastre avec deux piolets et des cordes. Il s' en est fallu de peu que la poutre ne se brisât complètement, éventualité qui aurait sans doute privé quelques-uns d' entre nous du plaisir d' aller à la Grande Ruine le lendemain. Avant de nous rendormir pour la troisième fois, nous pensons que ceux qui renoncent à faire de la montagne à cause des dangers qu' elle comporte n' ont pas tout à fait tort.

Les plus peureux se sont recouchés sur le fourneau, la seule place encore inoccupée. Cela nous vaut un peu plus d' espace; à quelque chose malheur est bon.

Le matin nous quittons rapidement cette cabane qui nous rappelle trop, avec son toit de tôle et surtout après cette nuit mouvementée, une boîte à sardines. Nous montons à la Grande Ruine. Stahel est déçu parce que le soleil ne se couche pas et Perez trouve que hier soir c' était bien mieux parce qu' il pouvait faire des photos à contre-jour. Inutile de dire que le reste de la caravane est enchanté de la vue splendide et vraiment grandiose dont on jouit du sommet de la Grande Ruine.

Nous restons une demi-heure au sommet; les uns « fusillent » sans arrêt, les autres se contentent d' admirer.

La descente dans une bonne neige de printemps est réellement merveilleuse jusqu' en dessous du col de la Grande Ruine. Il n' y a pas une seule crevasse, les slaloms se font à toute vitesse sans aucun effort.

Mais hélas! plus bas, la neige, sous l' effet d' un soleil de plus en plus ardent, se transforme en une pommade qui adhère fortement aux skis. Nous essayons alors d' un nouveau fart préconisé par Lacour et nous pouvons poursuivre sans trop de difficultés.

C' est pendant cette descente que nous nous rendons compte de l' avantage de notre nouvel itinéraire. En effet, après avoir remonté le glacier de la Plate des Agneaux jusqu' au col de la Grande Ruine, il faut ensuite redescendre de ce col à la cabane, si l'on suit la route habituelle. L' avantage de notre nouveau parcours est évident.

La chaleur devient intolérable, nos gosiers sont absolument secs et nous n' avons plus rien à boire. Nous n' avons plus qu' un désir: rejoindre le chalet de l' Alpe où nous trouverons de l' eau.

Nous y sommes vers midi; nous nous désaltérons sur les bords d' un torrent glacé, et les plus courageux prennent une douche sous l' eau qui tombe des rochers. Un repas pantagruélique achève de nous remettre le moral. Et la descente continue sans autre incident jusqu' à Villar d' Arène.

Là nous retrouvons nos voitures.

Et, dans le soir qui tombe, les autos dévalent le Lautaret, puis avalent les kilomètres de plaine qui nous séparent de Genève.

La Grande Ruine entre déjà dans le domaine des souvenirs.

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