La première ascension de la crête sud du Salbitschyn, 2989 m.
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La première ascension de la crête sud du Salbitschyn, 2989 m.

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Par Alfred Aimfad.

Notre ami Guido Masetto, mon frère et moi, nous nous étions propose, l' été passé, de résoudre les derniers problèmes alpins importants de la Suisse centrale.

Nous avions déjà exécuté, durant deux semaines, plusieurs ascensions que personne n' avait jamais faites, lorsque, le 13 août 1935, un peu avant minuit, nous partîmes de Gœschenen ( situé sur la ligne du St-Gothard ) et montâmes lentement à la cabane Salbit ( 2110 mètres ). Les formes hardies du Salbitschyn que baignait la clarté blafarde de la lune, excitaient même l' admiration de mon frère qui, jusqu' alors, avait parlé avec indifférence de ce sommet « superfréquenté », comme il avait l' habitude de le dire; mais cette nuit-là, il avoua avec un sourire ironique que nous ne risquions guère de rencontrer trop d' excursionnistes sur la crête sud! En effet, si, dès l' ouverture de la cabane Salbit du Club Alpin Suisse, il y a peu d' années, le Salbitschyn a été très fréquenté surtout pour ses belles escalades présentant tous les degrés de difficultés, l' arrogante crête sud d' une hauteur d' environ 400 mètres avait repoussé toutes les tentatives.

Pour le 14 août, nous avions prévu un jour de repos, car nous étions fatigués par un bivouac tempétueux passé la nuit précédente au fond de la vallée de Gorneren. Le matin qui suivit notre magnifique montée au clair de lune, la pluie tombait en claquant sur le toit de la cabane, et le Salbitschyn lui-même s' enveloppait d' un manteau de nuages. Jusqu' au soir, le temps ne se remit pas au beau et, sans remonter le réveil, nous allâmes nous coucher. Le matin du 15 août une pluie fine tombait encore, mais le baromètre promettait le beau temps. Au cours de l' après, les nuages se dissipèrent, le soleil apparut et, le soir venu, nous fîmes les derniers préparatifs. Bientôt le nécessaire fut rassemblée: comme nourriture des fruits secs et du chocolat et, en ce qui concerne l' équipement, une corde de 40 mètres, une cordelette de la même longueur, quelques pitons et mousquetons, les espadrilles de Guido qui seul venait avec les lourds souliers jusqu' au début de la crête. Mon frère et moi, par contre, faisions toute l' ascension en espadrilles à semelle de gomme Durata ce que, du reste, je peux conseiller à ceux qui ont l' in de refaire la même montée. Souvent quelqu'un de nous quittait, sans rien dire, la cabane pour jeter un coup d' oeil furtif sur notre crête. Nous re f:Imes attentivement je ne sais combien de fois la relation du Dr Hugo Müller relative à ses essais de descente par la crête sud. Ce fut lui qui escalada pour la première fois les trois tours supérieures de l' arête, à savoir le Zwillingsturm ( Tour des Jumeaux ), le Plattenturm ( Tour des Dalles ) et la Nadel ( Aiguille ).

De bonne heure, nous allâmes nous coucher, et en ce qui me concerne je dormis très bien. Rarement, les nuits précédentes, nous avions eu à notre disposition une couche aussi bonne! D' autre part, l' escalade de la crête sud ne me donnait aucun souci, car, premièrement, en pensée du moins, je l' avais déjà faite d' innombrables fois, ayant voulu l' essayer depuis longtemps, et, deuxièmement, nous étions tous trois extrêmement bien entraînés. Le désir de triompher de toute la crête sud surgit en moi en juin 1932, lorsque Guido et moi, accompagnés de notre ami et excellent alpiniste Gottfried Vogel, eûmes franchi, mètre par mètre, avec de grandes difficultés, l' itiné ordinaire de la crête sud qui était, à cette époque, couvert de verglas et de neige. Cette route, d' ailleurs, ne touche la crête qu' à la brèche 2710, restant après à l' ouest de celle-ci jusqu' à la brèche voisine du sommet, itinéraire qui, si les conditions sont favorables, n' offre pas de sérieuses difficultés pour un bon alpiniste.

Le 16 août, à 3 heures du matin, le ciel est encore couvert; mais un vent frais d' est fera disparaître, sous peu, les derniers signes des mauvais jours écoulés. Lorsque, après le petit déjeuner, nous sortons de la cabane, il fait si froid que nous nous décidons à différer notre départ et laisser le soleil réchauffer l' air et les rochers. Au lieu de rester oisifs dans la cabane, nous préparons un deuxième petit déjeuner, qui nous met splendidement en forme.

Ce n' est qu' à 5. h. 45 que nous partons, en flânant au travers des pâturages dans la direction de la brèche 2585 de la crête sud. Le couloir de gazon assez raide qui conduit à cette dernière est encore rempli de neige fraîche dans sa partie supérieure, de sorte que mon frère et moi, portant des espadrilles, nous devons monter avec la plus grande précaution, afin de ne pas glisser, d' autant plus que nous avons laissé à la cabane nos piolets, inutiles pour l' escalade de rochers. Au pied du Salbitzahn ( Dent du Salbit ), première tour de la crête sud, nous nous encordons à la plus grande distance possible, et Guido chausse les espadrilles de rechange, c'est-à-dire de tennis! Il avait enterré les siennes au pied de la tour sud de la Krönte dont, il y a quelques jours, nous avions fait la première ascension et qui, comme récompense, lui a anéanti ses espadrilles, fidèles compagnes de beaucoup d' aventures d' escalade. Le chemin de la Dent est facile à trouver. Sans difficultés nous arrivons à la cheminée Müller, portant le nom du premier qui ait escalade le Salbitzahn. Dans la cheminée nous ne trouvons pas moins de trois pitons que nous enlevons, les considérant comme inutiles, et mon frère dit d' un air résigné que ceux qui ont « trop » de pitons pourraient les planter chez eux dans leurs cheminées! Les roches sont encore humides de pluie, et pour ne pas glisser nous cherchons toujours de bonnes prises pour les mains. La sortie de la cheminée est assez délicate, étant donne le défaut de prises. Au-dessus nous nous élevons rapidement. Sur le Salbitzahn ( 2736 mètres ) nous prenons le temps d' étudier la partie vierge de l' arête d' une hauteur approximative de 200 mètres. En la voyant, nous éprouvons les premiers doutes sur la réussite de notre projet, car devant nos yeux d' énormes dalles de granit s' élancent vers le ciel. Aucun de nous ne dit ce qu' il pense, surtout que d' ici on ne peut pas juger d' une manière exacte des difficultés. En tout cas, c' est un fait que nous avons rarement rencontré des roches de si bonne qualité. A quoi bon méditer trop longtemps, il faut aller voir! Nous considérons comme inutile, quoiqu' il y ait un piton, de faire un rappel de corde pour descendre à la brèche 2710, comme l' indique le Guide des Alpes Uranaises du C.A.S., vu que l'on peut y accéder assez vite par une escalade libre. Il est 9 h. 30.

La partie inconnue de la crête est devant nous. Nous savons seulement que les cordées qui ont déjà tenté l' ascension auparavant, ont été forcées de la quitter et de dévier par le flanc ouest. Nous escaladons facilement les vingt premiers mètres. Pourtant, les roches, encore humides et couvertes de lichens, exigent que nous avancions prudemment. Montant par une cheminée haute de huit mètres, nous arrivons à une échancrure de la crête. Là-haut, le soleil a heureusement séché les roches. Une grande dalle se dresse devant nous contre laquelle s' appuie une plaque, et j' y grimpe immédiatement. Il faudrait beaucoup de temps pour franchir directement ce ressaut; je préfère donc me diriger à droite vers un dièdre escarpé et n' offrant presque pas de prises. J' y monte difficilement et gagne une étroite échancrure où il m' est quasi impossible de prendre pied; mais deux mètres plus haut, dans une dalle, je trouve une bonne petite place où je peux me mettre en lieu sûr. Au-dessus, nous devons nous Meyer d' après la technique de Dülfer jusqu' à ce qu' une petite plate-forme nous invite à faire une halte. Des fruits et du chocolat nous réconfortent.

LA PREMIÈRE ASCENSION DE LA CRETE SUD DU SALBITSCHYN.

Technique de Dülfer — un mot du vocabulaire de l' alpinisme —, c' est celle qui rend cette escalade si fatigante. Souvent des marches horizontales manquent complètement dans les dalles de granit très raides, il n' y a que de fines fissures qui les sillonnent verticalement. Alors, on saisit la fissure, les bras sont tendus, le corps ployé, les pieds appuyés avec force contre la plaque, les semelles des espadrilles empêchent de glisser, et de cette façon on monte — lentement.

Nous ne nous arrêtons pas longtemps, car trop d' inconnu nous attend encore. Nous passons rapidement sur une dalle et un bloc, contournant ensuite s o S oö 15, e E -2 h en CM t o

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Le Salbitschyn vu de la cabane Salbit. A gauche la crête sud.

vers l' ouest une tour peu importante. Puis, nous grimpons par un dièdre situé peu au-dessus de l' arête. Bientôt il aboutit à la crête et ce n' est qu' au bout de huit mètres que je peux présenter un endroit sûr à mes camarades et les faire suivre. Nous forçons les 12—15 mètres suivants très difficilement, pour arriver, par-dessus deux blocs, dans une brèche située devant une énorme dalle lisse, très escarpée. Réussirons-nous à la surmonter? Car, si la partie inférieure est fissurée, la partie supérieure est complètement lisse et sans aucune prise...

Le temps s' est assombri peu à peu et la cime du Salbitschyn s' est cachée derrière des nuages qui nous privent du soleil bienfaisant. Toutefois, nous jouissons encore de la vue sur les tours et les gendarmes de la crête est-sud-est, fantastiquement découpée, de notre montagne. Un connaisseur, du reste, nous a assuré, après notre montée, que la majesté des lieux peut bien supporter la comparaison avec celle de l' arête de Peuterey du Mont Blanc.

Nous ne nous permettons aucun repos, puisque nous pressentons devant nous le morceau le plus ardu, la clef de l' ascension. Je pense pouvoir m' arrêter encore une fois à quatre mètres au-dessus de la brèche. Maintenant, il faut bien ménager nos forces: mon frère s' appuie contre la paroi pour que je puisse poser mes pieds dans ses mains croisées derrière le dos, puis monter sur ses épaules et enfin sur sa tête. « Fais vite », crie-t-il en ce moment impatiemment, et je m' élève déjà à l' emplacement de tout à l' heure. Mon frère me suit sans retard vu que j' ai besoin pour ce qui vient de toute la longueur de corde disponible. Guido est dans la brèche et ouvre l' étui de l' appareil photographique, tandis que je commence à grimper difficilement vers l' arête gauche de la plaque, suivant de fines fissures. Au bout de six mètres, je touche l' arête qui surplombe à ma gauche. « Piton », me crie Guido. J' y ai justement pensé aussi, car les prises sont ici très réduites, et ma position est « assez » aérienne! Bientôt j' ai enfoncé un piton, mon frère tend la corde qui passe dans un mousqueton; je peux me reposer. De très fines fissures me permettent encore d' avancer de deux mètres; mais après je suis au bout de mon latin: des roches absolument lisses, aucune prise! Je plante un deuxième piton que nous n' enlevons pas, car il est absolument nécessaire, soit pour la sûreté du premier, soit comme « poteau indicateur ». Comment et où puis-je continuer ma route? Certes, sur l' arête de la dalle, il n' y a rien à faire. C' est pourquoi je jette un coup d' œil à la paroi qui tombe verticalement à ma gauche et dans laquelle je découvre un coin abrupt qui, peu de mètres plus haut, ramène à l' arête elle-même. C' est l' issue, je triomphe intérieurement. Ce n' est qu' avec peine que j' y accède. Pas d' emplacement commode ou seulement acceptable. A gauche, faisant saillie, une mince plaque verticale de roche, dans laquelle je fais deux petites encoches avec mon marteau. Elles me serviront de marches. Ensuite j' ai un rude combat à livrer pour surmonter le coin qui menace, à tout instant, de me jeter dans le vide. Après des minutes pleines d' angoisse, je peux saisir l' arête « ronde » du ressaut de la dalle, y mettre mon avant-bras droit et enfin tout le bras. Ma main cherche vainement une prise. Au prix d' un effort extrême, j' élève tout mon corps sur l' arête que je suis, pendant quelques mètres, dans une escalade encore fort difficile et fatigante. De cette façon j' arrive au premier bon emplacement où je peux me reposer. Bien du temps s' écoule jusqu' à ce que mes compagnons soient près de moi, ce qui indique assez la difficulté qui est, selon moi, tout à fait exceptionnelle.

De nouveau nous poursuivons le fil de la crête. Tout à coup une plaque très abrupte nous barre le chemin. Nous traversons au-dessous de roches jaunâtres, pour rejoindre directement la crête et pour ne plus la quitter jusqu' à une plate-forme portant un petit cairn. Le Dr Hugo Müller, en essayant la descente, s' est avancé jusqu' à ce point, et maintenant nous sommes sûrs de notre victoire. Le reste de notre montée est encore une belle escalade intéressante: une aiguille mince à laquelle on grimpe jusqu' aux deux tiers pour la traverser ensuite à gauche, le ressaut lisse du Plattenturm ( 15 heures ), la charmante traversée du Zwillingsturm, d' où nous descendons vite à la brèche devant le sommet ( 2880 mètres ), pour accomplir l' ascension en une vingtaine de minutes suivant l' itinéraire ordinaire..

A 5 heures du soir nous nous serrons les mains sur le sommet. Etendus sur de grosses dalles, nous croquons du chocolat et des fruits secs. Nous sommes un peu fatigués, mais remplis d' une joie immense, faisant place à la tension des heures écoulées.

Repos sur le sommet — à quoi bon le décrire longuement? Tous ceux qui ont déjà fait des escalades connaissent les délices qu' il procure. Pourtant, halte sur le Salbitschyn signifie autre chose, vu qu' il y a encore une aiguille hardie qui dépasse la cime. D' abord nous la laissons de côté, sans la regarder, mais bientôt c' est l' ambition qui nous excite, oui, c' est un peu d' ambition, parce que après avoir fait la crête sud, on pourrait penser à y renoncer. L' escalade de l' aiguille, d' ailleurs, n' est qu' un coup d' adresse et, certes, nullement difficile, quoiqu' elle se dresse superbement dans les airsl Puis, nous descendons lentement, nous ne sommes pas pressés de nous séparer de la cime à laquelle nous devons une des plus belles et des plus émouvantes journées de notre vie. Je ne te dis pas « adieu », élégante crête sud, mais « au- revoir ». Oui, je reviendrai, tu le mérites.

Horaire:

Cabane Salbit: 5 h. 45, Brèche 2585: 7 h. 25, Salbitzahn ( 2731 m. ): 8 h. 45 à 9 h. 15, Brèche 2710 m: 9 h. 30, Plattenturm: 15 h. à 15 h. 15, Sommet du Salbitschyn ( 2989 m ): 17 h. à 17 h. 50, Cabane Salbit: 19 h. 15.

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